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Date : 20080611

Dossier : T-2011-06

Référence : 2008 CF 730

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Blanchard

 

 

ENTRE :

LABORATOIRES ABBOTT LIMITÉE,

TAP PHARMACEUTICALS INC. et

TAP PHARMACEUTICAL PRODUCTS INC.

 

demanderesses

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Santé (le ministre), datée du 17 octobre 2006, de ne pas inscrire le brevet canadien no 2,338,792 (le brevet 792) au registre des brevets en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, tel que modifié par DORS/98-166 et par DORS/99-379 (le Règlement), à l’égard des capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg.

 

[2]               Seuls les brevets inscrits au registre bénéficieront de la protection du Règlement. Si une personne détient à la fois un avis de conformité pour une drogue et un brevet dont les revendications visent le médicament contenu dans cette drogue, elle peut demander au ministre d’inscrire le brevet au registre à l’encontre du médicament et à l’égard de la drogue.

 

[3]               En ce qui a trait à l’inscription, le Règlement, en vigueur avant le 5 octobre 2006, exigeait que la liste de brevets identifie la drogue et fournisse, entre autres renseignements, la forme posologique, la concentration et la voie d’administration de la drogue. Les paragraphes 4(1) et 4(7) du Règlement prévoient ce qui suit :

4(1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l’égard de la drogue, accompagnée de l’attestation visée au paragraphe (7).

 

 

4.(7) La personne qui soumet une liste de brevets ou une modification apportée à une liste de brevets aux termes des paragraphes (1) ou (4) doit remettre une attestation portant que :

   a) les renseignement fournis sont exacts;

   b) les brevets mentionnés dans la liste ou dans la modification sont admissibles à l’inscription au registre et sont pertinents quant à la forme posologique, la concentration et la voie d’administration de la drogue visée par la demande d’avis de conformité.

4.(1) A person who files or has filed a submission for, or has been issued, a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine may submit to the Minister a patent list certified in accordance with subsection (7) in respect of the drug.

 

 

4.(7) A person who submits a patent list or an amendment to an existing patent list under subsection (1) or (4) must certify that

   (a) the information submitted is accurate; and

   (b) the patents set out on the patent list or in the amendment are eligible for inclusion on the register and are relevant to the dosage form, strength and route of administration of the drug in respect of which the submission for a notice of compliance has been filed.

 

[4]               Depuis le dépôt de la liste des brevets des demanderesses à l’égard du lansoprazole le 25 janvier 2006, les exigences relatives au contenu d’une liste de brevets ont changé en raison de modifications à l’article 4 du Règlement. Ces modifications s’appliquent uniquement aux demandes d’inscription déposées après le 5 octobre 2006 et ne sont pas, par conséquent, pertinentes quant à la présente demande.

 

[5]               En l’espèce, le ministre a conclu que le brevet 792, à l’égard des capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg, était inadmissible à l’inscription. Le ministre a décidé que le brevet 792 n’était pas pertinent quant à la forme posologique des produits PREVACID en cause, tel que l’exige l’alinéa 4(7)b) du Règlement. Je résume ci-après les conclusions du ministre.

(i)                  Le brevet 792 contient des revendications à l’égard d’une préparation solide à désintégration rapide orale. Toutefois, les produits PREVACID en cause sont des capsules à libération prolongée et des granulés pour suspension buvable à libération prolongée. Pour que les produits PREVACID en cause soient admissibles à l’inscription, ils doivent être non seulement des préparations solides, mais également être rapidement désintégrables dans la cavité buccale.

 

(ii)                Le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison (BMBL) est d’accord avec la position des demanderesses selon laquelle l’expression « préparation solide » est suffisamment large pour englober plusieurs formes posologiques telles que des capsules et des granulés. Cependant, la limitation « désintégration rapide orale » rend le brevet 792 non pertinent à l’égard des capsules à libération prolongée et des granulés pour suspension buvable à libération prolongée. Plus précisément, le BMBL n’est pas d’accord avec la revendication des demanderesses selon laquelle les capsules et les granulés sont rapidement désintégrables dans la cavité buccale.

 

(iii)               Le BMBL constate que le brevet 792 a été reconnu admissible à l’inscription à l’égard de PREVACID FasTab, un produit en comprimés à désintégration rapide.

 

 

[6]               Les demanderesses soutiennent que les capsules PREVACID sont une préparation solide rapidement désintégrable dans la cavité buccale, que les revendications du brevet 792 sont pertinentes quant aux capsules PREVACID en cause et que la décision du ministre de ne pas ajouter le brevet 792 au registre des brevets était manifestement incorrecte. Selon les défendeurs, le ministre n’a pas commis d’erreur en décidant comme il l’a fait.

 

 

I.    La question en litige

[7]               Le ministre a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en n’inscrivant pas le brevet 792, à l’égard des capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg, en raison de la non-pertinence du brevet quant à la forme posologique? 

 

[8]               Dans la prise en considération de la question ci-dessus, les sujets suivants doivent être examinés :

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du ministre?

2.         En ce qui a trait à la norme de contrôle applicable :

-           Quelle est l’interprétation appropriée des formes posologiques approuvées dans l’avis de conformité à l’égard des capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg?

            -           Comment faut-il interpréter les revendications du brevet 792?

-           Le brevet 792 est-il pertinent quant aux revendications des capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg?

 

II.   La Norme de contrôle

[9]               Dans le récent arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a décidé que désormais il existait uniquement deux normes de contrôle : la norme de la décision raisonnable et la norme de la décision correcte. La cour a indiqué que la norme de la décision correcte devait continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 50). Lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, une cour de révision ne fera pas preuve de retenue à l’égard du raisonnement du décideur et elle doit se demander si la décision du tribunal était correcte.

 

[10]           La Cour suprême enseigne également que lors d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47; Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] A.C.S. n23 (Lexis), au paragraphe 41).

 

[11]           La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution concernant l’application de la norme de la raisonnabilité (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 54). La prise en compte des éléments suivants permet d’établir le degré de retenue à manifester à l’égard d’un tribunal : l’existence d’une clause privative; la question de savoir s’il existe un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale; la nature de la question à trancher (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 55). 

 

[12]           En l’espèce, le ministre a été appelé à répondre aux questions telles que formulées ci‑dessous :

                     i.                        Quelle est l’interprétation appropriée des formes posologiques approuvées dans l’avis de conformité, plus particulièrement à l’égard des capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg?

                   ii.                        Comment faut-il interpréter les revendications pertinentes du brevet 792?

                  iii.                        Le brevet 792 est-il pertinent quant aux capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg?

 

[13]           La première question porte sur l’interprétation de l’avis de conformité, plus particulièrement la question de savoir si la forme posologique en cause est [traduction] « désintégrable dans la cavité buccale ». La question en l’espèce comporte la prise en compte d’éléments de preuve scientifique, essentiellement de nature factuelle. La question requiert également une expertise spéciale de la part du décideur afin de comprendre et d’apprécier les éléments de preuve. Compte tenu du régime administratif en cause, qui est expressément mis sur pied pour examiner l’inscription de brevets au registre des brevets, le ministre possède l’expertise pour examiner de telles questions. La norme de contrôle applicable à la première question est la norme de la décision raisonnable. Compte tenu de la nature de la question, de l’expertise du ministre et de l’absence de clause privative, le ministre a droit à un degré de retenue élevé lorsqu’il prend de telles décisions. (Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, [2007] A.C.F. no 420 (Lexis), au paragraphe 69.)

 

[14]           La deuxième question porte sur l’interprétation de revendications de brevet. Il est bien établi en droit que l’interprétation de revendications de brevet est une question d’interprétation juridique, une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir : AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560, au paragraphe 25; GD Searle & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 437, [2008] A.C.F. no 520 (Lexis), aux paragraphes 17 et 18; Laboratoires Abbott ltée c. Canada (Procureur général), 2007 CF 797, [2007] A.C.F. no 1046 (Lexis), au paragraphe 13). À l’égard de ces questions, il n’est pas nécessaire de faire preuve de retenue envers le ministre. La norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte.

 

[15]           La troisième question est de savoir si le brevet 792 est pertinent quant aux capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg, comme l’exige l’alinéa 4(7)b) du Règlement. Pour cette question, il est nécessaire d’interpréter les revendications pertinentes du brevet 792, de même que l’avis de conformité qui a approuvé les capsules en cause. Les revendications, telles qu’interprétées, doivent être appréciées à la lumière de l’avis de conformité, tel qu’interprété. Il s’agit clairement d’une question mixte de fait et de droit. Dans l’arrêt Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 276, [2007] A.C.F. no 1138 (Lexis), au paragraphe 8, la Cour d’appel fédérale a statué que « s’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait, alors la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable, à moins que la question de droit puisse être séparée de la question de fait, auquel cas la question de droit est revue selon la norme de la décision correcte. » Je suis convaincu que la question de savoir si le brevet 792 est pertinent quant aux capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg est une question mixte de fait et de droit et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Compte tenu de la jurisprudence antérieure, d’un régime administratif distinct dans le cadre duquel le ministre possède une expertise spéciale et de l’absence de clause privative, je suis convaincu que le ministre commande un degré de retenue élevé à l’égard de la question.  

 

III.    Question préliminaire

[16]           Habituellement, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour examine uniquement le dossier dont était saisi le décideur pour en arriver à la décision faisant l’objet du contrôle. À l’audience de la demande, j’ai soulevé avec les parties la question de savoir si la Cour devrait examiner dans la présente instance l’affidavit du Dr Stephen Byrn, souscrit le 15 décembre 2006. Le Dr Byrn est l’expert des demanderesses et le ministre n’était pas saisi de son affidavit au moment de la décision. Le ministre était toutefois saisi des observations des demanderesses que contenait une lettre datée du 27 septembre 2006 et transmise à la Direction des produits thérapeutiques de Santé Canada. Ces observations résumaient de façon complète la preuve d’expert du Dr Byrn. Les défendeurs sont d’avis que le ministre était saisi des renseignements en cause et, par conséquent, ils ne se sont pas objectés à ce que la Cour admette l’affidavit pas plus qu’ils n’ont contesté l’expertise du Dr Byrn. L’affidavit a été produit et pris en compte.

 

IV.       Quelle est l’interprétation appropriée des formes posologiques approuvées dans l’avis de conformité, plus particulièrement à l’égard des capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg?

 

[17]           Les Laboratoires Abbott limitée commercialisent la drogue PREVACID au Canada sous quatre formes posologiques distinctes : des capsules à libération prolongée, des granulés pour suspension buvable à libération prolongée, des comprimés FasTab à libération prolongée et la poudre lyophilisée pour reconstitution PREVACID® I.V. La décision faisant l’objet du contrôle vise uniquement les capsules à libération prolongée PREVACID.

 

[18]           Les capsules à libération prolongée PREVACID sont des capsules de gélatine dure et opaque contenant des granulés entérosolubles dans lesquels se trouve le principe actif lansoprazole (paragraphe 17 de l’affidavit du Dr Byrn). La formule des granulés entérosolubles a pour but d’assurer que l’absorption du lansoprazole commence uniquement après que les granulés quittent l’estomac et entrent dans le petit intestin. Ceci est important parce qu’autrement le contenu acide de l’estomac détruirait l’efficacité du lansoprazole qui est le principe actif (paragraphe 20 de l’affidavit du Dr Byrn).

 

[19]           Bien que la monographie de produit décrive les modes d’administration d’une capsule, il est clair que les capsules sont destinées à être avalées intactes. Cela est évident d’après un examen de la monographie concernant les Autres modes d’administration, commençant à la page 35 de la monographie, qui prévoit en partie ce qui suit :

Autres modes d’administration

Chez les adultes et les enfants qui ont de la difficulté à avaler des capsules, il existe trois modes d’administration. [Non souligné dans l’original.]

 

Option 1. PREVACID® (lansoprazole en capsules à libération prolongée)

 

On peut ouvrir la capsule de lansoprazole à libération prolongée, saupoudrer les granulés intacts sur une cuillerée à soupe de compote de pommes et avaler le tout sans tarder. Il ne faut pas croquer ni écraser les granulés.

 

 

[20]           L’option 2 de la monographie concerne le PREVACID FasTab (lansoprazole en comprimés à libération prolongée), qui n’est pas conçu pour être avalé :

Option 2. PREVACID FasTab (lansoprazole en comprimés à libération prolongée)

 

Le lansoprazole en comprimés à libération prolongée est offert en dose de 15 mg ou de 30 mg. Les comprimés PREVACID FasTab ne sont pas conçus pour être avalés intacts ou croqués. Le comprimé se désintègre habituellement en moins d’une minute.

           

On recommande de placer le comprimé sur la langue et de le laisser se désintégrer avec ou sans eau jusqu’à ce que les granulés puissent être avalés.

 

Il ne faut pas croquer les granulés.

 

 

[21]           La monographie indique que les capsules peuvent être ouvertes et leur contenu saupoudré sur de la compote de pommes dans les cas où un patient a de la difficulté à avaler la capsule. Cela indique que les capsules sont destinées à être avalées intactes. D’autre part, la forme posologique FasTab est expressément conçue pour ne pas être avalée intacte, mais pour être placée sur la langue et y rester jusqu’à ce que le comprimé se désintègre et que les granulés soient ensuite avalés. On a conclu que cette forme posologique était pertinente quant au brevet 792 qui a été par conséquent inscrit par le ministre.

 

[22]           Les demanderesses font valoir que la préparation de compote de pommes, mentionnée comme autre mode d’administration, serait rapidement désintégrable dans la bouche et qu’elle elle est par conséquent une préparation solide pertinente quant au brevet 792. À l’appui de leurs prétentions, les demanderesses s’appuient sur les paragraphes 56 et 57 de l’affidavit du Dr Byrn, que je reproduis ci-après :

                        [traduction]

56.              La compote de pommes saupoudrée de granulés constituerait elle-même une préparation solide. Cette préparation solide serait rapidement désintégrable dans la bouche. À mesure que la salive agit sur la préparation solide dans la bouche, celle-ci se désintègre et commence le processus selon lequel la préparation solide est entièrement digérée et le contenu des granulés entérosolubles sont absorbés dans le sang.

 

57.              Les délitants que contient la capsule devraient favoriser ce processus et contribuer à l’observance thérapeutique en veillant à la dispersion rapide des granulés, évitant ainsi l’agglutination ce qui rendrait la préparation désagréable à prendre.

 

 

[23]           Je ne souscris pas à la manière selon laquelle le Dr Byrn qualifie la préparation de compote de pommes. À mon avis, elle ne constitue pas une forme posologique approuvée. Elle constitue un mode d’administration du contenu de l’une des formes posologiques approuvées, à savoir les capsules à libération prolongée PREVACID. La monographie mentionne une forme posologique à désintégration orale. Je suis d’accord avec les défendeurs, le geste d’ouvrir et de saupoudrer le contenu des capsules sur de la compote de pommes est un geste qui effectivement aide à la désintégration des capsules. On ne peut alors dire que les capsules sont désintégrables oralement. Bien que l’ingrédient non actif inclus dans la capsule puisse aider à prévenir l’agglutination une fois qu’elle est saupoudrée sur la compote de pommes, on ne peut pas dire que la compote de pommes ainsi préparée est une préparation solide approuvée pour commercialisation par l’avis de conformité. Elle constitue simplement un mode d’administration du contenu des capsules.

 

[24]           Après avoir examiné la monographie de produit dans son ensemble, selon mon interprétation, la capsule à libération prolongée PREVACID à 15 ou à 30 mg ne constitue pas une forme posologique destinée à être désintégrable oralement. Il s’agit d’une forme posologique destinée à être avalée intacte. 

 

[25]           Le ministre n’a pas commis d’erreur en concluant que [traduction] « […] les capsules [à libération prolongée] doivent être avalées intactes. » Il n’a pas non plus commis d’erreur en concluant que [traduction] « […] la préparation idéale englobant l’invention du brevet 792 est un comprimé de lansoprazole conçu pour se désintégrer rapidement dans la bouche afin de faciliter l’administration du médicament pour les patients qui ont de la difficulté à avaler les comprimés intacts. » Ces conclusions étaient raisonnables vu le dossier dont disposait le ministre.

 

[26]           En conséquence, je conclus que l’interprétation du ministre relativement à l’avis de conformité en rapport avec les capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg était raisonnable. Il n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en interprétant l’avis de conformité comme il l’a fait.

 

V.   Comment faut-il interpréter les revendications pertinentes du brevet 792?

[27]           Le brevet 792 s’intitule « Préparation solide à désintégration rapide » et contient 21 revendications. Les revendications 1 à 12 visent une préparation solide à désintégration rapide comprenant du lansoprazole, un sucre et une hydroxypropylcellulose à faible substitution. Les revendications 1 à 9 sont particulièrement intéressantes à l’égard de la question dans la présente demande et je les reproduis ci-dessous :

            [traduction]

1.         Une préparation solide à désintégration rapide orale qui contient :

 

                        (i) du lansoprazole;

 

(ii) un sucre en quantité de 5 à 97 parties en poids par 100 parties en poids de la préparation solide;

 

(iii) une hydroxypropylcellulose à faible substitution ayant 5 % en poids ou plus mais moins de 7 % en poids d’un groupe d’hydroxypropyl, en quantité de 3 à 50 parties en poids par 100 parties en poids de la préparation solide.

 

            2.         La préparation de la revendication 1, qui est un comprimé.

           

            3.         La préparation de la revendication 1 ou 2, dans laquelle le sucre est un alcool de sucre.

 

4.         La préparation de la revendication 3, dans laquelle l’alcool de sucre est du mannitol ou de l’érythritol.

           

5.         La préparation de la revendication 2, qui se désintègre dans la salive buccale d’un adulte en bonne santé à l’intérieur de 5 à 50 secondes et dans de l’eau à l’intérieur de 5 à 40 secondes; elle possède une dureté de 2 à 20 kg telle que mesurée par un essayeur de la dureté du comprimé.

 

6.                  La préparation de la revendication 5, dans laquelle le sucre est un alcool de sucre.

 

7.                  La préparation des revendications 1 à 6, qui contient de plus un sel inorganique basique de sodium, du potassium, du magnésium ou du calcium, pour stabiliser le lansoprazole.

 

8.         La préparation des revendications 1 à 7, qui contient des granulés fins.

 

9.         La préparation de la revendication 8, dans laquelle les granulés fins de la préparation solide contiennent le lansoprazole.

[Non souligné dans l’original.]

 

[28]           La revendication 13 vise l’utilisation d’une hydroxypropylcellulose à faible substitution pour produire une préparation solide à désintégration rapide orale contenant du lansoprazole et du sucre. Les revendications 14 et 21 portent sur des procédés. Les revendications 15 à 20 visent un comprimé pharmaceutique à désintégration rapide orale contenant du lansoprazole, au moins un alcool de sucre, une hydroxypropylcellulose à faible substitution et au moins un autre ingrédient choisi parmi plusieurs excipients. La revendication 21 prévoit un procédé pour la production des comprimés définis dans les revendications 15 à 20.

 

[29]           Les préparations solides faisant l’objet des revendications du brevet 792 doivent être [traduction] « rapidement désintégrables oralement ». Les défendeurs conviennent que l’expression « préparation solide » est suffisamment large pour inclure les formes posologiques telles que les capsules et les granulés. La signification du mot « rapidement » n’est pas en cause dans la présente demande. Les capsules peuvent être désintégrées dans la bouche en moins d’une minute, bien à l’intérieur du délai énoncé dans le mémoire descriptif pour la désintégration rapide. Le litige entre les parties porte sur la bonne interprétation des mots [traduction] « désintégration […] orale » dans la revendication 1 du brevet 792.

 

[30]           L’opinion du Dr Byrn à l’égard de cet aspect de la revendication se trouve au paragraphe 45 de son affidavit. Il affirme que [traduction] « l’utilisation du mot 'désintégration' indique clairement à une personne versée dans l’art que la préparation doit pouvoir être désintégrée, bien qu’elle ne le soit pas à chaque administration. »

 

[31]           Au paragraphe 46 de son opinion, le Dr Byrn affirme que l’expression [traduction] « désintégration […] orale », prise isolément dans le texte de la revendication, pourrait être considérée ambiguë quant à la question de savoir si elle exige une capacité de désintégration rapide dans la bouche ou simplement après avoir été prise oralement. Il est d’avis que le mémoire descriptif du brevet 792 appuie ce dernier point de vue. Il déclare ce qui suit au paragraphe 47 de son affidavit :

[traduction] L’examen du mémoire descriptif du brevet 792 soutient le point de vue selon lequel l’expression « désintégration orale » telle qu’utilisée dans le brevet est une expression large qui signifie que la préparation peut se briser après avoir été prise oralement. À la page 2, lignes 1 à 3 du mémoire, le brevet mentionne ce qui suit : « il y a eu le développement souhaité d’une préparation solide à désintégration rapide ayant une désintégrabilité rapide en présence de salive dans la cavité buccale, dans un peu d’eau ou dans l’estomac ».

 

 

Je ne souscris pas à l’opinion selon laquelle l’expression [traduction] « désintégration […] orale » dans la revendication soit ambiguë. À mon avis, une préparation solide à désintégration orale est clairement destinée à être désintégrée dans la cavité buccale. En ce qui a trait au mémoire descriptif, un autre passage appuie une interprétation plus étroite de l’expression [traduction] « désintégration […] orale » que celle proposée par les demanderesses. La page 2, aux lignes 5 à 11 du mémoire décrit la nature de la forme posologique destinée à être protégée par l’invention :

 

[traduction]

La présente invention a trait à :

 

(1) une préparation solide à désintégration rapide qui contient (i) un ingrédient pharmacologiquement actif, (ii) un sucre et (iii) une hydroxypropylcellulose à faible substitution ayant 5 % en poids ou plus mais moins de 7 % en poids d’un groupe d’hydroxypropyl;

 

(2) la préparation visée au paragraphe (1), qui est une préparation solide à désintégration rapide orale;

[Non souligné dans l’original.]

 

[32]           Ce dernier passage cité du mémoire descriptif reprend le libellé de la revendication 1, à savoir [traduction] « Une préparation solide à désintégration rapide orale [] » À mon avis, l’expression [traduction] « désintégration [] orale »  peut uniquement signifier, dans les circonstances, une préparation qui se désintègre dans la bouche et non, comme le soutiennent les demanderesses, une préparation prise oralement et qui est par la suite désintégrable dans l’estomac. 

 

[33]           De plus, la page 12 du mémoire descriptif mentionne également que la forme posologique privilégiée de l’invention est un comprimé à désintégration orale :

[traduction]

4)      Formes posologiques

           En tant que forme posologique de la préparation solide à désintégration rapide de la présente invention, par exemple, comprimé, granulé, granulé fin et autres formes semblables, le comprimé est de préférence illustré. Parmi les comprimés à désintégration rapide tels qu’un comprimé à désintégration orale et un comprimé désintégrable dans l’eau, le comprimé à désintégration orale est préférable.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           À mon avis, voici une bonne interprétation des revendications du brevet 792 :

a)         la « préparation solide » faisant l’objet des revendications comprend des capsules;

b)         la « préparation solide » est destinée à être désintégrée dans la cavité buccale et non avalée pour désintégration dans l’estomac;

c)         la « préparation solide » se désintègre rapidement au sens du brevet.  

 

[35]           L’interprétation des revendications faite par le ministre est compatible avec l’interprétation des revendications du brevet 792 présentée ci-dessus. L’interprétation du ministre est donc correcte.

 

VI.       Le ministre a-t-il commis une erreur en concluant que le brevet 792 n’est pas pertinent quant aux capsules à libération prolongée PREVACID?

 

[36]           Dans le contexte de la présente demande, l’alinéa 4(7)d) du Règlement commande la détermination de la question de savoir si le brevet 792 est pertinent quant aux capsules à libération prolongée PREVACID à 15 et à 30 mg, une forme posologique faisant l’objet d’une revendication dans l’avis de conformité.

 

[37]           La conclusion du ministre est énoncée dans la lettre de David Lee, datée du 17 octobre 2006. Le passage suivant de la lettre résume la conclusion :

[traduction] Les produits PREVACID en cause dans la présente affaire sont des capsules à libération prolongée et des granulés pour suspension buvable à libération prolongée. Tous ces produits sont des formes posologiques à libération prolongée composées de granulés entérosolubles (voir la page 35 de la monographie de produit PREVACID datée du 5 novembre 2004). Comme nous l’avons indiqué dans les lettres du 2 février 2006 et du 14 février 2006 informant votre cliente que le brevet 792 n’était pas admissible à l’inscription au registre des brevets, le brevet 792 contient des revendications concernant une préparation solide à désintégration rapide orale. Ainsi, afin d’être admissible à l’inscription au registre des brevets, les produits PREVACID susmentionnés doivent, de l’avis du BMBL, non seulement être des préparations solides, mais également être rapidement désintégrables dans la cavité buccale.

[Souligné dans l’original.]

 

 

[38]           Tel que discuté plus tôt dans les présents motifs, j’ai conclu que l’interprétation des revendications pertinentes du brevet 792 faite par le ministre est correcte et son interprétation de l’avis de conformité est raisonnable. Afin de trancher la question de la pertinence du brevet quant à la forme posologique, le brevet doit être comparé à l’avis de conformité. Je conclus qu’il n’y a pas d’erreur dans la comparaison des revendications du brevet 792 et de l’avis de conformité faite par le ministre. 

  

[39]           En ce qui a trait aux exigences de l’alinéa 4(7)b) du Règlement, le seul désaccord est la question de savoir si les capsules PREVACID sont à [traduction] « désintégration orale ». Les demanderesses soutiennent et font valoir que la preuve d’expert non contestée montre que les capsules PREVACID sont rapidement désintégrables oralement pour les raisons suivantes :

[traduction]

(i)      lorsque placées (intactes) dans la bouche, elles peuvent être désintégrées rapidement et, par conséquent, elles constituent des «  préparations solides à désintégration rapide orale »;

 

(ii)     elles peuvent également être administrées en ouvrant le contenu des capsules et en saupoudrant les granulés sur de la nourriture (compote de pommes). Lorsqu’elles sont administrées de cette manière, elles constituent une préparation solide qui peut également être désintégrée rapidement et, par conséquent, elles constituent des « préparations solides à désintégration rapide orale ».

 

 

[40]           Comme je l’ai déclaré plus tôt dans les présentes motifs, j’ai conclu que la position exprimée par les demanderesses était incompatible avec l’interprétation correcte des revendications pertinentes du brevet 792. J’ai également conclu que le ministre n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’avis de conformité et des réclamations du brevet 792. Les capsules en cause sont destinées à être avalées et ne sont pas, par conséquent, désintégrables oralement, même si elles peuvent avoir une désintégration orale rapide. Il me faut donc conclure que la décision du ministre selon laquelle le brevet 792 n’est pas pertinent quant à la forme posologique des capsules à libération prolongée PREVACID est raisonnable de sorte que l’ajout du brevet au registre, conformément à l’alinéa 4(7)b), ne peut être autorisé.

 

VII.      Conclusion

[40]           Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai la demande et j’accorderai aux défendeurs les dépens qui seront taxés conformément à la partie médiane de la colonne IV du Tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283, article 2.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

La cour statue que :

 

1.         La demande est rejetée.           

 

2.                  J’accorde aux défendeurs les dépens qui seront taxés selon la partie médiane de la colonne IV du Tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283, article 2.

 

 

           

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

Dossier :                                        T-2011-06

 

Intitulé :                                       LABORATOIRES ABBOTT LIMITÉE et autres c.
le procureur général du Canada et autres

 

 

Lieu de l’audience :                 Toronto (Ontario)                    

 

DATE de l’audience :               Le 3 juin 2008

 

Motifs du jugement

Et jugement :                              le juge Blanchard

 

Date des motifs :                      Le 11 juin 2008

 

 

 

Comparutions :

 

Caroline Ziyad,

Andrew J. Reddon

416-601-8200

 

Pour les demanderesses

F. B. (Rick) Woyiwada

613-941-2353

 

Pour les défendeurs

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Caroline Ziyad

Andrew J. Reddon

 

Pour les demanderesses

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour les demanderesses

 

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