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Date : 20080610

Dossier : IMM-236-08

Référence : 2008 CF 728

Toronto (Ontario), le 10 juin 2008

En présence de madame la juge Layden-Stevenson

 

 

ENTRE :

 

NORMAN HERNAN LOPEZ MEDINA

TERESITA DEL ROSARIO PUENTE MERCADO

(ALIAS TERESITA DEL RO PUENTE MERCADO)

NORMAN HERNAN LOPEZ PUENTE

DIEGO ANDREE LOPEZ PUENTE

FRIDA NATALIA LOPEZ PUENTE

 

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont des citoyens du Mexique. La famille a demandé l’asile au Canada du fait de son appartenance à un groupe social en particulier et des opinions politiques du demandeur M. Medina. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande au motif : a) qu’elle était fondée sur des hypothèses, et b) qu’une protection de l’État adéquate était offerte à Mexico.

 

[2]               Les demandeurs soutiennent que l’analyse (ou l’absence d’analyse) relativement aux deux conclusions ne satisfait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité prévues par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Je suis du même avis. Par conséquent, la demande sera accueillie.

 

Contexte

[3]               Ce qui suit constitue l’essentiel des faits présentés par les demandeurs. Le demandeur M. Medina, un homme d’affaires prospère, vivait à Naucalpan (une ville de Mexico). Plusieurs personnes et lui ont investi des fonds pour l’ouverture d’une université privée dans l’État de Veracruz (le Centre d’études professionnelles de l’Amérique latine). Il a commencé à travailler plusieurs jours par semaine à Veracruz pour s’occuper de ce projet. Il s’est engagé au sein d’une association civile, [traduction] « Ère nouvelle pour Veracruz », créée afin d’appuyer le candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (le P.R.I.) qui présentait sa candidature comme gouverneur de l’État de Veracruz. 

 

[4]               Lorsque le candidat a été élu, M. Medina s’est vu offrir un poste à titre de chef de la Commission de l’eau de Veracruz. Par la suite, dès septembre 2005, le demandeur a reçu plusieurs menaces l’avertissant de ne pas accepter le poste, puisque la région [traduction] « apparten[ait] à un influent propriétaire foncier local ». En fin de compte, M. Medina a décidé de retirer ses fonds du projet visant la création de l’université et de quitter Veracruz. L’investisseur principal s’est opposé au retrait des fonds investis.

 

[5]               Par après, M. Medina a reçu de nombreux appels de menaces sur son cellulaire. En avril 2006, la personne au bout du fil aurait dit à M. Medina avoir reçu pour instruction de lui faire du mal s’il ne coopérait pas avec eux et s’il ne leur donnait pas d’argent. En juillet, après que les demandeurs eurent reçu un appel lors d’un repas de famille à Tepotzotland, une voiture a tenté de forcer le véhicule dans lequel ils se trouvaient à quitter la route. Les demandeurs ont par la suite reçu d’autres appels téléphoniques. En septembre, la personne au bout du fil aurait affirmé savoir exactement où se trouvaient les membres de la famille de M. Medina et ce qu’ils portaient. Cette personne aurait exigé que la famille paie 50 000 pesos si elle ne voulait pas que M. Medina soit enlevé. En octobre, la même personne aurait téléphoné à M. Medina et aurait affirmé savoir que son épouse était au dépanneur; cette personne aurait ajouté que des directives pour le paiement d’une somme d’argent lui seraient envoyées.

 

[6]               M. Medina a signalé le premier appel téléphonique à l’Agence fédérale d’enquêtes et lui a donné le numéro de téléphone de la personne ayant fait l’appel. La famille a déposé une plainte auprès de la police suivant l’incident en voiture. La demande de 50 000 pesos a également été signalée aux autorités. En ce qui concerne le dernier rapport à la police, M. Medina, après s’être fait demander de revenir au poste le lendemain, se serait fait dire par un policier qu’[traduction] « une personne influente » était l’instigatrice de ces appels. Le policier aurait offert à M. Medina, moyennant certains frais, de mettre en place une patrouille à l’extérieur de sa maison.

 

[7]               La famille Medina a quitté le Mexique le 5 octobre 2006. Lors d’une conversation téléphonique à l’aéroport avec le même policier, M. Medina se serait fait dire par ce dernier que « ce qu’ils [la famille Medina] faisaient était la meilleure chose à faire ». Les demandeurs ont présenté leur demande d’asile le 6 octobre.

 

Norme de contrôle

[8]               Les parties conviennent, et je partage leur avis, que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable.

 

Analyse

[9]               En ce qui concerne la conclusion selon laquelle la demande dans son ensemble est fondée sur des hypothèses, la SPR a affirmé :

 

Aucun des membres de la famille n’a subi de préjudice. Il est possible qu’ils aient reçu des appels téléphoniques menaçants ou que quelqu’un ait même cherché à forcer le demandeur principal à arrêter sa voiture, mais il n’y a pas eu d’accident, aucun véhicule n’a été endommagé et personne n’a été blessé. À part le numéro d’un téléphone cellulaire et la marque de l’autre automobile impliquée, les demandeurs d’asile n’ont pu présenter aucune preuve aux autorités.

 

Le fait que les autorités ont offert de fournir des patrouilles supplémentaires aux frais du demandeur d’asile principal ne semble pas différent de ce qui se passe ici, quand des citoyens canadiens font appel à des services privés de sécurité. D’après la preuve que le demandeur d’asile a fournie aux autorités, il serait difficile de reprocher à ces dernières de ne pas avoir fourni des patrouilles supplémentaires.

 

 

[10]           Il s’agit là de l’analyse complète de la SPR et, à mon avis, cette analyse constitue une conclusion vague et défavorable relative à la crédibilité. La crédibilité relève de la compétence exclusive de la SPR. La SPR n’était pas obligée d’accepter le récit de M. Medina. Cependant, le droit exige depuis longtemps que les conclusions relatives à la crédibilité soient énoncées en termes clairs et explicites : Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.). En l’absence d’une conclusion définitive de non-crédibilité, le témoignage du demandeur est présumé vrai. À mon avis, l’analogie établie par la SPR entre les services privés de sécurité et les autorités gouvernementales n’est pas appropriée. De même, le fait qu’« [a]ucun des membres de la famille n’a subi de préjudice » et que « personne n’a été blessé » ne signifie pas qu’il y avait absence de crainte.

 

[11]           Malgré les lacunes évidentes relatives à l’« analyse » précitée, la conclusion cruciale sur laquelle est fondé le rejet par la SPR de la demande de la famille Medina porte sur la question de la protection de l’État. Je ne peux partager l’avis de l’avocate des demandeurs selon lequel le simple emploi des mots « sérieux efforts » indique que la SPR a commis une erreur dans son analyse relative à la protection de l’État.

 

[12]           Néanmoins, je conclus que l’analyse relative à la protection de l’État est indéfendable. À sa face même, l’analyse semble être un modèle d’analyse contenant peu de références quant à la situation des demandeurs. 

 

[13]           Les déclarations tirées du rapport sur le Mexique du Département d’État des États-Unis, sur lesquelles s’est fondée la SPR, ne sont pas pertinentes quant à la situation de la famille Medina. Il n’y avait aucune allégation de violations des droits de la personne, de brutalité policière ou de recours à la torture, ni aucune allégation touchant l’indépendance judiciaire. Ces questions ne sont pas pertinentes quant aux demandes d’asile. Le contenu de l’exposé intitulé « Mexique : situation des témoins des crimes et de la corruption », février 2007, est décrit de façon plus précise et détaillée.

 

[14]           Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la SPR ne devrait pas être blâmée pour avoir omis de se pencher sur le document de Human Rights Watch, puisque la situation en l’espèce ne fait pas partie des questions examinées dans le document (la justice pour les victimes de crimes violents et de violations des droits de la personne). On ne peut en dire autant de la Réponse à la demande d’information 100642 de la CISR, qui se penche précisément sur le fait que les enlèvements en vue d’extorsion sont particulièrement courants à Mexico. Ces renseignements contredisent les conclusions de la SPR et touchent directement à la situation de la famille Medina. De même, le document intitulé « Mexique : protection offerte par l’État », mai 2005, dont il n’est pas fait mention, contient des renseignements à la fois favorables et défavorables à la demande présentée par la famille Medina. Enfin, la SPR a omis de traiter directement des efforts faits par les demandeurs pour obtenir la protection du Mexique. 

 

[15]           Indubitablement, il est loisible à la SPR de conclure que la protection de l’État existe au Mexique. Cela dit, le fait de tirer une telle conclusion en se fondant sur un résumé des conditions dans le pays (comme celles en l’espèce), sans plus, ne constitue pas une décision qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il va sans dire que les renseignements de la preuve documentaire sur les conditions dans le pays sur lesquels le tribunal se fonde pour conclure à l’existence de la protection de l’État devraient avoir une certaine pertinence quant à la demande. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[16]           Je suis bien consciente que la norme de la décision raisonnable ne permet pas à la Cour de remplacer l’opinion de la SPR par la sienne. Il faut faire preuve de retenue judiciaire. Cependant, il ne s’agit pas d’une affaire où il aurait fallu une analyse plus détaillée ou instructive. Au contraire, à mon avis, les motifs sont complètement erronés. La simple mention d’extraits de preuve documentaire, qui ne sont pas pertinents quant à la demande, suivie d’une conclusion (qui n’établit aucun lien, et en l’espèce qui ne pouvait en établir aucun, entre le contenu des documents sur les conditions dans le pays et la demande), mène à une décision déraisonnable, sans justification, transparence et intelligibilité. 

 

[17]           Les avocats n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune. L’avocat du défendeur mérite des éloges pour avoir refusé de défendre l’indéfendable.   

 


JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                                               IMM-236-08

 

INTITULÉ :                                                   NORMAN HERNAN LOPEZ MEDINA, TERESITA DEL ROSARIO PUENTE MERCADO (ALIAS TERESITA DEL RO PUENTE MERCADO), NORMAN HERNAN LOPEZ PUENTE, DIEGO ANDREE LOPEZ PUENTE, FRIDA NATALIA LOPEZ PUENTE

            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 10 JUIN 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Aisling Bondy                                                                           POUR LES DEMANDEURS

                                                                                   

David Knapp                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aisling Bondy                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Avocate

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR              

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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