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Date : 20080609

Dossier : IMM-4703-07

Référence : 2008 CF 716

Montréal (Québec), le 9 juin 2008

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

EMMANUEL REYES MONTALVO

LIZBETH HERNANDEZ CARMONA

LIZBETH HERNANDEZ CARMONA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision datée du 22 octobre 2007, dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention suivant l’article 96 de la Loi, ni des « personne[s] à protéger » suivant l’article 97 de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs sont tous des citoyens du Mexique qui allèguent craindre d’être exposés à une menace à leur vie du fait de leurs opinions politiques.

 

[3]               Le demandeur a travaillé dans un bureau de prêteur sur gages appartenant à son oncle, jusqu’à ce que des rumeurs commencent à se répandre selon lesquelles son oncle était un narcotrafiquant ayant des liens avec le crime organisé. À ce moment, le demandeur a commencé à travailler dans un autre bureau de prêteur sur gages. Il a également été informé que son oncle versait des pots-de-vin à des policiers corrompus pour pouvoir poursuivre ses activités.

 

[4]               Le 14 mars 2005, des membres de la police ministérielle de Veracruz ont enlevé le demandeur, lui ont bandé les yeux, l’ont agressé et l’ont torturé. Ils ont forcé le demandeur à signer une fausse confession et ils ont menacé de le tuer pour le compte de son oncle. Le demandeur a été emmené à Veracruz où il a été détenu en présence du commandant de la police ministérielle d’Alvarado dans l’État de Veracruz. Les ravisseurs du demandeur lui ont alors bandé les yeux et l’ont torturé de nouveau, puis ils l’ont forcé à signer une confession pour un crime qu’il n’avait pas commis. Les ravisseurs ont averti le demandeur de ne parler à personne du fait qu’il avait été détenu et ils l’ont relâché devant sa maison. Sa famille l’a conduit chez un médecin.

 

[5]               Le 19 octobre 2005, le demandeur a quitté son pays pour se rendre au Canada. Il a présenté sa demande d’asile le lendemain.

 

[6]               La demanderesse allègue qu’après que le demandeur eut fui le Mexique, elle aurait commencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces des agents de la police ministérielle qui avaient enlevé et torturé le demandeur. Ils auraient menacé de tuer la demanderesse et sa fille pour se venger du fait que le demandeur avait fui le Mexique. 

 

[7]               La demanderesse et sa fille se sont enfuies au Canada le 7 août 2006 et elles ont présenté leur demande d’asile le même jour.

 

[8]               Dans une décision datée du 22 octobre 2007, la Commission a jugé que les demandeurs pouvaient se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Mexico et que la protection de l’État à Mexico était adéquate.

 

NORME DE CONTRÔLE

[9]               Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada a souligné que pour déterminer la norme de contrôle applicable, les cours doivent premièrement « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». 

 

[10]           En ce qui a trait à l’analyse relative à la PRI, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’étant donné la nature factuelle de la décision portant sur l’existence d’une PRI, la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable (Hattou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 230, [2008] A.C.F. no 275 (QL), au paragraphe 12; Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, [2003] A.C.F. no 1263 (QL), au paragraphe 11). Vu l’arrêt Dunsmuir, précité, la norme de contrôle applicable à cette question est aussi la décision raisonnable.

 

[11]           Dans des décisions récentes, la Cour a aussi examiné la norme de contrôle applicable à la question de la protection de l’État, compte tenu des lignes directrices de l’arrêt Dunsmuir, précité, et elle a conclu que la norme applicable est la décision raisonnable (Flores Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, au paragraphe 10; Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 334, au paragraphe 6). 

 

[12]           Par conséquent, conformément à la norme de la décision raisonnable, l’analyse de la décision de la Commission portera sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu[e] [sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

ANALYSE

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse relative à la PRI?

 

[13]           Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve explicite fournie relativement à la facilité avec laquelle les policiers corrompus pouvaient les retrouver à Mexico. Plus précisément, le demandeur a souligné à l’audience : [traduction] « […] J’y ai pensé [se rendre dans une autre région du Mexique], mais je ne pouvais pas me rendre dans une autre ville ou dans un autre État parce qu’au moment où j’aurais voulu travailler ou obtenir un emploi, mon nom serait apparu, puisque les autorités ont accès à tous les noms et à tous mes papiers aux dossiers. » Le demandeur a aussi indiqué que les autorités le rechercheraient toujours parce qu’elles voulaient mettre à exécution leurs menaces de mort à son endroit. De plus, la demanderesse a affirmé qu’elle avait discuté avec le demandeur de la possibilité de quitter l’État de Veracruz, mais qu’ils avaient conclu que [traduction] « c’était impossible, en raison des autorités gouvernementales […] qui étaient parties à la situation »; en outre, selon ce qu’ils avaient conclu, vu qu’elle travaillait comme enseignante au Mexique et qu’elle était donc rémunérée par le gouvernement de l’État, la demanderesse serait retrouvée, peu importe où elle s’enfuirait.

 

[14]           Les demandeurs font référence à la preuve sur la situation dans le pays, preuve ayant été résumée par la Commission et indiquant que la participation de la police dans les enlèvements et ses liens avec le crime organisé et les cartels de la drogue sont chose courante au Mexique. Par conséquent, la crainte à laquelle les demandeurs allèguent être exposés existerait dans l’ensemble du pays.

 

[15]           La décision quant à l’existence d’une PRI « fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur » (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706, [1991] A.C.F. no 1256 (QL). En se penchant sur la question de l’existence d’une PRI, la Cour d’appel fédérale a affirmé, au paragraphe 12 de l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. no 1172 (QL), que le demandeur doit se prévaloir de la PRI à moins qu’il puisse démontrer qu’il serait objectivement déraisonnable de le faire.

 

[16]           La Cour d’appel a énoncé les facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit de décider du caractère raisonnable de la PRI. Tout d’abord, la PRI doit constituer une option réaliste et réalisable; « […] [o]n ne peut exiger du demandeur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie [du pays] ou pour y demeurer » (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 14). En outre, les demandeurs ne devraient pas avoir à se cacher dans une région isolée de leur pays, mais « […] il ne leur suffit pas de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient » (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 14).

 

[17]           De plus, comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, [2000] A.C.F. no 2118 (QL), lorsqu’il s’agit de déterminer le caractère déraisonnable de la PRI, la barre à franchir est très haute : « [i]l ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr » et « une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions » (au paragraphe 15).

 

[18]           Dans son analyse relative à la PRI, la Commission a indiqué qu’il n’y avait aucune barrière sociale, économique ou juridique empêchant les demandeurs de déménager à Mexico et elle a souligné l’état de santé, le niveau d’instruction et l’expérience professionnelle des demandeurs adultes. Rien ne prouvait que les persécuteurs dans l’État de Veracruz seraient toujours intéressés à poursuivre les demandeurs si ceux-ci s’établissaient ailleurs au Mexique. La Commission a souligné que 22 millions de personnes habitent dans les zones urbaines de l’État de Mexico et à Mexico et que, chaque année, la population de l’État de Mexico augmente de 350 000 personnes. La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les persécuteurs de l’État de Veracruz ne seraient plus intéressés à poursuivre les demandeurs si ceux-ci déménageaient à Mexico, et qu’ils ne sauraient rien de leur présence dans cette ville.

 

[19]           La question de l’existence d’une PRI est étroitement liée à l’existence d’une protection de l’État adéquate à Mexico. La Commission a jugé que la présomption de l’existence de la protection de l’État s’appliquait au Mexique. Elle a examiné la preuve documentaire dont elle disposait et a constaté que « le système policier et judiciaire au Mexique est faible et aux prises avec des actes de corruption dans certains secteurs et qu’il n’est pas aussi efficace qu’il pourrait l’être ». Cependant, la Commission était d’avis que les autorités policières et gouvernementales au Mexique faisaient des efforts sérieux, même s’ils n’étaient pas toujours fructueux, en vue de réduire et d’éradiquer les activités du crime organisé au Mexique, y compris celles des narcotrafiquants et des cartels de la drogue, de même que les activités illicites et corrompues des autorités policières, de l’armée et des autres représentants de l’État.

 

[20]           Les demandeurs allèguent que la présomption de l’existence de la protection de l’État s’applique seulement lorsque les agents de persécution sont des acteurs non étatiques. Subsidiairement, ils allèguent avoir tout fait pour obtenir la protection de l’État, mais en vain.

 

[21]           L’État est présumé capable de protéger ses citoyens en l’absence d’une preuve présentée par le demandeur « confirm[ant] d’une façon claire et convaincante » qu’il en est incapable (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 724 et 725, [1993] A.C.S. no 74 (QL), au paragraphe 50). Je souligne que, contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la Cour d’appel fédérale a affirmé que « la présomption de protection étatique décrite dans Ward s’applique autant dans les cas où une personne prétend craindre d’être persécutée par des entités non étatiques que dans les cas où l’État serait le persécuteur » (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. no 584 (QL), au paragraphe 54). 

 

[22]           Vu ce qui précède, et à la lumière de l’analyse relative à la PRI, la Commission pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs bénéficieraient de la protection de l’État à Mexico, puisqu’ils n’ont fourni aucune preuve claire et convaincante établissant que cette protection ne pourrait leur être offerte à cet endroit. 

 

[23]           Pour les motifs qui précèdent, je ne peux conclure que la décision de la Commission relativement à l’existence d’une PRI était déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4703-07

 

INTITULÉ :                                                   EMMANUEL REYES MONTALVO, ET AUTRES

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 2 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 9 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rekha P. McNutt

D. Jean Munn

 

                             POUR LES DEMANDEURS

W. Brad Hardstaff

 

                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron & Partners LLP

Calgary (Alberta)

 

                             POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

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