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Date : 20080604

 

Dossier : IMM-4089-07

 

Référence : 2008 CF 702

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 juin 2008

 

En présence de madame la juge Dawson

 

 

ENTRE :

 

GASTON CHAVEZ SOLIS

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]       La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, car j’estime qu’il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion tirée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) selon laquelle l’État offre une protection adéquate à M. Chavez Solis dans le district fédéral de Mexico.

 

LES FAITS

[2]       Gaston Chavez Solis est citoyen du Mexique. Il déclare craindre avec raison d’être persécuté compte tenu des menaces qu’il a reçues d’un fonctionnaire corrompu travaillant au ministère de la Défense. En particulier, M. Chavez Solis déclare qu’au cours de son emploi comme comptable au sein d’une entreprise fournissant du matériel médical à l’armée, il a pris connaissance de manœuvres frauduleuses utilisées par l’entreprise dans ses soumissions pour obtenir des contrats. Selon M. Chavez Solis, il a été menacé par un officier de l’armée  « de […] grande influence » travaillant au ministère de la Défense et a commencé à recevoir des menaces à sa vie lorsqu’il a exprimé son intention de quitter l’entreprise.

 

[3]       Le 1er mai 2006, M. Chavez Solis est entré au Canada. Il a déposé une demande d’asile le 31 mai 2006.

 

LA DÉCISION DE LA SPR

[4]       Les motifs de la SPR quant à la crédibilité du témoignage de M. Chavez Solis prêtent à confusion. La SPR a exprimé des « préoccupations relatives à la crédibilité quant à certains événements essentiels de la demande d’asile » et a conclu qu’une lettre déposée à l’appui de la demande de M. Chavez Solis était dénuée de logique. Cependant, je souscris aux observations des avocats des deux parties selon lesquelles les préoccupations de la SPR quant à la crédibilité paraissent incidentes quant à sa décision et la SPR a accepté que M. Chavez Solis craignait avec raison d’être persécuté au Mexique. Il s’agit de la seule conclusion raisonnable possible vu la compassion exprimée par la SPR à l’égard de M. Chavez Solis relativement à sa « crainte […] d’être, d’une certaine façon, le cobaye » pour ce qui est du caractère adéquat de la protection de l’État.

 

[5]       En ce qui concerne la protection de l’État, après avoir examiné les éléments de preuve documentaire, la SPR a conclu que si M. Chavez Solis avait communiqué avec les autorités, « c[elles]-ci auraient fourni une aide importante ». La SPR a écarté les éléments de preuve documentaire sur lesquels s’est appuyé M. Chavez Solis au motif que ceux‑ci ne se rapportaient pas aux « militaires accusés de corruption et de manœuvres frauduleuses dans les soumissions » mais plutôt aux militaires « qui abusent de leur pouvoir […] et qui, ce faisant, ne respectent pas les droits des suspects ».

 

LES PRÉTENDUES ERREURS

[6]       M. Chavez Solis fait valoir que la SPR a commis deux erreurs en tirant sa conclusion quant au caractère adéquat de la protection de l’État. En premier lieu, selon lui, la SPR n’a pas tenu compte de l’efficacité des efforts déployés par le Mexique pour combattre la corruption et les activités criminelles. En second lieu, le demandeur soutient que la SPR :

·        a à tort laissé de côté ou jugé inapplicables en l’espèce les éléments de preuve selon lesquels toute plainte déposée contre un militaire serait renvoyée aux autorités militaires pour enquête;

·        a à tort laissé de côté ou jugé inapplicables en l’espèce les éléments de preuve selon lesquels les enquêtes militaires internes sont complètement viciées et les personnes accusées de mauvais traitements envers les civils agissent en grande impunité;

·        s’est trompée en rejetant les rapports d’Amnistie Internationale et de Human Rights Watch au motif qu’ils traitaient des violations des droits de la personne et non des questions de corruption.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]       Les conclusions de la SPR touchant au caractère adéquat de la protection de l’État sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Voir : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 362 N.R. 1, au paragraphe 38 (C.A.F.). Je suis convaincue que cette jurisprudence a bien établi le degré de déférence dont il faut faire preuve à l’égard des conclusions de la SPR sur la protection de l’État. Voir : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S. n9 (QL), aux paragraphes 57, 62 et 64. La conclusion de la SPR quant à l’existence de la protection de l’État devrait être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

 

LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT

[8]       M. Chavez Solis n’a pas sollicité la protection au Mexique. Il était tenu, en droit, de confirmer d’une façon claire et convaincante de l’incapacité du Mexique de le protéger. Voir : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 724 et 725. En l’absence d’une telle preuve, la demande d’asile de M. Chavez Solis doit être rejetée en raison de la présomption qu’un pays est capable de protéger ses citoyens. Le demandeur qui cherche à réfuter la présomption relative à la protection de l’État a une lourde charge de présentation. Il doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante afin de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate. Voir : Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 399 (QL), au paragraphe 30.

 

L’APPLICATION DE LA NORME DE CONTRÔLE À LA DÉCISION DE LA SPR

[9]       À mon avis, contrairement aux observations de M. Chavez Solis, la SPR a bel et bien examiné la question de savoir si les réformes engagées par le Mexique pour lutter contre la corruption étaient efficaces. J’arrive à cette conclusion, car, après avoir examiné les « éléments de preuve documentaire concernant les efforts déployés pour assurer une protection adéquate aux personnes comme le demandeur d’asile », la SPR a jugé que « si le demandeur d’asile avait communiqué avec les autorités, c[elles]-ci auraient fourni une aide importante ». Les motifs de la SPR indiquent que celle-ci a tenu compte du fait qu’aucun pays ne peut garantir la protection de tous ses citoyens. La preuve à la disposition de la SPR ne suffisait pas à établir que la protection offerte par l’État aux victimes de corruption dans le district fédéral de Mexico était inefficace en général.

 

[10]     En ce qui concerne la seconde prétendue erreur, M. Chavez Solis soutient que la SPR a fait abstraction des éléments de preuve suivants :

 

·        un rapport d’Amnistie Internationale faisant référence à un arrêt rendu en 2005 par la Cour suprême nationale, arrêt qui confirme le précédent jurisprudentiel d’octroyer à l’armée une vaste compétence lorsqu’il s’agit d’établir la responsabilité criminelle des officiers. Il en est ainsi même si l’officier n’est pas en service actif ou n’exerce pas d’activités militaires. Le rapport souligne qu’il en résulte une impunité constante des officiers.

·        un rapport de Human Rights Watch selon lequel une [traduction] « lacune importante du système de justice mexicain est que celui‑ci confie les enquêtes et les poursuites concernant les abus de pouvoir des militaires aux autorités militaires. Le système de justice militaire est mal équipé pour remplir ces tâches. Il n’a pas l’indépendance requise pour mener des enquêtes fiables et ses activités manquent généralement de transparence. »

 

[11]     La SPR n’a pas fait abstraction de ces éléments de preuve. Elle a conclu que le document d’Amnistie Internationale ne se rapportait pas à la corruption ou à la dissimulation de la corruption, mais plutôt aux violations des droits de la personne telles le viol, et à la participation des militaires au maintien de l’ordre civil (comme les opérations policières visant à combattre le trafic de drogue). Selon la SPR, le document de Human Rights Watch s’appliquait non pas aux officiers accusés de corruption ou de manœuvres frauduleuses dans les soumissions, mais plutôt aux officiers qui ne respectaient pas les droits des suspects lors des enquêtes ou des troubles publics.

 

[12]     J’ai examiné de près les deux articles. À mon avis, la SPR les a interprétés de façon raisonnable et comme il lui était loisible de le faire au vu de la preuve.

 

[13]     Je relève de ma lecture des motifs de la SPR quant à la protection de l’État dans l’ensemble que celle-ci a souligné les éléments de preuve suffisants pour étayer sa conclusion selon laquelle des efforts sérieux étaient déployés pour fournir une protection adéquate dans le district fédéral de Mexico ainsi que sa conclusion qu’une aide importante aurait été fournie à M. Chavez s’il avait communiqué avec les autorités. Les éléments de preuve constituaient un fondement rationnel pour la façon dont la SPR a traité des rapports d’Amnistie Internationale et de Human Rights Watch. Il incombait à M. Chavez Solis de porter la lourde charge de réfuter la présomption relative à la protection de l’État.

 

[14]     À mon avis, les motifs de la SPR quant à la protection de l’État étaient transparents, intelligibles et justifiés. De plus, la conclusion de la SPR quant à la protection de l’État appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision de la SPR était donc raisonnable.

 

[15]     En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[16]     Les avocats n’ont proposé aucune question pour certification et je suis convaincue que la présente affaire n’en soulève aucune. 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Eleanor R. Dawson »           

_______________________________

Juge                            

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                       IMM-4089-07

 

INTITULÉ :                                      GASTON CHAVEZ SOLIS

                                                           c.

                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              LE 6 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                      LE 4 JUIN 2008

 

 

COMPARUTIONS :           

 

John Norquay

 

 POUR LE DEMANDEUR

David Knapp

 

 POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                                                                                                                                               

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

 POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                                         

 

 

                                              

 

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