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Date : 20080605

Dossier : IMM-2146-07

Référence : 2008 CF 708

Toronto (Ontario), le 5 juin 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

SHAFFIRA SHAH

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est au Canada depuis 1973 et est résidente permanente depuis plus de 25 ans. Une mesure de renvoi a été prise contre elle en 1998; cependant, elle a par la suite obtenu deux sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en vertu de l’alinéa 70(1)b) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 28 (La Loi). Elle sollicite en l’espèce le contrôle judiciaire de la décision datée du 12 mai 2006 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a annulé le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre elle et a ordonné que cette mesure de renvoi soit exécutée dès que les circonstances le permettent.

 

I. Les faits

 

[2]               La demanderesse, citoyenne de Trinité-et-Tobago, est arrivée au Canada en 1973 à l’âge de 18 ans. Depuis son arrivée, il y a plus de 30 ans, elle est retournée à Trinité‑et‑Tobago seulement une fois pour une brève visite, lorsque son père est décédé. Elle a obtenu sa résidence permanente à l’âge de 23 ans grâce au parrainage de son ex‑époux. Elle a trois filles et un petit‑fils au Canada, tous sont citoyens canadiens, ainsi que de la famille aux États-Unis. Elle n’a absolument aucune parenté à Trinidad-et-Tobago.

 

[3]               La demanderesse a marié un homme violent et elle s’est séparée de ce dernier en 1994. Le mariage lui a causé un stress énorme et, depuis les dernières années, elle est traitée par un médecin et prend une grande quantité de médicaments sur ordonnance. Elle souffre également de plusieurs troubles physiques. Elle a occupé un emploi jusqu’à l’an 2000, année où l’entreprise de son employeur a fermé ses portes. Depuis ce temps, elle habite avec ses filles et dépend financièrement de celles-ci. Pendant la semaine, elle garde son petit-fils.

 

[4]               La demanderesse a malheureusement accumulé à son dossier seize déclarations de culpabilité de faible importance sur une période de 30 ans. La plupart de ces déclarations de culpabilité se rapportent à des vols de moins de 5 000 $ ou à la possession de marchandises volées, qui résultent d’un certain nombre d’incidents de vols à l’étalage. En 1998, la demanderesse a été déclarée coupable pour fraude de l’aide sociale, ce qui a entraîné la prise d’une mesure de renvoi contre elle. Elle a interjeté appel de la mesure de renvoi à la Commission et a obtenu un sursis temporaire en 1999 en vertu de l’alinéa 70(1)b) de l'ancienne Loi sur l'immigration, qui confère à la Commission le large pouvoir discrétionnaire d’accorder le droit d’appel d’une mesure de renvoi juridiquement exécutoire, si elle estime qu’il est justifié de le faire « eu égard aux circonstances particulières de l'espèce » :

70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants:

 

 

 

a) question de droit, de fait ou mixte;

 

 

 

 

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

[Non souligné dans l’original.]

70. (1) Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely,

 

(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and

 

 

(b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada. [Emphasis added]

 

[5]               À la suite d’une audience devant la Commission en 2003, la demanderesse a obtenu une autre prolongation de son sursis même si elle n’avait pas respecté certaines conditions dont était assorti son sursis de 2003, notamment de s’abstenir d’exercer des activités criminelles et de signaler à Citoyenneté et Immigration tout changement d’adresse. En 2005, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a demandé, en vertu de l’article 33 des anciennes Règles de la Section d'appel de l'immigration, l’annulation du sursis à l'exécution de la mesure de renvoi en raison du non‑respect par la demanderesse des conditions de son sursis de 2003. Une nouvelle audience a été tenue devant la Commission le 1er février 2006.

 

II. La décision de la Commission

 

[6]               Puisque le sursis initial avait été prononcé en vertu de la Loi sur l’immigration, la Commission a continué d’apprécier le dossier de la demanderesse conformément à l’alinéa 70(1)b). La Commission a reconnu son vaste pouvoir discrétionnaire d’évaluer tous les facteurs relatifs à l’affaire, et elle a de plus énuméré les nombreux facteurs qu’elle a utilisés comme « guide » pour rendre sa décision; cependant, dans ses motifs, la Commission a mis l’accent sur le fait que, depuis son sursis précédent, la demanderesse a violé plusieurs conditions qui lui avaient été imposées :

Le tribunal conclut que l'appelante n'a pas respecté un certain nombre de conditions du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre elle. Elle a été reconnue coupable d'autres infractions criminelles, en violation de la condition 4.  Elle n'a pas fait d'efforts raisonnables pour se maintenir dans un état tel qu'il soit peu probable qu'elle commette d'autres infractions, en violation de la condition 11. Elle a troublé l'ordre public et n'a pas eu une bonne conduite, en violation de la condition 13. Elle a omis de se présenter en personne aux autorités de l'Immigration à au moins trois reprises, en violation de la condition 9. Il est ressorti de son témoignage qu'elle n'a pas communiqué au moins un changement d'adresse, en violation de la condition 1, et qu'elle a omis de signaler toute accusation criminelle portée contre elle et toute condamnation au pénal prononcée contre elle, en violation des conditions 5 et 6.

 

[…]

 

L'appelante continue de commettre des infractions criminelles et de violer de nombreuses conditions de son sursis. Elle est une voleuse à l'étalage récidiviste. Elle ne s'est pas réadaptée au cours des six années pendant lesquelles elle a eu l'occasion de le faire par suite des deux sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre elle. La commissaire Stein lui avait dit clairement, la dernière fois, qu'elle pourrait ne pas bénéficier encore de la clémence du tribunal si elle se présentait devant la SAI après avoir violé de nouveau les conditions de son sursis.

 

[7]               La Commission a conclu que, bien qu’elle se soit intégrée à la société canadienne, la demanderesse n’est toujours pas établie financièrement. Les liens de la demanderesse avec son petit-fils et ses filles ont été valablement pris en compte; cependant, la Commission a souligné que les filles de la demanderesse sont maintenant des adultes et qu’elles ne dépendent plus de la demanderesse. La Commission a reconnu qu’il serait probablement préférable dans l’intérêt supérieur du petit‑fils que la demanderesse demeure au Canada; cependant, la Commission a jugé que ces liens étaient insuffisants pour l’emporter sur la violation de la demanderesse des conditions de son sursis, et elle a conclu que :

Prolonger le sursis de l'appelante n'est pas une option puisque le tribunal est d'avis, tout compte fait, qu'elle l'enfreindra presque à coup sûr. Cela laisse au tribunal deux options : faire droit à l'appel ou le rejeter. Accueillir l'appel équivaudrait à fermer les yeux sur le casier judiciaire de l'appelante et sur son comportement inacceptable au sein de la société canadienne. Les facteurs d'ordre humanitaire positifs en l'espèce ne justifient pas de faire droit à l'appel sans conditions.

 

 

III. Les questions en litige

 

 

[8]               La demanderesse et le défendeur ont formulé différentes questions dans la présente demande. En outre, la demanderesse a soulevé plusieurs arguments qui, pour l’essentiel, traduisent un désaccord quant au poids qu’a accordé la Commission à l’égard de divers facteurs. Selon la norme de contrôle de la décision raisonnable susmentionnée, le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer la preuve; par conséquent, la Cour ne traitera pas de ces arguments, sauf s’ils se rapportent à la seule question à laquelle il est nécessaire selon elle de répondre relativement à la décision de la Commission d’annuler le sursis qui avait été accordé à la demanderesse :

La SAI a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve et des « circonstances particulières de l’espèce » en n’appliquant pas les facteurs énoncés dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL) (Ribic)?

 

 

IV. La norme de la preuve

 

 

[9]               La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la norme de contrôle applicable à une question semblable dans Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n139, 2007 CAF 24, et, après une analyse exhaustive, elle a conclu que la norme applicable était celle de la décision raisonnable. Il n’est pas nécessaire en l’espèce de s’éloigner de l’analyse faite dans Khosa. En adoptant cette norme, la Cour trouve des orientations dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9 où, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a donné des explications sur la norme de la décision raisonnable :

La raisonnabilité tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [Non souligné dans l’original.]

 

 

Comme il sera expliqué plus loin, pour arriver à sa décision, la Commission a évalué les facteurs non exhaustifs énoncés dans Ribic c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] D.S.A.I. no 4 et confirmés dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3. Elle a bien apprécié les circonstances particulières de la situation de la demanderesse, et, en conséquence, la Cour conclut avec regret que la décision de la Commission appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

V. L’analyse

 

 

[10]           L’alinéa 70(1)b) confère à la Commission le large pouvoir discrétionnaire d’accorder le droit d’appel d’une mesure de renvoi valide en invoquant les « circonstances particulières de l’espèce ». Pour des raisons d’uniformité, la Commission a dressé dans Ribic, précité, une liste de facteurs pour la guider dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 70(1)b). Il n’est pas contesté que les facteurs énoncés dans Ribic s’appliquent en l’espèce, et la Commission les a ainsi énumérés dans sa décision visée par le présent contrôle :

1.      la gravité des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation;

2.      la durée de la période passée au Canada par l’appelant et son degré d’établissement;

3.      la famille qu’il a au Canada et les bouleversements que son expulsion occasionnerait pour cette famille;

4.      le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité;

5.      l’importance des difficultés que subirait l’appelant dans le pays où il serait vraisemblablement renvoyé.

 

 

[11]           Dans l’arrêt Chieu, précité, la Cour suprême du Canada a souscrit à l’approche élaborée dans Ribic, et elle a approfondi sur certaines des circonstances se rapportant au dernier facteur énoncé dans Ribic, précisant aux paragraphes 40 et 41 :

Cette liste est indicative, et non pas exhaustive. Le poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas. Même si la majorité de ces facteurs visent des considérations intérieures, le dernier facteur comporte l’examen des difficultés possibles à l’étranger

 

[…] Les genres de difficultés à l’étranger dont la S.A.I. tient compte depuis les réformes de 1977 comprennent la connaissance de la langue, les liens familiaux, la disponibilité de soins médicaux nécessaires et le risque de préjudice corporel.

 

 

[12]           Ainsi, aux fins de l’examen du pouvoir discrétionnaire exercé par la Commission en l’espèce, les facteurs énoncés dans Ribic fournissent un guide utile pour déterminer si ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière raisonnable ou si la Commission n’a pas tenu valablement compte des facteurs énoncés dans Ribic.

 

A.  La gravité des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation

 

 

[13]           Exception faite de la seule infraction grave de fraude de l’aide sociale à l’origine de la mesure de renvoi initiale prise en 1998, laquelle a été prise en compte lors du prononcé du sursis initial en faveur de la demanderesse, les seize autres déclarations de culpabilité contre la demanderesse se rapportent à des vols à l’étalage et à des vols et à la possession de marchandises volées.

 

[14]           La demanderesse a obtenu un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure de renvoi la concernant en 1999, et elle a été autorisée à demeurer au Canada sous réserve de certaines conditions. En 2003, on a prolongé de trois années supplémentaires le sursis en question en l’assortissant de conditions modifiées. Lors du réexamen visant la demanderesse en 2003, on a constaté qu’elle avait fait l’objet de trois autres déclarations de culpabilité depuis le sursis qu’elle avait obtenu en 1999. De plus, depuis que la demanderesse s’était vue accorder un sursis de trois années supplémentaires en 2003, elle avait fait l’objet de quatre autres déclarations de culpabilité, entre septembre 2004 et janvier 2006, toutes des infractions de vol et une infraction provinciale aux termes de la Loi sur l'entrée sans autorisation.

 

[15]           Lors de l’audience devant la Commission en mai 2006, la demanderesse a témoigné et déposé de nouveaux éléments de preuve. Elle n’a assigné aucun autre témoin. La preuve démontrait clairement que la demanderesse avait violé un certain nombre de conditions de son sursis initial de 1999 et de la prolongation de son sursis en 2003.

 

[16]           La Commission a conclu que la demanderesse était une voleuse à l’étalage récidiviste, qui ne s’était pas réadaptée au cours des six années pendant lesquelles elle avait eu l’occasion de le faire par suite des deux sursis à l’exécution de la mesure de renvoi la visant. Elle a également souligné que la demanderesse avait été avertie clairement lors de la dernière audience relative à son sursis des conséquences possibles d’une violation des conditions de son sursis. Enfin, la Commission a précisé que la demanderesse n’avait pas pris de mesures constructives pour changer son comportement criminel et que le fait d’accorder un autre sursis dans les circonstances de l’espèce aurait pour effet de dévaloriser la compétence discrétionnaire de la Commission. Il ne fait aucun doute que les actes de criminalité continus de la demanderesse et son incapacité à se conformer aux conditions qui lui avaient été imposées ont largement joué contre elle. La Cour ne voit rien de fautif dans cette conclusion.

 

[17]           La Commission a reconnu que la demanderesse souffre de problèmes de santé, mais elle a toutefois rejeté l’argument selon lequel ces problèmes pouvaient susciter chez elle un comportement criminel. Après avoir entendu la demanderesse, il appartenait à la Commission d’établir le poids à accorder à son témoignage et à ses explications ou l’existence d’un lien entre son état de santé et son comportement criminel. Après avoir examiné le témoignage, la Cour ne voit rien de mal dans cette conclusion de la Commission : elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Il incombe à l'appelante de présenter une preuve qui indique les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas être renvoyée du Canada. La seule preuve médicale présentée au tribunal indique que l'appelante est traitée par un médecin, qu'elle prend des médicaments pour des troubles émotionnels et une dépression et qu'elle a des léiomyomes et des problèmes au dos et aux chevilles. Bien qu'il compatisse avec l'appelante pour ses problèmes de santé et d'état mental, le tribunal ne considère pas que ces problèmes médicaux soient des raisons valables pour continuer de commettre des infractions criminelles [Non souligné dans l’original.]

 

 

[18]           Cette conclusion constitue certainement une issue acceptable pouvant se justifier au regard de la preuve ayant été présentée, et rien n’indique que cette preuve a été mal appréciée. Il est vrai que la demanderesse aurait préféré que je tranche la question autrement; mais ce désir ne constitue pas en soi une erreur.

 

[19]           L’appréciation du poids que la Commission a accordé à la preuve et la manière dont elle a interprété cette preuve est une question de fait, et la Cour ne devrait intervenir que si la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 38; Sahota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1463, au paragraphe 32; Loi sur les Cours fédérales, alinéa 18.1(4)d).)

 

[20]           La Commission a le pouvoir de soupeser la preuve dont elle dispose. Un désaccord quant au poids qui a été accordé à la preuve ne justifie pas une intervention de la Cour. La Commission possède une plus grande expertise que la Cour dans l’examen et l’évaluation de la preuve au regard des facteurs énoncés dans Ribic. La décision discrétionnaire de la Commission est liée à une conclusion de fait; l’évaluation du facteur relatif à la réadaptation est de nature factuelle et n’exige pas une application ou une interprétation de principes juridiques formels.

 

[21]           Même si elle n’a pas tiré une conclusion défavorable en tant que telle, à l’égard de la demanderesse, la Commission n’était pas tenue d’accepter la preuve qu’elle avait présentée selon laquelle sa santé mentale influait sur son comportement et qu’elle allait faire des efforts pour se réadapter. Au contraire, après avoir entendu le témoignage de la demanderesse pour justifier son comportement, la Commission avait le droit d’examiner et de soupeser la preuve et de l’accepter ou de la rejeter en entier ou en partie seulement. Cet aspect fait partie du processus décisionnel.

 

[22]           Une autre question liée au premier facteur de Ribic dont les parties ont discuté en profondeur se trouve dans le passage de la décision où la SAI a écrit que :

La conseil de l'appelante a parlé de la nécessité d'obtenir une évaluation psychologique et un rapport de l'agent de probation de l'appelante, et elle a demandé au tribunal de différer sa décision et de lui accorder un délai raisonnable pour présenter cette preuve. […] Aucune preuve n'a été présentée dans le cadre de son réexamen oral ni au cours des deux mois compris entre la date de l'audience et la rédaction des présents motifs.

 

Après lecture des transcriptions, il devient évident que les deux rapports auraient pu fournir des renseignements pertinents et peut-être appuyer les prétentions de la demanderesse. Cette dernière allègue qu’elle ne devrait pas subir les conséquences d’une omission de la part de son ex-conseil.

 

[23]           Sur ce point, la Cour est d’accord avec le défendeur pour dire que la demanderesse est ultimement responsable du choix de son conseil et que le simple fait que son ex-conseil n’a pas présenté sa cause de la manière la plus avantageuse possible ne rend pas la décision de la Commission susceptible de contrôle (Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 258).

 

[24]           Il est cependant vrai que, dans la présente affaire, le dossier indique que, vers la fin de la procédure, la conseil de la demanderesse a demandé d’obtenir un délai, avant le prononcé de la décision, pour que la demanderesse se soumette à une évaluation; et il y a eu une discussion au sujet de cette possibilité. Il ressort aussi clairement du dossier que la Commission était prête à accepter des éléments de preuve additionnels jusqu’au moment où elle rendrait sa décision. Or, il n’est pas clair à ce stade si la demanderesse avait l’intention de produire un tel rapport; compte tenu de l’indécision de la demanderesse sur ce point, la Commission a clairement indiqué que ce n’était pas son rôle d’informer la demanderesse sur la possibilité de produire ou non un rapport médical.

 

[25]           Contrairement aux arguments formulés par la demanderesse, la Cour conclut que la Commission n’a pas tiré une inférence défavorable fondée sur l’absence d’une telle évaluation. La Commission a seulement souligné que les explications de la demanderesse pour justifier son comportement criminel n’étaient pas étayées par un rapport médical; une question de fait qu’elle avait bien raison de signaler. Il appartenait à la demanderesse de fournir une telle preuve et elle ne l’a pas fait. La Commission a clairement indiqué à l’audience que ce n’était pas son rôle d’informer la demanderesse à ce sujet. Dans ces circonstances, l’observation de la Commission  était juste.

 

B.  La durée de la période passée au Canada par la demanderesse et son degré d’établissement

 

 

[26]           Dans son résumé des faits, la Commission mentionne que la demanderesse est au Canada depuis 27 ans et qu’elle n’a plus de famille dans son pays d’origine. Cependant, lorsqu’elle traite de la question de l’établissement, la Commission met l’accent sur le fait que la demanderesse est établie « socialement » et non « financièrement », ce qui semble être le cas. La Commission tient suffisamment compte du degré d’établissement au Canada de la demanderesse et reconnaît que toute sa vie est au Canada et qu’il n’y a pas grand chose pour elle ailleurs. Toutefois, ce facteur n’est qu’un seul parmi d’autres facteurs qui sont également examinés.

 

 

C.  La famille qu’elle a au Canada et les bouleversements que son expulsion occasionnerait pour cette famille

 

 

[27]           La demanderesse allègue que la Commission a tiré à tort des conclusions défavorables sur la crédibilité en ce qui concerne son lien avec ses filles en raison de l’absence de ces dernières à l’audience. Cet argument se rapporte également à la prétention, formulée précédemment, selon laquelle la demanderesse ne devrait pas subir les conséquences d’une omission de la part de son ex-conseil, puisqu’elle soutient que son ex‑conseil ne lui a pas fait comprendre l’importance de la présence de ses filles et qu’elle ne l’a pas informée rapidement quant à la date de l’audience.

 

[28]           La décision de la Commission est fondée sur les renseignements dont celle-ci disposait et la demanderesse ne peut en l’espèce fournir des explications supplémentaires pour justifier l’absence de ses filles. De plus, rien n’indique que la Commission n’a pas tenu compte de l’explication donnée par la demanderesse pour justifier cette absence. En fait, la Commission a conclu que les filles de la demanderesse subiraient des difficultés si leur mère était expulsée. Ce facteur a donc été pris en considération.

 

[29]           Relativement à ce facteur, la demanderesse plaide également que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte de l’intérêt supérieur de son petit-fils. La Cour rejette cet argument. Il ressort des motifs que la Commission s’est penchée sur la question de l’intérêt supérieur du petit‑fils de la demanderesse et, en fait, elle a conclu qu’il serait probablement dans l’intérêt du petit‑fils que la demanderesse demeure au Canada. Vu cette conclusion, l’argument de la demanderesse sur ce point est en réalité de savoir si la Commission a accordé suffisamment de poids à ce facteur et, à cet égard, la décision ne peut faire l’objet d’un contrôle. Par conséquent, la Cour conclut que la Commission a été « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant susceptible d’être touché par l’issue de sa décision.

 

D.  Le soutien dont bénéficie la demanderesse, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité

 

[30]           Toutes les lettres soumises par les trois filles de la demanderesse indiquent que celles-ci ont la capacité et la volonté de subvenir aux besoins de leur mère et qu’elles espèrent être en mesure de l’aider à régler ses problèmes médicaux et son comportement criminel. En outre, la demanderesse a témoigné qu’elle entretient une relation continue avec son médecin et son agent de libération conditionnelle. Rien n’indique que la Commission n’a pas tenu compte de ce témoignage; au contraire, la Commission est présumée avoir tenu compte de toute la preuve. Dans sa décision, la Commission n’était pas tenue de citer tous les éléments de preuve qu’elle a examinés, mais seulement ceux sur lesquels elle s’est fondée pour tirer sa conclusion.

 

E.  L’importance des difficultés que subirait la demanderesse dans le pays où elle serait vraisemblablement renvoyée

 

[31]           La Commission a reconnu que la demanderesse subirait « des difficultés importantes et des bouleversements » si elle était renvoyée à Trinité-et-Tobago. La Commission n’était pas tenue d’étoffer davantage qu’elle ne l’a fait sur ce facteur. Elle s’est montrée suffisamment sensible à l’égard de cette question. Cependant, une fois encore, ce facteur doit également être soupesé avec tous les autres facteurs et la preuve dans son ensemble.

VI. Conclusion

 

[32]           La Commission était saisie d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Au vu des faits de l’espèce, la Commission disposait de nombreux facteurs à l’appui de la décision d’annuler le sursis à la mesure de renvoi frappant la demanderesse. Il est vrai que la preuve comportait aussi de nombreux facteurs au soutien de la prolongation du sursis. Le décideur doit donc établir les avantages et les inconvénients de la décision qu’il doit rendre. La Cour conclut que, de façon générale, la Commission a pondéré de façon appropriée les intérêts antagonistes et qu’elle a tenu suffisamment compte des circonstances particulières de l’espèce. La question n’est pas de savoir si la Cour aurait rendu la même décision que la Commission, ou s’il existe certains éléments de preuve qui pourraient justifier une décision différente. La question consiste uniquement à se demander si la Commission a commis une erreur dans son appréciation des faits et si sa décision était déraisonnable au motif qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Compte tenu que la Cour a examiné la preuve et déjà conclu que la décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la demande sera donc rejetée.

 

[33]           La Cour convient avec les parties qu’il n’y a aucune question de portée générale aux fins de certification.

 

 

 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS, LA COUR STATUE que la demande est rejetée. 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-2146-07

 

INTITULÉ :                                                               SHAFFIRA SHAH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 22 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 5 JUIN 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maureen Addie

 

          POUR LA DEMANDERESSE

Asha Gafar

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maureen Addie

Toronto (Ontario)

 

 

        POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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