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Date : 20080606

Dossier : IMM‑4422‑07

Référence : 2008 CF 706

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2008

En présence de madame la juge Layden‑Stevenson

 

ENTRE :

ALEJANDRO M. PEREZ NAVA

MARIA DEL CARMEN AGUILAR ROCHA

(alias MARIA DEL CARME AGUILAR ROCHA)

DANIEL ALBERTO M. PEREZ AGUILAR

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La famille Nava comprend le demandeur (Alejandro), sa conjointe de fait et leur fils mineur. Ils disent craindre la persécution au Mexique en raison des opinions politiques qu’on leur impute. La Section de la protection des réfugiés (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État et que, en tout état de cause, la famille pouvait obtenir une telle protection au Mexique. La Commission a donc rejeté les demandes d’asile.

 

[2]        Les demandeurs disent que la Commission les a astreints à une norme trop élevée lorsqu’ils ont voulu réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. Ils disent aussi que la Commission s’est trompée en disant qu’ils pouvaient obtenir une protection de l’État au Mexique. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Commission n’a pas commis l’erreur alléguée. La demande sera donc rejetée.

 

Les faits

[3]        Les demandeurs disent craindre un [traduction] « magistrat corrompu mais influent » (M. Perez‑Zarate), un ennemi politique du père d’Alejandro (M. Perez‑Cordova). Il se trouve que M. Perez‑Cordova a remplacé M. Perez‑Zarate comme magistrat du Tribunal supérieur de justice lorsque M. Perez‑Zarate fut accusé de fraude.

 

[4]        En bref, les faits (relatés par les demandeurs) sont les suivants. Alejandro travaillait comme adjoint de son père, à temps partiel en 2003, puis à temps plein à compter de février 2004. L’enquête sur la fraude prétendue commise par M. Perez‑Zarate a débuté en 2002 et s’est poursuivie jusqu’à sa réintégration en janvier 2005. Alejandro dit que son père s’est attiré l’hostilité de M. Perez‑Zarate parce qu’il avait occupé son poste et qu’il avait connaissance de renseignements touchant la fraude. Les médias se sont beaucoup intéressés au cas et ont fait naître une rivalité entre les deux hommes.

 

[5]        Au milieu de 2004, Alejandro s’est engagé dans une union de fait avec la demanderesse. En juin 2004, comme il avait commencé un nouvel emploi, il ne travaillait plus pour son père que trois jours par semaine. Vers la fin de novembre, il a commencé à recevoir des appels téléphoniques anonymes chargés de menaces, où on lui intimait l’ordre de cesser de transmettre des renseignements aux médias au sujet de M. Perez‑Zarate.

 

[6]        Lorsque Alejandro a parlé à son père des appels téléphoniques, il a appris que son père avait reçu lui aussi des menaces par téléphone. Son père lui a conseillé de ne pas tenir compte des appels et de changer son numéro de téléphone cellulaire. Alejandro a suivi les conseils de son père.

 

[7]        À la fin de décembre, alors qu’il se trouvait chez les parents de sa conjointe, Alejandro a reçu un appel d’un voisin qui l’informait que des coups de feu avaient été tirés sur sa maison. Alejandro a signalé l’incident à la police de l’État de Tlaxcala. Suivant les conseils de la police, il a déposé une plainte contre [traduction] « l’auteur » parce qu’il n’avait aucun élément lui permettant d’affirmer que l’agression avait été commise par des gens travaillant pour M. Perez‑Zarate. Alejandro ne s’est pas satisfait de la réponse de la police. Il a appris de son père que le rapport de police n’était pas un rapport officiel. En outre, la police ne s’était pas rendue chez lui pour enquêter.

 

[8]        Alejandro et sa conjointe ont eu un fils en décembre 2005. En février 2006, deux hommes ont empoigné Alejandro, lui ont tordu le bras derrière le dos et lui ont pointé une arme sur la tête. Les hommes l’ont menacé et lui ont conseillé de ne pas intenter d’action contre M. Perez‑Zarate. Alejandro n’a pas signalé l’incident par crainte de représailles. Il croyait que la police ne lui serait d’aucune aide.

 

[9]        Alejandro est arrivé au Canada en avril 2006, à la faveur d’un visa de visiteur d’une durée de six mois. Il a décidé d’attendre l’arrivée de sa conjointe, de son fils et de son père avant de se présenter aux autorités de l’immigration. Sa conjointe et son fils sont arrivés en mai 2006. Son père l’a informé à la fin d’août qu’il n’avait pas l’intention de se rendre au Canada.

 

[10]      Le 8 septembre 2006, la famille a demandé l’asile et, subsidiairement, a revendiqué la qualité de personnes à protéger. Le fondement de la revendication fut modifié pour comprendre non seulement les opinions politiques, mais aussi l’appartenance à un groupe social.

 

La décision

[11]      La Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Les points essentiels de la décision de la Commission sont les suivants :

•           L’élément déterminant est celui de savoir si les demandeurs ont une crainte fondée de persécution (y compris la question de savoir s’ils ont réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État);

 

•           Les demandeurs pourront obtenir de l’État une protection s’ils retournent au Mexique. Globalement, la preuve ne permet pas de dire qu’il y a eu effondrement de l’appareil étatique ni ne réfute la présomption selon laquelle l’État est capable de protéger ses ressortissants;

 

•           Les demandeurs n’ont pas épuisé les recours à leur disposition pour obtenir une protection au Mexique. Alejandro s’est adressé aux autorités en décembre 2004 pour dénoncer les coups de feu tirés sur sa maison, mais il n’est pas retourné voir la police lorsqu’il fut prétendument agressé à la pointe du fusil en février 2006;

 

•           Les allégations selon lesquelles le père d’Alejandro était avocat, qu’il avait été choisi pour remplacer M. Perez‑Zarate et qu’il avait dû ensuite se retirer pour restituer le poste à M. Perez‑Zarate, ont été acceptées. Le fait que le père réside encore au Mexique a été explicitement noté. L’idée selon laquelle le père d’Alejandro avait pu échapper à la persécution grâce à son rang élevé a été rejetée. Le rang élevé du père ferait plutôt qu’il serait davantage exposé (plus qu’Alejandro) à la persécution puisque Alejandro n’avait jamais occupé un poste de nature politique et qu’il n’était pas rémunéré par le gouvernement pour le travail qu’il faisait avec son père. En outre, la position du père permettrait à celui‑ci de savoir comment son fils pourrait s’y prendre pour obtenir une protection au Mexique;

 

•           La culture de l’impunité et de la corruption est fortement enracinée au Mexique. Cependant, la preuve documentaire montre clairement qu’il existe des mécanismes permettant d’élucider les crimes et de venir en aide aux victimes d’actes criminels. La Commission a accordé davantage de poids à la preuve documentaire qu’au témoignage des demandeurs pour ce qui concerne l’existence d’une protection de l’État au Mexique;

 

•           La revendication de la qualité de personne à protéger selon l’article 97 a été rejetée en raison de l’existence d’une protection de l’État adéquate.

 

La norme de contrôle

[12]      Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, lorsque la norme de contrôle peut être établie par référence à la jurisprudence, il n’est pas nécessaire d’en faire l’analyse. Il a été jugé que la question de l’existence d’une protection de l’État, une question mixte de droit et de fait, devait être revue selon la norme de la décision raisonnable : Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 58 (C.F.), ainsi qu’une foule de jugements ultérieurs rendus par la Cour.

 

Analyse

[13]      La position des demandeurs peut être exposée brièvement. Ils font valoir que, s’agissant de leur obligation de réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État, la Commission a commis une erreur en disant qu’elle devait être « convaincu[e] » par la preuve. Elle a aussi commis une erreur en cherchant de « sérieux efforts » de la part de l’État, plutôt qu’une [traduction] « protection efficace ».

 

[14]      S’agissant de la question du fardeau de la preuve, un arrêt récent de la Cour d’appel fédérale, Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, dissipe le doute ou la confusion qui pouvait subsister. Un demandeur doit « d’abord introduire des éléments de preuve quant à l’insuffisance de la protection de l’État[, puis] convaincre le juge des faits que les éléments de preuve ainsi produits établissent l’insuffisance de la protection de l’État. […] Le demandeur d’asile doit s’acquitter de sa charge ultime suivant la norme de la prépondérance des probabilités » (paragraphes 18 à 20). La prépondérance des probabilités est donc le niveau de preuve requis. La quantité et la qualité des éléments de preuve requis pour réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État sont « une preuve claire et convaincante » : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Cependant, il est évident que, d’après l’arrêt Carrillo, la nécessité d’une preuve « claire et convaincante » n’autorise pas la Commission à imposer une norme plus élevée que la norme habituelle applicable en matière civile.

 

[15]      Cela dit, il ne s’ensuit pas nécessairement que, du seul fait que la Commission emploie le verbe « convaincre », elle impose une norme de preuve excessive. La décision de la Commission doit être lue dans sa globalité. Il convient de noter que, dans l’arrêt Carrillo, tout en disant que la norme de preuve était celle de la prépondérance des probabilités, le juge Létourneau écrit que le demandeur d’asile doit convaincre la Commission (par application de la norme en matière civile).

 

[16]      J’ai lu la décision tout entière de la Commission, et je suis convaincue que la Commission n’applique pas autre chose que la norme de la prépondérance des probabilités pour ce qui concerne l’obligation des demandeurs de réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. La décision de la Commission est convaincante, approfondie, raisonnée et juste. Hormis un cas où apparaît le mot « convaincre », les motifs exposés par la Commission ne laissent nullement voir qu’elle a appliqué une norme de preuve plus exigeante que celle de la prépondérance des probabilités. Autrement dit, sa décision est justifiée, transparente et intelligible à l’intérieur du processus décisionnel et elle entre dans l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[17]      La position des demandeurs à propos de l’emploi que fait la Commission de l’expression « efforts sérieux » traduit une incompréhension. Il faut là encore recourir au contexte dans lequel l’expression est employée. Ici, la Commission examinait la question de savoir si l’État « ne ferait pas raisonnablement de sérieux efforts pour protéger les demandeurs d’asile si ceux‑ci retournaient au Mexique ». Selon elle, « l’ensemble de la preuve ne justifie pas la conclusion voulant qu’il y ait effondrement de l’appareil étatique, et […] ne réfute pas la présomption selon laquelle un État est capable de protéger ses citoyens. Un État n’est pas tenu d’être en mesure de fournir à ses citoyens une protection parfaite ».

 

[18]      Les demandeurs se fondent sur le jugement Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, pour dire que de « sérieux efforts » ne suffisent pas. Fait à noter, on peut lire aussi dans ce jugement que le critère des « sérieux efforts » sera rempli « s’il est établi que la capacité et l’expertise du corps policier sont suffisamment au point pour le rendre apte à prendre véritablement les moyens requis » (paragraphe 16). Autrement dit, le sérieux des efforts accomplis doit être apprécié au regard de la protection assurée sur le terrain. L’État s’efforce‑t‑il de mettre en application son engagement d’offrir une protection? Ici, après un examen approfondi de la preuve documentaire et des témoignages des demandeurs, la Commission a conclu que l’État offrait une protection suffisante. Rien ici ne repose sur l’emploi des mots « sérieux efforts ».

 

[19]      Les demandeurs soutiennent également que la Commission a commis une erreur en concluant que l’impossibilité pour la police de venir en aide à Alejandro, au moment où il lui avait demandé assistance, ne suffisait pas à réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. Dans l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 362 N.R. 1, au paragraphe 37, la Cour d’appel fédérale exposait ainsi la question préliminaire en matière de protection de l’État :

[…] Cependant, pour prétendre au statut de réfugié, les appelants doivent d’abord convaincre la Cour qu’ils ont demandé la protection de leur État sans pouvoir l’obtenir ou, à titre subsidiaire, qu’on ne peut s’attendre objectivement à ce que leur État les protège. […]

 

 

 

[20]      Aux paragraphes 56 et 57 de l’arrêt Hinzman, la Cour d’appel fédérale dit que les demandeurs ne peuvent aisément se soustraire à l’obligation pour eux de demander la protection de leur pays d’origine avant de demander l’asile à l’étranger. Il incombe aux demandeurs d’établir que toutes les protections possibles existantes ont été épuisées.

 

[21]      Les précédents invoqués par les demandeurs ne leur viennent pas en aide ici, parce que, dans ces précédents, c’étaient des policiers qui étaient les agents de persécution. Tel n’est pas le cas ici. La Commission mentionne expressément que Alejandro s’est adressé aux autorités en décembre 2004 pour dénoncer les coups de feu qui avaient été tirés sur son domicile. Elle a aussi admis que la police avait informé Alejandro qu’il n’existait aucune preuve directe contre M. Perez‑Zarate. Néanmoins, la Commission a conclu que les demandeurs « n’ont pas épuisé tous leurs recours possibles pour obtenir la protection du gouvernement mexicain ». Elle a énuméré plusieurs facteurs à l’appui de sa conclusion, dont aucun n’est contesté.

 

[22]      La conclusion de la Commission sur ce point est une conclusion de fait. Elle doit donc être revue d’après les moyens énumérés dans l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38. Voir aussi l’arrêt Colistro c. BMO Banque de Montréal, 2008 CAF 154. Les demandeurs n’ont pas prouvé que la conclusion de la Commission sur ce point était déficiente.

 

[23]      S’agissant des motifs de la Commission considérés globalement, la Commission a évoqué les défaillances de la protection de l’État au Mexique. Elle a apprécié et soupesé la preuve dans sa globalité et a conclu que, dans le cas présent, l’État offrait une protection suffisante. Pour que j’arrive à une conclusion autre, il me faudrait usurper la fonction de la Commission. Ce n’est pas mon rôle. Mon intervention n’est pas justifiée.

 

Les avocats n’ont pas proposé qu’une question soit certifiée et aucune ne se pose ici.


JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Carolyn Layden‑Stevenson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste‑traducteur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑4422‑07

 

INTITULÉ :                                                               ALEJANDRO M. PEREZ NAVA

                                                                                    ET AUTRES

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 28 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 6 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald                                                   POUR LES DEMANDEURS

 

Lisa Hutt                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine MacDonald                                                   POUR LES DEMANDEURS

Avocate

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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