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Date : 20080609

Dossier : IMM-4613-07

Référence : 2008 CF 723

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

NUBIA VICTORIA SUAREZ FLORES

NICOLAS ROSALES DAVILA

LUIS ENRIQUE MALDONADO SUAREZ

NUBIA ARITZY MALDONADO SUAREZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont quatre membres de la même famille, et tous citoyens du Mexique. Ils se sont enfuis au Canada et ont présenté en 2006 une demande d’asile qui a été rejetée en octobre 2007. La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

 

[2]               Les demandes des deux enfants mineurs et du demandeur adulte sont fondées sur celle de la demanderesse adulte, Mme Flores, qui allègue craindre d’être persécutée par son ex-conjoint de fait, Enrique. En 1994, Mme Flores, âgée de 14 ans, a noué une relation avec Enrique qui a commencé à agir de façon violente envers elle lorsqu’elle lui a annoncé l’année suivante qu’elle était enceinte. Les deux enfants mineurs, nés en 1996 et en 1997, sont ses enfants issus de cette relation.

 

[3]               Enrique a passé neuf mois en prison en 1996 et purgé une peine de presque cinq ans de 2001 à 2005. Entre les deux périodes d’incarcération, il a menacé la demanderesse principale et il aurait assassiné deux hommes qui avaient eu des relations avec elle. Mme Flores a épousé le demandeur adulte, M. Davila, pendant la deuxième incarcération d’Enrique. Lorsqu’il est sorti de prison, Enrique a menacé Mme Flores alors qu’elle se trouvait chez sa mère. Mme Flores et M. Davila se sont rendus au poste de police, où des agents ont refusé de recueillir une déposition.

 

[4]               En décembre 2005, M. Davila aurait été attaqué par deux inconnus. Il n’a pas eu besoin de soins médicaux et l’agression n’a pas été signalée à la police. Les membres de la famille ont déménagé ailleurs au Mexique en février 2006, mais ont été retrouvés par Enrique, avec qui M. Davila s’est bagarré en mars 2006. Ils ont déménagé de nouveau plusieurs fois dans l’État du Mexique, mais il semble qu’Enrique les retrouvait toujours. Le 13 septembre 2006, ils se sont enfuis au Canada.

 

[5]               Le commissaire a conclu que Mme Flores n’avait pas fait des efforts diligents pour obtenir la protection de l’État avant de demander l’asile et que sa famille n’avait donc pas besoin de la protection du Canada. La conclusion selon laquelle une telle protection serait raisonnablement offerte reposait en grande partie sur les mesures législatives et judiciaires de lutte contre la violence conjugale et les mesures d’aide aux femmes victimes de cette violence prises par les autorités mexicaines.

 

[6]               Les demandeurs allèguent que le commissaire de la SPR a commis une erreur dans l’évaluation de la protection de l’État et qu’il a omis de tenir compte d’éléments de preuve fort pertinents sans fournir d’explications.

 

[7]               L’argument selon lequel le commissaire n’aurait pas tenu compte d’éléments de preuve qui allaient à l’encontre de la décision signifierait que la décision était déraisonnable selon la directive législative énoncée à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7.

 

Protection de l’État

 

[8]               Les demandeurs ont fait valoir dans leurs observations écrites que le critère juridique applicable à la protection de l’État est celui de savoir si la protection offerte est efficace, citant Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 320, [2008] 1 R.C.F. 3. Entre les dates du dépôt des observations et de l’audience, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399 qui a confirmé que le critère applicable n’est pas en soi celui de l’efficacité mais plutôt celui du caractère adéquat.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent néanmoins qu’il reste que le tribunal de la SPR a commis une erreur en ne vérifiant pas si les mesures qu’il avait jugé adéquates offraient au moins une efficacité minimale.

 

[10]           Bien que cet argument soit intéressant, j’estime qu’il ne fait pas partie de l’état actuel du droit au Canada. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Carrillo, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 précise que la protection aux réfugiés est une protection supplétive fournie en l’absence de protection par l’État dont le demandeur a la nationalité. Lorsque cet État est une société démocratique, telle que le Mexique, même si le demandeur fait face à des problèmes importants, dont la corruption et autres formes de criminalité, la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption sera plus élevée. Il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

 

[11]           Les efforts sérieux déployés pour assurer la protection qui ont été constatés par le commissaire appuient la présomption formulée dans l’arrêt Ward. L’imposition d’un critère d’efficacité à l’égard des autorités des autres pays reviendrait à demander à ceux-ci d’accomplir ce que notre propre pays n’est pas toujours en mesure de faire.

 

Omission de tenir compte de la preuve

 

[12]           Un des éléments de preuve pertinents qui, selon les demandeurs, n’a pas été pris en compte et qui est invoqué pour justifier la commission d’une erreur par le commissaire est le document de fond sur la protection de l’État au Mexique signé par la SPR elle-même. L’omission du tribunal de la SPR d’analyser cette même preuve documentaire dans une affaire semblable constituait le fondement de la conclusion tirée par mon collègue le juge Luc J. Martineau, selon laquelle la décision de ce tribunal n’était pas fondée sur l’intégralité de la preuve : Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, 295 F.T.R. 35.

 

[13]           Cependant, pour arriver à sa décision, le juge Martineau a indiqué que le tribunal avait omis d’examiner la situation personnelle du demandeur. En fait, il a fait une mise en garde contre l’approche « systématique » qui pourrait être adoptée par erreur à l’égard des demandeurs d’un pays donné, lorsque les motifs de rejet fournis par la Commission sont trop généraux et peuvent tout aussi bien s’appliquer à un autre pays ou à un autre demandeur.

 

[14]           On ne peut pas dire qu’une telle erreur s’est produite en l’espèce. Le commissaire a cité un certain nombre de documents présentés à titre de preuve, notamment un document intitulé « Mexique : Violence conjugale et autres questions liées à la situation de la femme ». Il ressort clairement de la décision que le commissaire a examiné la situation personnelle de Mme Flores en tant que femme victime de violence conjugale et la protection de l’État qui serait raisonnablement offerte par le gouvernement mexicain, si elle devait s’en prévaloir.

 

[15]           Il est de droit constant que les décideurs sont présumés avoir tenu compte de toute la preuve qui leur a été présentée, en l’absence d’éléments indiquant fortement le contraire. En l’espèce, il y a absence de tels éléments et la présomption s’applique.

 

[16]           Il était raisonnablement loisible au commissaire de la SPR d’arriver à la décision qu’il a rendue et celle-ci ne sera pas annulée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4613-07

 

INTITULÉ :                                                   NUBIA VICTORIA SUAREZ FLORES

                                                                        NICOLAS ROSALES DAVILA

                                                                        LUIS ENRIQUE MALDONADO SUAREZ

                                                                        NUBIA ARITZY MALDONADO SUAREZ

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 3 JUIN 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 9 JUIN 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Norquay

 

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Norquay

Vandervennen & Lehrer s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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