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Date : 20080606

Dossier : T-1105-06

Référence : 2008 CF 618

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

RESEARCH IN MOTION

demanderesse

(défenderesse reconventionnelle)

et

 

VISTO CORPORATION

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT SUR LES DÉPENS

 

[1]               Le 21 mai 2008, j’ai signé un jugement dans la présente action. Les parties avaient consenti aux parties exécutoires du jugement de même qu’à une partie du préambule que j’ai été appelé à rédiger moi-même. Au paragraphe 5 de la partie exécutoire du jugement, la Cour ordonnait aux parties de soumettre des observations écrites relativement aux dépens, en partant du principe que la décision sur la question des dépens liés à l’instance à ce jour suivrait l’examen des observations. Les observations demandées ont été transmises, et le présent jugement statue sur les dépens.

 

[2]               La règle, en Cour fédérale, est que la partie qui a gain de cause a droit à ses dépens et que, si le dispositif ne précise rien de plus, les dépens doivent être taxés par un officier taxateur selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif. 

 

[3]               Il existe de nombreuses exceptions à cette règle; ainsi, la Cour peut tenir compte de la conduite des parties dans la poursuite de l’instance, de la difficulté inhérente à celle-ci, du fait que chaque partie a eu partiellement gain de cause sur certaines questions, des ententes entre les parties quant aux dépens, des montants en jeu et des propositions de règlement entre les parties.

 

[4]               En l’espèce, le litige a été réglé, si ce n’est d’un renvoi sur la question des dommages‑intérêts et de l’étendue de la contrefaçon, qui sera tranchée par le protonotaire responsable de la gestion de l’instance. Le jugement rendu avec le consentement des parties comprend une déclaration portant que plusieurs revendications de trois brevets dont la demanderesse est titulaire ont été contrefaites par la défenderesse, et que la demanderesse a droit à des dommages‑intérêts dont le montant doit être fixé dans le cadre du renvoi. Il ne peut y avoir appel sur les questions qui ont été réglées sur consentement, soit la responsabilité de la contrefaçon et l’attribution de certains dommages-intérêts. Par conséquent, la règle normale serait que la demanderesse a droit à ses dépens, taxés suivant le milieu de la fourchette de la colonne III. La question, dès lors, est de savoir quels autres facteurs doivent entrer en ligne de compte pour parvenir à une détermination appropriée des dépens en l’espèce. 

 

 

FACTEURS PARTICULIERS

1. Complexité

[5]               Il s’agit d’une action concernant trois brevets; initialement, la contrefaçon et la validité étaient toutes deux en cause. Dans les dernières semaines précédant la signature du jugement, seule demeurait la question de la contrefaçon. 

 

[6]               La complexité de l’affaire durant la plus grande partie de l’instance, donne à penser qu’il convient de taxer à l’échelon supérieur de la colonne IV. 

 

2. Quels étaient les enjeux?

[7]               Au début, la demanderesse demandait une injonction, des dommages-intérêts et des profits ainsi que d’autres redressements. La défenderesse cherchait à faire invalider les trois brevets. En bout de ligne, la demanderesse n’a plus demandé que des dommages-intérêts, et la défenderesse a renoncé à sa prétention d’invalidité. Les documents soumis à la Cour laissent croire que les dommages-intérêts à ce jour pourraient bien être excessivement limités.

 

[8]               Ces éléments tendent à suggérer la colonne III tout au plus pour la phase initiale du litige, et l’échelon le plus bas de la colonne I pour les derniers mois.

 

3. Résultat final

[9]               À l’issue du litige, la demanderesse conserve intacte la validité de ses trois brevets et recouvre de la défenderesse ce qui paraît être un montant très modeste de dommages-intérêts.

[10]           La défenderesse pourrait verser des dommages-intérêts, mais il semble qu’ils soient modestes. La défenderesse n’est assujettie à aucune injonction ni à aucune autre mesure de redressement en equity.

 

[11]           Tous ces éléments désignent un niveau de dépens en faveur de la demanderesse qui ne dépasse pas le milieu ou l’échelon inférieur de la colonne III.

 

4. La conduite de l’affaire

[12]           Selon les documents qui m’ont été présentés durant l’étape préparatoire à l’instruction, les parties s’affrontent devant les tribunaux au moins au Canada, en Grande Bretagne et aux États-Unis. La décision rendue récemment par Sir Christopher Floyd, un juge britannique pour lequel j’ai une grande estime, dans Research in Motion UK Limited v. Visto Corporation, [2008] EWHC 819 (Pat), indique que dans une récente affaire de brevet entre ces parties ou des parties liées, Research in Motion a dépensé quelque 6 millions de livres sterling et Visto, quelque 1,6 million de livres sterling pour une affaire qui a nécessité environ cinq jours d’instruction. On rapporte que Research in Motion aurait déclaré que l’affaire ne présentait [traduction] « pas un grand intérêt commercial ». 

 

[13]           Je ne fais pas ces remarques sur l’instance britannique pour leur donner quelque effet sur la présente décision, si ce n’est pour relever que la conduite des parties en l’espèce, particulièrement avant les quelques mois qui ont précédé la date prévue pour l’instruction, révèle chez les deux parties une attitude de guerre ouverte dans laquelle l’ampleur des dépenses importe peu. La demanderesse a allégué la contrefaçon de presque toutes les revendications afférentes à trois brevets, mais s’est montrée peu encline à fournir des précisions utiles jusqu’à un stade avancé du processus d’interrogatoire préalable. La défenderesse, pour sa part, a soulevé un grand nombre de questions touchant la validité des brevets, invoquant notamment l’état des antériorités et ne ramenant ses allégations à des prétentions mieux ciblées que quelques mois avant l’instruction.

 

[14]           La Cour a dû prendre des mesures rigoureuses et déployer des ressources considérables pour assurer la gestion et la médiation du litige. Les parties, qui ont d’abord réservé 90 journées pour l’instruction de l’affaire, ont attendu jusqu’à quelques semaines à peine avant le début de l’instruction pour en réduire la durée à 15 jours, après avoir changé la date du procès, puis, en fin de compte, ont renoncé tout simplement à l’instruction, gaspillant ainsi les précieuses ressources de la Cour. 

 

[15]           Chaque partie est prompte à vouloir faire porter à l’autre une grande partie du blâme. Je ne peux facilement conclure qu’une partie est plus que l’autre responsable d’avoir fait perdre le temps et les ressources de la Cour.

 

[16]           La Cour comprend que les contestations judiciaires constituent un moyen stratégique dont se servent les parties engagées dans une concurrence commerciale, et que ceux qui le souhaitent et qui en ont les moyens ne devraient pas être privés de cet outil. Toutefois, lorsque le processus amène la Cour à consacrer des ressources et du temps pour trancher des requêtes, assurer la gestion de l’instance et offrir sa médiation dans une affaire pour laquelle une longue période d’instruction est d’abord réservée, puis abandonnée, privant ainsi d’autres personnes de ces dates d’audience et faisant perdre à la Cour le temps consacré à la préparation du procès, la Cour ne récompensera pas une partie qui semble avoir eu gain de cause. Elle peut manifester sa désapprobation par l’un des rares moyens à sa disposition, les dépens. 

 

[17]           J’estime que le présent litige a été mené avec un zèle excessif, sans égard à la perte inutile des ressources de la Cour, et que le total des frais et des débours évalués doit être réduit de moitié. 

 

5. Conclusion quant au niveau des dépens

[18]           Vu ce qui précède et compte tenu de toutes les observations des parties, même si je n’en ai pas spécifiquement traité dans ces motifs, les dépens seront adjugés à la demanderesse selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III, tous les frais et débours taxés devant subséquemment être réduits de moitié. 

 

6. Questions particulières concernant les dépens

a) Requête ou autre procédure interlocutoire

[19]           Lorsqu’une ordonnance rendue relativement à une requête ou à une autre procédure interlocutoire statue sur les dépens, cette ordonnance doit avoir préséance. Lorsque l’ordonnance est silencieuse, aucuns dépens ne doivent être taxés. Lorsque les motifs indiquent qu’aucuns dépens ne sont adjugés, comme dans le cas de mes motifs au soutien du jugement sur consentement, aucuns dépens ne doivent être adjugés. Lorsque l’ordonnance accorde des dépens sans en fixer le montant ou le niveau, les dépens doivent être taxés suivant la colonne III.

 

b) Interrogatoires au préalable et contre-interrogatoires

[20]           La partie qui a procédé à l’interrogatoire au préalable ou au contre-interrogatoire a droit à la taxation pour la présence d’au plus deux avocats, un avocat principal et un avocat subalterne, le cas échéant. Quant à la partie défenderesse, les dépens sont limités à un seul avocat. 

 

c) Avocat interne, avocats de l’extérieur, techniciens juridiques ou autres

[21]           Aucuns dépens ni débours ne sont accordés pour les avocats internes, autres avocats, techniciens juridiques ou autres.

 

d) Questions sur lesquelles il y a consentement

[22]           On m’a informé de l’existence d’au moins une entente entre les parties qui semble avoir une incidence sur les dépens, celle du 9 avril 2008. Dans la mesure où cette entente ou toute autre entente est susceptible d’influer sur la question des dépens, l’entente a préséance. 

 

7. DÉBOURS

a) Articles prévus au tarif

[23]           Les débours autorisés par le tarif A peuvent naturellement être accordés lorsqu’ils ont réellement été effectués aux fins du présent litige.

 

b) Transcriptions

[24]           Les débours pour les transcriptions produites aux fins du présent litige sont accordés. Dans les cas où les deux parties ont convenu de services spéciaux ou les ont demandés de concert, par exemple la rapidité du service ou la réalisation de copies dans des formats électroniques particuliers ou autres, et que ces services ont nécessité des débours plus importants, ceux-ci seront accordés, mais dans ces cas seulement.

 

c) Gestion des documents électroniques

[25]           Il ne fait aucun doute que dans les litiges modernes complexes comportant un grand nombre de documents, la technologie permettant notamment la gestion électronique des documents est utile, voire presque essentielle. Toutefois, je ne peux, sans plus, vérifier que le montant réclamé par la demanderesse pour ces services dans son projet de mémoire de dépens correspond aux services véritablement raisonnables et nécessaires. Peut-être les parties peuvent-elles s’entendre sur un montant (quoique je sois un peu sceptique); dans le cas contraire, la demanderesse aura droit au montant que l’officier taxateur jugera à la fois raisonnable et nécessaire.

 

d) Photocopies

[26]           Le moindre d’un montant maximum de 25 sous par page ou du montant réellement dépensé à ce chapitre est accordé, mais seulement à l’égard des copies que l’officier taxateur aura estimées raisonnables et nécessaires.

 

e) Frais de déplacement

[27]           Les seuls frais de déplacement accordés sont ceux des témoins qui ont comparu pour un interrogatoire au préalable ou un contre-interrogatoire ou ceux d’au plus deux avocats, comme il a déjà été précisé, présents à un interrogatoire au préalable ou à un contre-interrogatoire, ainsi que les autres frais de déplacement raisonnables et nécessaires à la préparation et au suivi de ces interrogatoires et contre-interrogatoires.

 

[28]           Les frais autorisés pour ces déplacements sont limités au moindre du montant réellement engagé ou du montant normalement alloué aux juges, soit un maximum de 275 $ par jour pour l’hébergement et de 100 $ par jour pour les repas et autres dépenses, plus les taxes. Seuls les voyages en classe économique sont autorisés pour les déplacements de moins de 1 000 km.

 

f) Témoins experts

[29]           Les honoraires des témoins experts se limitent aux honoraires raisonnables et nécessaires pour le litige et excluent tout autre litige et toute autre question. Le tarif horaire ou quotidien, selon le cas, ne doit pas dépasser celui de l’avocat principal de la demanderesse.

 

[30]           Les seuls experts dont les honoraires sont accordés sont ceux dont on aura pu convaincre l’officier taxateur qu’ils auraient été appelés à témoigner à l’instruction, suivant l’état de la situation en date du 1er avril 2008 (soit juste avant que les parties aient véritablement commencé à réduire les questions en litige). 

 

g) Autres débours

[31]           Aucun autre débours n’est accordé, à moins que l’officier taxateur puisse être persuadé qu’un débours a été bien effectué exclusivement pour le présent litige et qu’il était raisonnable et nécessaire pour la conduite de l’instance.

 

8. RÈGLEMENT DES FRAIS ET DES DÉBOURS

[32]           Le règlement des frais et débours en l’espèce vise à maintenir les frais et débours à un niveau modeste et à les restreindre aux frais raisonnables et nécessaires qui sont directement liés au présent litige.

 

[33]           Cela dit, la somme des dépens sera réduite de moitié, comme il a été précédemment expliqué. Les taxes applicables peuvent être ajoutées.

 

[34]           Je recommande que les présents motifs servent de lignes directrices à l’égard des parties, pour que celles-ci puissent régler entre elles le montant des dépens. Il est à espérer qu’au stade actuel, les parties feront preuve d’une bonne volonté suffisante pour y parvenir. Je pourrais suggérer, si elles ne peuvent s’entendre sur les dépens, de régler moi-même la question en ayant recours à une procédure de type « baseball », dans laquelle chaque partie présenterait un projet de mémoire de dépens ou des observations semblables et j’en prendrais une des deux, sans modification et sans fournir de motifs. Si les parties souhaitent procéder ainsi, elles doivent le faire avant la fin du mois de juin, pendant que toutes les questions sont raisonnablement fraîches à ma mémoire et que d’autres affaires n’ont pas accaparé mon attention.

[35]           Les dépens afférents au renvoi, s’il en est, seront bien sûr examinés dans le cadre du processus de renvoi. Aucuns dépens ne sont adjugés relativement à la présente partie du jugement.


JUGEMENT

POUR CES MOTIFS :

1.                  La demanderesse a droit de recouvrer ses dépens au niveau du milieu de la fourchette prévue à la colonne III ainsi que les débours raisonnables et nécessaires effectués aux fins du présent litige, ces dépens et débours devant être réduits de moitié; elle peut aussi recouvrer les taxes applicables;

2.                  La taxation, si elle s’avère nécessaire, doit être faite en conformité avec les motifs qui précèdent.

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés relativement à la présente partie du jugement.

4.                  Il sera statué sur les dépens afférents au renvoi dans le cadre du renvoi.

 

 

« Roger T. Hughes »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL. L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1105-06

 

INTITULÉ :                                                   RESEARCH IN MOTION LIMITED c.

                                                                        VISTO CORPORATION

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DU JUGEMENT et

JUGEMENT SUR LES DÉPENS :              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 JUIN 2008

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Ronald E. Dimock

 

POUR LA DEMANDERESSE

RESEARCH IN MOTION LIMITED

 

Tim Gilbert

POUR LA DÉFENDERESSE

VISTO CORPORATION

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald E. Dimock

Dimock Stratton LLP

20, rue Queen Ouest

Bureau 3202, casier 102

Toronto (Ontario)  M5H 3R3

Télécopieur : 416-971-6638

 

POUR LA DEMANDERESSE

RESEARCH IN MOTION LIMITED

Tim Gilbert

Gilbert’s LLP

The Flatiron Building

49, rue Wellington Est

Toronto (Ontario)  M5E 1C9

Télécopieur : 416-703-7422

POUR LA DÉFENDERESSE

VISTO CORPORATION

 

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