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Date : 20080529

Dossier : IMM-4907-07

Référence : 2008 CF 691

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2008

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

NATALIYA MATSKO

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Nataliya Matsko est une citoyenne de l’Ukraine âgée de trente-deux ans. Elle demande l’asile au Canada au motif qu’elle a été persécutée dans son pays de nationalité en raison de sa religion. Elle affirme qu’elle est membre de l’Église pentecôtiste et qu’elle ne peut se prévaloir de la protection de l’État. Dans une décision datée du 15 octobre 2007, la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) a rejeté sa demande d’asile pour deux raisons : elle n’était pas crédible et les Country Reports concernant l’Ukraine n’indiquent pas que les membres de cette église « subissent telle persécution ou même subissent de la persécution telle quelle. On parle de discrimination mais on ne parle pas de meurtres, d’agressions […] ».

 

Décision du tribunal

[2]               Le tribunal a commencé son analyse en disant ce qui suit :

 

Lorsqu'un demandeur jure que les faits sont véridiques, il existe une présomption à l’effet qu'ils le sont à moins qu'il y ait des raisons valables de douter de leur véracité. Or, un indicateur important de la crédibilité du témoin, est la cohérence de son récit. Le tribunal ajoute aussi comme indicateur de la crédibilité du témoin, la qualité de la preuve qui lui est présentée.

 

[3]               Le tribunal a conclu que Mme Matsko n’était pas crédible pour les motifs suivants :

 

1.             Son témoignage concernant ses nombreux séjours à l’hôpital n’était pas corroboré et le tribunal a conclu que ses justifications à cet égard n’étaient pas crédibles, à savoir qu’en Ukraine, les hôpitaux ne remettent ces informations qu’au patient et à personne d’autre, pas même aux parents qui auraient pu tenter de les obtenir. En outre, elle n’avait jamais écrit directement aux hôpitaux pour tenter d’obtenir copie des dossiers ni communiqué directement avec eux, et la preuve documentaire n’indique pas que ces informations ne sont pas disponibles pour les raisons invoquées par la demanderesse.

 

2.             De plus, elle « n’a pas non plus de lettres corroborantes de son père et/ou de sa mère et n’a aucune justification à cet effet. Elle ira même jusqu’à dire que son père étant vieux, en l’occurrence âgé de soixante ans, a des problèmes à écrire. Néanmoins, elle nous confirme que sa mère n’a pas de problème à écrire. De plus, elle nous dira que ses parents ne communiquent pas avec elle par écrit mais par téléphone ou par e-mail. Cela non plus n’explique pas le motif pour lequel on n’aurait pas obtenu, elle n’aurait pas pu réussir à obtenir des lettres corroborantes de la part de un ou de ses deux parents ».

 

3.             Elle a témoigné avoir été détenue à deux reprises, à savoir à la fin de l’été 2000 et au cours de l’hiver de la même année, mais elle n’a pas mentionné la détention de l’été dans son FRP.

 

4.             En outre, en remplissant l’annexe I du questionnaire pour son entrevue avec les agents d’immigration, elle a écrit qu’elle n’avait pas été détenue, ce qui « n’est pas conforme à son histoire écrite ». Le tribunal a rejeté l’explication selon laquelle elle n’avait pas compris le terme « détenue » mais uniquement le mot « prison ».

 

5.           Elle a dit qu’elle était la seule de sa famille à se heurter à des problèmes aussi importants à cause de sa religion, contredisant ce qu’elle avait écrit dans son FRP : [traduction] « mes parents et moi-même étions constamment insultés et menacés de sévices corporels ».

 

6.             Elle n’a pas été en mesure d’expliquer de façon satisfaisante pourquoi ses parents vivaient toujours en Ukraine s’ils y étaient persécutés. Le tribunal n’a pas retenu l’explication qu’elle a donnée, à savoir qu’ils étaient âgés (60 ans) et [traduction] « ne veulent aller nulle part ».

 

7.             Son témoignage a été incohérent au point où après avoir dit que ses parents n’étaient pas autant persécutés qu’elle, elle a dit un peu plus tard au tribunal qu’ils étaient persécutés de la même façon qu’elle, même s’ils continuaient de vivre en Ukraine.

 

[4]               Le tribunal a avancé une autre raison de rejeter sa demande d’asile en disant «  la crédibilité et la valeur probante d’un témoignage doivent aussi être appréciées en fonction de ce que l’on sait en général des conditions et des lois dans le pays d’origine du demandeur ainsi que du vécu des personnes qui se trouvent dans une situation analogue dans ce même pays ».

 

[5]               Puis, le tribunal a ajouté :

 

Or, nulle part dans la preuve documentaire indépendante à notre disposition, le tribunal constate ou a constaté qu’en Ukraine les membres de cette église subissent telle persécution ou même subissent de la persécution telle quelle. On parle de discrimination mais on ne parle pas de meurtres, d’agressions parce que rappelons que la demandeur nous dit que le prêtre, le pasteur en question, est décédé suite à des conséquences des mauvais traitements qu’il aurait subis à l’occasion d’agression.

 

On ne dépose aucun document à cet effet-là et comme mentionné la preuve documentaire ne nous permet pas de constater ce qui précède et je fais référence à titre d’exemples, au document « Country Report 2005 » sous A-2, où on nous dit concernant la liberté de religion :

 

[traduction] « La loi prévoit la liberté de religion et en règle générale, le gouvernement a respecté ce droit. Néanmoins, il y a eu certains problèmes isolés au niveau local. Il est arrivé, à l’occasion, que des agents de police locaux tentent d’empêcher les minorités religieuses et non traditionnelles d’enregistrer des immeubles ou de les louer. »

 

[6]               Le tribunal a conclu en disant qu’il ne pouvait accorder aucune valeur probante à la pièce P‑6, une lettre de S. Yurkin, un ancien de l’église Grace Slavic de Toronto, et à la pièce P-7 de sœur Tetyana racontant la mort de son pasteur en Ukraine.

 

Questions soulevées par la demanderesse

[7]               L’avocat de la demanderesse soulève trois questions : (1) le tribunal a commis une erreur de droit en exigeant que le témoignage de la demanderesse soit corroboré; (2) dans certains cas, le tribunal a tiré ses conclusions sur la crédibilité de la demanderesse sans tenir compte de la preuve ou par suite d’une mauvaise interprétation de la preuve et, dans d’autres cas, il a tiré ses conclusions de façon abusive ou arbitraire, erreurs qui, avant Dunsmuir, auraient été qualifiées de manifestement déraisonnables. L’avocat fait bien entendu référence au récent arrêt de la Cour suprême du Canada, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, dans lequel la norme de la décision manifestement déraisonnable a été fusionnée à celle de la décision raisonnable; (3) le tribunal n’a pas tenu compte des preuves corroborantes de la demanderesse, à savoir des pièces P-6 et P-7.

 

Analyse

a) La norme de contrôle

[8]               Selon la jurisprudence constante de la Cour, les conclusions en matière de crédibilité sont des conclusions de fait et, si une décision repose sur la crédibilité d’un demandeur, elle fait entrer en jeu l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Cette disposition prévoit que la Cour peut ordonner une réparation si elle est convaincue que le tribunal « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose », norme qui, selon la jurisprudence, était celle, aujourd’hui disparue, de la décision manifestement déraisonnable en common law. Selon moi, l’arrêt Dunsmuir, précité, n’a aucune incidence sur la jurisprudence antérieure relative à l’alinéa 18.1(4)d), tout manquement à la disposition étant nécessairement déraisonnable, conformément à la nouvelle définition énoncée dans cet arrêt, puisqu’une telle décision serait fondée sur une conclusion de fait erronée importante et fondamentale relativement à la décision. [Je souligne.] Rappelons que les cours font preuve d’une très grande déférence à l’égard des conclusions de fait et qu’elles n’interviendront pas à la légère puisqu’elles n’ont pas compétence pour apprécier de nouveau la preuve.

 

[9]               Si le tribunal exige des preuves corroborantes alors qu’il n’a pas compétence pour le faire, il s’agit d’une question de fait et de droit à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable.

 

b) Analyse et conclusions

[10]           Après avoir lu la transcription du témoignage de la demanderesse et tenu compte de la preuve documentaire contenue dans le dossier certifié du tribunal ainsi que du dossier de demande de la demanderesse, je ne saurais conclure que les conclusions du tribunal en matière de crédibilité sont erronées et que le tribunal a examiné la preuve documentaire de façon irrationnelle, abusive ou arbitraire de manière à justifier l’intervention de la Cour.

 

[11]           Pour l’essentiel, ce que l’avocat de la demanderesse me demande, c’est d’apprécier de nouveau la preuve dont le tribunal était saisi, ce que le Cour ne peut faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[12]           Le tribunal a cité plusieurs motifs à l’appui de ses conclusions en matière de crédibilité : témoignage interne incohérent, contradictions entre l’entretien au PDE, le témoignage et le FRP, omissions dans le FRP et invraisemblances dans le récit. L’examen de ces conclusions dans la transcription révèle qu’elles étaient étayées par la preuve et que le tribunal n’a pas rejeté les explications de la demanderesse de façon déraisonnable.

 

[13]           L’examen de la preuve documentaire confirme la conclusion générale du tribunal selon laquelle la liberté de religion existe en Ukraine et que les « religions non orthodoxes » sont en pleine croissance malgré certains irritants locaux. L’avocat de la demanderesse n’a pu mentionner qu’un seul cas de persécution dans la preuve documentaire mais, comme l’a souligné l’avocat du défendeur, l’exemple n’était pas pertinent quant à la situation de la demanderesse.

 

[14]           Compte tenu des circonstances de l’espèce, la Cour ne peut conclure, comme le demande l’avocat de la demanderesse, que le tribunal a commis une erreur en tenant compte de l’absence de preuves corroborantes telles que les dossiers des hôpitaux et les lettres des parents de la demanderesse. Selon la jurisprudence, lorsque le récit d’un demandeur d’asile est jugé incohérent à cause de conclusions sur la crédibilité, l’absence de preuve documentaire est une considération valide aux fins d’appréciation de la crédibilité (voir Bin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 213 F.T.R. 47, 2001 CFPI 1246, fondé sur Syed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n357, au paragraphe 15.) Cette opinion est étayée par l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés qui prévoit que le demandeur d’asile transmet des documents acceptables pour établir les éléments de sa demande.

 

[15]           Enfin, compte tenu des circonstances, le tribunal était justifié de n’accorder aucune valeur probante aux pièces P-6 et P-7 (voir Kalangestani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1528, fondé sur Hamid c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1293, au paragraphe 20).

 

[16]           Selon moi, la pièce P-6 ne rajoute rien au récit de la demanderesse et, compte tenu du témoignage de la demanderesse au sujet de la pièce P-7 sur la mort du pasteur, le tribunal était justifié de conclure que ces pièces n’étaient pas des preuves corroborantes.


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4907-07

 

INTITULÉ :                                       NATALIYA MATSKO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 mai 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Steven Beiles

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Steven Beiles

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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