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Date : 20080603

Dossier : IMM-4220-07

Référence : 2008 CF 687

Ottawa (Ontario), le 3 juin 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

SHAB ZAIB

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27, (la Loi) en vue d’obtenir un bref de mandamus enjoignant au défendeur d’examiner la demande de résidence permanente du demandeur et de rendre une décision définitive dans les 60 jours de l’ordonnance.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Les parties sont divisées sur une seule question : vu les faits de la présente affaire, le délai dans lequel la demande d’asile du demandeur a été traitée était-il déraisonnable?

 

CONTEXTE FACTUEL

[3]               Né le 6 août 1997, le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il a présenté une demande d’asile au Canada, qui a été accueillie par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 8 août 2003.

 

[4]               Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente en septembre 2003. Il a acquitté les droits exigés le 28 août 2003 et a joint le paiement à la demande. La demande de résidence permanente en tant que personne à protéger a été reçue le 30 septembre 2003 au Centre de traitement des demandes (CTD) de Vegreville, en Alberta.

 

[5]               Le 18 mai 2004, une lettre a été envoyée au demandeur pour l’informer que sa demande avait été approuvée à la première étape, mais qu’il devait produire un passeport en cours de validité à la seconde étape, lors de laquelle on vérifie si le demandeur satisfait aux exigences de la Loi en matière d’admissibilité. Le demandeur n’a pas donné suite à cette demande. Une seconde demande de présentation d’un passeport en cours de validité a été faite le 10 novembre 2004. La lettre informait le demandeur qu’il avait 60 jours pour se conformer à cette seconde demande.

 

[6]               Le 24 mars 2005, le CTD a informé le demandeur que la carte d’identité nationale pakistanaise non traduite qu’il avait soumise ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 50 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. On lui a fait savoir que s’il était en mesure de fournir une pièce d’identité satisfaisante dans un délai de 30 jours, il devait la transmettre au CTD de Vegreville.

 

[7]               Le 25 avril 2005, le demandeur a soumis des photocopies et une traduction de sa nouvelle carte d’identité nationale ainsi qu’un passeport délivré en mars 2005.

 

[8]               On a informé le demandeur en 2006 que son dossier était transmis à Etobicoke pour un examen plus approfondi. Le demandeur n’a toutefois jamais reçu de décision en réponse à sa demande. Il a engagé un avocat, qui a adressé en son nom deux lettres au défendeur le 10 septembre 2007 et le 20 septembre 2007 pour demander qu’une décision soit communiquée dans un délai de 20 jours, à défaut de quoi une demande de contrôle judiciaire et de bref de mandamus serait introduite devant notre Cour.

 

[9]               La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 12 octobre 2007.

 

[10]           Le 3 décembre 2007, le défendeur a envoyé au demandeur une lettre le sommant de transmettre des documents originaux attestant son identité.

 

[11]           Le 10 décembre 2007, l’agente d’immigration Rosemarie Conte a souscrit un affidavit pour le compte du défendeur en s’appuyant sur l’examen qu’elle avait fait du dossier du tribunal. Au paragraphe 9 de son affidavit, elle explique que des doutes ont été soulevés au sujet de l’authenticité du passeport soumis en avril 2005 parce qu’il avait été délivré à Gujranwala, au Pakistan, en 2005, alors que le demandeur n’était jamais retourné au Pakistan après avoir présenté sa demande d’asile. L’ambassade du Pakistan au Canada a informé le défendeur que les passeports ne sont délivrés à Gujranwala que si la demande est faite en personne. Les doutes en question n’ont jamais été communiqués au demandeur.

 

[12]           À la date de l’audience, le défendeur a soumis un autre affidavit de Rosemarie Conte (signé le 16 mai 2008) auquel était joint un courriel récent du bureau des visas d’Islamabad concernant les documents soumis par le demandeur à l’appui de sa demande de résidence permanente. Le courriel portait les mentions suivantes : [traduction] « On attend toujours la réponse des autorités au sujet des documents » et [traduction] « le bureau des passeports ne délivre pas de passeport à un individu qui réside à l’étranger et il refusera de le faire ».

 

ANALYSE

[13]           Les parties conviennent que le critère à appliquer pour déterminer s’il y a lieu de délivrer un bref de mandamus a été énoncé dans le jugement Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, au paragraphe 39, [2003] 4 C.F. 189 :

[39]      Dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, la Cour d'appel fédérale a examiné en profondeur la jurisprudence concernant le mandamus et énoncé les conditions suivantes qui doivent être respectées pour que la Cour délivre un bref de mandamus :

1) Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public.

2) L'obligation doit exister envers le requérant.

3) Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :

a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ et (iii) il y a eu refus ultérieur, express ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.

4) Le requérant n'a aucun autre recours adéquat.

5) L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.

6) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, sur le plan de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé.

7) Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

 

Voir également l’arrêt Khalil c. Canada (Secrétaire d’État), [1999] 4 C.F. 661 (C.A.).

 

 

[14]           La question litigieuse qui oppose les parties est celle de savoir si le traitement de la demande d’asile du demandeur accusait un délai déraisonnable au sens du critère précité prévu au sous‑alinéa (3)b)(iii). 

 

[15]           Les parties s’entendent aussi sur les conditions à remplir pour pouvoir considérer qu’un délai est déraisonnable. Ces conditions ont été énoncées dans le jugement Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 23 :

[23] À la lumière des motifs de la Cour, il semble que trois conditions s'imposent à ce qu'un délai soit jugé déraisonnable :

1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2) le demandeur et son conseiller juridique n'en sont pas responsables; et

3) l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.

 

Voir également les jugements Debora Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration et Secrétaire d’État aux affaires extérieures), [1985] 2 C.F. 315 (C.F. 1re inst.); Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 195 F.T.R. 137, au paragraphe 12; Kalachnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 FCT 777, au paragraphe 12, 236 F.T.R. 142; Hanano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 998, au paragraphe 10, 257 F.T.R. 66.

 

[16]           Il ressort à l’évidence des propos tenus par la juge Tremblay-Lamer dans le jugement Conille, précité, que ces conditions sont cumulatives et qu’elles doivent par conséquent toutes être respectées pour que la Cour puisse conclure que le délai est déraisonnable et délivrer un bref de mandamus.

 

[17]           Je suis d’avis que le demandeur et son avocat ne peuvent prétendre n’avoir rien à se reprocher en ce qui concerne ce délai. Le demandeur n’a pas produit un passeport en cours de validité dans le délai requis en réponse aux demandes en ce sens qui lui avait été faites le 18 mai 2004 et le 10 novembre 2004. Le demandeur a par conséquent contribué au retard qui s’est accumulé. 

 

[18]           Le demandeur affirme cependant qu’il n’a jamais été mis au courant des doutes du défendeur en ce qui concerne l’authenticité des pièces d’identité qu’il avait fournies. Il ressort du dossier que les réserves du défendeur n’ont pas été communiquées au demandeur après que ce dernier eut soumis les nouveaux documents en avril 2005. Le demandeur n’est pas responsable du défaut du défendeur de faire part de ses doutes au demandeur au sujet de la validité des documents et de la traduction que le demandeur avait fournis en avril 2005. Le 3 décembre 2007, plus d’un mois après le dépôt de la présente demande et près de trois mois après avoir été avisé par l’avocat du défendeur, le demandeur a été sommé de produire l’original de sa carte d’identité pour établir son identité. Il ressort de la note que l’on trouve à la page 61 du dossier du tribunal que des mesures ont été prises à l’interne le 15 novembre 2007 pour vérifier l’authenticité des pièces d’identité fournies.

 

[19]           Je suis d’avis que le délai de plus de deux ans et demi qui s’est écoulé entre avril 2005 et décembre 2007 satisfait aux trois conditions énoncées dans le jugement Conille, précité. Premièrement, le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exigeait; on ne saurait douter, en effet, qu’il n’était pas nécessaire d’attendre deux ans et demi avant de prendre des mesures pour faire savoir au demandeur que les éléments de preuve qu’il avait produits pour établir son identité étaient insuffisants.

 

[20]           Deuxièmement, le demandeur n’est pas responsable du délai. Il vaut la peine de signaler que la dernière lettre que le demandeur a reçue pour l’informer que les pièces soumises étaient insuffisantes mentionnait le défaut de fournir des documents traduits. Elle portait ce qui suit : [traduction] « Nous avons examiné la carte d’identité que vous avez soumise avec votre demande sans l’accompagner d’une traduction; nous estimons qu’elle ne remplit pas la condition qui vous obligeait à produire un passeport en cours de validité, un titre de voyage ou une autre pièce d’identité satisfaisante comme l’exige la législation sur l’immigration ». Dans ces conditions, il semble que l’auteur de lettre s’en prenait au fait que la pièce d’identité n’avait pas été traduite. Il aurait donc été raisonnable de la part du demandeur de soumettre une carte d’identité accompagnée d’une traduction. Comme le demandeur n’a reçu aucune autre communication de la part du défendeur précisant la nature des doutes soulevés, on ne peut le rendre responsable du délai.

 

[21]           Enfin, le défendeur n’a pas fourni d’explications satisfaisantes pour justifier le délai dans les observations que l’on trouve dans le dossier du tribunal. Certes, il est loisible au défendeur de procéder à des vérifications de l’identité et à des contrôles de sécurité lorsqu’il traite des demandes de résidence permanente, mais il lui incombe de ne pas laisser le dossier stagner indéfiniment. Je constate que le défendeur a communiqué à deux reprises avec le demandeur entre les mois d’avril 2005 et de décembre 2007. Le 28 mars 2006, une lettre a été envoyée depuis Vegreville pour informer le demandeur que son dossier était transféré à Etobicoke et, le 26 avril 2006, le bureau de St. Clair a adressé au demandeur une lettre accusant réception du dossier qui avait été transmis par le bureau d’Etobicoke en vue d’un examen plus approfondi. Le défendeur aurait pu signaler au demandeur, à l’une ou l’autre de ces occasions, les lacunes que comportait sa preuve d’identité, mais il ne l’a pas fait.

 

[22]           Le délai accumulé entre avril 2005 et le 3 décembre 2007, date à laquelle on a fait part au demandeur des doutes soulevés au sujet de ses pièces d’identité, était déraisonnable. Toutefois, en raison des mesures prises par le défendeur le 3 décembre 2007 et le 20 février 2008 (courriel de Rosemarie Conte au bureau d’Islamabad réclamant de l’aide pour faire vérifier le registre des naissances de la municipalité, le certificat de fin d’études et le passeport pakistanais no KE848628), je suis d’avis qu’il ne convient pas de délivrer un bref de mandamus à ce moment‑ci. 

 

[23]           J’adopterais donc la solution proposée par mon collègue le juge Kelen dans le jugement Rousseau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 602, au paragraphe 8, 252 F.T.R. 309 :

[8]        Étant donné que le défendeur a récemment pris dans le présent dossier des mesures qui ont fait que le but du mandamus a été atteint, aucun bref de mandamus n'est approprié pour le moment. Cependant, la Cour demeurera saisie du dossier et invite les parties à présenter d'autres observations dans deux mois si le ministre n'a pas agi au cours de cette période. Dans deux mois, la Cour rendra son ordonnance qui accordera le bref de mandamus ou qui rejettera l'action.

 

 

[24]           En l’espèce, la Cour demeure donc saisie du dossier et invite les parties à présenter d'autres observations si le défendeur n'a pas agi dans les trois mois suivant la présente décision.

 

[25]           Les parties n’ont soumis aucune question à certifier et aucune ne se pose.

 


JUGEMENT

LA COUR demeure saisie du dossier et invite les parties à présenter d'autres observations si le défendeur n'a pas agi dans les trois mois suivant la présente décision.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4220-07

 

INTITULÉ :                                                   SHAB ZAIB

                                                                        et

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 20 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 3 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo                                                                       POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

 

Catherine Vasilaros                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIERS :

 

Ormston, Bellissimo, Rotenberg                                                POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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