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Date : 20080604

Dossier : T-1564-07

Référence : 2008 CF 700

Toronto (Ontario), le 4 juin 2008

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

LABORATOIRES ABBOTT LIMITÉE

demanderesse

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Laboratoires Abbott Limitée, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Santé a refusé d’inscrire le brevet canadien no 2182620 (le brevet 620) au registre des brevets conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement AC), DORS/93-133, modifié le 5 octobre 2006, relativement à un certain avis de conformité délivré à la demanderesse concernant un médicament connu sous le nom de MERIDIA. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la demande doit être rejetée avec dépens.

 

[2]               Le Règlement AC est entré en vigueur en 1993. Plusieurs modifications y ont depuis été apportées, dont celle importante en l’espèce, en date du 5 octobre 2006, qui a trait à l’inscription au registre – par adjonction - d’un brevet qui se rattache à l’utilisation d’un médicament. Voici le texte du paragraphe 4(1) et de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, dans sa version modifiée :

4. (1) La première personne qui dépose ou a déposé la présentation de drogue nouvelle ou le supplément à une présentation de drogue nouvelle peut présenter au ministre, pour adjonction au registre, une liste de brevets qui se rattache à la présentation ou au supplément.

 

  (2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

 

d) une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

4. (1) A first person who files or who has filed a new drug submission or a supplement to a new drug submission may submit to the Minister a patent list in relation to the submission or supplement for addition to the register.

 

 

 (2) A patent on a patent list in relation to a new drug submission is eligible to be added to the register if the patent contains

 

 

(d) a claim for the use of the medicinal ingredient, and the use has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission

 

 

[3]               Dans le cas qui nous occupe, un avis de conformité a déjà été délivré à la demanderesse pour un médicament, la sibutramine (numéro 048598); la demanderesse a sollicité l’adjonction du brevet 620 à la liste de brevets qui a été établie à cet égard. Le ministre a refusé de le faire.

 

[4]               Pour décider si, aux termes de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC modifié, un brevet devrait être ajouté à un avis de conformité existant, le ministre doit répondre aux trois questions suivantes :

1.      Quelle est l’utilisation revendiquée par le brevet?

2.      Quelle est l’utilisation approuvée par l’avis de conformité existant?

3.      L’utilisation revendiquée par le brevet est-elle celle qui a été approuvée par l’avis de conformité existant?

 

[5]               Dans le cas qui nous occupe, le ministre a estimé que l’utilisation revendiquée par le brevet 620 ne correspondait pas à celle déjà approuvée par l’avis de conformité 048598. Le ministre a donc refusé d’inscrire ce brevet au registre relativement à l’avis de conformité en question.

 

[6]               La décision du ministre a été exposée dans une lettre envoyée le 25 juillet 2007 par M. David Lee, directeur à l’époque du service compétent. On y lit notamment ce qui suit :

[traduction] Conformément à l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, un brevet inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à une présentation de drogue nouvelle, peut être ajouté au registre si le brevet contient une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal et l’utilisation a été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation de drogue nouvelle. Selon le BMBL, le brevet 620 ne renferme pas de revendication relative à l’utilisation de l’ingrédient médicinal qui a été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation de drogue nouvelle no 048598 pour le produit pharmaceutique MERIDIA.

 

D’après la monographie de produit, MERIDIA est indiqué comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids chez : les patients obèses ayant un indice de masse corporelle initial de 30kg/m2 ou plus, ou les patients obèses qui ont un indice de masse corporelle initial de 27kg/m2 ou plus et présentent d’autres facteurs de risque (p. ex. hypertension maîtrisée, diabète de type 2, dyslipidémie et masse grasse viscérale). Ainsi, MERIDIA est approuvé comme agent anti‑obésité/anorexiant administré en traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids destiné aux patients obèses. Il n’est pas indiqué pour le traitement de l’hypertension, du diabète de type 2 (diabète sucré non insulinodépendant), de la dyslipidémie ni de l’adiposité viscérale.

 

En revanche, le brevet 620 contient des revendications concernant l’utilisation du chlorhydrate de sibutramine monohydraté dans le but d’améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose (pré‑diabète de type 2) ou d’un diabète sucré non insulinodépendant (diabète de type 2). Les revendications ne visent pas le traitement de l’obésité. Le BMBL est donc d’avis que les utilisations revendiquées dans le brevet 620 n’ont pas été approuvées par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du produit pharmaceutique MERIDIA et, partant, le brevet 620 ne peut être ajouté au registre relativement à la présentation de drogue nouvelle no 048598.

 

Comme il en a été question dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation accompagnant les modifications apportées le 5 octobre 2006 au Règlement AC, la spécificité du produit est l’aspect clé considéré par le ministre lorsqu’il applique les critères d’inscription énoncés à l’article 4 du Règlement AC. Le libellé modifié de l’article 4 reflète de façon plus précise le lien voulu entre l’objet d’un brevet figurant sur une liste de brevets et le contenu de la demande sous-jacente d’avis de conformité à l’égard duquel le brevet est présenté. Selon le BMBL, l’inscription du brevet 620 au registre compromettrait l’objet du Règlement AC à cet égard.

 

En conséquence, en vertu des pouvoirs conférés au ministre de la Santé par le paragraphe 3(2) du Règlement AC, le brevet 620 ne sera pas ajouté au registre pour la présentation de drogue susmentionnée.

 

 

[7]               La demanderesse affirme que la décision du ministre est erronée et qu’il existait un lien suffisant entre les utilisations revendiquées dans le brevet et dans l’avis de conformité pour permettre l’inscription au registre. Les défendeurs soutiennent en revanche que la décision du ministre est juste.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[8]               En termes simples, la question à trancher est celle de savoir si la décision du ministre était, selon le cas, correcte ou raisonnable et, dans la négative, si la Cour devrait simplement renvoyer l’affaire au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision ou si la Cour devrait enjoindre au ministre d’inscrire le brevet au registre et, le cas échéant, si le ministre devrait inscrire le brevet à la date de la demande d’adjonction ou à la date du jugement.

 

[9]               Pour trancher cette question fondamentale, je dois tenir compte de plusieurs facteurs, à savoir :

1.      La Cour devrait-elle accepter de nouveaux éléments de preuve en admettant en preuve, en tout ou en partie, l’affidavit du Dr Lewanczuk et, dans l’affirmative, à quelle(s) fin(s)?

2.      À quelle norme de contrôle la décision du ministre est-elle assujettie?

3.      Compte tenu de la norme de contrôle applicable :

·        Quelle interprétation convient-il de donner aux revendications du brevet 620?

·        Quelle est l’énonciation correcte des utilisations déjà approuvées dans l’avis de conformité existant?

·        Quelle est la comparaison correcte entre les utilisations revendiquées et les utilisations approuvées par l’avis de conformité?

 

NOUVEAU TÉMOIGNAGE DU Dr LEWANCZUK

[10]           Il s’agit en l’espèce d’une instance en contrôle judiciaire. La Cour devrait donc en principe s’en tenir au dossier sur lequel le ministre s’est fondé pour parvenir à la décision faisant l’objet du contrôle. La Cour a reçu en preuve le dossier dont était saisi le décideur au moyen de dossiers certifiés conformes ou d’affidavits de personnes compétentes. L’affidavit d’Anne Bowes déposé par les défendeurs et celui de Loretta del Bosco, qui a été déposé par la demanderesse, servent à cette fin, tout comme certains documents certifiés conformes.

 

[11]           L’affidavit du Dr Lewanczuk se classe dans une catégorie différente. Il fournirait une expertise sur les sujets suivants : le traitement de l’obésité, l’obésité et les troubles de la tolérance au glucose, MERIDIA et ses indications, l’usage de la sibutramine dans le cadre d’un programme de régulation du poids, l’amélioration de la tolérance au glucose comme paramètre secondaire, son expérience de prescription de la sibutramine, la façon dont les personnes versées dans l’art liraient le brevet 620 et certaines conclusions relatives à l’inclusion ou non de l’utilisation revendiquée dans le brevet 620 dans les indications approuvées par l’avis de conformité.

 

[12]           Le Dr Lewanczuk aurait participé à une rencontre entre des représentants de la demanderesse et le ministre. Les propos tenus lors de cette rencontre n’ont pas été consignés à l’époque. Il n’existe aucune preuve de l’existence d’un écrit rédigé par le Dr Lewanczuk. Les seuls éléments de preuve qui existent au sujet de la teneur des propos échangés lors de cette rencontre se trouvent dans les observations formulées par l’avocat de la demanderesse dans la lettre du 7 juin 2006 adressée aux représentants du ministre. Voici un extrait de cette lettre :

[traduction]

 

RÉSUMÉ DE LA POSITION D’ABBOTT

 

Selon Abbott, le brevet 620 contient des revendications concernant l’utilisation approuvée de la sibutramine, l’ingrédient médicinal de MeridiaMD. Un médecin en exercice aujourd’hui comprendrait que l’indication de MeridiaMD inclut son utilisation pour « améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose ou d’un diabète sucré non insulinodépendant », comme l’indiquent les revendications du brevet 620.

 

La position d’Abbott à cet égard est fermement appuyée par l’opinion du Dr Richard Lewanczuk, éminent expert dans le domaine de l’obésité et du diabète.

 

EXPOSÉ DE LA POSITION

 

Le brevet 620 contient des revendications pour l’utilisation approuvée

 

Le 7 mai 2007, le Dr Lewanczuk et des représentants d’Abbott ont assisté à une rencontre avec Anne Bowes, Michelle Ciesielski, Waleed Jubran et d’autres représentants du BMBL pour discuter des questions liées à l’admissibilité à l’inscription au registre du brevet 620. Durant cette rencontre, le Dr Lewanczuk a émis l’opinion qu’un médecin comprendrait que l’utilisation approuvée de la sibutramine inclurait « l’amélioration de la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose ou d’un diabète non insulinodépendant », comme il est indiqué dans les revendications du brevet 620.

 

 

[13]           La nature des observations du Dr Lewanczuk peut être dégagée de l’extrait suivant de la page 7 de la lettre du 7 juin 2007 :

[traduction]

Sibutramine actuellement utilisée pour améliorer la tolérance au glucose

 

            En fait, les médecins utilisent actuellement la sibutramine comme option thérapeutique approuvée pour « améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose [c.‑à‑d. pré‑diabète de type 2] ou d’un diabète sucré non insulinodépendant [c.‑à‑d. diabète de type 2] ».

 

            Comme l’a souligné le Dr Lewanczuk, on sait maintenant qu’en améliorant la tolérance au glucose, on atténue à la fois les troubles de la tolérance au glucose (c.‑à‑d. le pré‑diabète de type 2) et le diabète sucré non insulinodépendant (c.‑à‑d. le diabète de type 2) et qu’un programme de régulation du poids améliore la tolérance au glucose8.

 

            Toutefois, les programmes de régulation du poids prévoyant une modification de l’alimentation et du mode de vie seulement ne sont que partiellement couronnés de succès parce que de nombreux patients sont incapables de s’adapter à ces changements et de les maintenir. Il est bien établi maintenant que l’ajout d’un traitement pharmacologique faisant appel à des médicaments comme la sibutramine fait grandement augmenter le taux de succès, autrement faible, des programmes non pharmacologiques de régulation du poids9.

 

            Comme l’a fait remarquer le Dr Lewanczuk, il n’y aurait aucun doute dans l’esprit d’un médecin qui exercerait aujourd’hui que l’utilisation de la sibutramine comme traitement d’appoint, dans le cadre d’un programme de régulation du poids, entraînerait une amélioration de la tolérance au glucose en même temps qu’une perte de poids. Le médecin prescrirait de la sibutramine à cette fin. Ce faisant, il suivrait les recommandations de la monographie de MERIDIAMD : […]

 

 

[14]           On doit être prudent lorsqu’on cite l’affidavit du Dr Lewanczuk déposé devant la Cour dans la présente instance. Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision du ministre. La Cour doit par conséquent s’en tenir exclusivement au dossier dont disposait le ministre. Les éléments de preuve supplémentaires soumis à la Cour qui visent à compléter ou à corriger les éléments de preuve soumis au ministre ne sont pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire. On ne peut déposer des éléments de preuve supplémentaires devant la Cour que s’ils décrivent la procédure et la preuve devant le tribunal dont la décision est visée par le contrôle ou lorsque la compétence, un manquement à l’équité procédurale ou un doute quant à l’impartialité est en cause (voir, par exemple, Kante c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2007 CF 109, aux paragraphes 9 et 10).

 

[15]           L’avocat de la demanderesse cite des décisions comme l’arrêt GlaxoSmithKline Inc. c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 197, de la Cour d’appel fédérale, où le juge Pelletier cite aux paragraphes 20 à 25 de ses motifs concourants le témoignage d’expert déposé dans une instance en contrôle judiciaire semblable à la présente. L’avocat affirme aussi que la question de l’inscription d’un brevet au registre constitue un aspect critique de la procédure de délivrance d’un avis de conformité et que, lorsque le Règlement AC ne prévoit pas de procédure particulière à suivre pour l’examen de cette question ou le contrôle d’une décision, la Cour devrait accepter plus facilement ce genre d’affidavit.

 

[16]           Il ressort de l’examen de précédents comme l’arrêt GlaxoSmithKline que l’attention de la Cour n’avait pas été attirée sur l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve. En tout état de cause, lorsqu’elle a renvoyé à ces éléments de preuve, la Cour d’appel l’a fait pour faciliter l’interprétation du brevet. Les parties conviennent que l’interprétation des brevets est une question de droit, et que cette tâche incombe à la Cour, qui peut au besoin recourir à des experts pour obtenir des explications sur le sens de mots et d’expressions ainsi que sur certaines questions scientifiques et le contexte. Il ne faut cependant pas y voir une invitation à faire témoigner une multitude d’experts ou à faire dévier le débat sur l’interprétation en un combat d’experts. Ainsi que je l’ai dit dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, au paragraphe 47 :

47     C’est à la Cour, non aux experts ou aux inventeurs, qu’il revient d’interpréter la divulgation du brevet ainsi que les revendications. Les experts peuvent éclairer la Cour sur le sens de mots et d’expressions de même que sur certaines questions scientifiques et le contexte pertinent. La Cour doit toutefois veiller à ne pas laisser les experts la supplanter dans son rôle. L’interprétation ne doit pas donner lieu à un combat d’experts; il s’agit plutôt d’une obligation incombant à la Cour. Comme je l’ai déclaré dans Eli Lilly Canada c. Novopharm Limitée, 2007 CF 596 (appel rejeté en raison de son caractère théorique, 2007 CAF 359),  aux paragraphes 103 et 104 :

 

[103]     Dans une instance relative à un brevet, la première chose à faire est d’interpréter celui‑ci (Whirlpool Inc. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43). Cette règle s’applique non seulement aux revendications, mais aussi, s’il y a lieu, à l’ensemble du brevet (Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett‑Packard (Canada) Inc., [1976] 1 R.C.S. 555, à la page 563; et Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la page 572).

 

[104]   L’interprétation appartient au seul tribunal (Whirlpool et Burton Parsons, précités). Le rôle de l’expert, s’il est besoin d’experts, se limite à aider le tribunal à se mettre à la place de la personne versée dans l’art à l’époque pertinente (Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275, au paragraphe 11). La Cour d’appel fédérale a expliqué dans les termes suivants la nature du rôle de l’expert au paragraphe 33 de l’arrêt Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751 :

 

Il est reconnu en droit que le rôle d’interprétation d’une revendication de brevet appartient exclusivement au juge de première instance. Selon la stricte théorie du droit, les témoins experts, les personnes versées dans l’art, ont pour tâche de fournir au juge la connaissance technique nécessaire pour interpréter un brevet comme s’il était lui‑même une personne versée dans l’art. Lorsque les experts ne s’entendent pas, c’est au juge de première instance qu’il appartient de trancher de façon définitive.

 

[17]           Le témoignage du Dr Lewanczuk relatif à l’interprétation des revendications se trouve aux paragraphes 44 à 51 de son affidavit. Je reproduis les paragraphes 47 à 51. Les seuls paragraphes auxquels j’accorde de la valeur sont les paragraphes 44 à 51 de l’affidavit, car les autres paragraphes ne portent pas sur l’interprétation des revendications, malgré les arguments de l’avocat de la demanderesse selon lesquels ils revêtiraient une certaine pertinence. Dans son affidavit, le Dr Lewanczuk mentionne d’ailleurs clairement que les paragraphes 44 à 51 sont ceux qui portent sur l’interprétation des revendications :

                        [traduction]

47.              En août 1995, la personne versée dans l’art aurait compris que la revendication 6 revendique explicitement l’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose ou d’un diabète sucré non insulinodépendant. La personne versée dans l’art comprendrait qu’il s’agit du diabète de type 2.

 

48.              En août 1995, la personne versée dans l’art qui aurait lu le brevet 620 aurait compris que l’amélioration de la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose suppose une amélioration cliniquement appréciable de la tolérance au glucose.

 

49.              En août 1995, la personne versée dans l’art aurait également compris qu’on s’attendrait à ce que l’amélioration de la tolérance au glucose chez les patients souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose favorise aussi la perte de poids et à ce qu’elle soit utile dans le cadre d’un programme de régulation du poids.

 

50.              En août 1995, la personne versée dans l’art aurait compris par conséquent que les revendications du brevet 620, et plus précisément la revendication 6, incluent l’utilisation de la sibutramine chez les patients obèses souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose pour améliorer la tolérance au glucose et, partant, qu’elles favorisent la perte de poids.

 

51.              Bien que les revendications du brevet ne renvoient pas expressément aux patients obèses, la personne versée dans l’art ne découvrirait rien dans les revendications du brevet 620 ou dans la divulgation du brevet qui soit susceptible de restreindre l’utilisation revendiquée de façon à empêcher que la sibutramine soit utilisée comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids destiné aux patients obèses. Au contraire, en août 1995, la personne versée dans l’art comprendrait que l’utilisation revendiquée serait utile pour les patients obèses souffrant d’un trouble de tolérance au glucose comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids, et s’attendrait à ce qu’elle le soit.

 

 

[18]           Le paragraphe 51, en particulier, est très soigneusement libellé et renferme l’essentiel de la thèse défendue par la demanderesse en l’espèce. J’y reviendrai plus loin.

 

NORME DE CONTRÔLE

1) La norme de contrôle applicable

[19]           Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, il est devenu nécessaire d’aborder sous un nouvel angle la question de la norme de contrôle applicable à une décision en particulier faisant l’objet d’un contrôle. Au paragraphe 45, les juges majoritaires de la Cour suprême ont indiqué qu’il n’existe plus maintenant que deux normes de contrôle : celle de la décision raisonnable et celle de la décision correcte :

45     Nous concluons donc qu’il y a lieu de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité. Il en résulte un mécanisme de contrôle judiciaire emportant l’application de deux normes — celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Or, la nouvelle approche ne sera plus simple et plus facile à appliquer que si les concepts auxquels elle fait appel sont bien définis.

 

 

[20]           Pour ce qui est de la norme de la « raisonnabilité », les juges majoritaires ont expliqué, au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, qu’il s’agit d’une norme qui fait appel à un degré élevé de retenue et qu’il convient de permettre aux tribunaux administratifs d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables :

47     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[21]           On trouve d’autres éclaircissements sur la norme de la « raisonnabilité » dans l’arrêt plus récent de la Cour suprême Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, décision unanime rendue par le juge LeBel. Celui‑ci, au paragraphe 41, explique que la Cour doit déterminer si la décision du ministre se situe dans le cadre des solutions raisonnables possibles :

41    La norme de la raisonnabilité n’exige pas l’adhésion aveugle à l’appréciation ministérielle. Au contraire, elle admet la possibilité de plus d’une conclusion. Il n’appartient pas à la cour de révision de substituer sa propre appréciation des considérations pertinentes. Cette cour doit plutôt déterminer si la décision du ministre se situe dans le cadre des solutions raisonnables possibles. La cour qui applique cette norme dans le contexte d’une demande d’extradition doit alors déterminer si le ministre a tenu compte des faits pertinents et tiré une conclusion susceptible de se justifier au regard de ces faits. À l’instar du juge Laskin de la Cour d’appel, j’estime que le ministre doit se prononcer en appliquant la norme juridique appropriée. Sans l’analyse voulue, la conclusion ministérielle n’est ni rationnelle ni justifiable. Or, lorsque le ministre a choisi le bon critère, sa conclusion devrait être confirmée par la cour à moins qu’elle ne soit déraisonnable. Cette approche ne diminue pas la protection offerte par la Charte. Elle signifie tout simplement que les évaluations des droits et intérêts protégés par l’art. 7 en matière d’extradition supposent des pondérations essentiellement dépendantes de l’appréciation des faits en cause. L’expertise du ministre en la matière et son obligation de veiller au respect des obligations internationales du Canada le rendent plus apte à déterminer si les facteurs pertinents militent ou non en faveur de l’extradition.

 

[22]           Pour ce qui est de la norme de la « décision correcte », les juges majoritaires ont expliqué, au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, que cette norme devait continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit :

50    S’il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d’une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit. On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

[23]           Pour déterminer la norme de contrôle appropriée, les juges majoritaires ont proposé, aux paragraphes 51 à 65 de l’arrêt Dunsmuir, certaines balises dont on trouve le meilleur résumé aux paragraphes 53 à 56 et 62 à 64 :

53        En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 599‑600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 29‑30). Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

 

54        La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution pour déterminer quelles questions emportent l’application de la norme de la raisonnabilité. Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise : Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, par. 48; Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, par. 39. Elle peut également s’imposer lorsque le tribunal administratif a acquis une expertise dans l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil dans son domaine spécialisé : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 72. L’arbitrage en droit du travail demeure un domaine où cette approche se révèle particulièrement indiquée. La jurisprudence a considérablement évolué depuis l’arrêt McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517, et la Cour s’est dissociée de la position stricte qu’elle y avait adoptée. Dans cette affaire, la Cour avait statué que l’interprétation, par un décideur administratif, d’une autre loi que celle qui le constitue est toujours susceptible d’annulation par voie de contrôle judiciaire.

 

55        Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

 

·      Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

 

·      Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).

 

·            La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

 

56        Dans le cas où, ensemble, ces facteurs militent en faveur de la norme de la raisonnabilité, il convient de déférer à la décision en faisant preuve à son endroit du respect mentionné précédemment. Il n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit au regard du caractère raisonnable. Il s’agit simplement de confirmer ou non la décision en manifestant la déférence voulue à l’égard de l’arbitre, compte tenu des éléments indiqués.

 

 

62                 Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

63                 L’analyse qui préside actuellement à la détermination de la norme de contrôle applicable est généralement qualifiée de « pragmatique et fonctionnelle ». Cette appellation importe peu, et la cour de révision ne doit pas s’y attacher au détriment de ce qu’exige réellement la démarche. Il se peut qu’elle ait induit les cours de justice en erreur dans le passé. C’est pourquoi, à l’avenir, nous parlerons simplement d’« analyse relative à la norme de contrôle ».

 

64                 L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

 

 

[24]           Dans le cas qui nous occupe, le ministre était appelé à répondre aux questions que nous avons précédemment exposées :

1.         Quelle est l’utilisation revendiquée par le brevet?

2.         Quelle est l’utilisation approuvée par l’avis de conformité existant?

3.         L’utilisation revendiquée par le brevet est-elle celle qui a été approuvée par l’avis de conformité existant?

 

[25]      Les parties conviennent que lorsque la question à trancher est une question de droit, la norme de contrôle est celle de la décision correcte, tandis que lorsque la question en litige est une question de fait, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique et que, lorsque la question en litige est une question mixte de droit et de fait, la norme applicable est celle de la décision raisonnable. La juge Gauthier, de notre Cour, a affirmé, dans l’arrêt GD Searle & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 437, que l’interprétation du Règlement AC et l’interprétation des revendications d’un brevet sont des questions de droit auxquelles s’applique la norme de la décision correcte. Je partage cet avis. Voici ce qu’elle a écrit, aux paragraphes 17 et 18 :

17     Comme le ministre a reconnu que le SPDN pertinent portait sur une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal qui a été approuvée par la délivrance d’un AC4, les parties ont convenu que l’admissibilité à l’inscription du brevet ’201 dépendait entièrement de l’interprétation des revendications 14 et 15 ainsi que de l’interprétation du paragraphe 4(3) du Règlement AC. Ces deux questions sont de pures questions de droit.

 

18     La Cour est convaincue que, en l’espèce, les deux questions de droit peuvent être isolées de la question de fait (laquelle a été admise) et que, par conséquent, la décision du ministre quant à ces deux questions sera examinée au regard de la norme de la décision correcte.

 

[26]      Dans une décision antérieure à l’arrêt Dunsmuir, précité, l’arrêt Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 276, la Cour d’appel fédérale a statué, dans ces  circonstances similaires, que lorsque la question à trancher est une question mixte de fait et de droit,  c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique à la décision prise par le ministre au sujet de l’inscription d’un brevet au registre. Voici ce que le juge en chef Richard a dit, au paragraphe 8 :

8     J’ajouterais que, s’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait, alors la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable, à moins que la question de droit puisse être séparée de la question de fait, auquel cas la question de droit est revue selon la norme de la décision correcte.

 

[27]      Depuis que l’arrêt Dunsmuir a été rendu, la norme de la décision manifestement déraisonnable ne peut plus s’appliquer. Toutefois, lorsqu’on applique la norme de la décision raisonnable, il convient toujours de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des décisions du ministre lorsque la question à trancher est une question mixte de fait et de droit ou une question de fait seulement.

 

[28]      En résumé :

1.                  L’interprétation des revendications de brevet est une question de droit qui est assujettie à la norme de la décision correcte.

2.                  Les utilisations approuvées dans un avis de conformité existant sont des questions de fait dont le contrôle judiciaire se fait selon la norme de la décision raisonnable; il faut faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard de la décision du ministre.

3.                  La question de savoir de quelle manière les utilisations revendiquées dans le brevet se comparent à celles qui sont approuvées par l’avis de conformité aux fins de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC est une question mixte de fait et de droit qui appelle un degré élevé de retenue à l’égard de la décision du ministre.

 

INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS DU BREVET

[29]      Suivant toutes les parties, la revendication 6 du brevet 620 représente bien l’ensemble des revendications de ce brevet et est utile pour trancher les questions en litige en l’espèce. En voici le texte :

[traduction]

6.                           L’utilisation du chlorhydrate de cyclobutaneméthanamine, 1-4-chlorophényle)-N,N-diméthyl-α-(2-méthylpropyle)-monohydraté pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose ou d’un diabète sucré non insulinodépendant.

 

 

[30]      On peut simplifier comme suit cette revendication, tant pour ce qui est de sa formulation chimique que pour ses utilisations (voir la lettre adressée le 7 juin 2007 par les avocats d’Abbott au Bureau des médicaments brevetés, à la page 4) :

6. L’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un pré‑diabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

 

 

[31]      Au paragraphe 51 (reproduit plus haut) de l’affidavit du Dr Lewanczuk, celui‑ci expose très soigneusement son opinion qui, telle qu’elle est formulée, ne semble pas être contredite par les défendeurs. Ces paragraphes indiquent, en résumé :

[traduction]

 

                                                                           i.      Rien ne restreint l’utilisation revendiquée de façon à empêcher l’usage du produit comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids destiné aux patients obèses.

                                                                         ii.      On comprend que l’utilisation revendiquée soit utile aux patients obèses qui souffrent d’un trouble de la tolérance au glucose comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids, et on s’attendait à ce qu’elle le soit.

 

[32]      L’avocat de la demanderesse admet qu’on ne retrouve le mot « obèses » dans aucune des revendications du brevet 620, mais il souligne que la description donne deux exemples relatifs au traitement de patients obèses. Si les mots employés dans les revendications ne présentent pas d’ambiguïté, ils ne doivent pas être limités aux exemples donnés dans la description (Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751, à la page 755 (C.A.)). En l’espèce, les revendications ne se limitent pas aux personnes obèses et ne les visent pas expressément; elles s’appliquent aux personnes obèses ainsi qu’à toute autre personne souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose traitée pour un pré‑diabète de type 2 ou un diabète de type 2. En fait, ce que le Dr Lewanczuk affirme, c’est que l’utilisation revendiquée est utile pour traiter les patients obèses qui souffrent de troubles de la tolérance au glucose de ce type, sans toutefois affirmer que les utilisations revendiquées se limitent au seul traitement des personnes obèses.

 

[33]      Ainsi, pour ce qui est des questions en litige en l’espèce, voici comment il convient d’interpréter la revendication 6 :

6. L’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains, obèses ou non, qui souffrent d’un pré‑diabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

 

 

 

QUELLE EST L’UTILISATION APPROUVÉE PAR L’AVIS DE CONFORMITÉ?

 

[34]      Les parties conviennent que l’utilisation de la sibutramine, telle qu’elle a été approuvée par le ministre dans l’avis de conformité 048598, est celle qui est énoncée dans la monographie approuvée suivante:

INDICATIONS ET USAGE CLINIQUE


MERIDIAMD (chlorhydrate de sibutramine monohydraté) est indiqué comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de prise en charge du poids chez :

                                                                                                iii.      les patients obèses présentant un indice de masse corporelle (IMC) initial de 30kg/m2 ou plus

                                                                                               iv.      les patients obèses présentant un IMC de 27kg/m2 ou plus en présence d’autres facteurs de risque (p. ex. hypertension maîtrisée, diabète de type 2, dyslipidémie, masse grasse viscérale)

 

Distribution – Le chlorhydrate de sibutramine monohydraté ne doit être prescrit qu’aux patients qui n’ont pas répondu de façon satisfaisante à un régime alimentaire adapté utilisé comme seul moyen de perdre du poids.

 

 

[35]      La monographie du produit qui a été approuvée a été modifiée à l’occasion, mais cette déclaration, portant sur l’utilisation approuvée, est demeurée inchangée.

 

[36]      Parfois, on renvoie de façon quelque peu énigmatique à l’utilisation approuvée en employant les termes « anorexiant / agent anti‑obésité », mais il ne s’agit là que d’une formulation abrégée qui ne désigne pas l’utilisation approuvée comme telle.

 

 

[37]      L’interprétation par le ministre de l’utilisation approuvée dans l’avis de conformité est exposée dans la lettre de David Lee, datée du 25 juillet 2007, à laquelle nous avons déjà renvoyé. Nous reproduisons à nouveau le dernier paragraphe de la page 2 :

[traduction] D’après la monographie de produit, MERIDIA est indiqué comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids chez : les patients obèses ayant un indice de masse corporelle initial de 30kg/m2 ou plus, ou chez les patients obèses qui ont un IMC initial de 27kg/m2 ou plus et présentent d’autres facteurs de risque (p. ex. hypertension maîtrisée, diabète de type 2, dyslipidémie et masse grasse viscérale). Ainsi, MERIDIA est approuvé comme agent anti‑obésité/anorexiant administré en traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids destiné aux patients obèses. Il n’est pas indiqué pour le traitement de l’hypertension, du diabète de type 2 (diabète sucré non insulinodépendant), de la dyslipidémie ni de l’adiposité viscérale.

 

[38]      Ainsi, l’interprétation par le ministre de l’utilisation de la sibutramine approuvée par l’avis de conformité est l’utilisation « dans le cadre d’un programme de régulation du poids destiné aux patients obèses » et non « pour le traitement de l’hypertension, du diabète de type 2, de la  dyslipidémie ni de l’adiposité viscérale ».

 

[39]      Cette interprétation est raisonnable et a droit à un degré élevé de retenue judiciaire. Elle relève des fonctions du ministre et des fonctionnaires qui ont la tâche d’administrer le régime de délivrance des avis de conformité. Le ministre n’a commis aucune erreur qui justifierait notre intervention en retenant cette interprétation.

 

L’UTILISATION REVENDIQUÉE DANS LE BREVET 620 EST‑ELLE CELLE QUI A ÉTÉ APPROUVÉE PAR L’AVIS DE CONFORMITÉ

[40]      Je le répète, l’utilisation revendiquée dans le brevet 620, illustrée par l’interprétation correcte de la revendication 6, est la suivante :

6. L’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains, obèses ou non, qui souffrent d’un pré‑diabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

 

 

[41]      L’utilisation approuvée par le ministre dans l’avis de conformité 048598 est celle de la sibutramine « dans le cadre d’un programme de régulation du poids destiné aux patients obèses » et non « pour le traitement de l’hypertension, du diabète de type 2, de la dyslipidémie ni de l’adiposité viscérale ».

 

[42]      L’alinéa 4(2)d) du Règlement AC est ainsi libellé :

(2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle s’il contient, selon le cas :

            […]

d) une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

 

 

[43]      Ainsi, l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC prévoit qu’il faut déterminer si l’utilisation du médicament revendiquée dans le brevet est l’utilisation approuvée par l’avis de conformité.

 

[44]      La décision du ministre, énoncée dans la lettre de David Lee datée du 25 juillet 2007, était la suivante, et nous la reproduisons à nouveau :

 

[traduction] D’après la monographie de produit, MERIDIA est indiqué comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids chez : les patients obèses ayant un indice de masse corporelle initial de 30kg/m2 ou plus, ou les patients obèses qui ont un indice de masse corporelle initial de 27kg/m2 ou plus et présentent d’autres facteurs de risque (p. ex. hypertension maîtrisée, diabète de type 2, dyslipidémie et masse grasse viscérale). Ainsi, MERIDIA est approuvé comme agent anti‑obésité/anorexiant administré en traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids destiné aux patients obèses. Il n’est pas indiqué pour le traitement de l’hypertension, du diabète de type 2 (diabète sucré non insulinodépendant), de la dyslipidémie ni de l’adiposité viscérale.

 

En revanche, le brevet 620 contient des revendications concernant l’utilisation du chlorhydrate de sibutramine monohydraté dans le but d’améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose (pré‑diabète de type 2) ou d’un diabète sucré non insulinodépendant (diabète de type 2). Les revendications ne visent pas le traitement de l’obésité. Le BMBL est donc d’avis que les utilisations revendiquées dans le brevet 620 n’ont pas été approuvées par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du produit pharmaceutique MERIDIA et, partant, le brevet 620 ne peut être ajouté au registre relativement à la présentation de drogue nouvelle no 048598.

 

 

[45]      Comme nous l’avons mentionné précédemment dans les présents motifs, l’interprétation par le ministre des revendications du brevet est correcte et l’interprétation de l’avis de conformité est raisonnable. De plus, en droit, le ministre a raison de penser que l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC exige que l’on compare les deux.

 

[46]      La façon dont cette comparaison est effectuée est contestée par la demanderesse, Abbott, dont la position à cet égard a été énoncée dans sa lettre adressée au ministre le 7 juin 2007, à la page 3 :

[traduction] Selon Abbott, le brevet 620 contient des revendications concernant l’utilisation approuvée de la sibutramine, l’ingrédient médicinal de MeridiaMD. Un médecin en exercice aujourd’hui comprendrait que l’indication de MeridiaMD inclut son utilisation pour « améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose ou d’un diabète sucré non insulinodépendant », comme l’indiquent les revendications du brevet 620.

 

[47]      La position de la demanderesse est donc la suivante : si l’on peut considérer que « l’utilisation approuvée » inclut l’utilisation revendiquée, le brevet devrait être inscrit au registre. Le ministre a conclu, en résumé, que l’utilisation approuvée était « le traitement de l’obésité » tandis que l’utilisation revendiquée visait à « améliorer la tolérance au glucose ». 

 

[48]      Dans ses observations, le ministre a convenu que le traitement avec ce médicament des personnes obèses qui souffrent aussi d’intolérance au glucose pourrait favoriser le traitement de l’intolérance au glucose chez ces individus; ce n’est cependant pas ce que l’avis de conformité visait, puisqu’il porte sur le traitement de l’obésité.

 

[49]      Au paragraphe 51 de son affidavit, le Dr Lewanczuk explique clairement que la personne versée dans l’art comprendrait que l’utilisation revendiquée est utile pour les patients obèses qui souffrent d’un trouble de la tolérance au glucose, comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids, et s’attendrait à ce qu’elle le soit.

 

[50]      L’avocat de la demanderesse cite trois décisions dans lesquelles la Cour s’est penchée sur des problèmes semblables. Chacune de ces décisions portait toutefois sur une utilisation approuvée par un avis de conformité qui entrait de toute évidence entièrement dans le cadre d’une utilisation plus largement définie revendiquée dans le brevet en litige.

 

[51]      Dans la décision Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général), 2007 CF 797 (dont l’appel sera instruit sous peu), la juge Simpson a conclu que l’avis de conformité approuvait l’utilisation d’une sous-catégorie de l’utilisation plus large relative au traitement des ulcères revendiquée dans le brevet.

 

[52]      Dans la décision GD Searle & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 437, aux paragraphes 64 à 67, la juge Gauthier a conclu, à titre incident, qu’une revendication de brevet portant sur le traitement de la douleur en général incluait le traitement de douleurs plus précises approuvées dans l’avis de conformité.

 

[53]      Dans la décision Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 352, le juge Barnes, qui était saisi d’une requête présentée en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement AC, a estimé que certains brevets étaient, pour les motifs énoncés aux paragraphes 24 à 26, admissibles à l’inscription au registre parce qu’ils pouvaient se rapporter à une éventuelle contrefaçon. Cette décision a une valeur instructive limitée dans le cas qui nous occupe.

 

[54]      En l’espèce, le ministre était au courant que les personnes obèses souffrant d’intolérance au glucose pouvaient, en prenant ce médicament, traiter aussi leurs problèmes de tolérance au glucose. Ainsi qu’il a été souligné au cours des débats, personne ne prétend que toutes les personnes obèses souffrent d’intolérance au glucose ou que toutes les personnes qui ont un problème de tolérance au glucose sont obèses. J’estime que la décision du ministre suivant laquelle l’utilisation approuvée par l’avis de conformité est différente de l’utilisation revendiquée dans le brevet 620 est raisonnable, de sorte qu’on ne saurait permettre l’adjonction du brevet au registre en vertu de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC.

 

CONCLUSION

[55]      En conclusion, j’estime que la demande doit être rejetée et que les dépens doivent être adjugés aux défendeurs selon le barème qui est devenu assez courant dans ce genre d’instance, c’est-à-dire selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV.

 


JUGEMENT

Pour les motifs qui ont été exposés :

LA COUR :

1.                  REJETTE la demande;

2.                  ADJUGE aux défendeurs les dépens, qui devront être taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1564-07

 

INTITULÉ :                                       LABORATOIRES ABBOTT LIMITÉE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               lundi 2 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      mercredi 4 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Andrew J. Redden

Mme Caroline R. Zayid

 

POUR LA DEMANDERESSE

LABORATOIRES ABBOTT LIMITÉE

M. F.B. Woyiwada

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault

Avocats

Toronto (Ontario)

Fax : 416-868-0673

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Fax : 613-954-1920

POUR LE DÉFENDEUR

 

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