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Date : 20080523

Dossier : IMM-4950-07

Référence : 2008 CF 688

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

Ayam NASSIMA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 20 septembre 2007 par laquelle un agent des visas du Haut-commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan, a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse dans la catégorie de personnes de pays d’accueil (une sous‑catégorie de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières).

 

[2]               La demanderesse, qui est une citoyenne de l’Afghanistan a, avec ses cinq enfants à charge, présenté une demande de visa de résident permanent en alléguant qu’ils appartiennent tous à la catégorie des personnes de pays d’accueil.

[3]               La demanderesse affirme qu’à cause des Talibans, elle a quitté l’Afghanistan avec sa famille en 1997 pour aller vivre comme réfugiée à Peshawar, au Pakistan. Deux ans plus tard, son mari est retourné en Afghanistan pour vendre son entreprise; il est porté disparu depuis.

 

[4]               Le 12 septembre 2007, la demanderesse a été reçue en entrevue par un agent des visas.

 

[5]               Le 20 septembre 2007, l’agent des visas a refusé sa demande.

 

[6]               Dans sa décision, l’agent explique qu’après avoir attentivement examiné les renseignements contenus au dossier ainsi que ceux communiqués à l’entrevue, il n’était pas convaincu que la demanderesse avait été entièrement sincère et honnête à l’entrevue.

 

[7]               L’agent n’était pas convaincu que la version des faits de la demanderesse était crédible, compte tenu des nombreuses contradictions relevées entre sa version des faits et celle de son fils, notamment en ce qui concerne l’endroit où elle habitait et ce qu’elle faisait au Pakistan. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse vivait à Peshawar, et il ne pouvait donc être convaincu qu’elle ne vivait pas en Afghanistan. Il a par ailleurs précisé que la demanderesse avait soumis des documents frauduleux à l’entrevue. La demanderesse ne s’est pas prévalue de la possibilité qui lui était offerte d’identifier les documents en questions au début de son entrevue. Bien que cette façon d’agir ne pouvait justifier un refus dans ce type de cas, le fait que la demanderesse n’a pas reconnu avoir soumis des faux documents a miné encore plus sa crédibilité.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[8]               Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, pour déterminer laquelle de la norme de contrôle de la décision raisonnable ou de la décision correcte s’applique, il faut d’abord vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. S’agissant de déterminer si les demandeurs remplissent les conditions requises pour être considérés comme appartenant à la catégorie des personnes de pays d’accueil ou à celle des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, mon collègue le juge Edmond Blanchard a déclaré, dans le jugement Khwaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 522, [2006] A.C.F. no 703 (QL), au paragraphe 23, que les conclusions de fait relèvent manifestement des fonctions que le paragraphe 11(1) de la Loi attribue aux agents des visas et que la Cour doit examiner ces conclusions selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[9]               Comme les questions de crédibilité sont fortement axées sur les faits et vu la jurisprudence antérieure de notre Cour, je suis d’avis que la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 51). Le caractère raisonnable de la décision de l’agent tient donc principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). 

 

[10]           La seconde question soulevée par la demanderesse, en l’occurrence la possibilité de répondre aux réserves exprimées par l’agent, est une question d’équité procédurale (Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, [2004] A.C.F. no 317 (QL), au paragraphe 22). Conformément à l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, [2003] A.C.S. n28 (QL), au paragraphe 100, « il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». Les questions d’équité procédurale échappent donc à la norme de contrôle.

 

QUESTION PRÉLIMINAIRE

 

[11]           Le défendeur souligne le fait que la demanderesse n’a pas déposé son propre affidavit à l’appui de la présente demande d’autorisation, mais qu’elle a plutôt soumis celui de son neveu. Bien que, selon la jurisprudence, lorsqu'une demande de contrôle judiciaire n'est pas appuyée par des affidavits fondés sur la connaissance personnelle du demandeur, il n'en résulte pas automatiquement un rejet de la demande, je constate qu’en pareil cas, « toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier » (Turcinovica c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 164, [2002] A.C.F. no 216 (QL), aux paragraphes 12, 13 et 14; Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 55 (QL), au paragraphe 15; Sarmis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110, [2004] A.C.F. no 109 (QL), au paragraphe 10).

 

 

ANALYSE

 

[12]           Aux termes de la Loi, l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par le règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il se conforme à la loi (paragraphe 11(1)). Ainsi, dans le cas des demandes de visas de résident permanent présentées dans la catégorie de personnes de pays d’accueil (article 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement)), le demandeur doit établir qu’il appartient à cette catégorie parce qu’il « se trouve hors du pays dont il a la nationalité », et qu’« une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne […] ont eu et continuent d'avoir des conséquences graves et personnelles pour lui » (Salimi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 872, [2007] A.C.F. no 1126 (QL), au paragraphe 7). Les conditions de ce critère à deux volets sont cumulatives et il faut satisfaire à chacune des conditions.

 

[13]           Dans sa lettre de décision, l’agent signale des contradictions entre la version des faits de la demanderesse et celle de son fils, sur l’endroit où ils vivent et sur ce qu’ils font au Pakistan. Ces contradictions ont amené l’agent à ne pas être convaincu que les demandeurs vivent à Peshawar et, partant, à ne pas être convaincu qu’ils ne vivent pas en Afghanistan.

 

[14]           Pour ce qui est des divergences constatées entre la version des faits de la demanderesse et celle de son fils, il ressort de l’affidavit de l’agent et des notes versées au système STIDI que la principale contradiction constatée était le fait que la demanderesse avait indiqué que ses enfants tissaient des tapis à la maison, alors que son fils avait déclaré qu’il travaillait pour une entreprise de tapis située à une quinzaine de minutes de la maison.

 

[15]           Parmi les autres motifs invoqués par l’agent pour refuser la demande, mentionnons le fait que ni la demanderesse ni son fils n’ont réussi à soumettre à l’agent des renseignements propres à le convaincre que la demanderesse vit effectivement à Peshawar. Ainsi, ni le fils ni la demanderesse n’ont été en mesure de donner le numéro de téléphone de la maison du voisin d’où ils recevaient leurs appels téléphoniques, se contentant de mentionner le numéro figurant dans la demande. De plus, même si elle en connaissait l’emplacement, la demanderesse ignorait l’adresse de la maison où elle habitait avec ses enfants et elle n’a produit aucune pièce sur laquelle aurait figuré son nom comme preuve qu’elle vivait à cet endroit. Elle n’a pas non plus été en mesure d’indiquer le numéro de téléphone de la maison où elle travaillait. L’agent a également expliqué que les fiches de présence qui avaient été produites semblaient être des faux car elles ne comportaient aucun numéro de téléphone. S’agissant de ces documents, je constate que leur caractère apparemment frauduleux n’a pas eu d’effet déterminant sur la décision, mais qu’il constituait un facteur de plus qui minait la crédibilité de la demanderesse.

 

[16]           Après avoir examiné les notes versées au système STIDI ainsi que la lettre de décision, je suis incapable de conclure que la décision de l’agent était déraisonnable. Il incombait à la demanderesse de convaincre la personne chargée de prendre la décision qu’elle vivait et travaillait effectivement au Pakistan, ce qu’elle n’a pas réussi à faire.

 

 

[17]           La demanderesse ajoute qu’on ne lui a pas accordé la possibilité de répondre aux réserves de l’agent. À l’appui de cet argument, la demanderesse cite une décision récente rendue par mon collègue le juge Yves de Montigny dans l’affaire Belkacem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 375. Je constate toutefois que, dans cette affaire, le juge de Montigny a conclu que l’agente des visas avait commis une erreur en prenant sa décision sans permettre à la demanderesse d’éclaircir les zones d’ombre qui subsistaient dans son dossier, dans la mesure où il était manifeste que les informations manquantes pouvaient résulter d’un problème de communication lors de l’entrevue. La situation est différente en l’espèce.

 

[18]           Il est de jurisprudence constante que lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation d’en faire part au demandeur (Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2006] A.C.F. no 1597 (QL), au paragraphe 24; Rukmangathan, précité, au paragraphe 23; Yu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 36 F.T.R. 296, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 151 F.T.R. 1; Bakhtiania c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1023 (QL)). C’est bien ce que souligne le juge de Montigny dans le jugement Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1025, [2006] A.C.F. no 1289 (QL), au paragraphe 16, en s’appuyant sur la jurisprudence de notre Cour :

L’agent n’avait aucune obligation d’aviser M. Liu de ses doutes qui découlaient directement de la preuve produite par M. Liu lui-même ainsi que des exigences de la Loi et du Règlement. Lorsque la personne qui demande un visa d’immigrant omet de fournir une preuve adéquate, suffisante ou crédible, l’agent des visas n'est nullement tenu de lui demander une preuve supplémentaire susceptible d’invalider les conclusions de l’agent concernant le caractère insuffisant, inadéquat ou peu crédible de la preuve du demandeur […]  

 

Je constate qu’en l’espèce, on ne s’est pas fondé sur des éléments de preuve extrinsèques, de sorte que l’équité ne commanderait pas qu’on accorde à la demanderesse la possibilité de répondre à ces éléments de preuve (Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205, au paragraphe 17).

 

[19]           Je suis donc convaincue que la décision contestée appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit

 

[20]           Vu ce qui précède, je suis incapable de conclure que l’agent a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision. La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.


 

JUGEMENT

 

[21]           LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4950-07

 

INTITULÉ :                                                   Ayam NASSIMA

                                                                        c.

                                                                        M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le 27 mai 2008

 

MOTIFS PRONONCÉS PAR :                    LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 29 mai 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Simone Truong

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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