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Date : 20080604

Dossier : T-440-07

Référence : 2008 CF 699

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

 

ENTRE :

JOHANNES CORNELIS STURKENBOOM

demandeur

et

 

LE BUREAU DU SURINTENDANT

DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

I. Introduction

[1]               Il s’agit d’un appel par voie de requête présentée sur la base de prétentions écrites, aux termes de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, à l’encontre d’une décision rejetant en partie une requête du demandeur pour ajouter certains paragraphes à sa demande de contrôle judiciaire et pour convertir celle‑ci en action.

 

II. Contexte

[2]               Le demandeur, qui se représente lui-même, est un ancien employé du défendeur. Il a commencé un congé de maladie en juillet 2002 en raison de certains problèmes de santé mentale qui ne sont pas précisés. En mars et en mai 2003, le défendeur a prié le demandeur de se soumettre à une évaluation médicale, mais celui-ci ne s’est pas présenté aux rendez-vous qu’on lui avait fixés. En août 2003, le demandeur a été placé en établissement après un verdict de non‑responsabilité criminelle relativement à une accusation de harcèlement criminel. La société d’assurance Sun Life, qui verse les prestations d’invalidité de longue durée (ILD) du défendeur, a accepté de verser les prestations ILD au demandeur sans évaluation médicale formelle.

 

[3]               Toutefois, en janvier 2005, après que le demandeur eut obtenu son congé de l’établissement, Sun Life a demandé qu’il subisse une évaluation médicale formelle pour pouvoir continuer à recevoir les prestations. Le demandeur ayant refusé, Sun Life a cessé de verser les prestations, et le défendeur a changé le statut du demandeur à celui d’employé en congé sans solde. Le défendeur a de nouveau exhorté le demandeur à se soumettre à une évaluation médicale et l’a informé que s’il ne se présentait pas à cet examen, il serait congédié. Le demandeur a refusé, et le défendeur a mis fin à l’emploi du demandeur à compter du 26 mars 2005. 

 

[4]               Avec l’aide de son syndicat, le demandeur a déposé un grief pour contester son congédiement. L’affaire a été déférée à un arbitre, qui a fait droit au grief le 23 août 2006 au motif que le défendeur n’avait pas le droit de congédier le demandeur comme sanction disciplinaire pour avoir refusé de subir un examen médical. L’arbitre a ordonné que le demandeur soir réintégré et placé en congé sans solde, sous réserve qu’il se soumette à une évaluation médicale pour déterminer son aptitude au travail. Cependant, l’arbitre n’a pas accepté de se prononcer sur les questions soulevées en matière de droits de la personne, qui portaient sur l’obligation du défendeur de trouver un accommodement pour le demandeur. L’arbitre a par ailleurs réservé sa compétence pour une période de 90 jours, de façon à pouvoir régler [traduction] « toute question liée à l’interprétation ou à l’exécution de la présente ordonnance ou de la présente décision ».

 

[5]               Aucune communication n’a eu lieu entre le demandeur et le défendeur à la suite de la décision de l’arbitre et jusqu’au 21 septembre 2006, date à laquelle le demandeur a remis sa démission.

 

[6]               Le demandeur a ensuite demandé à l’arbitre de réexaminer sa décision au motif que celle-ci n’accordait pas au demandeur la réparation qu’il espérait obtenir et que ce dernier avait été mal représenté à l’audience. Comme le demandeur avait démissionné, il n’était plus représenté par son syndicat.

 

[7]               Le 14 février 2007, après avoir reçu les observations des deux parties, l’arbitre a refusé la demande de réexamen. Il a conclu que, même s’il avait réservé sa compétence relativement à l’interprétation de sa précédente ordonnance, il n’avait pas compétence pour remettre en question la réparation qu’il avait ordonnée. En ce qui touche la représentation du demandeur à l’audience, l’arbitre a conclu qu’il s’agissait d’une question distincte [traduction] « à l’égard de laquelle je ne peux rien décider maintenant ».

[8]               Le 14 mars 2007, le demandeur a introduit la présente demande de contrôle judiciaire, dans laquelle il a initialement plaidé deux moyens à l’égard des deux décisions de l’arbitre : 

[traduction]

a.              L’arbitre a commis une erreur de droit manifestement déraisonnable en concluant qu’il n’avait pas compétence pour tirer des conclusions qu’en réalité, il pouvait bel et bien tirer;

b.              l’arbitre a enfreint les principes d’équité procédurale et de justice naturelle en ne tenant pas compte adéquatement du fait qu’en dépit de sa conclusion portant que le défendeur avait à tort congédié le demandeur et que celui-ci devait en conséquence être réintégré dans son emploi, il n’a ordonné aucun redressement utile pour faire en sorte que la situation soit corrigée, alors qu’il avait compétence pour ordonner un redressement approprié. Par conséquent, la situation n’a pas été corrigée. 

 

[9]               Onze mois plus tard, le demandeur a présenté une requête pour modifier son avis de demande et faire convertir sa demande en action.

 

[10]           Les allégations modifiées que le demandeur souhaite introduire sont les suivantes :

Paragraphe 5 :

[traduction]

 

a.    L’arbitre a commis des erreurs manifestement déraisonnables en droit et dans les conclusions de ses ordonnances lorsqu’il a statué qu’il n’avait ni la compétence ni l’obligation d’accorder réparation pour la perte de salaire, les frais juridiques et les dommages-intérêts et contraintes d’ordre financier, malgré une preuve claire que l’employeur avait abusivement congédié le demandeur en invoquant l’invalidité et l’insubordination.

b.    L’arbitre a commis des erreurs manifestement déraisonnables en droit et dans la conclusion de son ordonnance initiale lorsqu’il a statué qu’il n’avait ni la compétence ni l’obligation d’accorder réparation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, comme l’exigent l’article 226 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce malgré les violations par l’employeur et par la Couronne des droits et libertés garantis au demandeur par la Charte canadienne des droits et libertés (particulièrement ceux définis aux articles 6, 7, 11 et 15), qui ont occasionné une détention illégale et injustifiée, la restriction de libertés, une grande détresse psychologique, divers autres préjudices ainsi qu’une lourde perte financière et une perte de possibilités. 

c.    L’arbitre et la Commission des relations de travail dans la fonction publique ont commis des erreurs manifestement déraisonnables en droit et dans leurs conclusions, ont enfreint les principes de justice naturelle et ont contribué à la violation, par l’employeur et par la Couronne, des droits et libertés garantis au demandeur par la Charte, du fait que l’arbitre a réservé sa compétence relativement à l’ordonnance et n’a pas accordé des réparations immédiates, sachant que ce facteur contribuerait aux contraintes du demandeur, et a par ailleurs exigé que le demandeur accepte de subir une évaluation de son aptitude au travail, alors que la preuve au dossier indiquait que l’employeur n’avait aucune intention de réintégrer le demandeur dans son emploi et avait tenté d’amener le demandeur à demander et à fournir la preuve nécessaire pour justifier une pension d’invalidité.

d.    L’arbitre et la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) ont commis des erreurs manifestement déraisonnables en droit et dans leurs conclusions, ont violé les principes de justice naturelle et ont contribué au préjudice existant, du fait que l’arbitre a réservé sa compétence relativement à l’ordonnance, puis a ensuite décidé de ne pas accorder réparation quand le demandeur a fourni des éléments de preuve additionnels démontrant clairement le congédiement abusif, les violations par l’employeur et par la Couronne des droits et libertés garantis au demandeur par la Charte canadienne des droits et libertés et a, comme le lui avait demandé l’arbitre, cité des dispositions législatives et des exemples étayant la compétence, le pouvoir et l’obligation de l’arbitre d’accorder réparation.

e.    L’arbitre et la CRTFP ont commis des erreurs manifestement déraisonnables en droit et en concluant que ni l’arbitre ni la CRTFP n’avaient compétence pour accorder réparation à l’égard du préjudice découlant de l’atteinte, par l’employeur et par la Couronne, à la réputation du demandeur par suite des violations délibérées des droits et libertés garantis au demandeur par la Charte (particulièrement ceux définis aux articles 6, 7, 11 et 15), qui ont entraîné une déclaration de non-responsabilité criminelle en vertu de l’article 672 du Code criminel du Canada, la détention subséquente du demandeur et le dépôt de rapports malveillants inopportuns à ses dossiers de crédit et d’assurance ainsi qu’à son dossier médical et à son dossier d’emploi.

f.      L’arbitre et la CRTFP ont commis des erreurs manifestement déraisonnables en droit et en concluant que ni l’arbitre ni la CRTFP n’avaient la compétence ou l’obligation d’accorder réparation malgré la présentation d’une preuve établissant clairement que le demandeur n’a pas bénéficié d’une représentation juridique ou syndicale appropriée dans les instances et les affaires devant l’employeur, la Cour de justice de l’Ontario, la Commission ontarienne d’examen, l’administrateur de l’assurance‑invalidité de longue durée retenu par l’employeur, soit la Sun Life du Canada, la CRTFP ou le Conseil national mixte de la fonction publique du Canada, alors qu’il y avait clairement atteinte aux droits et libertés garantis au demandeur par la Charte et à sa vie privée, détention illégale et injustifiée, restriction de libertés, détresse psychologique grave et lourdes pertes financières. 

g.    L’arbitre et la CRTFP ont commis des erreurs manifestement déraisonnables en droit et dans leurs conclusions et ont contribué au préjudice subi lorsqu’ils ont statué qu’ils n’avaient ni la compétence ni l’obligation d’ordonner à l’employeur de faire des observations et des divulgations correctives à des tiers, d’atténuer les pertes et de fournir quittance immédiate de subrogation de toute obligation découlant d’une réclamation d’invalidité frauduleuse adressée par l’employeur à un assureur, alors que le demandeur a clairement démontré à l’arbitre et à la CRTFP qu’il y avait eu parjure et présentation d’éléments de preuve frauduleux contre le demandeur à la CRTFP et aux autres organismes judiciaires.

h.    L’arbitre et la CRTFP ont commis des erreurs manifestement déraisonnables en droit et en concluant que ni l’arbitre ni la CRTFP n’avaient la compétence ou l’obligation d’offrir un emploi temporaire en vertu des articles 20 et 21 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles ou de recommander que la Commission de la fonction publique fournisse des services de replacement au demandeur et de faire rapport et demander au procureur général du Canada d’accorder réparation au demandeur, qui faisait manifestement l’objet de représailles de la part d’organismes de la Couronne, de l’employeur et d’organismes qui ont déjà été encadrés.

 

[11]           Le protonotaire responsable de la gestion de l’instance a accueilli en partie la requête pour modifier la demande, et cet aspect de sa décision n’est pas contesté par le défendeur. Cependant, le demandeur fait appel des parties de la décision dans lesquelles le protonotaire a refusé de permettre de modifier la demande par l’ajout de nouveaux paragraphes et a refusé de permettre la conversion de la demande en action.

 

III. La décision du protonotaire

[12]           Dans la note apposée à son ordonnance, le protonotaire règle comme suit les modifications proposées :

Le motif soulevé à l’alinéa 5 a) fournit des détails sur la position du demandeur quant à la réparation appropriée, et il sera accepté. Le motif soulevé à l’alinéa 5 b) fait état du défaut d’examiner les réparations en vertu de la législation canadienne sur les droits de la personne. L’arbitre a précisé que son ordonnance n’était [traduction] « pas fondée sur les dispositions législatives en matière de droits de la personne ». Le motif proposé dans cet alinéa touche tangentiellement la décision et sera accepté. À l’alinéa 5 c), le demandeur insiste sur la législation en matière de droits de la personne et fournit des détails quant aux [traduction] « conclusions » et quant à la [traduction] « réparation appropriée ». La modification proposée sera aussi acceptée. Le motif proposé à l’alinéa 5 d) reprend ceux des paragraphes précédents et sera refusé. Les alinéas 5 e) à h) portent sur des questions qui comprennent, notamment, l’allégation selon laquelle le demandeur aurait été illégalement détenu, subissant [traduction] « la restriction de libertés, une grande détresse psychologique et une perte financière » et autres allégations semblables. Les alinéas 5 e) à h) sont refusés. Ils ne traitent pas de questions dont l’arbitre de la CRTFP était saisi, et les points qu’ils avancent ne sont pas valablement soulevés au stade actuel de l’instance. De nombreux précédents indiquent que dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le dossier se limite aux questions dont était saisi le décideur. 

 

IV. Analyse

[13]           Le demandeur ne présente aucun argument structuré en ce qui concerne la partie de la décision dans laquelle le protonotaire refuse de convertir la demande de contrôle judiciaire en action. Une telle conversion constitue une exception à la règle générale et il incombe au demandeur de convaincre la Cour à cet égard, ce qu’à mon avis, il n’a même pas tenté de faire. Je n’interviendrais pas.

 

[14]           De même, je ne peux déceler aucune erreur dans la décision de ne pas permettre l’ajout de l’alinéa 5 d) ou le fait que le protonotaire a qualifié cet alinéa de répétitif. L’alinéa ne peut avoir aucune utilité, et il était justifié de le refuser.

 

[15]           En outre, bien qu’il me semble quelque peu difficile d’établir le lien entre la description que fait le protonotaire des alinéas 5 e), g) et h) proposés et les textes reproduits ci-dessus, il reste que rien, dans la documentation mise à ma disposition, n’est de nature à indiquer que le protonotaire a commis une erreur en concluant que par ces alinéas, le demandeur tentait d’introduire des questions dont l’arbitre n’était pas saisi et que les alinéas devaient donc être refusés. L’ordonnance qui les refuse ne sera pas infirmée.

 

[16]           La décision selon laquelle les allégations de l’alinéa 5 f) soulèvent des questions dont l’arbitre n’était pas saisi est beaucoup plus problématique. Il faut se rappeler que la demande initiale contestait tant la première décision de l’arbitre que son refus subséquent de réexaminer sa première décision. La demande de réexamen présentée par le demandeur était exposée dans une lettre à l’arbitre, dont voici les passages pertinents :

[traduction]

Je vous remercie d’avoir entendu la plainte que j’ai déposée au Bureau du surintendant des institutions financières du Canada (BSIF). Je suis confiant que vous avez maintenant reçu copie de la lettre de démission que j’ai remise à mon employeur. Je n’ai pas fait fi de votre décision; je ne refusais pas non plus de me soumettre à l’évaluation de mon aptitude au travail pour établir cette aptitude et retourner au travail; je peux plutôt démontrer clairement que je n’ai d’autre choix que de démissionner de mon emploi au BSIF pour pouvoir toucher l’indemnité de départ et payer mes comptes en souffrance. 

 

L’arbitrage ne m’a pas apporté la réparation que j’espérais obtenir. Je ne suis pas avocat, mais je crois comprendre que la présente demande n’est pas sans précédent. Il ressort de mes recherches limitées sur des questions de droit que la restriction prévue par la loi quant au délai pour interjeter appel peut être écartée en cas de représentation inadéquate ayant donné lieu à une décision injuste. Je crois pouvoir établir que je n’ai pas été adéquatement représenté devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique et la Commission canadienne des droits de la personne lors des observations présentées à l’audience de mai 2006 et qu’il existe des motifs justifiant la réinterprétation de la réparation que vous avez accordée.

 

[17]           En tenant compte du fait particulier que le demandeur se représente seul, il me semble que le texte qui précède soumet clairement à l’arbitre la question du réexamen de son ordonnance en faisant valoir la représentation inadéquate du demandeur à l’audience, ainsi que l’énonce l’alinéa 5 f) proposé. Cela ne signifie pas, naturellement, que cette nouvelle allégation peut être ou a été prouvée ni qu’il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire en ce qui a trait à la demande de réexamen, mais bien seulement que, à mon avis, le protonotaire a manifestement eu tort de conclure comme il l’a fait. Comme il est évident que le refus de l’allégation proposée est susceptible d’avoir une incidence sur le résultat final, j’estime nécessaire d’intervenir.

 

V. Conclusion

[18]           En conséquence, la requête sera accueillie en partie seulement, et le demandeur sera autorisé à ajouter l’alinéa 5 f) proposé à sa demande de contrôle judiciaire.

 

[19]           Aucuns dépens ne sont adjugés.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         Le demandeur est autorisé à ajouter l’alinéa 5 f) proposé à la demande.

2.         La requête est rejetée à tous autres égards.

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« James K. Hugessen »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL. L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-440-07

 

INTITULÉ :                                                   JOHANNES CORNELIS STURKENBOOM

                                                                        c.

                                                                        LE BUREAU DU SURINTENDANT DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES

 

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EN VERTU DE LA RÈGLE 369

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE :
                                   LE JUGE HUGESSEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 4 JUIN 2008

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Johannes Cornelis Sturkenboom

 

POUR LE DEMANDEUR

Gillian A. Patterson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Johannes Cornelis Sturkenboom

Toronto (Ontario)

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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