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Date : 20080603

Dossier : IMM-4199-07

Référence : 2008 CF 697

Toronto (Ontario), le 3 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

MOJISOLA ODEWOLE

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle d’une décision qui a été rendue le 20 août 2007 et dans laquelle une agente, qui n’est pas une agente d’immigration de la Section de l’immigration (agente) du Consulat général du Canada à New York (É.-U.), a rejeté la demande de permis d’études canadien qu’elle avait présentée au motif qu’elle ne respectait pas les exigences prescrites à cet égard.


 

I. Les faits

[2]               La demanderesse, qui est citoyenne du Nigeria, a reçu le 2 octobre 2006 un visa de résident temporaire (VRT) délivré par le bureau canadien des visas à Tunis, en Tunisie. La demanderesse a sollicité un VRT afin de prendre soin des enfants d’un couple canadien au retour de la famille au Canada, mais n’a pas mentionné dans sa demande que ses employeurs étaient en réalité sa sœur et son beau-frère. La demanderesse a ajouté qu’à cette occasion, elle n’avait pas l’intention de s’établir au Canada, mais n’a pas précisé que sa sœur la parrainait à titre de personne à charge de sa mère.

 

[3]               La demanderesse est arrivée au Canada comme visiteuse le 26 novembre 2006 afin d’aider sa sœur et son beau-frère, qui sont tous deux des citoyens canadiens demeurant actuellement au Canada avec leurs enfants. Son visa, qui était valable à l’origine jusqu’au 31 décembre 2006, a été prolongé jusqu’au 1er décembre 2007.

 

[4]               Dans une lettre du 15 mars 2007, la sœur de la demanderesse a été informée qu’elle était admissible à parrainer sa mère au soutien de la demande de résidence permanente au Canada de celle-ci, dans laquelle la demanderesse figurait à titre de personne à charge de sa mère.

 

[5]               La demanderesse a été admise à l’université York, située à Toronto, le 19 juillet 2007.

 

[6]               Dans une lettre adressée le 21 juillet 2007 au Consulat général du Canada à New York, la sœur et le beau-frère de la demanderesse se sont engagés à parrainer celle-ci aux fins de la demande de permis d’études canadien qu’elle s’apprêtait à présenter. Le 24 juillet 2007, la demanderesse a présenté sa demande de permis d’études au Consulat général du Canada à New York.

 

[7]               La demande a été rejetée parce que la demanderesse n’a pas réussi à prouver que ses obligations ou ses attaches envers son pays d’origine la contraindraient à quitter le Canada une fois ses études terminées et parce que l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse avait une double intention conformément au paragraphe 22(2) de la Loi.

 

[8]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agente.

 

II. La décision de l’agente

[9]               L’agente a déposé un affidavit en réponse à la présente demande de contrôle judiciaire. Elle a souligné que le bureau des visas de Lagos a refusé trois fois de délivrer un permis d’études à la demanderesse en 2003 et que celle-ci restait en Tunisie depuis juin 2006 et était à l’emploi de son beau-frère. L’agente a fait remarquer que les documents déposés au dossier n’établissaient pas que la demanderesse était étudiante depuis 2004, ce qui l’incitait à douter qu’elle soit admissible à titre d’enfant à charge relativement au parrainage dans la catégorie du regroupement familial. L’agente en est arrivée à la conclusion suivante :

[traduction] Compte tenu de la durée de l’absence de la demanderesse de son pays d’origine, des circonstances entourant son entrée au Canada, [...] de ses attaches à l’endroit du Canada et de la demande de parrainage approuvée pour sa famille dans la catégorie du regroupement familial, j’en suis arrivée à la conclusion que la demanderesse ne respectait pas les exigences à remplir pour obtenir un permis d’études ou un permis de résidence temporaire, car elle n’a pas prouvé à ma satisfaction que ses obligations ou attaches à l’endroit de son pays d’origine la contraindraient à quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé si sa demande de résidence permanente n’est pas approuvée, conformément au paragraphe 22(2) de la LIPR.

 

 

III. Les questions en litige

 

1.                  L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que les attaches de la demanderesse envers son pays d’origine ne la contraindraient pas à quitter le Canada à la fin de ses études si sa demande de résidence permanente au Canada n’est pas accueillie?

 

2.                  L’agente des visas a-t-elle violé les principes de justice naturelle en n’offrant pas à la demanderesse la possibilité de dissiper les doutes qu’elle avait?

 

3.                  L’agente des visas s’est-elle fondée sur des facteurs externes pour en arriver à sa décision défavorable?

 

IV. La norme de contrôle

 

[10]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51, la Cour suprême du Canada s’exprime comme suit : « [...] en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité. » Étant donné que les questions soulevées en l’espèce sont des questions mixtes de droit et de fait, la Cour est d’avis que la norme de contrôle est la raisonnabilité.

 

[11]           Selon cette norme, la Cour doit procéder à un examen assez poussé des motifs de la décision attaquée tout en reconnaissant que, lorsque l’instance décisionnelle possède une certaine expertise dans le domaine ou que celui-ci lui est familier, une certaine déférence est de mise. L’analyse que fera la Cour de la décision de la Commission aura donc trait à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

V. Les dispositions législatives pertinentes

[12]           Les dispositions législatives pertinentes quant à la présente demande sont l’alinéa 20(1)b) et l’article 22 de la Loi ainsi que l’article 212 et le paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), dont voici le libellé :

La Loi

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

[...]

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

22. (1) Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b) et n’est pas interdit de territoire.

 

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

Les Règlements

 

212. L’étranger ne peut étudier au Canada sans y être autorisé par un permis d’études ou par le présent règlement.

 

216. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) l’étranger a demandé un permis d’études conformément à la présente partie;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

c) il remplit les exigences prévues à la présente partie;

d) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

[...]

 

The Act

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

[...]

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

22. (1) A foreign national becomes a temporary resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(b) and is not inadmissible.

 

(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

The Regulations

 

212. A foreign national may not study in Canada unless authorized to do so by a study permit or these Regulations.

216. (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

(a) applied for it in accordance with this Part;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

(c) meets the requirements of this Part; and

(d) meets the requirements of section 30;

[...]

 

 

VI. Analyse

[13]           Compte tenu de la loi et de la preuve dont elle a été saisie, les conclusions que l’agente a tirées ne respectent pas la norme de la raisonnabilité, pour les motifs qui suivent.

 

[14]           Selon le paragraphe 22(2) de la Loi, la personne qui sollicite un permis de séjour temporaire au Canada peut également avoir l’intention d’y établir sa résidence permanente.

 

[15]           L’agente devait donc soupeser la preuve liée à la demande de permis d’études et s’attarder à l’intention de la demanderesse de quitter le Canada à la fin de ses études conformément à l’alinéa 20(1)b) de la Loi et au paragraphe 216(1) du Règlement.

 

[16]           L’agente n’était pas saisie de la demande de résidence permanente de la famille et la question de la double intention se posait uniquement à l’égard de cette dernière demande. Il n’y avait pas lieu de tenir compte de la demande de résidence permanente aux fins de la demande de permis d’études canadien de la demanderesse.

 

[17]           Même si l’agente a reconnu, dans son affidavit, qu’elle n’avait pas compétence pour apprécier l’admissibilité de la demanderesse à devenir résidente permanente dans le cadre du parrainage dans la catégorie du regroupement familial, elle a néanmoins tenu compte de ce facteur, comme le montre le résumé précédent des facteurs qu’elle a invoqués. Par conséquent, l’agente a commis une erreur susceptible de révision. Moghaddam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 39 Imm. L.R. (3d) 239, 2004 CF 680 (C.F.).

 

[18]           Cette façon de procéder est inacceptable, eu égard aux faits et au droit et, par conséquent, la décision ne respecte pas le critère de la raisonnabilité et sera cassée.

 

[19]           La Cour convient avec les parties qu’il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS PLUS HAUT, LA COUR fait droit à la demande, casse la décision de l’agente des visas et renvoie la question à un agent différent pour nouvelle décision.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL. L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4199-07

                                                                       

 

INTITULÉ :                                                   MOJISOLA ODEWOLE c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 22 MAI 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 3 JUIN 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stella Iriah Anaele                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

John Loncar                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stella Iriah Anaele                                                                    

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.                                                                    

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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