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Date : 20080603

Dossier : IMM-4841-07

Référence : 2008 CF 698

Toronto (Ontario), le 3 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

JIAN QIN LIN

demandeur

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, qui est citoyen de la République populaire de Chine, soutient que la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié lui a refusé la protection en qualité de réfugié, au motif qu’elle n’a pas jugé crédible la preuve qu’il a présentée au sujet du risque de persécution découlant du fait qu’il était considéré comme un adepte du Falun Gong. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et demande que la question soit renvoyée à un tribunal différent pour nouvelle décision.

 

I. Les faits

[2]               M. Lin soutient qu’en mars 2005, il a ouvert un magasin dans sa ville natale de Changle, située dans la province du Fujian. Il y vendait des livres ainsi que du matériel audio et vidéo à des clients qui, selon lui, étaient tous originaires de sa ville natale. À l’occasion, certains des clients qui connaissaient bien le demandeur lui demandaient de les aider à vendre leurs produits dans son magasin. C’est précisément ce qu’a fait M. Chen, un des amis du demandeur, en mai 2006.

 

[3]               Le demandeur fait valoir que, le 10 mai, M. Chen lui a remis en consignation environ cinquante (50) livres et DVD et lui a dit que ceux-ci portaient sur les enseignements bouddhistes et le Qi Gong. Le demandeur soutient qu’il a accepté de vendre ces articles et que c’est ce qu’il a fait, après avoir visionné deux des DVD. Cependant, il ajoute qu’il connaissait le Falun Gong et croyait que le matériel portait sur le sujet mentionné par M. Chen. Trois jours plus tard, après qu’il eut vendu dix (10) des DVD, des membres du bureau de la sécurité publique (BSP) se sont présentés à son magasin après avoir reçu des plaintes de clients selon lesquelles ce matériel concernait le Falun Gong; ils ont confisqué la totalité de la marchandise et ont détenu la cousine du demandeur, qui s’occupait du magasin ce jour‑là en l’absence de celui-ci, qui se trouvait dans la ville de Sanming.

 

[4]               Le demandeur soutient qu’il était recherché par le BSP parce qu’il était le propriétaire du magasin. Des agents du BSP se seraient rendus chez lui, auraient interrogé ses parents au sujet de ses activités et de ses allées et venues et l’auraient accusé de participer à la promotion illégale du Falun Gong. La mère du demandeur a informé celui-ci de cette visite et lui a dit de ne pas retourner à la maison. Le demandeur s’est caché dans la maison d’un membre de la famille à Sanming, où la police serait également venue à maintes reprises. Il a donc décidé qu’il ne serait plus en sécurité en Chine; il s’est enfui et est arrivé au Canada le 6 août 2006 afin de demander l’asile. Le demandeur ajoute qu’après son arrivée, il a appris que la police continuait à s’enquérir de ses allées et venues.

 

[5]               Après avoir entendu la demande d’asile du demandeur, la SPR a rejeté celle-ci, dans sa décision datée du 26 octobre 2007, parce que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

 

II. La décision attaquée

[6]               En raison de différents embellissements, incohérences et déclarations invraisemblables dont sont ponctués le témoignage du demandeur ainsi que les renseignements qu’il a fournis à un agent d’immigration à son arrivée et ceux qui figurent sur son formulaire de renseignements personnels (FRP), la SPR a conclu que la demande d’asile du demandeur n’était pas fondée, eu égard au manque de crédibilité de celui-ci, et qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que M. Lin soit persécuté ou qu’il soit personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités par les autorités s’il retournait en Chine.

 

[7]               Ayant conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 ou de « personne à protéger » selon l’article 97 de la Loi, la Commission a rejeté la demande d’asile qu’il avait présentée. Le sort du litige repose principalement sur la crédibilité du demandeur.

 

III. Les dispositions législatives

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés,

(L.C. 2001, ch. 27)

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Immigration and Refugee Protection Act

(S.C. 2001, c.27)

 96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

IV. La question en litige

[8]               Les questions que les parties ont soumises peuvent être reformulées comme suit :

·        La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu à l’absence de crédibilité du demandeur en se fondant sur une compréhension erronée de la preuve et sur une conclusion de fait tirée de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve?

 

[9]               Le demandeur soutient que, étant donné qu’il avait soumis un FRP modifié afin de corriger certaines incohérences, en concluant comme elle l’a fait et en ignorant ce FRP modifié, la SPR a commis une erreur majeure qui montre une compréhension erronée de la preuve à un point tel que sa décision ne peut résister à un examen judiciaire.

 

[10]           Pour sa part, le défendeur répond que le demandeur a omis de mentionner, sur son FRP, des faits importants qui n’ont été révélés qu’à l’audience. Ainsi, le demandeur n’a pas mentionné sur son FRP que le BSP avait inscrit son nom sur une liste des personnes recherchées ou qu’il avait eu besoin d’un passeur pour soudoyer les autorités à l’aéroport afin de pouvoir quitter le pays; ces allégations n’ont été présentées qu’au cours de l’audience de vive voix du demandeur. En conséquence, compte tenu de ces omissions, la SPR avait le droit de conclure que le demandeur n’était pas crédible. Au soutien de cet argument, le défendeur cite Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 536, 98 A.C.W.S. (3d) 1265. Le défendeur ajoute que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il était peu probable que le demandeur ait ignoré, après avoir visionné les DVD, que le matériel vendu dans son magasin concernait le Falun Gong et qu’il aurait réussi à quitter la Chine avec son propre passeport si son nom figurait sur une liste de personnes recherchées par les autorités nationales. De l’avis du défendeur, la Commission a le droit d’en arriver à ces conclusions raisonnables qui sont fondées sur l’invraisemblance, le bon sens et la rationalité.

 

V. La norme de contrôle

[11]           Le défendeur fait valoir que les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité et de l’invraisemblance sont des conclusions de fait susceptibles de révision selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n° 9). L’analyse de la crédibilité à laquelle procède le décideur a une importance vitale dans le cadre des fonctions qu’il exerce comme juge des faits et, par conséquent, les conclusions du décideur au sujet de la crédibilité appellent la plus grande déférence, ce qui impose un fardeau élevé au demandeur qui cherche à faire infirmer ces conclusions.

 

[12]           La déférence accordée appuie la norme de la raisonnabilité et sous-entend, ainsi qu’en a décidé la Cour suprême du Canada au paragraphe 49 de l’arrêt Dunsmuir, précité, que la cour de révision tiendra « dûment compte des conclusions du décideur » au moment d’en arriver à sa décision. En conséquence, l’analyse que la Cour fera de la décision de la Commission aura trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi [qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

VI. Analyse

[13]           Le demandeur n’a invoqué aucun argument valable qui justifierait l’intervention de la Cour. Il n’a pas réussi à prouver, comme il devait le faire, que la décision attaquée est fondée sur des conclusions de fait tirées de manière abusive ou arbitraire ou que la Commission a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[14]           Après avoir pris connaissance de la preuve du dossier, la Cour souligne que, dans ses motifs, la Commission ne fait pas mention du FRP modifié. Ce document a été présenté moins d’un mois avant l’audience de la SPR. Cependant, la SPR bénéficie de la présomption selon laquelle elle a tenu compte de l’ensemble de la preuve portée à son attention, bien que cette présomption ne l’emporte pas sur l’omission de commenter un élément de preuve important qui appuie fortement une conclusion différente de celle qui a été tirée (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425, 157 F.T.R. 35).

 

[15]           Néanmoins, la Cour estime que tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que les déductions défavorables que la SPR a tirées étaient bien appuyées par des éléments de preuve autres que le FRP modifié et ne reposaient pas uniquement sur ce seul aspect de l’exposé circonstancié. De plus, la Cour ne voit pas en quoi ces renseignements touchent la conclusion défavorable tirée quant à la crédibilité du demandeur. En conséquence, aucune erreur liée à cet aspect, le cas échéant, n’est pertinente quant au résultat.

 

[16]           La conclusion d’invraisemblance résiste à un examen fondé sur la preuve et il était loisible à la Commission de conclure à l’absence de crédibilité du demandeur, eu égard aux invraisemblances dont l’exposé circonstancié de celui-ci est ponctué et aux incohérences entre les renseignements qu’il a fournis sur son FRP, ceux qu’il a donnés lors de son entrevue initiale à son arrivée et ceux qu’il a présentés à l’audience, compte tenu également des modifications apportées au FRP qui ne sont pas pertinentes quant à la décision rendue.

 

[17]           En résumé, la décision attaquée appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et mérite donc l’appui de la Cour. Pour les motifs exposés ci-dessus, la Cour en arrive à la conclusion que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de révision; par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[18]           La Cour convient avec les parties qu’il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS PLUS HAUT, LA COUR rejette la demande.

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL. L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4841-07

 

INTITULÉ :                                                   JIAN QIN LIN c.

                                                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 21 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 3 JUIN 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leonard Borenstein

 

POUR LE DEMANDEUR

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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