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Date : 20080603

Dossier : IMM-4647-07

Référence : 2008 CF 696

Toronto (Ontario), le 3 juin 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

ABIGAIL VIDAL SANCHEZ

demanderesse

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’égard de la décision, datée du 19 octobre 2007, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que la demanderesse n’était pas une « réfugiée au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I. Faits

 

[2]               Citoyenne mexicaine, la demanderesse a vécu à Mexico ou aux alentours de la ville (le district fédéral) jusqu’à une date indéterminée en 2006. À son arrivée au Canada, le 22 août 2006, elle a demandé l’asile au motif qu’elle était une « personne à protéger » à cause des menaces de son ancien conjoint de fait, Israel Mena Bautista (Israel).

 

[3]               La demanderesse allègue avoir commencé à cohabiter avec Israel en décembre 2001. Celui‑ci a par la suite commencé à se montrer violent physiquement et psychologiquement envers elle, et leur relation a pris fin vers août 2002. La demanderesse a alors rencontré un autre homme avec qui elle a vécu en union de fait et a eu une fille. Mais la demanderesse n’a pas coupé totalement ses liens avec Israel et les immiscions de ce dernier dans les affaires de la demanderesse ont nui à sa nouvelle relation au point où le couple s’est séparé en août 2004. En janvier 2005, la demanderesse a donné une deuxième chance à Israel, qui est rapidement devenu très possessif.

 

[4]               Enfin, en avril 2006, Israel a violé la demanderesse chez elle, mais elle n’a pas signalé l’incident à la police. Elle est plutôt partie vivre à Veracruz chez des membres de sa famille et elle s’est trouvé un emploi. Israel a toutefois retrouvé la demanderesse en juillet 2006 et il l’aurait alors menacée. Encore une fois, la demanderesse a décidé de ne pas signaler l’incident à la police et a choisi de quitter le pays.

 

[5]               La demanderesse prétend qu’elle n’a pas demandé à la police de la protéger parce qu’Israel avait certains liens avec la police judiciaire par l’entremise d’un de ses amis. En outre, la demanderesse croit que la police mexicaine est largement corrompue à cause de la façon dont elle a été traitée par le passé après avoir été volée et agressée et parce que la police n’a pas aidé sa mère quand celle-ci a été victime de violence conjugale.

 

II. Décision attaquée

 

[6]               La Commission a rejeté la demande d’asile au motif que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans le district fédéral. En tirant cette conclusion, la Commission s’est fondée sur la preuve documentaire qui indiquait ce qui suit :

·        le cadre législatif relatif à la violence à l’égard des femmes est complexe, a plusieurs niveaux et est différent selon l’État concerné;

·        le district fédéral compte un très grand nombre de lois qui criminalisent la violence familiale et sexuelle, y compris dans le cadre d’unions de fait, et ces lois prévoient des peines d’emprisonnement de six mois à quatre ans en cas de violence familiale;

·        il existe un règlement national en matière de santé qui oblige tous les centres de santé au pays à enregistrer les plaintes de violence et qui a pour but de garantir que le personnel de santé est en mesure de reconnaître des situations de violence familiale et de les signaler aux autorités compétentes qui peuvent aviser les victimes de leur droit de déposer une plainte au criminel;

·        les statistiques indiquent que les individus font appel aux services gouvernementaux, comme le centre d’aide aux victimes de violence familiale qui offre une gamme complète de services, dirige les femmes vers les maisons d’hébergement et les aide à déposer une plainte.

 

Les deux derniers points sont particulièrement pertinents quant à l’efficacité des mesures de protection disponibles dans le district fédéral.

 

[7]               Concernant le fait que la demanderesse n’a pas signalé les incidents à la police, la Commission dit qu’il n’y a aucune preuve convaincante que l’« ami » d’Israel qui travaillait pour la police judiciaire avait la capacité d’empêcher la demanderesse de se prévaloir de la protection de la police. Il n’y a pas non plus de preuve qu’il ait commis des actes « illégaux » à l’égard de la demanderesse au cours de la période où elle était séparée d’Israel. Toutefois, même si une telle preuve existait, la Commission dit que la demanderesse pouvait toujours déposer une plainte contre lui auprès du procureur général fédéral.

 

[8]               La Commission a également examiné le vol avec agression dont a été victime la demanderesse. La Commission note que l’agresseur a été arrêté, que la demanderesse l’a dénoncé, qu’elle était représentée par un avocat commis d’office, que l’affaire a été entendue par un juge et que l’agresseur a été libéré après avoir versé ce que la demanderesse elle-même a qualifié de « caution ». La Commission mentionne ce fait à titre d’exemple de la protection de l’État et laisse entendre que la procédure applicable en matière pénale a été suivie même si la demanderesse n’est pas satisfaite du résultat.

 

[9]               La Commission conclut que même s’il existe encore au Mexique des problèmes graves en matière de violence envers les femmes, la preuve documentaire indique que les autorités du district fédéral déploient des efforts sérieux pour s’y attaquer et qu’il serait raisonnable que la demanderesse les contacte si elle se croit en danger. La Commission mentionne ensuite certaines décisions sur la protection de l’État et conclut que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Pour cette raison, la Commission conclut que la demanderesse dispose d’une PRI dans le district fédéral et qu’il ne lui serait pas trop difficile de s’y installer puisqu’elle y a vécu pendant dix‑sept ans, qu’elle a réussi à se trouver un emploi à Veracruz quand elle y a déménagé et qu’il n’y a aucune preuve convaincante qu’elle ne pourrait trouver un emploi et un endroit pour se loger.

 

III. Question en litige

[10]           La seule question en l’espèce est de savoir si la Commission a commis une erreur en décidant que la demanderesse disposait d’une PRI au motif qu’elle pouvait se prévaloir de la protection de l’État dans le district fédéral.

 

IV. Norme de contrôle

 

[11]           La conclusion de la Commission sur le caractère adéquat de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. n481, au paragraphe 11, qui renvoie tant à Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 362 N.R. 1, au paragraphe 38 (C.A.F.), qu’à Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 55, 57, 62 et 64). De plus, la norme de la décision raisonnable doit également s’appliquer à la conclusion de la Commission relativement à la PRI (Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, au paragraphe 22).

 

[12]           Comme on l’a indiqué dans Mendoza, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

V. Analyse

 

[13]           En l’espèce, la Commission a statué que la demanderesse disposait d’une PRI dans le district fédéral. Toutefois, en même temps, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Compte tenu du fait que la contestation de la demanderesse vise essentiellement les conclusions de la Commission sur la protection de l’État, il y a lieu d’examiner cette conclusion.

 

[14]           La demanderesse a tenté de faire valoir que la Commission avait commis une erreur parce qu’elle n’avait pas examiné une preuve contradictoire ni tenu compte de l’efficacité et de la disponibilité de l’action policière dans sa décision sur la protection de l’État.

 

[15]           Il est vrai qu’un décideur doit examiner les éléments de preuve qui contredisent ses conclusions et que la Cour peut inférer que l’organisme a tiré la conclusion de fait erronée « du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme » (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n1425, au paragraphe 15). Par ailleurs, « les motifs donnés par les organismes administratifs (la Commission en l’espèce) ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal, et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis (Cepeda-Gutierrez, précité, au paragraphe 16).

 

[16]           Il est également vrai que l’efficacité des mécanismes de protection de l’État doit être évaluée. La décision Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, analyse cette notion.

 

[17]           Toutefois, il faut également souligner qu’il existe une présomption de protection de l’État, particulièrement dans un État démocratique. La Cour a maintes fois reconnu ce principe (De La Rosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 83, Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 793, Lazcano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n1630, Baldomino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n1638). Il incombe au demandeur de réfuter la présomption.

 

[18]           La demanderesse n’a souligné qu’un seul élément de preuve concernant plus particulièrement le district fédéral qui établit que les conclusions de la Commission sont erronées : un passage du document datant de mars 2003 intitulé Mexique – Violence conjugale et autres questions liées à la situation de la femme, indique que la Loi sur l’aide et la prévention en matière de violence familiale, en vigueur depuis 1996, comporte d’importantes lacunes. Les autres preuves documentaires mentionnées par la demanderesse font état du trafic de la drogue et du crime organisé et sont très peu utiles pour attaquer les conclusions de la Commission en l’espèce.

 

[19]           Malgré les informations contenues dans ce passage, il est évident qu’en prenant sa décision, la Commission a tenu compte de l’efficacité de la protection de l’État et, de manière générale, des lacunes et incohérences de la protection de l’État mexicain.

 

[20]           La Commission reconnaît également que la preuve documentaire révèle que les renseignements généraux concernant le Mexique ne visent pas nécessairement le district fédéral et que le cadre législatif diffère d’un État à l’autre. Dans la preuve documentaire dont était saisie la Commission, on fait une distinction, en ce qui concerne la violence familiale, entre le district fédéral et les autres États et on traite du cadre législatif et institutionnel de ce district et fournit certaines informations concernant sa mise en œuvre. Les renseignements au sujet « l’efficacité » des mesures prises pour lutter contre la violence familiale dans le district fédéral sont peu nombreux, mais ils ne contredisent pas les conclusions de la Commission. La Commission indique que la violence familiale est un problème très grave au Mexique, mais également que les autorités du district fédéral déploient des efforts sérieux pour s’y attaquer. La preuve documentaire dont était saisie la Commission en l’espèce le confirme. La demanderesse ne fait qu’exagérer le nombre d’éléments de preuve et la force probante de la preuve contradictoire concernant le district fédéral dont était saisie la Commission quand elle a pris sa décision.

 

[21]           En conformité avec l’arrêt Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, la demanderesse était tenue d’établir, au moyen d’une preuve claire et convaincante, qu’elle ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l’État. La demanderesse reconnaît n’avoir jamais demandé l’aide de la police concernant Israel. Elle explique pourquoi elle n’a pas fait appel à la police, mais la Commission a examiné ces raisons et les a rejetées. Au mieux, la demanderesse a mentionné le cas de sa mère qui n’avait pas obtenu l’aide de la police à un moment quelconque dans le passé. La demanderesse n’a tout simplement pas établi que la police a refusé d’enquêter sur sa plainte ou qu’elle en était incapable.

 

[22]           Toutefois, la question du caractère raisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse disposait d’une PRI n’est pas résolue. Le critère applicable reformulé est décrit au paragraphe 20 de Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 601 :

                   Pour que la Commission puisse conclure que le demandeur a une PRI viable et sûre, le critère à deux volets suivant, qui a été énoncé et appliqué dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), et Thirunavukkarasu, précité, doit être rempli :

(1) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;

(2) la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, de s’y réfugier.

 

 

[23]           Compte tenu de la décision précitée relativement au premier volet du critère, la conclusion de la Commission est raisonnable puisqu’elle est logique et compte parmi les diverses conclusions acceptables fondées sur la preuve.

 

[24]           Quant au deuxième volet du critère, la demanderesse a uniquement fait valoir qu’il lui serait trop difficile de retourner dans le district fédéral à cause de la proximité d’Israel et compte tenu de sa situation particulière non précisée.

 

[25]           La Commission prend note du fait que la demanderesse a pu se trouver un emploi et un lieu de résidence quand elle a quitté la grande Ville de Mexico, qu’elle a vécu plusieurs années dans cette ville, qu’elle y a fréquenté l’école et que des membres de sa famille y résident. La demanderesse n’a mentionné aucune circonstance personnelle, sauf le fait qu’Israel ne vit pas loin de là.

 

[26]           La Commission n’examine pas précisément ce fait dans la partie du jugement qui porte sur le deuxième volet du critère applicable en matière de PRI, mais elle l’examine dans la partie consacrée à la protection de l’État, où elle dit clairement que si jamais Israel la menace pendant qu’elle se trouve dans le district fédéral, la demanderesse peut demander à l’État de la protéger. La Cour ne voit aucune raison de modifier cette conclusion.

 

[27]           Dans l’ensemble, la demanderesse n’a pas établi que la décision attaquée était déraisonnable et qu’elle ne faisait pas partie des conclusions acceptables qui sont défendables eu égard aux faits et au droit. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[28]           La Cour convient avec les parties qu’il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


 

 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR rejette la demande.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4647-07

 

INTITULÉ :                                       ABIGAIL VIDAL SANCHEZ

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 juin 2008

 

COMPARUTIONS :

 

J. Byron M. Thomas

 

POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Byron M. Thomas

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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