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Date : 20080605

Dossier : IMM-4449-07

Référence : 2008 CF 711

Toronto (Ontario), le 5 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

MIN FENG ZHAN et

XING YI ZHENG

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 1er octobre 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.


 

1. Les faits

[2]               La demanderesse principale (la demanderesse) et son fils mineur sont des citoyens de la République populaire de Chine. Ils proviennent d’une résidence rurale située dans la région de Fuzhou, dans la province du Fujian. La demanderesse soutient qu’après avoir donné naissance au demandeur mineur en 1995, elle a porté un dispositif intra-utérin (stérilet) et a fait examiner régulièrement celui-ci conformément aux exigences de la loi chinoise. Lorsqu’elle est redevenue enceinte en avril 2000, la demanderesse se serait cachée afin de donner naissance à un deuxième enfant.

 

[3]               Selon la demanderesse, l’existence de son deuxième enfant a été découverte lorsqu’elle a amené celui-ci à l’hôpital pour le faire soigner. La demanderesse fait valoir qu’après cette découverte, elle a reçu l’ordre de subir une opération de stérilisation. Cependant, l’opération a été retardée parce que la demanderesse souffrait d’une infection pelvienne chronique. La demanderesse soutient qu’elle a payé l’amende exigée.

 

[4]               La demanderesse ajoute qu’elle a alors déménagé dans la maison d’un parent, où elle est restée pendant quelques années, afin d’éviter les visites subséquentes des agents de planification familiale (APF). La demanderesse fait toutefois valoir que, lorsqu’elle est retournée chez elle en mai 2006, les APF l’ont trouvée et ont exigé d’elle des amendes supplémentaires parce qu’elle avait tenté de les éviter. Selon elle, ils auraient menacé de suspendre son premier enfant de l’école et de ne pas lui permettre d’inscrire son deuxième enfant à l’école.

 

[5]               La demanderesse allègue également qu’en juillet 2006, son médecin lui a dit qu’elle était suffisamment en santé pour subir l’opération de stérilisation; son mari et elle auraient alors commencé à se cacher.

 

[6]               Le 20 août 2006, la demanderesse aurait finalement quitté la Chine avec son fils aîné et serait arrivée au Canada le même jour.

 

II. La décision de la Commission

[7]               La Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse au motif que, compte tenu de l’ensemble des déductions et conclusions défavorables qu’elle avait tirées, l’allégation de la demanderesse selon laquelle les APF la poursuivaient et l’auraient obligée à subir une opération de stérilisation n’était pas crédible. C’est pourquoi la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé, comme elle devait le faire, l’existence d’une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée ou qu’elle soit personnellement exposée à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités ou encore à un risque d’être soumise à la torture aux mains d’une autorité de la République populaire de Chine.

 

[8]               Pour en arriver à ces conclusions et déductions défavorables, la Commission a tenu compte d’un certain nombre de réponses à des demandes d’information (RDI).

 

[9]               La Commission a cité la RDI CHN40685.E lorsqu’elle a souligné qu’une politique souple existait au sujet du deuxième enfant dans le cas des familles rurales et que les familles de deux enfants étaient courantes en milieu rural.

 

[10]           La Commission s’est reportée à la RDI CHN43031.E lorsqu’elle a mentionné que, selon le règlement sur la population et la planification familiale du Fujian, la pénalité exigible à l’égard des enfants non autorisés réside dans des frais d’indemnisation sociale qui augmentent avec chaque enfant non autorisé. De plus, elle a cité la RDI CHN43031.E lorsqu’elle a souligné que l’indemnisation sociale exigée visait à payer les coûts sociaux ultérieurs des avantages que le deuxième enfant recevrait.

 

[11]           La Commission a invoqué la RDI CHN43165.E pour affirmer que la Direction des recherches de la CISR n’a pu trouver d’incidents d’avortement ou de stérilisation forcé à Fuzhou au cours de la période allant de 2002 à 2005.

 

[12]           Enfin, la Commission a reconnu que la documentation sur le pays comportait des messages variés. Cependant, le message prédominant, notamment en ce qui concerne la province de la demanderesse, est le fait que la pénalité la plus probable que celle-ci risquait de se voir imposer à l’égard d’un deuxième enfant résidait dans une amende visant à dédommager le gouvernement des coûts sociaux supplémentaires à payer avant l’inscription de cet enfant dans le hukou de la famille.

 

III. Les questions en litige

[13]           La présente demande soulève deux questions à trancher :

a.       La Commission a-t-elle mal interprété et mal analysé les RDI?

b.      La Commission a-t-elle utilisé cette preuve documentaire d’une façon sélective et ignoré d’autres éléments de preuve qui allaient à l’encontre de ses conclusions?

 

IV. La norme de contrôle

[14]           Aucune des parties n’a présenté d’arguments au sujet de la norme de contrôle, exception faite d’une brève mention, dans les mémoires du défendeur, de la norme auparavant appelée norme de la décision manifestement déraisonnable. Le renvoi à cette norme est compréhensible car, lorsque le défendeur a préparé son mémoire et son mémoire supplémentaire, la Cour suprême du Canada n’avait pas encore rendu sa décision dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[15]           Comme nous le savons maintenant depuis la publication de cet arrêt, la Cour suprême a modifié l’analyse des normes de contrôle, reconnaissant désormais l’existence de deux plutôt que trois normes : la raisonnabilité et la décision correcte. Dans ce jugement, la Cour s’exprime comme suit : « [...] en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 51).

 

[16]           Compte tenu de la nature factuelle de la question en litige et de la compétence spécialisée de la Commission, la Cour est d’avis que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Selon cette norme, l’analyse que la Cour fera de la décision de la Commission aura trait à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

V. Les arguments

[17]           La demanderesse soutient que les RDI CHN40685.E et CHN43031.E ne permettent pas de conclure qu’une politique souple existait à l’égard du deuxième enfant dans certaines parties de la Chine rurale et que la pénalité exigible à l’égard des naissances non autorisées réside dans le paiement d’une amende et non dans la stérilisation.

 

[18]           La demanderesse ajoute que la Commission a mal interprété la RDI CHN43165.E. De l’avis de la demanderesse, même si ce document ne renvoie à aucun incident précis d’avortement forcé dans la région de Fuzhou, il comporte des renseignements donnant à penser que des avortements ou stérélisations de cette nature auraient pu être pratiqués ou ont été pratiqués.

 

[19]           En dernier lieu, la demanderesse fait valoir que la Commission a ignoré des éléments de preuve contradictoires récents.

 

[20]           Pour sa part, le défendeur soutient que les RDI appuient manifestement les conclusions que la Commission a tirées. Il ajoute que la Commission a reconnu que certains éléments de preuve n’appuyaient pas ces conclusions, mais qu’elle a décidé que, selon le message prédominant de la documentation, la demanderesse serait exposée à une amende plutôt qu’à l’avortement ou à la stérilisation par la force dans le Fujian.

 

VI. L’analyse

[21]           La Cour est d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur quant à la façon dont elle a invoqué les RDI CHN40685.E et CHN43031.E dans sa décision. Les extraits choisis des documents ne vont pas à l’encontre de l’interprétation que la Commission en a faite et constituent de simples déclarations générales d’appui de la politique de l’enfant unique dans lesquelles il n’est pas question d’avortement ou de stérilisation par la force. Il appert de la RDI CHN40685.E que la politique de l’enfant unique est souple jusqu’à un certain point; de plus, dans la RDI CHN43031.E, le paiement de frais d’indemnisation sociale est décrit comme la conséquence découlant du fait de donner naissance à un deuxième enfant.

 

[22]           En deuxième lieu, la RDI CHN43165.E a été invoquée au soutien d’un fait très précis, soit le fait que la Direction des recherches de la CISR n’a pu trouver d’incident d’avortement ou de stérilisation par la force à Fuzhou au cours de la période allant de 2002 à 2005. Il n’y a donc pas lieu de tenir compte des renseignements du document donnant à penser qu’un manque de preuve ne signifie pas que les avortements ou stérilisations forcés ne sont pas pratiqués, ni de la mention, dans le document, d’une allégation de cette nature qui n’était pas étayée par des exemples pratiques. C’est un extrait très précis de la RDI CHN43165.E qui a été invoqué dans la décision.

 

[23]           En dernier lieu, la Commission a reconnu que la documentation comportait des renseignements contradictoires, mais a conclu que, selon la prépondérance de ces renseignements, la pénalité à laquelle la demanderesse aurait été exposée après avoir donné naissance à son deuxième enfant aurait été une amende plutôt qu’une stérilisation forcée. En conséquence, la Commission n’a pas ignoré les renseignements contradictoires portés à sa connaissance.

 

[24]           La Commission, qui agissait dans les limites de sa compétence spécialisée, avait le droit d’accepter ou de rejeter la preuve en entier ou de n’en accepter qu’une partie. Le fait qu’elle a invoqué ou interprété la preuve et les RDI d’une façon différente de celle qu’attendait la demanderesse ne signifie pas qu’elle n’a pas examiné l’ensemble des éléments de preuve qu’elle est réputée avoir examinés.

 

[25]           Dans l’ensemble, après avoir examiné la preuve, la décision de la Commission et les arguments des parties, la Cour conclut que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer le caractère déraisonnable de la décision, comme elle devait le faire. Au contraire, la Cour est d’avis que la décision découle d’une analyse rationnelle des faits et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, de sorte qu’elle est raisonnable. Étant donné que la Commission est un tribunal spécialisé, une certaine déférence est de mise à l’égard de sa décision et la demanderesse n’a présenté aucune raison qui justifierait l’intervention de la Cour de manière à y substituer sa propre opinion. En conséquence, la demande sera rejetée.

 

 


JUGEMENT

 

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS PLUS HAUT, LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL. L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4449-07

 

INTITULÉ :                                                   MIN FENG ZHAN et XING YI ZHENG c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 6 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 5 JUIN 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leonard H. Borenstein

 

POUR LES DEMANDEURS

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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