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Date : 20071130

Dossier : T‑854‑07

Référence : 2007 CF 1263

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON

 

 

ENTRE :

HARPREET GREWAL

demandeur

et

 

LE DIRECTEUR DU CENTRE DE TRAITEMENT DES DOUANES,

AU NOM DU SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA ET

DU MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Harpreet Grewal (le demandeur) sollicite, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, le contrôle judiciaire de deux décisions rendues le 12 mars 2007 par le directeur du Centre de traitement des douanes au nom du solliciteur général du Canada, de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (les défendeurs). Les décisions refusaient au demandeur la révision ministérielle de l’annulation de sa participation au programme Expéditions rapides et sécuritaires (EXPRES) et au Programme d’inscription des chauffeurs du secteur commercial (PICSC).

 

LE CONTEXTE

 

(i)        Le programme Expéditions rapides et sécuritaires

 

[2]               Le programme Expéditions rapides et sécuritaires (EXPRES) est une initiative commune du Canada et des États‑Unis faisant intervenir l’ASFC et le Customs and Border Protection (CBP) des États‑Unis. Les expéditions des sociétés approuvées au préalable, qui sont transportées par des transporteurs agréés employant des chauffeurs inscrits, sont dédouanées par les services de douane et d’immigration des deux pays plus rapidement que les autres expéditions. Des files exclusives leur sont souvent offertes aux postes frontaliers. Les participants du programme EXPRES doivent répondre aux conditions établies par l’ASFC et par le CBP.

 

[3]               Le formulaire de demande d’adhésion au programme EXPRES (numéro RC4317(F) Rév. 05) (le formulaire EXPRES) comprend ce qui suit :

Quelles sont les personnes admissibles?

 

Vous pouvez participer au programme si vous êtes un citoyen ou un résident permanent du Canada ou des États‑Unis, êtes âgé de 18 ans et plus et êtes titulaire d’un permis de conduire valide. Vous devez être admissible aux termes des lois applicables du Canada et des États‑Unis en matière d’immigration. Cependant, vous ne pouvez pas participer au programme si :

 

■          vous indiquez des renseignements erronés ou incomplets sur votre demande;

■          vous avez été reconnu coupable d’une infraction au criminel;

■          vous avez enfreint les dispositions législatives en matière de douanes ou d’immigration;

■          vous avez omis de respecter d’autres exigences du Programme EXPRES pour les chauffeurs du secteur commercial.

Votre demande de participation doit être approuvée par les deux pays. Si vous ne répondez pas aux exigences applicables dans les deux pays, votre demande sera refusée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[4]               Les candidats approuvés pour le programme EXPRES reçoivent un document intitulé Guide du participant pour les chauffeurs du secteur commercial, numéro RC4319(F) Rév. 06 (le Guide EXPRES). On peut y lire à la page 3 que les titulaires de la carte doivent notamment se conformer à toutes les lois appliquées par l’ASFC.

 

[5]               Le Guide EXPRES comporte aussi une section intitulée Pénalités. Elle se présente ainsi :

Pénalités

 

Les agents de l’ASFC et du CBP appliquent la loi à la lettre. Chaque fois que vous entrez au Canada ou aux États‑Unis, vous êtes passible de vérifications de conformité et d’application. S’il est déterminé que vous ne respectez pas l’une ou l’autre condition du programme EXPRES ou les lois en vigueur au Canada ou aux États‑Unis, les agents peuvent :

 

■          annuler votre carte de participation au programme EXPRES pour les chauffeurs du secteur commercial. En pareil cas, vous devez attendre 90 jours avant de présenter une nouvelle demande de participation au programme EXPRES pour les chauffeurs du secteur commercial;

■          saisir toute marchandise non déclarée et le véhicule utilisé pour les transporter;

■          imposer des pénalités;

■          entreprendre des procédures administratives;

■          intenter des poursuites au criminel.

[Non souligné dans l’original.]

 

(ii)       Le Programme d’inscription des chauffeurs du secteur commercial

 

[6]               Le Programme d’inscription des chauffeurs du secteur commercial (PICSC) est un programme de l’ASFC conçu pour rationaliser les formalités de dédouanement auxquelles doivent se soumettre les transporteurs de marchandises du secteur commercial qui arrivent au Canada depuis les États‑Unis. L’ASFC dit que le PICSC offre un dédouanement prompt et efficace pour les marchandises à faible risque passant entre les mains d’importateurs, de transporteurs et de chauffeurs du secteur commercial qui sont approuvés au préalable.

 

[7]               Le site Web de l’ASFC concernant le PICSC (le site Web du PICSC) renferme ce qui suit :

Pour être admissibles au PICSC, les demandeurs doivent :

 

●          fournir des renseignements véridiques et exhaustifs dans la demande de participation;

●          être admissibles au Canada en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et ne posséder aucun casier judiciaire pour lequel une réhabilitation n’a pas été octroyée;

●          ne pas avoir enfreint les lois sur les douanes ou l’immigration;

●          être de bonne moralité; l’ASFC doit être convaincue que vous respecterez les obligations du programme.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Responsabilités du chauffeur du PICSC

 

À titre de participant approuvé du PICSC, vous devez :

 

●          Respecter la Loi sur les douanes et son Règlement, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et son Règlement, ainsi que les autres lois appliquées par l’ASFC ou Citoyenneté et Immigration Canada;

[Non souligné dans l’original.]

[…]

 

Y a‑t‑il des pénalités pour les cas d’inobservation?

 

Votre acceptation dans le PICSC est un privilège. L’ASFC reverra votre demande de participation et examinera votre véhicule de temps à autre pour s’assurer que vous respectez les exigences du PICSC, en plus de la législation en matière de douanes et d’immigration. Elle fera respecter la loi de façon rigoureuse.

 

Les pénalités possibles pour les cas d’inobservation comprennent :

 

●          la révocation des privilèges des participants qui ne respectent pas les exigences et les procédures du PICSC;

●          des sanctions pécuniaires pour les transporteurs approuvés du PAD qui ont recours à un chauffeur non inscrit pour le dédouanement prévu par le PAD.

[Non souligné dans l’original.]

 

(iii)      Le Règlement de 2003 sur l’obligation de se présenter à un bureau de douane, DORS/2003‑323 (le Règlement)

 

[8]               Le Règlement a été pris en vertu de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 1 (la Loi). La partie II du Règlement, intitulée Modes substitutifs de présentation, décrit les cas où des autorisations EXPRES et PICSC peuvent être accordées par le ministre. L’alinéa 6.2c) dispose que l’autorisation EXPRES ne peut être accordée à un demandeur qui a fait l’objet d’une mesure de suspension ou d’annulation d’autorisation au cours des 90 jours précédant la date de sa demande.

 

[9]               Le Règlement parle aussi des mesures de suspension ou d’annulation des autorisations. Sur ce point, l’article 22 est ainsi formulé :

 

Motifs

22. (1) Les motifs de suspension ou d’annulation d’une autorisation par le ministre sont les suivants :

a) la personne autorisée ne remplit plus les conditions pour l’obtention de l’autorisation;

b) elle a contrevenu à la Loi, au Tarif des douanes, à la Loi sur les licences d’exportation et d’importation ou à la Loi sur les mesures spéciales d’importation, ou à un règlement pris sous leur régime;

c) elle a fourni des renseignements faux, inexacts ou incomplets en vue d’obtenir une autorisation.

  (2) [Abrogé, DORS/2006‑154, art. 15]

[N’est pas en gras dans l’original.]

 

 

Avis de suspension ou d’annulation

(3) Le ministre transmet sans délai à la personne autorisée dont il suspend ou annule l’autorisation, à sa dernière adresse connue, un avis écrit et motivé l’informant de la suspension ou de l’annulation.

 

Remise de l’autorisation écrite

(4) La personne autorisée dont l’autorisation est suspendue ou annulée :

a) soit, sur réception de l’avis, remet sans délai au ministre, conformément à l’avis, l’autorisation et toute chose s’y rattachant qui est indiquée dans celui‑ci;

b) soit, si elle en est avisée en personne par un agent, remet sans délai à celui‑ci l’autorisation et toute chose s’y rattachant que précise l’agent.

 

Application de la suspension ou de l’annulation

(5) La suspension ou l’annulation de l’autorisation s’applique quinze jours après l’envoi de l’avis ou, s’il est antérieur, le jour où un agent en avise en personne la personne autorisée.

 

Grounds

22. (1) The Minister may suspend or cancel an authorization if the person

(a) no longer meets the requirements for the issuance of the authorization;

(b) has contravened the Act, the Customs Tariff, the Export and Import Permits Act or the Special Import Measures Act, or any regulations made under any of those Acts; or

(c) has provided information that was not true, accurate or complete for the purposes of obtaining an authorization.

  (2) [Repealed, SOR/2006‑154, s. 15]

[my emphasis]

 

Notice of suspension or cancellation

(3) Immediately after cancelling or suspending an authorization of a person, the Minister shall send written notice of, and the reasons for, the cancellation or suspension to the person at their latest known address.

 

 

Return of authorization

(4) A person whose authorization is cancelled or suspended shall

(a) on receiving a notice under subsection (3), immediately and in accordance with it, return to the Minister the written authorization and any other thing relevant to the authorization that is specified in the notice; or

(b) on being advised of the suspension or cancellation in person by an officer, immediately return to the officer the written authorization and any other thing relevant to it that is specified by the officer.

Effective date of suspension or cancellation

(5) The suspension or cancellation of an authorization becomes effective on the earlier of the day on which an officer advises in person of the suspension or cancellation and 15 days after the day on which notice of the suspension or cancellation is sent.

 

 

[10]           Finalement, l’article 23 prévoit la possibilité de faire réviser une décision. Il est ainsi rédigé :

23. La personne dont la demande d’autorisation est refusée ou dont l’autorisation est suspendue ou annulée peut demander la révision de la décision en transmettant un avis écrit au ministre dans les trente jours suivant le jour du refus ou celui où s’applique la suspension ou l’annulation.

23. A person whose application for an authorization is rejected or whose authorization is suspended or cancelled may request a review of the decision by sending written notice of their request to the Minister within 30 days after the day on which the application was rejected or the cancellation or suspension becomes effective.

 

LA SITUATION DU DEMANDEUR

 

[11]           Le demandeur détenait des cartes de membre pour les deux programmes. Elles lui donnaient le droit à des inspections rapides d’un autre type, aux fins des douanes et de l’immigration. Les cartes conféraient des privilèges spéciaux et elles étaient délivrées à la condition notamment que le demandeur se conforme à la Loi.

 

[12]           Le 24 janvier 2007, le demandeur a contrevenu à l’article 12 de la Loi. Après un voyage d’une journée aux États‑Unis, il a négligé de déclarer une bouteille de scotch de 1,14 litre, qu’il avait dissimulée dans son pantalon (l’infraction). L’ironie est que les deux parties admettent que, s’il avait déclaré la bouteille de scotch, aucun droit ou taxe n’aurait été payable.

 

[13]           Après une très vive résistance de la part du demandeur, un agent des douanes a saisi la bouteille et a imposé au demandeur une amende de 1 000 $ en vertu de la Loi (la saisie). L’agent a aussi confisqué la carte EXPRES du demandeur. Il a également remis au demandeur un double du rapport circonstancié qu’il avait rédigé concernant la saisie. À mon avis, le rapport circonstancié tenait lieu des motifs qui expliquaient à la fois l’infraction et la saisie.

 

[14]           Le demandeur avait selon la Loi le droit de faire appel de l’infraction et de la saisie, mais il a décidé de ne pas faire appel et de payer l’amende.

 

[15]           Par lettres du 30 janvier 2007 envoyées par des agents de sécurité au nom des programmes EXPRES et PICSC, le demandeur fut informé que ses participations aux deux programmes avaient été annulées parce qu’il avait [traduction] « été trouvé coupable d’une infraction à la législation douanière » (les annulations). Il semble, d’après les dossiers informatisés, que les deux cartes ont été annulées le 30 janvier 2007. L’affidavit des défendeurs, établi sous serment par Mary Louise Bozanich le 12 juillet 2007 (l’affidavit des défendeurs), précise que ces annulations étaient [traduction] « automatiques ». Les lettres informaient aussi le demandeur qu’il pouvait obtenir une révision des annulations en écrivant à l’ASFC dans un délai de trente jours.

 

[16]           Le 31 janvier 2007, le demandeur a utilisé sa carte PICSC à Douanes Canada alors qu’il revenait des États‑Unis. Un agent des douanes lui a alors confisqué sa carte PICSC.

 

[17]           Le 7 février, le demandeur a sollicité la révision des deux annulations, en affirmant que l’infraction n’était pas intentionnelle, que sa difficulté à communiquer y était pour quelque chose et que les annulations étaient sans commune mesure avec l’infraction. Le demandeur faisait observer que c’était sa première infraction et que sa participation aux programmes EXPRES et PICSC lui permettait de gagner sa vie comme camionneur et de subvenir aux besoins de sa famille.

 

[18]           Le 6 mars 2007, le comité de révision, composé de six agents des douanes et directeurs des douanes, s’est réuni pour examiner la demande de révision des annulations présentée par le demandeur. Pour l’examen de cette demande, le comité a utilisé un document d’une page intitulé [traduction] « Formulaire de refus pendant EXPRES/PICSC » (le formulaire de refus). Cependant, la section du formulaire de refus qui était pertinente et qui traitait des infractions douanières n’a pas été remplie. Elle se présentait ainsi :

 

[traduction]

INFRACTIONS DOUANIÈRES [encercler et cocher une mention]

Approbation

Rejet

Renvoi au comité de révision

 

Le demandeur n’a pas été l’objet d’une saisie douanière au cours des trois dernières années

 

Le demandeur qui a été l’objet d’une saisie douanière au cours des trois dernières années est admissible si

 

→ l’infraction douanière est un acte de niveau 1 pour lequel la valeur des marchandises de non‑contrebande ne dépasse pas 200 $CAN

 

la quantité d’alcool ne dépasse pas 2 litres de spiritueux, 2 litres de vin; 4 douzaines de bières.

 

→ la quantité de tabac ne dépasse pas 400 cigarettes, 800 grammes de tabac; 800 bâtonnets (ne comprend pas les cigares)

 

Autres :

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           Le document se terminait ainsi :

 

            [traduction]

Rejet

 
COMITÉ RÉGIONAL DE RÉVISION [encercler une mention]

Approbation

 

Renvoi au comité de révision

 

Commentaires

Pourra présenter une nouvelle demande le 24 janvier 2010 (mention manuscrite)

 

Signé par                                                                      Date : 6 mars 2007   (mention manuscrite)

(deux membres du comité de révision ont signé)

 

[20]           Les décisions du comité de révision ont été communiquées à l’avocat du demandeur dans deux lettres datées du 12 mars 2007 (les décisions du comité).

 

[21]           La lettre concernant le programme EXPRES contenait ce qui suit :

[traduction]

Nous avons reçu et examiné votre demande datée du 16 février 2007, présentée au nom de votre client, pour que soit réexaminée sa demande de participation au programme Expéditions rapides et sécuritaires (EXPRES).

 

Nos conclusions sur les circonstances entourant le dossier de votre client ne nous permettent pas à ce stade de revoir cette décision. Vu la nature et la date de la saisie douanière, votre client pourra présenter une nouvelle demande de participation au programme EXPRES le 24 janvier 2010.

(la décision relative au programme EXPRES)

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           La lettre se rapportant au programme PICSC contenait ce qui suit :

[traduction]

Nous avons étudié votre demande du 16 février 2007, présentée au nom de votre client, en vue du réexamen de sa demande de participation au Programme d’inscription des chauffeurs du secteur commercial (PICSC).

 

Vu la nature et la date de la saisie douanière, il nous est impossible à ce stade d’annuler notre décision. Cependant, votre client pourra présenter une nouvelle demande de participation au PICSC après l’expiration d’un délai de 90 jours à compter de la date de notification du présent rejet.

(la décision relative au PICSC)

[Non souligné dans l’original.]

 

La norme de contrôle

 

[23]           Il n’était pas demandé au comité de révision d’examiner si l’infraction avait eu lieu et si la saisie était légale. Il devait plutôt examiner si les annulations étaient, compte tenu des circonstances, la pénalité appropriée.

 

[24]           Les deux parties ont dit que la norme de contrôle devant s’appliquer aux décisions du comité est la décision correcte. Cependant, je n’ai pas été persuadée par leurs arguments, étant donné que le point à décider concernait la pénalité appropriée.

 

[25]           J’examinerai donc les quatre facteurs à prendre en compte dans une analyse pragmatique et fonctionnelle :

 

(i)        L’absence d’une disposition privative

 

[26]           La Loi ne renferme aucune clause privative, et il n’y a aucun droit d’appel à l’encontre d’une décision portant sur la pénalité. Ces constats produisent un résultat neutre. Cependant, les décisions du comité de révision sont susceptibles de contrôle judiciaire. Pour cette raison, ce premier facteur appelle une retenue moindre.

 

(ii)       La spécialisation

 

[27]           Une décision portant sur la pénalité appropriée est tributaire des circonstances de l’affaire considérée. Un comité de révision ne sera probablement pas plus spécialisé que la Cour dans l’évaluation de la gravité d’une infraction. Ce second facteur appelle une retenue moindre.

 

(iii)      L’objet du texte de loi

 

[28]           On peut raisonnablement espérer que la pénalité imposée aura un effet dissuasif, à la fois sur le chauffeur qui est directement concerné, et sur l’ensemble de l’industrie du camionnage. Il faut également tenir compte de l’intérêt des entreprises canadiennes, qui comptent sur des transports efficaces par delà la frontière, ainsi que de l’intérêt du public canadien dans la sécurité nationale, pour savoir s’il est opportun de prononcer la suspension ou l’annulation de cartes EXPRES et PICSC. À mon avis, ce troisième facteur appelle un surcroît de retenue.

 

(iv)       La nature du problème

 

[29]           La pénalité à imposer après qu’une infraction a été commise relève d’un pouvoir discrétionnaire, puisque l’article 22 du Règlement dispose que le ministre a le pouvoir d’annuler ou de suspendre une autorisation (c’est‑à‑dire une carte EXPRES ou une carte PICSC) s’il y a eu infraction à la Loi. À mon avis, ce quatrième facteur milite en faveur d’une certaine retenue.

 

[30]           Pour ces motifs, j’arrive à la conclusion que la norme de contrôle est la décision raisonnable. Autrement dit, les décisions du comité résistent‑elles à un examen assez poussé? Selon moi, la réponse est négative, pour les motifs qui suivent.

 

(i)        Le Règlement a été transgressé

 

[31]           Il ressort clairement du paragraphe 22(1) du Règlement que la décision de suspendre ou annuler une carte EXPRES ou PICSC est d’abord une décision discrétionnaire. Cependant, l’affidavit des défendeurs mentionne ce qui suit, en son paragraphe 8 :

[traduction]

Puisque le demandeur a contrevenu à la Loi, l’ASFC a automatiquement annulé sa participation à tous les modes substitutifs d’inspection, ce qui comprend le programme EXPRES et le PICSC […]

[Non souligné dans l’original et gras ajouté.]

 

 

[32]           Ce passage montre qu’aucun pouvoir discrétionnaire n’a été exercé pour savoir si une annulation ou une suspension était la pénalité appropriée. Il est clair que, selon le Règlement, un demandeur doit pouvoir bénéficier d’abord d’une décision discrétionnaire sur l’opportunité d’annuler ou de suspendre ses privilèges et que, si c’est la suspension qui est retenue, il convient d’en préciser la durée.

 

[33]           En l’espèce, le demandeur a été privé de l’avantage de bénéficier d’abord d’une décision discrétionnaire. Selon moi, l’inobservation des exigences du Règlement fait que les annulations étaient illégales. Le comité de révision n’avait en effet aucune décision à revoir. Il était donc dépourvu de compétence lorsqu’il a rendu ses décisions.

 

(ii)       Les décisions du comité n’étaient pas motivées

 

[34]           On n’a pas dit au demandeur pourquoi le comité de révision lui a refusé des suspensions, et nul ne lui a expliqué pourquoi il lui était interdit de présenter une nouvelle demande de carte EXPRES avant le 24 janvier 2010. Vu que ces décisions touchaient sa capacité de gagner sa vie, la sévérité de la sanction devait lui être expliquée (voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 25).

 

(iii)      Les conditions imposées dans les décisions du comité étaient illégales

 

[35]           L’avocate des défendeurs a confirmé que l’interdiction de trois ans faite au demandeur de présenter une nouvelle demande de carte EXPRES n’avait aucun fondement légal ou réglementaire. Comme je l’ai dit plus haut, l’unique restriction se trouve dans l’alinéa 6.2c) du Règlement. Cet alinéa interdit la présentation de nouvelles demandes d’une carte EXPRES pendant une période de quatre‑vingt‑dix jours. Le Règlement ne renferme non plus aucune disposition faisant obstacle à la présentation d’une nouvelle demande de carte PICSC. Le délai d’interdiction de 90 jours imposé au demandeur pour la présentation d’une nouvelle demande de carte était donc inopportun.

 

[36]           J’ai d’autres réserves concernant la procédure suivie par le comité de révision et concernant la confiscation de la carte EXPRES du demandeur. Je crois qu’elles méritent quelques remarques incidentes.

 

(i)        Les décisions du comité étaient peut‑être déraisonnables

 

[37]           Le formulaire de refus donne à penser que le comité de révision n’a pas considéré que, selon ce formulaire de refus, les demandeurs d’une carte EXPRES ou d’une carte PICSC sont admissibles à ces programmes si la quantité d’alcool saisie au cours des trois années antérieures est inférieure à 2 litres. La raison de cela, c’est que les saisies de si petites quantités ne sont pas jugées importantes (voir le paragraphe 18 ci‑dessus). En l’espèce, la contenance de la bouteille qu’avait le demandeur n’était que de 1,14 litre. Pour cette raison, il se pourrait que l’infraction dont il s’agit ici n’empêchait pas le demandeur de participer au programme EXPRES ou au PICSC.

 

(ii)        Il se pourrait que le pouvoir discrétionnaire n’ait pas été exercé

 

[38]           Les décisions du comité ne résultaient peut‑être pas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. L’utilisation d’un formulaire de refus dont le titre comporte les mots [traduction] « refus pendant » donne à penser que le résultat était prédéterminé. En outre, le formulaire de refus n’était pas rempli, et cela donne également à penser qu’il n’y a pas eu exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

 

            (iii)      La confiscation de la carte EXPRES était injustifiée

 

[39]           L’agent des douanes n’avait pas le pouvoir de confisquer la carte EXPRES à la frontière le 24 janvier 2007, parce que, à cette date, les privilèges EXPRES du demandeur n’avaient pas été annulés. L’alinéa 22(4)b) du Règlement habilite un agent à prendre possession uniquement de cartes annulées ou suspendues, et elles n’avaient pas été annulées le 24 janvier. L’annulation n’a été prononcée que le 30 janvier 2007.

 

L’ORDONNANCE QU’IL CONVIENT DE RENDRE

 

[40]           En principe, lorsqu’il est fait droit à une demande de contrôle judiciaire, l’ordonnance rendue impose le réexamen de la décision contestée. Cependant, la présente affaire pose une difficulté particulière parce que les annulations que le comité de révision a examinées sont illégales. Cela signifie que le comité de révision n’a aucune pénalité à réexaminer.

 

[41]           Pour cette raison, j’ai ordonné que la procédure reprenne depuis le début, avec d’abord un examen discrétionnaire des pénalités prévues par le paragraphe 22(1) du Règlement. Par la suite, si le demandeur souhaite faire réviser ces décisions en application de l’article 23 du Règlement, il lui sera loisible de le faire.

 


JUGEMENT

 

            APRÈS examen des pièces produites et audition des observations des avocats des deux parties, à Toronto, le mardi 28 août 2007;

 

LA COUR ORDONNE, pour les motifs ci‑dessus exposés :

1.                  les décisions du comité de révision, et les annulations, sont annulées;

2.                  le ministre exercera son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 22(1), par l’intermédiaire d’un représentant qui n’a pas déjà été mêlé au dossier du demandeur. Le représentant décidera si la suspension ou l’annulation des cartes EXPRES et PICSC est la réponse adéquate à l’infraction, et il motivera ses décisions;

3.                  les décisions du ministre seront envoyées par poste recommandée à l’avocat du demandeur, au plus tard le vendredi 24 janvier 2008.

4.                  Jusqu’à la communication des décisions mentionnées au point n° 3, les privilèges EXPRES et PICSC du demandeur seront réputés suspendus.

 

Il n’a pas été sollicité de dépens, et il ne sera donc pas adjugé de dépens.

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑854‑07

 

 

INTITULÉ :                                                   HARPREET GREWAL c. LE DIRECTEUR DU CENTRE DE TRAITEMENT DES DOUANES ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 28 AOÛT 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SIMPSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 30 NOVEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manjit Singh Mangat                                         POUR LE DEMANDEUR

 

Maria Vujnovic                                                 POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Manjit Singh Mangat

Avocat                                                             POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                   POUR LES DÉFENDEURS

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

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