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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080529

Dossier : T-1566-07

Référence : 2008 CF 674

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

PFIZER CANADA INC., PFIZER INC.,
PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS et

PFIZER RESEARCH AND DEVELOPMENT COMPANY N.V./S.A.

 

demanderesses

 

et

 

NOVOPHARM LIMITED et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

 

[1]               Les demanderesses (appelées collectivement « Pfizer ») déposent la présente requête en vue de faire annuler l’ordonnance du 18 avril 2008 (l’ordonnance) par laquelle la protonotaire Tabib a fait droit à la requête de Novopharm Limited (Novopharm) visant à faire rejeter en partie la demande de Pfizer en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement sur les AC) au motif que cette demande constitue un abus de procédure par rapport au brevet canadien portant le numéro 2 044 748 (le brevet 748).

 

[2]               Les observations écrites et orales des avocats des demanderesses ainsi que celles des avocats des défendeurs ont été très bien formulées. Pour les motifs exposés ci-après, je me prononce en faveur des défendeurs et je souscris aux conclusions énoncées dans l’ordonnance du 18 avril 2008 de la protonotaire Tabib, à savoir, plus précisément, que la demande de Pfizer concernant le brevet 748 constitue un abus de procédure. Compte tenu des observations écrites très détaillées des défendeurs, j’ai fait mienne une bonne partie de ces dernières dans mes motifs.

 

Le contexte

[3]               Le brevet 748 est inscrit au registre des brevets en rapport avec le médicament VIAGRA, qui contient du citrate de sildénafil comme ingrédient médicinal. Le 6 juillet 2007, Novopharm a signifié à Pfizer Canada Inc. un avis d’allégation (AA) dans lequel elle alléguait que le brevet 748 était invalide pour des motifs comprenant l’absence d’utilité et l’absence de prédiction valable.

 

[4]               Le 24 août 2007, en réponse à l’AA de Novopharm, Pfizer a déposé la présente demande en vertu de l’article 6 du Règlement sur les AC en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à Novopharm un avis de conformité (AC) pour ses comprimés contenant du citrate de sildénafil, et ce, avant l’expiration du brevet 748.

 

[5]               Le brevet 748 a déjà été l’objet d’une instance engagée en vertu du Règlement sur les AC, mais cette affaire mettait en cause un fabricant de médicaments génériques différent, soit Apotex Inc. (voir Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., (2007) 59 C.P.R. (4th) 183, 2007 CF 26 (C.F. 1re inst.) (ci-après appelée Pfizer c. Apotex) décision confirmée par (2007), 60 C.P.R. (4th) 177, 2007 CAF 195 (C.A.F.), autorisation d’interjeter appel rejetée par [2007] C.S.C.R. no 371 (C.S.C.)). En première instance, le juge O’Reilly a rejeté la demande de Pfizer à l’encontre d’Apotex au motif que Pfizer n’avait pas prouvé que l’allégation d’Apotex concernant l’invalidité du brevet 748 pour cause d’absence d’utilité et d’absence de prédiction valable était injustifiée. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale, et l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada a été refusée.

 

[6]               Nul ne  conteste que l’AA de Novopharm contient toutes les allégations d’invalidité concernant le brevet 748 qui figuraient dans l’AA fructueux d’Apotex dans l’affaire Pfizer c. Apotex.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle.

[7]               Le 8 novembre 2007, Novopharm a déposé une requête en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les AC alléguant que la demande que Pfizer avait soumise au ministre en date du 24 août 2007 constituait un abus de procédure dans la mesure où elle se rapportait au brevet 748. Le 18 avril 2008, la protonotaire Tabib a rendu une ordonnance dans laquelle elle a fait droit à la requête de Novopharm en vue de rejeter en partie la demande du 24 août 2007 de Pfizer, au motif que cette demande, dans la mesure où elle se rapportait au brevet 748, constituait un abus de procédure.

 

[8]               La protonotaire Tabib a rejeté les arguments de Pfizer selon lesquels les circonstances de l’instance introduite devant le juge O’Reilly, dans l’affaire Pfizer c. Apotex, étaient à distinguer de celles dont il était question dans la décision que la Cour d’appel fédérale avait rendue dans l’affaire Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, (2007) 59 C.P.R. (4th) 416, 2007 CAF 163 (C.A.F.) [ci-après appelée Sanofi-Aventis c. Novopharm]. Pfizer a tenté d’établir une distinction avec ces circonstances en invoquant deux motifs. Premièrement, que la preuve déposée dans Sanofi-Aventis c. Novopharm avait été rejetée parce que, dans Pfizer c. Apotex, aucune preuve n’avait été déposée et que, de ce fait, la décision du juge O’Reilly reposait uniquement sur le défaut de s’acquitter du fardeau de la preuve. Deuxièmement, que le fait que Pfizer n’avait pas soumis la preuve requise au juge O’Reilly dans l’affaire Pfizer c. Apotex n’était pas un choix délibéré de la part de Pfizer (ce qui a été expressément considéré comme une justification insuffisante dans Sanofi-Aventis c. Novopharm), mais plutôt un défaut de la part de Pfizer de comprendre la nécessité de cette preuve. La protonotaire Tabib a conclu que ces différences minimes n’étaient pas suffisantes pour qu’il soit justifié de ne pas appliquer la doctrine de l’abus de procédure.

 

[9]               La protonotaire Tabib a conclu que la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Sanofi‑Aventis c. Novopharm n’était pas [traduction] « l’exercice isolé d’un pouvoir discrétionnaire limité aux faits particuliers » de cette affaire; il s’agissait plutôt de :

[traduction] […] l’expression d’un vaste principe général selon lequel les innovateurs sont tenus de produire toutes les preuves pertinentes se rapportant à chaque motif d’invalidité qu’invoque un fabricant de médicaments génériques et qu’il ne leur est pas permis de compléter ces preuves, si elles se révèlent insuffisantes, dans le cadre d’un litige ultérieur qu’engage un autre fabricant de médicaments génériques sur la même question.

 

[10]           La protonotaire Tabib a également fait remarquer que, dans Sanofi‑Aventis c. Novopharm, la raison pour laquelle les preuves n’avaient pas été produites et la question de savoir si ce défaut était total ou partiel n’ont pas semblé être importantes aux yeux de la Cour d’appel.

 

[11]           Pour ce qui est de la seconde question que Pfizer a soulevée dans cette instance, la protonotaire Tabib a conclu que même si la décision de la Cour d’appel fédérale dans Pfizer Canada Inc. c. Ministre de la Santé et Ranbaxy Laboratories Limited, 2008 CAF 108, faisait évoluer ou précisait le droit relatif aux exigences en matière de divulgation du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, cette décision ne s’appliquait pas aux questions que le juge O’Reilly avait tranchées et ne changeait pas le droit applicable, tel qu’il l’avait appliqué.

 

Les dispositions législatives applicables

6. (5) Lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter tout ou partie de la demande si, selon le cas :

 

a) les brevets en cause ne sont pas admissibles à l’inscription au registre;

 

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure.

 

6. (5) In a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application in whole or in part

 

(a) in respect of those patents that are not eligible for inclusion on the register; or

 

(b) on the ground that it is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process in respect of one or more patents.

 

La norme de contrôle applicable

[12]           Il n’y a pas lieu de modifier en appel une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire, sauf si :

a)   l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal;

 

b)   l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

Dans de telles circonstances, le juge chargé du contrôle doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire de novo (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 C.F. 425, tel que reformulé dans la décision Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 40, au paragraphe 19). Étant donné que l’ordonnance par laquelle la protonotaire Tabib a rejeté la demande de Pfizer est déterminante en l’espèce, relativement au brevet 748, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire de novo.

 

La question en litige

[13]           La seule question en litige consiste à savoir si la demande que Pfizer a déposée le 24 août 2007 en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Novopharm constitue un abus de procédure relativement au brevet 748.

 

L’analyse

[14]           Il survient un abus de procédure lorsqu’on fait un emploi abusif d’une procédure de la Cour au détriment d’une partie au litige, comme dans le cas où une partie est mise en cause dans un litige inutile et répétitif. La Cour fédérale a appliqué ce principe dans le contexte d’une instance engagée en vertu du Règlement sur les AC (voir Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 85 C.P.R. (3d) 50 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein (plus tard juge à la Cour suprême du Canada)).

 

[15]           Pfizer a déposé l’affidavit de Me Darren Noseworthy. Ce dernier explique pourquoi Pfizer devrait avoir le droit de rouvrir la question de la validité du brevet 748 :

[traduction
3.         Pfizer souscrit à la décision du juge O’Reilly selon laquelle elle n’a pas prouvé que les allégations d’Apotex étaient injustifiées dans la demande relative au brevet 748 d’Apotex, et elle convient que la Cour d’appel a confirmé cette décision. Par la présente demande, Pfizer n’essaie pas de contester cette décision. Pfizer entend toutefois produire dans le cadre de la présente instance des éléments de preuve qu’elle n’a pas déposés dans le cadre de la demande 748 d’Apotex, et elle demande à la Cour de trancher la demande déposée à l’encontre de Novopharm en se fondant sur le dossier de la présente affaire, y compris les nouveaux éléments de preuve de Pfizer […].

 

4.         Dans la demande 748 d’Apotex, Pfizer n’a pas déposé d’éléments de preuve concernant les essais qu’elle avait menés à l’interne sur le sildénafil avant le 17 juin 1991. Pfizer n’a pas jugé que ces éléments étaient nécessaires pour répondre à l’allégation d’Apotex, comme en a décidé le juge O’Reilly. En fait, nous aurions pu déposer des éléments de preuve concernant les essais faits à l’interne par Pfizer sur l’activité et de la sélectivité du sildénafil si nous avions pensé qu’il était nécessaire de le faire.

 

 

[16]           Il est bien clair en droit, ainsi qu’il a été établi dans la décision Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2001 CFPI 16 (C.F. 1re inst.), que les parties qui ont déjà plaidé et perdu un procès ne devraient pas être autorisées à introduire un nouveau procès sur la même question parce qu’elles ont obtenu de nouveaux éléments de preuve :

[16]      Dans l'affaire Hofffman-LaRoche, précitée, les facteurs qui ont conduit le juge Rothstein à conclure qu'il y avait un abus de procédure sont analogues aux faits qui ont été portés à ma connaissance en l'espèce. Les demanderesses et les brevets sont les mêmes dans les deux instances, les avis d'allégation sont pratiquement identiques et les questions en litige ont été débattues et tranchées dans le cadre de la première instance. Les plaideurs qui ont déjà plaidé et perdu un procès ne devraient pas être autorisés à introduire un nouveau procès sur la même question parce qu'ils ont obtenu de nouveaux éléments de preuve. Il s'agit là, à mon sens, d'un abus de procédure.

 

 

[17]           La Cour d’appel fédérale a appliqué ce principe dans l’arrêt Sanofi-Aventis c. Novopharm, aux paragraphes 47 et 50, où les circonstances étaient quasi identiques à celles de la présente instance :

[47]      Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve additionnels que Sanofi‑Aventis et Schering ont produits en l’espèce ne changent pas le fait que, dans les circonstances, elles ne peuvent pas tenter de débattre à nouveau une demande qu’elles ont déjà présentée. Dans l’instance antérieure, elles étaient tenues de présenter leurs meilleurs arguments. Dans la nouvelle instance, elles n’ont droit à aucune mesure corrective pour avoir omis de le faire. La doctrine de l’abus de procédure exige de l’innovateur qu’il produise la totalité des éléments de preuve qu’il détient sur chaque motif d’invalidité invoqué. Il ne faudrait pas qu’il puisse retenir des éléments de preuve et, ensuite, s’en servir comme motif pour permettre le dépôt d’une seconde demande. Même si dans la décision Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2001 CFPI 16, au paragraphe 16 (C.F. 1re inst.), les deux affaires mettaient en cause les mêmes parties, il n’empêche que la citation de la juge Hansen est pertinente […].

 

[…]

 

[50]      […] Toutes les parties sont tenues de respecter la même norme : chacune est tenue de présenter tous ses arguments, ainsi que tous les éléments de preuve pertinents, en première instance. Cela empêche l’innovateur de débattre à nouveau une question déjà tranchée dans une instance à laquelle il était partie, en s’appuyant sur des éléments de preuve additionnels qu’il avait décidé de ne pas produire à l’instance antérieure. […]

 

 

[18]           La décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Sanofi‑Aventis c. Novopharm a été suivie par la suite par le juge Harrington, dans le cadre de la décision Sanofi-Aventis c. Laboratoire Riva Inc. (2007), 58 C.P.R. (4th) 109 (C.F. 1re inst.) [ci-après appelée Sanofi-Aventis c. Riva] :

[12]      Cependant, après que j’ai pris ces affaires en délibéré, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans l’arrêt Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163 [Novopharm]. Le juge Sexton a conclu que lorsqu’un titulaire de brevet remet en cause une allégation d’invalidité à l’encontre d’un génériqueur, s’il a été statué dans une instance antérieure à l’encontre d’un génériqueur différent que l’allégation était bien fondée, il s’agissait d’un abus de procédure aux termes du Règlement MB (AC). La juge Sharlow partage cette opinion mais le juge Nadon est dissident. Le brevet en question était identique à celui qui fait l’objet de la présente affaire – le brevet 206.

 

[13]      Je suis lié par cette décision et à la lumière de celle-ci, j’accueillerai la requête de Riva et je rejetterai les demandes de Sanofi-Aventis sans rendre d’ordonnances d’interdiction.

 

[…]

 

[75]      Bien qu’il aurait été préférable d’avoir été saisi formellement de l’AC d’Apotex, je suis d’avis qu’il s’agit d’un élément trop technique. La comparaison entre l’AC de Riva et les parties de l’AC d’Apotex portant sur l’absence de prédiction valable que la juge Mactavish a considérées comme pertinentes, ne démontre aucune différence importante entre eux. Concernant la revendication 12, les deux sociétés font valoir qu’outre Ramipril, les sept autres composés n’ont pas le niveau requis d’activité pour inhiber l’ECA ni les propriétés pharmacologiques et toxicologiques jugées utiles et ne sont pas adaptés au traitement de l’hypertension artérielle. Par conséquent, les renseignements contenus sont suffisants pour me permettre de conclure que la même question est débattue.

 

[76]      Je ne retiens pas le facteur temps. La principale différence entre l’instance de Novopharm et celle de Riva est que la décision de la juge Mactavish avait déjà été rendue lorsque Sanofi-Aventis a déposé sa demande contre Novopharm. Les procédures contre Riva étaient déjà bien avancées lorsque le jugement a été rendu. Selon ma compréhension, lorsqu’une allégation spécifique d’invalidité de brevet a finalement été jugée bien fondée dans le contexte d’un AC, aussi longtemps que la même allégation et le même brevet sont en cause dans une autre instance relative aux AC, rien ne bouge. Les déclarations des experts dans leurs affidavits ou ce qu’ils auraient pu admettre aux contre-interrogatoires importent peu. L’intégrité du processus judiciaire prévaut.

 

[…]

 

[82]      Je ne suis pas convaincu que l’on puisse prétendre que la situation est injuste, malgré qu’il a été interdit au ministre de délivrer à Pharmascience un AC, mais qu’il ne lui a pas été interdit d’en délivrer à Apotex et à Riva (sous réserve du droit d’appel de Sanofi-Aventis). Il est probable que de nouveaux génériqueurs, sur ses traces, auront simplement à faire valoir qu’ils ne contreferont pas le brevet 206, parce qu’il a déjà été statué, dans le contexte de l’AC, que les allégations d’invalidité qui s’appuient sur l’absence de prédiction valable étaient fondées. Comme le juge Sexton l’a indiqué, pour Sanofi-Aventis, la réparation qui s’impose serait une action in rem en contrefaçon des brevets. [Souligné dans l’original.]

 

 

[19]           Contrairement aux arguments qu’invoque Pfizer, je ne crois pas que l’on puisse distinguer la présente espèce des affaires Sanofi-Aventis c. Novopharm ou Sanofi-Aventis c. Riva. Eu égard à la jurisprudence mentionnée précédemment et aux faits qui me sont soumis, je suis persuadé que la demande de Pfizer au sujet du brevet 748 constitue un abus de procédure et que, dans ce contexte, la protonotaire Tabib a eu raison de tirer la conclusion qu’elle a formulée dans l’ordonnance du 18 août 2008. Pour ce qui est de la jurisprudence mentionnée plus tôt, je signale toutefois que les éléments de preuve que Pfizer n’a pas présentés dans l’instance antérieure, et sur lesquels elle souhaite se fonder au sujet du brevet 748, ne sont pas nouveaux. En fait, Pfizer reconnaît que les éléments de preuve en litige étaient disponibles à l’époque où l’affaire Pfizer c. Apotex a été instruite mais qu’elle ne les a pas déposés parce qu’elle [traduction] « n’a pas jugé que ces éléments de preuve étaient nécessaires pour répondre à l’allégation d’Apotex » et que Pfizer « [aurait] pu déposer des éléments de preuve concernant les essais faits à l’interne par Pfizer au sujet de l’activité et de la sélectivité du sildénafil si [elle avait eu] le sentiment que cela était nécessaire ».

 

[20]           Pfizer souhaite distinguer la présente affaire en faisant valoir que, dans Sanofi‑Aventis c. Novopharm, [traduction] « Sanofi était au courant de la raison pour laquelle Apotex alléguait l’invalidité du […] brevet », tandis qu’en l’espèce [traduction] « Pfizer n’a tout simplement pas jugé que ces éléments de preuve étaient nécessaires pour répondre à l’allégation d’Apotex ».

 

[21]           Cependant, dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63, au paragraphe 51 (ci-après appelé S.C.F.P.), la juge Arbour a souligné que l’élément central qui sous-tend la doctrine de l’abus de procédure est la préservation de l’intégrité du processus décisionnel judiciaire et non pas les motivations des parties.

 

[22]           La protonotaire Tabib a donc eu raison de conclure que, dans Sanofi‑Aventis c. Novopharm, [traduction] « [n]i les motifs pour lesquels l’innovateur a omis de fournir les éléments de preuve dans l’instance antérieure, ni la question de savoir si son omission initiale était totale ou partielle ont semblé avoir de l’importance dans le raisonnement qu’a adopté la Cour d’appel ». Peu importe l’explication qu’offre Pfizer, il incombait à cette dernière de présenter ses arguments les meilleurs dans Pfizer c. Apotex. Comme elle ne l’a pas fait, Pfizer n’a droit à aucun redressement dans le cadre de la présente demande.

 

[23]           Pfizer signale par ailleurs qu’elle souscrit à la décision qu’a rendue le juge O’Reilly dans Pfizer c. Apotex et prétend qu’elle n’essaie pas de contester cette décision. Cependant, son argument selon lequel elle n’a pas jugé que les éléments de preuve en litige étaient nécessaires pour répondre à l’allégation d’Apotex est assimilable à un argument selon lequel l’AA d’Apotex était insuffisant pour prévenir Pfizer qu’elle allait mettre en doute le fait de savoir si Pfizer avait exécuté les essais nécessaires pour démontrer l’utilité de l’invention. L’AA d’Apotex contenait les allégations suivantes :

[traduction] Fait assez surprenant, aucun des présumés essais n’indique qu’un composé particulier a été mis à l’essai, pas plus que la présumée identité des « deux PDE réagissant à la GMP cyclique » et les valeurs CI50 « censément déterminées » fournies dans la divulgation du brevet 748 […].

Apotex allègue de plus qu’en date du 6 juin 1990, les présumés inventeurs n’avaient pas démontré la sélectivité des présumés « composés de l’invention », dont le sildénafil, en vue de l’inhibition de PDE réagissant à la GMP cyclique plutôt que de PDE réagissant à l’AMP cyclique.

 

 

[24]           Je signale que dans Pfizer c. Apotex, Pfizer a fait valoir qu’il lui incombait de répondre à  l’AA d’Apotex en prouvant que le sildénafil était utile en tant qu’inhibiteur actif et sélectif de PDE réagissant à la GMP cyclique. C’est ce qui ressort clairement des motifs du juge O’Reilly, au paragraphe 42 :

[42]      Une bonne part de l’argumentation d’Apotex porte sur l’absence d’une utilité attestée ou d’une prédiction valable quant à l’utilisation des composés dans le traitement des pathologies désignées dans le brevet. Cependant, je suis d’accord avec Pfizer que, du moins pour sa revendication 6 (une revendication applicable au seul composé qu’est le sildénafil), il suffit à Pfizer de prouver que le sildénafil avait une propriété utile (c’est‑à‑dire qu’il était un inhibiteur actif et sélectif de PDE réagissant à la GMP cyclique) pouvant le rendre apte à une utilisation dans le traitement de certaines maladies ou pathologies, ou à une utilisation en laboratoire. Pfizer montrerait par là que son produit répondait à la définition d’une « invention », énoncée dans la Loi. Je suis persuadé, au vu de la preuve, que, à la date de priorité du brevet, on croyait que des inhibiteurs de PDE pourraient être utiles dans le traitement de certaines pathologies. Les savants étaient en quête de composés qui fussent des inhibiteurs plus actifs et plus sélectifs de PDE réagissant à la GMP cyclique que ceux qui existaient alors. Par conséquent, pour la revendication 6, il suffit à Pfizer d’établir qu’il avait été démontré ou que l’on avait valablement prédit que le sildénafil était utile du seul fait de sa capacité à agir comme inhibiteur actif et sélectif de PDE réagissant à la GMP cyclique. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[25]           En appel de la décision du juge O’Reilly, Pfizer a fait valoir que dans l’AA d’Apotex, la question de l’utilité n’avait pas été soulevée. Il s’agit là d’un argument que la Cour d’appel fédérale a rejeté, au paragraphe 2 de sa décision dans Pfizer c. Apotex, précitée :

[2]        Il faut d’abord se demander si le juge a mal interprété l’avis d’allégation, le menant à tirer une conclusion relative à la question de l’utilité de la revendication 6 du brevet 748, laquelle n’était pas soulevée dans l’avis en question. Nous ne sommes pas convaincus que le juge a commis une erreur dans son interprétation de l’avis d’allégation. Selon nous, dans l’avis d’allégation, on alléguait effectivement, citant les propos du juge au paragraphe 65 de l’énoncé de ses motifs, qu’il n’avait pas « été démontré, ou prédit valablement, que les composés du brevet 748 », le sildénafil en particulier, « étaient des inhibiteurs actifs et sélectifs de PDE réagissant à la GMP cyclique ».

 

 

[26]           C’est donc dire que l’argument qu’invoque Pfizer dans la présente demande, à savoir qu’elle ne s’était pas rendue compte que les éléments de preuve étaient nécessaires pour répondre à l’allégation d’Apotex, peut simplement être considéré comme une attaque indirecte, à peine voilée, contre la décision par laquelle la Cour d’appel fédérale a conclu que l’AA d’Apotex alléguait bel et bien qu’il n’avait pas été démontré que les composés avaient l’utilité décrite.

 

[27]           Un argument très semblable a été invoqué dans l’affaire Sanofi-Aventis c. Novopharm à propos du médicament appelé ramipril, mais la Cour d’appel fédérale l’a rejeté :

[44]      […] Sanofi‑Aventis et Schering disent que, dans l’instance antérieure, elles n’ont pas été avisées qu’Apotex contesterait la prévisibilité de la chiralité des carbones en tête de pont figurant dans les composés visés par le brevet 206, un point qui est devenu un facteur crucial dans la conclusion de la juge Mactavish selon laquelle les composés révélés dans le brevet 206 ne faisaient pas l’objet d’une prédiction valable. Il serait donc injuste, disent‑elles, de les empêcher de fournir des éléments de preuve additionnels sur ce point dans la présente instance. À leur avis, les éléments de preuve additionnels qui sont présentés en l’espèce établissent que la chiralité des carbones en tête de pont a été prédite valablement et que, de ce fait, le brevet n’est pas invalide pour cause d’absence de prédiction valable.

 

[45]      Cet argument constitue en soi une attaque indirecte contre la décision de la juge Mactavish. Dans Apotex, les parties ont débattu pleinement de la question de savoir si l’avis d’allégation d’Apotex était suffisant au sujet de la question de la prédiction valable. La juge Mactavish a conclu que oui, et elle a ensuite tranché l’affaire en se fondant sur les allégations formulées dans l’avis d’allégation. En appel devant la présente Cour, Sanofi‑Aventis et Schering ont tenté de contesté la conclusion de la juge Mactavish quant au caractère suffisant de l’avis d’allégation d’Apotex, et leur argumentation a été rejetée. […]

 

 

[28]           Dans les circonstances actuelles, on ne peut permettre à Pfizer de se lancer dans une attaque indirecte contre la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle l’AA d’Apotex était suffisant en disant de la question en litige qu’il s’agit d’une omission de bien comprendre les éléments de preuve qui étaient nécessaires pour répondre à l’AA.

 

[29]           Pfizer soutient de plus que [traduction] « les circonstances de l’espèce ne mettent pas en jeu les considérations de politique qui sous-tendent la doctrine de l’abus de procédure », ainsi que l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt S.C.F.P., précité. Pfizer ajoute que si l’on permet de procéder à la demande relative au brevet 748, cela donnera lieu à un résultat plus exact, cela ne minera pas le système judiciaire, cela ne gaspillera pas les ressources judiciaires, il ne s’agit pas d’une remise en cause de l’affaire Pfizer c. Apotex, et son rejet lui causera une injustice.

 

[30]           Les arguments de Pfizer omettent de reconnaître que la totalité des facteurs discrétionnaires qui, dit-elle maintenant, sont pertinents en rapport avec la présente affaire s’appliquaient aussi à Sanofi-Aventis c. Novopharm. Après avoir examiné en détail les facteurs discrétionnaires énumérés dans l’arrêt S.C.F.P., la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Sanofi‑Aventis c. Novopharm, a exercé son pouvoir discrétionnaire pour considérer la demande comme un abus de procédure et la rejeter.

 

[31]           À l’appui de son observation selon laquelle la possibilité qu’une décision incohérente ne mène pas à une conclusion d’abus lorsque le second résultat sera [traduction] « plus exact », Pfizer fait valoir que :

[traduction] La possibilité que deux tribunaux arrivent à des décisions différentes au sujet de questions semblables n’est pas un abus de procédure. La possibilité d’incohérence ne constitue plutôt un abus que dans les cas où il n’y a aucun motif convaincant de croire que le second résultat sera plus exact que le premier, ou dans les rares circonstances où le simple réexamen d’une question est susceptible de miner l’intégrité du système judiciaire. Quand, comme c’est le cas en l’espèce, ni l’une ni l’autre de ces circonstances n’existent, la possibilité d’obtenir des résultats différents ne mène pas à une conclusion d’abus.

 

 

[32]           Dans l’arrêt Sanofi-Aventis c. Novopharm, la Cour d’appel fédérale a examiné en détail la question des décisions incohérentes. Dans cette affaire, Sanofi-Aventis a invoqué le même argument que Pfizer en l’espèce, à savoir que les éléments de preuve qu’elle a omis de produire dans l’instance antérieure mèneraient à un résultat plus exact :

[44]      […] Dans sa plaidoirie, l’avocat de Schering a souligné que la demande de Sanofi‑Aventis ne constituait pas un abus de procédure car, dans la présente instance, Sanofi‑Aventis et Schering ont produit des éléments de preuve qui n’avaient pas été soumis à la juge Mactavish dans Apotex et qui amèneraient un juge des faits à tirer la conclusion contraire à propos de question de la prédiction valable. […] À leur avis, les éléments de preuve additionnels qui sont présentés en l’espèce établissent que la chiralité des carbones en tête de pont a été prédite valablement et que, de ce fait, le brevet n’est pas invalide pour cause d’absence de prédiction valable.

 

 

[33]           Cependant, le fait que l’on ait suggéré dans l’affaire Sanofi-Aventis c. Novopharm qu’il était possible d’obtenir un résultat plus exact n’a pas empêché que la demande soit rejetée en fonction des facteurs pertinents énoncés dans l’arrêt S.C.F.P. :

[36]      […] Permettre à Sanofi‑Aventis de poursuivre sa demande suscitera le risque que l’on rende des décisions judiciaires contradictoires : un juge conclura que les inventeurs du brevet 206 n’avaient pas de fondement valable pour prédire l’utilité de leur invention, et un autre conclura qu’il y avait une prédiction valable. C’est ainsi qu’un fabricant de médicaments générique recevrait un avis de conformité à cause d’une invalidité fondée sur une absence de prédiction valable, tandis qu’un autre se verrait refuser cet avis même si son avis d’allégation faisait état de la même allégation. Comme l’a déclaré la juge Arbour, le fait de permettre ce type de contradiction mettrait en péril la crédibilité du processus décisionnel judiciaire. […]

 

[49]      Sanofi‑Aventis et Schering soulignent aussi que les instances engagées en vertu du Règlement sont de nature préliminaire et assorties de mesures de protection procédurales limitées. Bien que cet argument suffise pour établir que les décisions prises dans le contexte du Règlement ne devraient pas lier les juges chargés de statuer sur une action en contrefaçon de brevet ou une déclaration d’invalidité de brevet, il n’en demeure pas moins qu’il n’est généralement pas permis à une première personne de débattre à nouveau une question qui a déjà été tranchée en sa défaveur dans le contexte du Règlement. Comme je l’ai déjà dit, la possibilité que des juges différents saisis d’instances équivalentes portant sur une même question arrivent à des résultats différents menace l’intégrité du processus décisionnel judiciaire. Il s’agit là d’une réalité que la nature de l’instance ne change pas.

 

 

[34]           Par ailleurs, contrairement aux allégations de Pfizer, les éléments de preuve nouvellement produits sur lesquels Pfizer souhaite se fonder ne mèneront pas forcément à un résultat différent, encore moins à un résultat plus exact. L’exactitude du résultat doit être examinée dans le contexte de la question à trancher. Les instances engagées en vertu du Règlement sur les AC ne déterminent pas la validité d’un brevet; elles permettent plutôt de décider seulement si les allégations de la seconde personne sont justifiées en vue d’accorder l’autorisation réglementaire de lancer un médicament sur le marché. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sanofi-Aventis c. Novopharm, précité, au paragraphe 36 :

[36]      […] rien ne permet de croire qu’une seconde instance présentée en vertu de l’article 6 du Règlement mènera à un résultat plus exact que la première. Ce scénario contraste avec une action en déclaration d’invalidité d’un brevet dans laquelle, étant donné que les parties ont l’avantage d’un examen au fond de la question et de l’ensemble des protections procédurales connexes, il serait possible d’arriver à un résultat plus exact. C’est pour cela que les tribunaux ont énoncé à maintes reprises le principe selon lequel les décisions rendues en vertu du Règlement n’ont pas force exécutoire pour les actions en contrefaçon de brevet ou pour déclarer qu’un brevet est invalide [citations omises].

 

 

[35]           En bref, étant donné que les instances engagées en vertu du Règlement sur les AC ne donnent pas lieu à une décision exécutoire quant à la validité ou à l’invalidité du brevet, on ne peut pas dire a priori qu’un résultat est plus exact ou non avant que l’on ait tranché la question de la validité dans le cadre d’un procès.

 

[36]           À l’appui de son argument selon lequel la demande, en rapport avec le brevet 748, ne constitue pas un abus de procédure Pfizer fait également valoir que [traduction] « rien dans la présente affaire ne peut susciter l’indignation » car [traduction] « l’observateur raisonnable reconnaîtrait la preuve non contredite de Pfizer selon laquelle elle ne s’est pas rendue compte que des preuves d’essai étaient nécessaires dans le dossier contre Apotex ».

 

[37]           À mon avis, on ne peut pas soutenir avec raison que la présente espèce se distingue de l’affaire Sanofi-Aventis c. Novopharm en se fondant sur la mesure dans laquelle elle pourrait susciter l’indignation ou non. Une absence suggérée d’indignation ne peut pas dicter l’issue de la présente affaire plus qu’elle ne l’a fait dans l’affaire Sanofi-Aventis c. Novopharm. Par ailleurs, Pfizer n’a présenté aucune jurisprudence à l’appui de la thèse que l’abus de procédure ne s’applique que dans les cas d’« indignation » et que son absence n’est pas un facteur déterminant.

 

[38]           Quoi qu’il en soit, à mon avis, l’observateur raisonnable ne comprendrait pas pourquoi on autoriserait Pfizer à procéder à une instance par ailleurs abusive juste à cause de l’omission alléguée et subjective de s’être rendue compte de la portée de l’AA d’Apotex, alors que la Cour d’appel fédérale a conclu que le même AA était suffisant pour aviser Pfizer des arguments auxquels elle était tenue de répondre.

 

[39]           Pfizer fait valoir aussi que si on laisse la présente demande suivre son cours, cela ne gaspillera pas les ressources judiciaires. En particulier, elle soutient que [traduction] « [i]l ne peut pas y avoir de gaspillage des ressources judiciaires si l’on permet à la Cour d’évaluer, pour la première fois, les arguments de Pfizer quant à l’utilité du sildénafil » qui ont été antérieurement [traduction] « tranchés par l’absence d’une preuve quelconque ».

 

[40]           Il ressort clairement de la loi que les parties qui ont déjà plaidé une affaire mais n’ont pas eu gain de cause ne sont pas autorisées à reprendre le processus parce qu’elles ont en main des éléments de preuve qu’elles ont antérieurement omis de produire par négligence, par inadvertance, voire par accident. Je suis de plus d’avis que l’on gaspillerait les ressources judiciaires si l’on permettait à Pfizer de rouvrir la présente affaire dans le cadre d’une demande distincte en vertu du Règlement sur les AC en vue d’obtenir une conclusion non exécutoire de validité de brevet.

 

[41]           Pfizer soutient par ailleurs qu’étant donné qu’elle ne s’est pas rendue compte des éléments de preuve qu’elle était tenue de produire dans l’affaire Pfizer c. Apotex, les questions en litige n’ont pas été pleinement débattues dans cette affaire. C’est là un argument que la Cour d’appel fédérale n’a pas retenu dans l’arrêt Sanofi-Aventis c. Novopharm, et que la protonotaire Tabib a rejeté avec raison dans la décision qui fait l’objet du présent appel. En particulier, la protonotaire Tabib a conclu avec raison que l’application des principes énoncés dans l’arrêt Sanofi-Aventis c. Novopharm n’était pas touchée par le fait de savoir si la question de la validité avait été plaidée entièrement ou partiellement dans le cadre de l’instance antérieure.

 

[42]           Pfizer a tenté par ailleurs de distinguer la présente instance de l’affaire Sanofi‑Aventis c. Novopharm en faisant valoir :

[traduction] Dans Sanofi-Aventis, la Cour d’appel n’a pas laissé entendre que dans les instances engagées en vertu du Règlement un breveté doit « présenter ses meilleurs arguments » quant à la validité d’un brevet en général. Vu la nature sommaire de l’instance, le breveté doit plutôt mettre de l’avant la totalité des éléments de preuve dont il dispose à l’égard des allégations, tels qu’il les conçoit.

 

Cette affirmation ne trouve aucun appui dans Sanofi-Aventis c. Novopharm. L’obligation de présenter ses meilleurs arguments ne comporte aucune réserve :

[47]      Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve additionnels que Sanofi‑Aventis et Schering ont produits en l’espèce ne changent pas le fait que, dans les circonstances, elles ne peuvent pas tenter de débattre à nouveau une demande qu’elles ont déjà présentée. Dans l’instance antérieure, elles étaient tenues de présenter leurs meilleurs arguments. Dans la nouvelle instance, elles n’ont droit à aucune mesure corrective pour avoir omis de le faire. La doctrine de l’abus de procédure exige de l’innovateur qu’il produise la totalité des éléments de preuve qu’il détient sur chaque motif d’invalidité invoqué. Il ne faudrait pas qu’il puisse retenir des éléments de preuve et, ensuite, s’en servir comme motif pour permettre le dépôt d’une seconde demande. […]

 

 

[43]           Selon mon interprétation de l’arrêt Sanofi-Aventis c. Novopharm, la Cour d’appel fédérale ne sous-entend aucunement qu’une partie peut excuser le fait d’avoir omis de produire des éléments de preuve en invoquant un manque subjectif de compréhension des allégations d’invalidité.

 

[44]           Enfin, Pfizer soutient :

[traduction] Il est tout simplement injuste de refuser à Pfizer de produire en l’espèce ses éléments de preuve concernant des essais internes […]. Dire que Pfizer peut encore poursuivre Novopharm pour contrefaçon de brevet n’est pas une réponse […] Par contraste, il n’y a rien d’injuste pour Novopharm de permettre que la présente demande suive son cours.

 

 

[45]           Dans Sanofi-Aventis c. Novopharm, la Cour d’appel fédérale a examiné et rejeté un tel argument :

[40]      Bien qu’il soit important dans chaque affaire de s’assurer que l’application de la doctrine de l’abus de procédure n’est pas source d’inéquité dans les circonstances, à mon avis ce ne serait pas le cas en l’espèce. Les demandes d’interdiction déposées en vertu du Règlement n’empêchent pas les brevetés de faire respecter leurs droits de brevet en engageant une action en contrefaçon de brevet conformément à la Loi sur les brevets. En outre, les conclusions que l’on tire de toute demande d’interdiction de ce genre n’ont aucune incidence sur les actions en violation de brevet.

[...]

 

[50]      […] [I]l n’y aucune inéquité dans ce scénario. Toutes les parties sont tenues de respecter la même norme : chacune est tenue de présenter tous ses arguments, ainsi que tous les éléments de preuve pertinents, en première instance. Cela empêche l’innovateur de débattre à nouveau une question déjà tranchée dans une instance à laquelle il était partie, en s’appuyant sur des éléments de preuve additionnels qu’il avait décidé de ne pas produire à l’instance antérieure. De la même façon, les fabricants de médicaments génériques doivent faire valoir à la première occasion la totalité de leurs arguments. Les avis d’allégations multiples délivrés par le même fabricant en rapport avec un médicament particulier et alléguant l’invalidité d’un brevet particulier sont généralement interdits, même si l’on invoque des motifs d’invalidité différents dans chaque cas. Cependant, dans le cas où un fabricant particulier a formulé une allégation mais a omis de présenter les arguments requis pour montrer que l’allégation en question était justifiée, il serait injuste d’empêcher un fabricant ultérieur, disposant de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable, de l’introduire. Cette situation peut donner lieu à un résultat contradictoire, mais cette préoccupation cède le pas au risque de faire preuve d’inéquité à l’endroit du fabricant à qui l’on interdit de faire valoir ses arguments juste parce que la démarche d’un autre fabricant était inadéquate. Il est nécessaire dans chaque cas de mettre en équilibre l’effet d’une instance sur l’administration de la justice et l’inéquité que l’on cause à une partie en l’empêchant de faire valoir ses arguments.

 

 

[46]           Je ne suis pas convaincu que les circonstances de l’espèce sont telles qu’il serait justifié de conclure qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la doctrine de l’abus de procédure. Dans l’arrêt S.C.F.P., précité, aux paragraphes 52 et 53, la Cour suprême du Canada a énoncé les circonstances dans lesquelles un tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour ne pas rejeter les instances en double pour cause d’abus de procédure :

[52]      La révision de jugements par la voie normale de l’appel, en revanche, accroît la confiance dans le résultat final et confirme l’autorité du processus ainsi que l’irrévocabilité de son résultat. D’un point de vue systémique, il est donc évident que la remise en cause s’accompagne de graves effets préjudiciables et qu’il faut s’en garder à moins que des circonstances n’établissent qu’elle est, dans les faits, nécessaire à la crédibilité et à l’efficacité du processus juridictionnel dans son ensemble. Il peut en effet y avoir des cas où la remise en cause pourra servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice, par exemple : (1) lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté, (2) lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial, (3) lorsque l’équité exige que le résultat initial n’ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte. C’est ce que notre Cour a dit sans équivoque dans l’arrêt Danyluk, précité, par. 80.

 

[53]      Les facteurs discrétionnaires qui visent à empêcher que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne produise des effets injustes, jouent également en matière d’abus de procédure pour éviter de pareils résultats indésirables. Il existe de nombreuses circonstances où l’interdiction de la remise en cause, qu’elle découle de l’autorité de la chose jugée ou de la doctrine de l’abus de procédure, serait source d’inéquité. Par exemple, lorsque les enjeux de l’instance initiale ne sont pas assez importants pour susciter une réaction vigoureuse et complète alors que ceux de l’instance subséquente sont considérables, l’équité commande de conclure que l’autorisation de poursuivre la deuxième instance servirait davantage l’administration de la justice que le maintien à tout prix du principe de l’irrévocabilité. Une incitation insuffisante à opposer une défense, la découverte de nouveaux éléments de preuve dans des circonstances appropriées, ou la présence d’irrégularités dans le processus initial, tous ces facteurs peuvent l’emporter sur l’intérêt qu’il y a à maintenir l’irrévocabilité de la décision initiale (Danyluk, précité, par. 51; Franco, précité, par. 55).

 

 

[47]           Aucun des facteurs discrétionnaires mentionnés dans l’arrêt S.C.F.P. ne s’appliquent en l’espèce. Cela ne veut pas dire que l’instance engagée dans Pfizer c. Apotex était entachée de fraude. Les éléments de preuve que Pfizer souhaite maintenant introduire ne sont pas de « nouveaux éléments de preuve, qui n’[ont] pu être présentés auparavant ». Au contraire, comme le confirme Me Noseworthy au paragraphe 4 de son affidavit, Pfizer [traduction] « [aurait] pu déposer des éléments de preuve concernant les essais faits à l’interne par Pfizer à propos de l’activité et de la sélectivité du sildénafil si [elle avait] eu le sentiment que cela était nécessaire ». De plus, il n’existe aucune circonstance qui crée une inéquité quelconque en empêchant de remettre en cause la validité du brevet 748. À cet égard, rien ne donne à penser que les enjeux de Pfizer c. Apotex n’étaient « pas assez importants pour susciter une réaction vigoureuse et complète » ou que Pfizer avait une « incitation insuffisante à opposer une défense » contre les allégations d’invalidité d’Apotex.

 

[48]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la protonotaire Tabib a eu raison de conclure que la demande de Pfizer, relativement au brevet 748, constitue un abus de procédure car il s’agit d’une tentative irrégulière pour remettre en cause la question de la validité du brevet 748, qui a été rejetée dans l’affaire Pfizer c. Apotex.

 


ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE que la requête de Pfizer en vue de faire annuler l’ordonnance datée du 18 avril 2008 de la protonotaire Tabib soit rejetée. Les dépens sont adjugés aux défendeurs sur une base partie-partie.

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

Ottawa (Ontario)

Le 29 mai 2008

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1566-07

 

INTITULÉ :                                      PFIZER CANADA INC., PFIZER INC., PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS et PFIZER RESEARCH AND DEVELOPMENT COMPANY N.V./S.A. c. NOVOPHARM LIMITED et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 mai 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Le juge Teitelbaum

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 mai 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vincent de Grandpré                                      POUR LES DEMANDERESSES

Yael Bienenstock

 

David Aitken                                                  POUR LA DÉFENDERESSE / NOVOPHARM

Geoffrey North                                               LIMITED

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP                                                       POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP                       POUR LA DÉFENDERESSE / NOVOPHARM

Ottawa (Ontario)                                            LIMITED

 

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