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Date : 20080528

Dossier : IMM-4410-07

Référence : 2008 CF 683

Toronto (Ontario), le 28 mai 2008

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

RODRIGUEZ ALONSO, JOSE FLORENTIN

(ALIAS RODRIGUEZ ALONSO, JOSE FLORENTINO)

HERNANDEZ ALONSO, GABRIELA RODRIGUEZ HERNANDEZ,

JOSE FARID RODRIGUEZ HERNANDEZ,

AISLINN GABRIELA (ALIAS RODRIGUEZ HERNANDEZ, AISLINN)

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs, tous citoyens du Mexique, ont allégué craindre avec raison d’être persécutés par les membres du Parti révolutionnaire institutionnel (le P.R.I.). Le demandeur principal (le demandeur) a soutenu avoir travaillé à titre d’attaché de presse pour le P.R.I. dans l’État de Mexico, de juin 2001 à août 2005. Lorsque l’ancien gouverneur de cet État s’est présenté comme candidat du P.R.I. à la présidence du Mexique, le demandeur a accepté de collaborer à sa campagne. Le demandeur aurait apparemment été chargé de préparer les renseignements, les dépliants publicitaires et les affiches à l’appui de la candidature de M. Arturo Montiel Rojas.

 

[2]               M. Rojas a ensuite dû se retirer de la campagne, en raison d’allégations selon lesquelles il avait commis des actes illicites. Des reportages diffusés par les médias mexicains indiquaient que M. Rojas faisait l’objet d’une enquête pour détournement de fonds, blanchiment d’argent et acquisition illicite de très importantes sommes d’argent, ainsi que pour la possession à l’étranger de biens réels de prix. Le demandeur allègue que M. Rojas l’a accusé d’avoir divulgué des renseignements aux médias et qu’il a, par conséquent, commencé à recevoir des menaces. Le demandeur soutient qu’il a été obligé de quitter son emploi et de fuir le Mexique en raison de ces menaces.

 

I. Décision contestée

 

[3]               La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible et elle a rejeté sa demande. Dans ses motifs, la Commission a affirmé qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur avait réellement travaillé à titre d’attaché de presse pour le P.R.I. de 2001 à 2005. La Commission a indiqué qu’elle n’en était pas convaincue en raison de l’incohérence du témoignage du demandeur, de l’absence de preuve corroborante – telle que des relevés d’emploi, des reçus pour le loyer payé, des relevés de compte bancaire ou des factures de services publics –, et du manque de connaissances du demandeur au sujet des communiqués de presse et des dates des dernières élections au Mexique.

 

II. Question en litige

 

[4]               La seule question à trancher est de savoir si la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur ou de la plausibilité de son témoignage.

 

III. Norme de contrôle

 

[5]               Les parties s’entendent sur le fait que les conclusions relatives à la crédibilité doivent être contrôlées suivant la norme de la raisonnabilité. De telles conclusions, comme pour toute conclusion de fait, peuvent seulement être annulées si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont le tribunal disposait (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)). Cette position est conforme à l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada portant sur la norme de contrôle applicable dans un contexte de droit administratif. Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême a conclu que les conclusions de fait devaient être contrôlées suivant la norme de la raisonnabilité. Il s’agit là d’une norme commandant une grande déférence que la Cour suprême a qualifiée de la façon suivante (au paragraphe 47) :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

 

IV. Analyse

 

 

[6]               Le commissaire a essentiellement fourni quatre motifs à l’appui de sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas un témoin crédible : 1) l’incohérence des éléments de preuve présentés par le demandeur pour établir qu’il avait été forcé de donner un « pot-de-vin » à son employeur; 2) le fait que le demandeur ne possédait pas de relevés d’emploi; 3) le manque de connaissances du demandeur quant à la façon dont les communiqués de presse étaient distribués aux médias; et 4) le manque de connaissances du demandeur au sujet du processus électoral de l’État de Mexico. Je vais maintenant me pencher brièvement sur chacune de ces conclusions.

 

[7]               L’exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels du demandeur (le FRP) énonçait que le demandeur avait été payé en espèces pour qu’il n’ait pas à payer d’impôt sur le revenu, et que c’est pour cette raison qu’il n’avait pas de relevés d’emploi. Ces détails au sujet du demandeur n’étaient pas liés aux menaces qu’il aurait reçues du P.R.I., et ils semblent avoir été inclus dans son exposé circonstancié à titre d’explication pour l’absence de preuve confirmant son emploi.

 

[8]               À l’audience, le demandeur a témoigné que la manœuvre du paiement en espèces comprenait aussi un genre de « pot-de-vin » où le demandeur était payé pour ne pas aller travailler et remettait une partie du salaire en surplus à son employeur. Aucun de ces renseignements n’a été mentionné dans l’exposé circonstancié du FRP. Lorsqu’on a porté cette omission à son attention, le demandeur a témoigné que les détails figurant dans l’exposé circonstancié se rapportaient seulement aux menaces qu’il aurait reçues du P.R.I.

 

[9]               La Commission pouvait raisonnablement rejeter l’explication du demandeur, puisqu’il avait commencé l’exposé circonstancié de son FRP en expliquant la nature de son poste au sein du P.R.I. La preuve que le demandeur était réellement un employé du P.R.I. constituait manifestement un fait crucial qui devait être établi dans sa demande, et tous les détails pertinents relativement à la nature de son emploi auraient dû être divulgués dans l’exposé circonstancié de son FRP. En fait, le demandeur a même modifié son FRP initial pour expliquer qu’il avait été payé en espèces et qu’aucun relevé ne lui avait été remis de façon à ce qu’il n’ait pas à déclarer son salaire aux autorités fiscales. Si ces renseignements étaient assez importants pour l’inciter à modifier son FRP, il est difficile de comprendre pourquoi le demandeur n’a pas fourni une explication complète et a passé sous silence la manœuvre du pot-de-vin. Je souligne aussi qu’il ressort de l’examen de la transcription que le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer quels auraient été les avantages pour le P.R.I. de procéder de cette façon. Par conséquent, il était loisible à la Commission de conclure que cette omission était importante et qu’elle nuisait à la crédibilité du demandeur.

 

[10]           Pour ce qui est de l’absence de relevés d’emplois, un examen de la preuve révèle que la Commission a donné de nombreuses possibilités au demandeur de prouver qu’il avait été employé à titre d’attaché de presse au sein du P.R.I. La seule preuve qu’a pu fournir le demandeur en vue de corroborer son récit a été une carte d’identité du P.R.I. Comme la carte n’affichait aucune date de délivrance ou d’échéance et qu’elle ne précisait pas le poste occupé par le demandeur au sein du parti, la Commission a eu raison de douter de son authenticité. Indépendamment du fait que son explication quant à l’absence d’une date sur la carte n’était pas entièrement claire, le demandeur n’a pas été en mesure de fournir d’autres éléments de preuve officiels ou autres relativement à son emploi. L’explication du demandeur quant à savoir pourquoi il ne pouvait obtenir une lettre d’un collègue ou d’un journaliste corroborant son récit était loin d’être convaincante, et il n’a pas prouvé le préjudice que risqueraient de subir ces personnes du simple fait qu’elles auraient confirmé avoir travaillé avec lui. Comme l’a conclu la Cour à plusieurs reprises dans la jurisprudence, l’absence de corroboration documentaire peut être prise en compte lors de l’évaluation de la crédibilité, particulièrement lorsque le demandeur ne fait aucun effort pour obtenir une telle preuve corroborante : Quichindo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 463, 2002 CFPI 350, au paragraphe 28; Bin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1717, 2001 CFPI 1246, au paragraphe 21; Syed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 357, au paragraphe 17.

 

[11]           Le troisième motif qu’a donné la Commission pour mettre en doute la crédibilité du demandeur ne me semble pas raisonnable. Ce motif repose essentiellement sur le fait que le demandeur n’avait pas été en mesure de fournir une liste des contacts dans les médias avec lesquels il communiquait dans le cadre de ses fonctions d’attaché de presse, et que l’envoi de communiqués de presse aux médias par courrier postal ou par téléphone serait inefficace et trop lent. Cependant, cela fait abstraction de l’explication du demandeur selon laquelle les listes d’adresses électroniques, de numéros de téléphone et de contacts étaient conservées au bureau, sans doute sur son ordinateur, et du fait que le terme « courrier postal » est actuellement utilisé en espagnol pour désigner les courriels. Ces explications sont tout à fait raisonnables et plausibles, et le commissaire a commis une erreur en les rejetant. Il est vrai qu’en raison de l’intervention du conseil du demandeur visant à expliquer ce que le terme « courrier postal » désignait selon sa propre expérience, le demandeur s’est en fait vu poser une question suggestive par son conseil et s’est vu priver de la possibilité de fournir sa propre explication à la Commission. Toutefois, il ne s’agissait pas là d’un motif justifiant le rejet de l’explication, qui était corroborée dans l’affidavit d’un traducteur et interprète professionnel travaillant de l’espagnol vers l’anglais, affidavit dont je dispose. Cela étant dit, je ne crois pas que cette erreur est déterminante relativement à la décision.

 

[12]           Enfin, le commissaire s’est fondé sur le manque de connaissances du demandeur en ce qui concerne le processus électoral pour attaquer sa crédibilité. Le demandeur s’est non seulement trompé relativement à la date des dernières élections pour le poste de gouverneur de l’État de Mexico, confondant la date en question avec celle des élections présidentielles, mais il a aussi qualifié la campagne de M. Rojas de campagne présidentielle, alors que ce dernier se présentait en fait comme candidat officiel du P.R.I. aux élections présidentielles. Ces erreurs auraient pu être considérées normales si elles avaient été faites par un citoyen ordinaire, mais elles sont plus difficiles à justifier lorsqu’elles sont faites par une personne comme le demandeur, qui, en raison de son prétendu poste au sein du P.R.I. et des responsabilités qui en découlent, aurait dû posséder des connaissances plus approfondies du processus électoral de son pays.

 

[13]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis que la Commission pouvait, à la lumière du dossier, raisonnablement tirer les conclusions qu’elle a tirées relativement à la crédibilité et à la plausibilité de la preuve. Malgré les quelques erreurs commises par la Commission relativement au manque de connaissances du demandeur quant à la façon dont les communiqués de presse étaient distribués aux médias, je crois qu’il y avait des éléments de preuve pouvant appuyer la conclusion relative à la crédibilité tirée par la Commission en l’espèce. Pour reprendre les propos de la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, la conclusion de la Commission appartenait aux issues acceptables et rationnelles pouvant se justifier au regard des faits dont elle disposait.

 

[14]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats n’ont proposé aucune question de portée générale, et aucune ne sera certifiée.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les avocats n’ont proposé aucune question de portée générale, et aucune ne sera certifiée.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4410-07

 

INTITULÉ :                                                   RODRIGUEZ ALONSO, JOSE FLORENTIN

            (ALIAS RODRIGUEZ ALONSO,

            JOSE FLORENTINO) HERNANDEZ ALONSO,

GABRIELA RODRIGUEZ HERNANDEZ, JOSE FARID RODRIGUEZ HERNANDEZ, AISLINN GABRIELA (ALIAS RODRIGUEZ HERNANDEZ, AISLINN)

            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

            L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 27 MAI 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                         LE 28 MAI 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Mordechai Wasserman

 

                           POUR LES DEMANDEURS

Manuel Mendelzon   

                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mordechai Wasserman

Avocat

Lasalle (Ontario)

 

                             POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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