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Date : 20080527

Dossier : IMM-4132-07

Référence : 2008 CF 673

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ZINN

 

 

ENTRE :

JASBIR SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Pour les motifs exposés ci-après, je fais droit à la demande de M. Singh pour faire annuler la décision de l’agente d’immigration qui a conclu que le mariage de M. Singh n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition du statut de résident permanent.

 

CONTEXTE

[2]               M. Singh, un citoyen indien âgé de 24 ans, est arrivé au Canada le 14 décembre 2003, muni d’un visa d’étudiant valide jusqu’au 4 mars 2006. Le 3 mars 2006, il a épousé Jyoti Malhotra, résidente permanente du Canada. Le 12 juin 2006, il a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Le 13 septembre 2007, lui et son épouse ont été interrogés conjointement, puis séparément, par une agente d’immigration. Le consultant en immigration du demandeur et un interprète ont assisté à ces entrevues. Le 26 septembre 2007, l’agente a conclu que M. Singh ne remplissait pas les conditions requises pour appartenir à la catégorie en cause parce que le mariage, en ce qui le concerne, n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

QUESTIONS

[3]               Le demandeur soulève en substance deux questions :

 

  1. L’agente d’immigration a-t-elle commis une erreur en décidant que le mariage du demandeur n’est pas authentique?

 

  1. L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

 

 

[4]               En ce qui touche la première question, le demandeur soutient que la décision de l’agente n’est pas étayée par la preuve. Il affirme que l’agente n’a pas tenu compte des renseignements cohérents que lui-même et son épouse ont fournis au cours de leurs entrevues ou ne leur a pas accordé suffisamment de poids. Il fait valoir que la décision de l’agente est fondée sur des divergences sans importance décelées dans la preuve durant ces entrevues.

 

[5]               Le demandeur est d’avis que la décision de l’agente est déraisonnable et qu’en outre, en ne tenant aucun compte de certains éléments de preuve ou en négligeant de donner à certains éléments le poids qu’il convenait, l’agente a commis une erreur de droit.

[6]               Quant à la deuxième question, le demandeur soutient que l’agente a commis trois erreurs de nature procédurale. En premier lieu, elle n’a offert ni au demandeur ni à son épouse, à la fin de l’entrevue, la possibilité de répondre aux divergences qui la préoccupaient. Deuxièmement, le demandeur soulève qu’elle n’a pas donné suite à une demande pour que soient transmis à l’avocat actuel du demandeur une copie de tous les documents que lui et son épouse ont présentés à l’agente. Apparemment, le consultant en immigration qui représentait le demandeur n’avait pas fait de copies des documents remis à l’agente. Troisièmement, le demandeur conteste les motifs du refus, affirmant qu’ils ne contiennent pas une analyse suffisante pour lui permettre de savoir pourquoi sa demande a été rejetée.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[7]               Les dispositions pertinentes sont les articles 4 et 124 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

[…]

 

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

 

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

 

 

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

 

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

 

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

 

124. A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

 

 

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

 

(b) have temporary resident status in Canada; and

 

(c) are the subject of a sponsorship application

 

ANALYSE

[8]               La norme de contrôle applicable à la première question soulevée par le demandeur est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Khanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 335, aux paragraphes 4 et 5.

 

[9]               La norme de contrôle applicable à la deuxième question, qui concerne l’équité procédurale, est celle de la décision correcte : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404.

 

 

 

L’agente a-t-elle commis une erreur en décidant que le mariage du demandeur n’est pas authentique?

[10]           J’estime, comme l’avocate du défendeur, que le demandeur invite essentiellement la Cour à réévaluer la preuve et à parvenir à une conclusion différente de celle de l’agente. Tel n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Comme je l’ai fait remarquer, la Cour doit décider s’il était raisonnablement loisible à l’agente, compte tenu de la preuve, de décider comme elle l’a fait. 

 

[11]           L’argument du demandeur selon lequel l’agente a négligé de tenir compte des éléments de preuve appuyant l’authenticité du mariage ou ne leur a pas donné suffisamment de poids, est mal fondé. Dans sa décision, l’agente décrit les aspects sur lesquels la preuve est semblable et soutient la prétention du demandeur que le mariage est authentique. Elle énumère 12 points sur lesquels la preuve correspond et elle leur accorde le poids approprié. Cependant, elle relève ensuite 11 divergences, qui ne sont pas toutes mineures, à partir desquelles elle fonde sa conclusion que le mariage n’est pas authentique.

 

[12]           En conséquence, bien que la Cour aurait pu arriver à une conclusion différente en ce qui concerne l’authenticité du mariage, l’agente pouvait valablement décider comme elle l’a fait, compte tenu de la preuve recueillie durant les entrevues et sa décision, partant, ne peut être annulée comme le souhaite le demandeur.

 

 

L’agente a-t-elle enfreint l’obligation d’agir équitablement?

[13]           Le défendeur a raison de dire que les déclarations divergentes d’époux lors d’entrevues séparées portant sur la bonne foi du mariage ne sont pas des éléments de preuve au sujet desquels l’agent a le devoir de confronter le demandeur pour que ce dernier puisse fournir une explication : Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 79 (C.A.), au paragraphe 5, demande d’autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1996] C.S.C.R. no 141; Oppong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 193 N.R. 306 (C.A.F.), demande d’autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1996] C.S.C.R. no 140.

 

[14]           Quant à la plainte selon laquelle le demandeur n’a pas reçu les copies de documents initialement fournis à l’agente, je ne vois aucun fondement juridique permettant de conclure qu’il s’agit là d’une erreur de droit ou d’un manquement à l’équité procédurale. 

 

[15]           Bien que je rejette les deux premiers moyens allégués par le demandeur pour invoquer le déni d’équité procédurale, le dernier, à savoir que les motifs ne comportent pas une analyse suffisante pour permettre au demandeur de savoir pourquoi sa demande a été rejetée, est bien fondé.

 

[16]           Dans ses motifs, l’agente fait une revue détaillée des éléments de preuve, tant favorables que défavorables au demandeur, concernant l’authenticité du mariage de ce dernier. Or, l’authenticité ne représente qu’un seul des deux volets du critère établi à l’article 4 du Règlement. 

 

[17]           Après s’être penchée sur l’authenticité du mariage, l’agente devait examiner si la relation visait principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi : Donkor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1089. Comme l’a souligné le juge Hughes dans la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1490 :

Pour qu’une personne ne puisse pas être considérée comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal, il doit être satisfait aux deux volets du critère. Même s’il incombe au demandeur de démontrer à ce stade qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise, si le demandeur n’a gain de cause qu’à l’égard de l’un de ces deux volets, il est loisible à la Cour de conclure qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise.

 

 

[18]           En l’espèce, l’agente a examiné en profondeur la preuve mise à sa disposition, mais elle ne l’a fait que par rapport à la première question, c'est-à-dire l’authenticité du mariage. Elle n’a fourni aucune explication quant aux motifs justifiant sa conclusion que cette relation vise principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi. Elle déclare être arrivée à cette conclusion, mais elle n’explique ni comment ni pourquoi elle a décidé ainsi. L’avocate du défendeur, à l’audience de la présente instance, a indiqué que le seul fait que le mariage ait eu lieu la veille de la date à laquelle le visa d’étudiant du demandeur devait expirer, pourrait suffire à justifier cette décision. Il importe peu que ce soit ou non le cas, puisque rien dans les motifs ne donne à entendre que l’agente s’est fondée sur cet élément pour conclure que le mariage vise principalement à permettre au demandeur d’acquérir un statut aux termes de la Loi. L’agente a le devoir d’expliquer clairement dans ses motifs les raisons pour lesquelles elle est arrivée à cette conclusion. Il n’appartient ni à la Cour ni à l’avocate du défendeur de formuler des hypothèses quant au motif sous-tendant la conclusion de l’agente. 

 

[19]           J’estime en conséquence que la décision de l’agent, du fait qu’elle ne fournit aucune analyse au soutien de la conclusion relative au second volet du critère formulé à l’article 4 du Règlement, comporte une lacune. Dans Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 693, aux paragraphes 10 et 11, la juge Mactavish a résumé avec justesse les principes juridiques fondant l’obligation de fournir des motifs :

Dans Baker [[1999] 2 R.C.S. 817], la Cour suprême du Canada a mentionné que, dans certaines circonstances, l’obligation d’agir équitablement exige qu’une décision soit motivée par écrit. C’est le cas en particulier lorsque, comme en l’espèce, la décision a des conséquences importantes pour la personne ou les personnes concernées. Selon la Cour, « [i]l serait injuste à l’égard d’une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise » (au paragraphe 43).

 

L’importance de rendre des décisions « motivées » a été reconnue de nouveau par la Cour suprême trois ans plus tard dans R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26, où la Cour a indiqué que les parties qui n’ont pas gain de cause devraient savoir exactement pourquoi. Même si Sheppard était une affaire criminelle, le raisonnement que la Cour y a adopté a été appliqué dans le contexte administratif en général et dans le contexte de l’immigration en particulier, dans des affaires comme Harkat (Re), [2005] A.C.F. no 481, Mahy c. Canada, [2004] A.C.F. no 1677, Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 597; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1415.

 

 

[20]           Dans le cas qui nous occupe, l’absence de toute analyse pour expliquer la conclusion selon laquelle le mariage vise principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi laisse le demandeur et la Cour dans le doute quant aux raisons pour lesquelles on n’a pas agréé à la demande du demandeur.

 

[21]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un nouvel agent, après une nouvelle entrevue accordée au demandeur et à son épouse.
  2. Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4132-07

 

INTITULÉ :                                                   JASBIR SINGH

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 mai 2008

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 mai 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Baldev S. Sandhu

 

POUR LE DEMANDEUR

Lisa Laird

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Baldev S. Sandhu

Avocat

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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