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Date : 20080527

Dossier : IMM-4990-07

Référence : 2008 CF 675

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

GANG TAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Gang Tan, un citoyen de la République populaire de Chine, conteste, par la présente demande de contrôle judiciaire, une décision en date du 31 octobre 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) a rejeté sa demande d’asile parce qu’elle ne croyait pas sa version des faits.

 

[2]               M. Tan explique qu’il craint d’être persécuté par le Bureau de la sécurité publique (BSP) parce qu’il appartient à une église chrétienne clandestine dont il est devenu membre en 2003. Il a affirmé fréquenter cette église chrétienne clandestine régulièrement, soit une fois toutes les deux semaines et a expliqué que les fidèles se réunissent habituellement chez l’un d’entre eux.

 

[3]               Il a déclaré que, le 4 juillet 2005, le BSP avait effectué une descente à l’église et qu’il avait pu s’enfuir en filant par la porte arrière. Il a ajouté que, pendant qu’il était dans la clandestinité, il avait appris que des représentants du BSP s’étaient rendus chez lui afin de l’arrêter. Il a pris des dispositions pour quitter le pays et a fui la RPC le 9 novembre 2005. Peu de temps après son arrivée au Canada, il a présenté une demande d’asile.

 

Décision du tribunal

[4]               Le tribunal a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que « le demandeur d’asile n’est pas membre d’une église chrétienne clandestine en RPC et ne l’a jamais été ».

 

[5]               Le tribunal a fondé sa conclusion quant à la crédibilité sur deux motifs : il n’a pas cru le témoignage de M. Tan suivant lequel il avait adhéré à l’église clandestine et il n’a pas cru non plus son témoignage sur la façon dont, avec l’aide d’un passeur, il avait réussi à passer les contrôles de sécurité à l’aéroport de Pékin muni d’un passeport sur lequel son nom était inscrit et sur lequel figurait sa photo.

 

[6]               Sur la question de savoir pourquoi le demandeur avait adhéré à l’église clandestine, le tribunal écrit :

 

[…] [Le demandeur d’asile] a indiqué qu’il était devenu membre de l’église chrétienne clandestine illégale parce qu’il était déprimé, car il était possible qu’il perde son emploi, comme cela avait été le cas pour d’autres collègues à l’endroit où il travaillait, et qu’il ne pourrait pas envoyer son enfant à l’école s’il n’y avait que le salaire de sa femme. Je rejette cette explication des raisons pour lesquelles il est devenu membre d’une organisation illégale. Premièrement, le demandeur d’asile n’a pas mentionné dans son formulaire de renseignements personnels cette raison ou quelque autre raison pour justifier pourquoi il était devenu membre. Deuxièmement, il n’a pas perdu son emploi. Troisièmement, sa femme est seule en RPC, et leur fils va encore à l’école.

 

[7]               Sur la question de savoir comment le demandeur avait pu franchir les contrôles de sécurité à l’aéroport muni d’un passeport qui, bien que faux, portait sa propre photo et sur lequel était inscrit son nom, alors qu’il était recherché par le BSP, il ressort de la preuve que son nom serait saisi dans un système informatique et que son passeport serait glissé dans un lecteur aux divers points de contrôle de l’aéroport que le demandeur affirme avoir réussi à franchir sans problème grâce aux pots-de-vin qui avaient été versés à tous les douaniers par le passeur dont le demandeur avait retenu les services. Confronté au fait que son nom serait dans l’ordinateur et que son passeport serait glissé dans un lecteur optique, M. Tan a répondu que son nom n’avait pas été saisi dans le système informatique parce que le passeur le lui avait dit. Le tribunal a écarté cette explication et a conclu :

 

Même si le passeur pouvait verser un pot-de-vin aux autorités et bien que la RPC éprouve des problèmes de corruption, je ne juge pas vraisemblable que le passeur ait pu verser des pots-de-vin possiblement à des centaines de fonctionnaires, étant donné qu’il n’y avait aucune garantie quant aux policiers de frontière qui seraient en service et quant à la file vers laquelle le demandeur d’asile (et le passeur) seraient dirigés. Je conclus par conséquent que le demandeur d’asile n’était pas membre d’une église chrétienne clandestine et qu’il n’était pas recherché par les autorités chinoises.

 

Étant donné qu’aucune autre explication n’a été fournie quant aux raisons pour lesquelles le demandeur d’asile craint d’être persécuté en RPC, je conclus par conséquent qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou qu’il soit personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture par quelque autorité en RPC.

 

 

Prétentions et moyens du demandeur

[8]               L’avocat du demandeur fait valoir deux arguments : il soutient tout d’abord que le tribunal a mal interprété la preuve pour en arriver aux conclusions de fait qu’il a tirées et, en second lieu, il affirme que le tribunal a commis une erreur de droit en ne déterminant pas s’il était un chrétien et en ne vérifiant pas si, en tant que chrétien, il craignait avec raison d’être persécuté.

 

Analyse

a) Norme de contrôle

[9]               La question à résoudre est celle de savoir si l’arrêt récent Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, de la Cour suprême du Canada, a une incidence sur la norme de contrôle compte tenu du fait que cet arrêt a fondu la norme de la décision manifestement déraisonnable dans la norme de la décision raisonnable. Compte tenu des questions en litige dans la présente affaire, je suis d’avis que l’arrêt Dunsmuir, précité, n’a aucune incidence.

 

[10]           Il ressort de la jurisprudence de notre Cour que les conclusions tirées au sujet de la crédibilité sont des conclusions de fait qui doivent être appréciées en fonction de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, qui prévoit que, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, notre Cour peut prendre une des mesures prévues par la Loi si elle est convaincue que l’office fédéral « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». Il a été reconnu que cette norme de contrôle prévue par la loi équivaut à la norme de common law de la décision manifestement déraisonnable. S’il y a manquement à l’alinéa 18.1(4)d), la décision du tribunal sera logiquement et nécessairement déraisonnable.

 

[11]           L’erreur de droit qui ne porte pas sur la loi habilitante de l’office fédéral est en principe évaluée en fonction de la norme de la décision correcte. Si le tribunal a, dans le cas qui nous occupe, commis une erreur de droit en n’évaluant pas de façon complète la crainte du demandeur, sa décision doit être annulée parce qu’elle n’est pas correcte.

 

b) Analyse et conclusions

[12]           Ma lecture de la transcription m’amène à conclure que le tribunal en est arrivé à ses conclusions quant à la crédibilité par suite d’une mauvaise interprétation de la preuve et que la conclusion qu’il a tirée au sujet de l’invraisemblance était injustifiée. J’en viens à cette conclusion en tenant compte du fait que les conclusions tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité ne doivent pas être annulées à la légère parce qu’elles se situent au cœur même de sa compétence et que notre Cour ne peut réévaluer la preuve.

 

[13]           La raison la plus solide que le tribunal avait de ne pas croire le demandeur était le fait qu’il était invraisemblable qu’il franchisse sans problèmes les contrôles de sécurité à l’aéroport de Pékin muni d’un passeport sur lequel figuraient son nom et sa photo, si le BSP le recherchait puisqu’en pareil cas, le nom du demandeur serait saisi dans un système informatique et qu’il serait facile de vérifier s’il était recherché par les autorités chinoises.

 

[14]           Il est de jurisprudence constante qu’un office comme le tribunal de la Section de la protection des réfugiés est bien placé pour tirer des conclusions d’invraisemblance à condition que les conclusions qu’il tire ne soient pas déraisonnables (Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.)).

 

[15]           Après avoir examiné la transcription, je conclus que la conclusion d’invraisemblance du tribunal était déraisonnable parce que le tribunal l’a tirée sans tenir compte de l’ensemble de la preuve dont il disposait.

 

[16]           Le demandeur a longuement expliqué comment il avait passé les contrôles de sécurité à l’aéroport de Pékin. Voici ce qu’il a déclaré dans son témoignage :

 

·        Il a obtenu son passeport d’un passeur. C’était un faux passeport. Il s’agissait d’un passeport des Affaires publiques qui, comme l’a reconnu l’agent de protection des réfugiés, est normalement délivré aux employés du gouvernement chinois. Il contenait un visa de visiteur canadien que le passeur avait obtenu de l’ambassade du Canada en imitant le nom du demandeur sur la formule de demande de visa.

 

·        Il a quitté Pékin avec un groupe de gens qu’il ne connaissait pas.

 

·        Accompagné du passeur, il est arrivé à l’aéroport dans une voiture conduite par un ami. Le passeur lui a dit d’attendre dans la voiture parce qu’il avait [traduction] « quelque chose à régler ».

 

·        Le passeur est revenu à la voiture entre 30 et 45 minutes plus tard et a dit au demandeur de le suivre jusqu’à la porte 6 en lui expliquant qu’il avait [traduction] « versé un pot-de-vin à tous les douaniers ».

 

·        Le demandeur a franchi avec succès trois points de contrôle : billetterie, sécurité et douanes. L’agent de protection des réfugiés a expliqué que la preuve documentaire confirmait qu’il y avait effectivement trois postes de contrôle à franchir à l’aéroport international de Pékin.

 

·        Lorsque le président du tribunal lui a signalé qu’il n’était pas possible que son passeur ait versé des pots-de-vin à des centaines de personnes, le demandeur a répondu que le passeur lui avait seulement dit qu’il avait versé un pot-de-vin aux employés des points de contrôle.

 

·        Le demandeur ne pouvait se rappeler si son passeport avait été glissé dans un lecteur aux divers points de contrôle de l’aéroport parce qu’il était trop nerveux; tout ce qu’il se rappelait, c’était que les responsables de la sécurité avaient tamponné son passeport. Il a également précisé que le passeur lui avait dit que son passeport n’avait pas été glissé dans un lecteur optique.

 

·        En réponse à la question suivant laquelle la preuve documentaire indiquait que son nom serait saisi dans un système informatique, il a répondu que si le passeur n’avait pas versé de pot-de-vin aux douaniers, il n’aurait jamais pu passer les points de contrôle avec succès.

 

[17]           Compte tenu de ces éléments de preuve, que le tribunal n’a pas jugé invraisemblables sauf pour ce qui était de sa conclusion générale quant au manque de vraisemblance, force m’est de conclure que le tribunal aurait pu tirer cette même conclusion sans tenir compte de la preuve dont il disposait. La conclusion du tribunal n’était pas fondée sur la preuve mais sur une pure conjecture, en l’occurrence que « le passeur [aurait] pu verser des pots-de-vin possiblement à des centaines de fonctionnaires, étant donné qu’il n’y avait aucune garantie quant aux policiers de frontière qui seraient en service et quant à la file vers laquelle le demandeur d’asile (et le passeur) seraient dirigés ». Vu la preuve dont le tribunal disposait, il était tout autant, sinon plus, vraisemblable que le passeur ait versé ce matin-là un pot-de-vin aux douaniers de la porte 6 où il a invité le demandeur à le suivre et que le passeport du demandeur n’a pas été glissé dans un lecteur parce qu’il était titulaire d’un passeport normalement délivré à des employés du gouvernement dans lequel se trouvait un visa canadien de visiteur.

 

[18]           Le tribunal a fondé sa seule autre conclusion sur la crédibilité sur trois raisons, dont deux ne résistent pas à une analyse attentive de la preuve. Le tribunal n’a pas cru que le demandeur était devenu membre de l’église clandestine parce qu’il n’a pas cru la raison qu’il avait invoquée pour s’y joindre, en l’occurrence son état dépressif attribuable à la possibilité de perdre son emploi comme d’autres avant lui et, dans cette éventualité, le fait qu’il n’aurait plus les moyens de faire instruire son fils avec le seul salaire de sa femme.

 

[19]           Le tribunal a scindé en deux la motivation du demandeur : il avait effectivement perdu son emploi puisqu’il se trouvait maintenant au Canada, mais son enfant fréquentait toujours l’école. Il ressort de la transcription qu’il n’a jamais dit au tribunal qu’il avait perdu son emploi, mais qu’il craignait de le perdre et que son fils fréquentait l’école parce qu’il travaillait au Canada et envoyait de l’argent à la maison, que sa femme travaillait et que les membres de la famille de sa femme leur donnaient un coup de main (Dossier certifié du tribunal, aux pages 523 et 536).

 

[20]           De plus, le tribunal a conclu que le demandeur n’avait jamais été membre d’une église chrétienne clandestine en Chine malgré le fait qu’il avait rigoureusement vérifié les connaissances que le demandeur possédait au sujet de la religion chrétienne et malgré le fait que, lors des débats, l’agent de protection des réfugiés a reconnu que [traduction] « dans l’ensemble, il a donné les bonnes réponses », et ce, sans que le tribunal ne conclue que le demandeur avait acquis les connaissances en question depuis son arrivée au Canada.

 

[21]           Vu ce qui précède, il n’est pas nécessaire que j’aborde l’autre motif invoqué par l’avocat du demandeur pour affirmer que le tribunal a commis une erreur, en s’inspirant d’une jurisprudence récente portant sur les demandeurs d’asile chinois affirmant craindre d’être persécutés du fait de leur religion chrétienne (Huang, Guobao c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 132; Li c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 266). Un tribunal commet une erreur lorsqu’il ne vérifie pas si le demandeur d’asile est un chrétien pratiquant d’après les connaissances qu’il possède au sujet de la religion chrétienne, ce qui permet d’affirmer qu’il craint avec raison d’être persécuté.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ACCUEILLE la présente demande de contrôle judiciaire, ANNULE la décision du tribunal et RENVOIE la demande d’asile du demandeur à un tribunal différemment constitué pour qu’il la réexamine. La présente décision ne soulève aucune question à certifier.

 

 

                                                                                                          « François Lemieux »

                                                                                                __________________________

                                                                                                                        Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4990-07

 

INTITULÉ :                                                   GANG TAN c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 13 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 27 mai 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Hart A. Kaminker

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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