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Date : 20080523

Dossier : IMM-3479-07

Référence : 2008 CF 654

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

BING LIU

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction et contexte

[1]               Bing Liu, un citoyen de la République populaire de Chine (la RPC) qui a obtenu la résidence permanente au Canada en 2000, conteste la décision rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi (l’ERAR) par un agent d’ERAR (l’agent d’ERAR) le 13 juillet 2007, selon laquelle il ne serait pas exposé au risque de persécution, au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé dans son pays de nationalité. Pour parvenir à cette conclusion, l’agent d’ERAR s’est appuyé fortement sur un rapport d’avril 2007 du UK Border and Immigration Agency intitulé « Country of Origin Information Service Report on China » (le rapport du Home Office).

 

[2]               La demande de résidence permanente du demandeur avait été parrainée par son épouse; le couple est maintenant divorcé. En mai 2003, M. Liu a été reconnu coupable d’agression sexuelle à Toronto et a été condamné à un emprisonnement d’un an avec sursis, assorti de conditions, duquel a été déduite la période de détention préalable au procès.

 

[3]               En raison de la déclaration de culpabilité prononcée contre lui, le demandeur a fait l’objet d’un rapport indiquant qu’il était interdit de territoire en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Une enquête a eu lieu; il a été décidé que M. Liu était visé à l’alinéa 36(1)a) de la Loi et une mesure d’expulsion a été prise contre lui. La Section d’appel de l’immigration (la SAI) a considéré que le demandeur s’était désisté de son appel après qu’il ne s’était pas présenté à une conférence. Le demandeur n’a jamais demandé l’autorisation de la Cour relativement à la décision de la SAI. Les autorités ont ensuite pris les dispositions nécessaires pour exécuter la mesure d’expulsion. Le demandeur a présenté une demande d’ERAR et c’est la décision rendue relativement à cette demande qui fait l’objet de la présente instance.

 

Prétentions de M. Liu concernant l’ERAR

[4]               Les prétentions que le conseil du demandeur a déposées relativement à l’ERAR, qui sont datées du 8 février 2007, faisaient état de la principale crainte de ce dernier dans les termes suivants :

 

[traduction] De plus, M. Liu craint, s’il est forcé de retourner en Chine, d’être détenu par les autorités chinoises parce qu’il a été déclaré coupable d’une agression sexuelle au Canada. Il craint ce que les autorités chinoises et les détenus pourraient lui faire en prison. Les délinquants sexuels sont traités comme des parias en Chine. Même s’il a droit à un procès, il ne croit pas que celui‑ci sera équitable. Il sera condamné à une peine sévère et disproportionnée au crime qu’il a commis au Canada. [Non souligné dans l’original.] (Dossier de demande du demandeur, page 70)

 

[5]               Dans ses prétentions relatives à l’ERAR, le conseil du demandeur a fait référence à différents documents traitant des violations des droits de la personne et de la corruption en Chine qui ont été produits en preuve, notamment les suivants :

 

·        le rapport de 2005 du Département d’État américain sur la Chine;

 

·        le rapport annuel d’Amnistie Internationale sur la Chine pour 2006;

 

·        le sommaire de janvier 2007 de Human Rights Watch concernant la Chine;

 

·        un rapport spécial d’Amnistie Internationale intitulé « Fear of torture and ill

 

treatment without charge » (1er juillet et 1er décembre 2006);

                                   

·        un document de Human Rights Watch intitulé « China: Letter to President Hu

 

Jintao, September 2006 »;

 

·        un bulletin de janvier 2006 d’Amnistie Internationale sur la peine de mort;

 

·        des extraits de nouvelles de la BBC.

 

[6]               Le dossier certifié du tribunal (le DCT) révèle, à la page 11, que l’agent d’ERAR a offert à M. Liu et à son conseil, dans une lettre datée du 27 juin 2007, la possibilité de déposer des prétentions additionnelles au soutien de la demande d’ERAR. Le conseil de M. Liu a répondu dans deux lettres datées du 4 juillet 2007. Il a joint à la première lettre de nombreux rapports additionnels sur les droits de la personne qui, selon lui, démontraient ce qui suit :

 

[traduction] La torture, les arrestations arbitraires et les assignations à résidence continuent d’être fréquentes en Chine. La peine de mort continue d’être infligée. La situation des droits de la personne est encore extrêmement précaire.

 

M. Liu risque d’être détenu et emprisonné. Il a été déclaré coupable d’une agression sexuelle et il craint d’être détenu en Chine pour cette raison. Les conditions sont épouvantables dans les prisons chinoises et les prisonniers sont souvent encore victimes de mauvais traitements. Les prisonniers condamnés pour agression sexuelle sont traités de manière particulièrement dure.

 

Des documents récents font état de corruption, d’exactions graves au sein du système de justice, d’arrestations arbitraires et d’exécutions sommaires, ainsi que de la détérioration de la situation des droits de la personne en Chine.

(DCT, page 13)

 

[7]               Dans la deuxième lettre, datée du même jour que la première, le conseil de M. Liu soulignait à nouveau que [traduction] « les autorités chinoises sauront que M. Liu a été déclaré coupable d’une agression sexuelle, peu importe l’endroit où il ira en Chine. Il craint d’être emprisonné pour cette infraction, même s’il a déjà purgé sa peine au Canada. » Le conseil a joint à sa lettre des documents étayant ses dires. (DCT, page 14)

 

[8]               Il semble que le rapport du Home Office (DCT, page 114) sur lequel l’agent d’ERAR s’est appuyé a été communiqué avec l’une des lettres du conseil datées du 4 juillet. Ce rapport du 30 avril 2007 renfermait plus particulièrement les deux paragraphes suivants sous le titre « Double incrimination » :

[traduction]

10.15   Comme la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) l’a mentionné dans un rapport daté du 9 mars 2001, « un professeur de droit de l’Université de Washington, expert du droit pénal chinois, ne connaissait aucune affaire dans laquelle le gouvernement chinois a traduit à nouveau des personnes en justice pour des crimes commis à l’extérieur de la Chine et pour lesquels des peines avaient déjà été purgées (8 mars 2001). La Direction des recherches a été incapable de trouver des renseignements additionnels ou corroborants dans les sources qu’elle a consultées. [3v]

 

10.16   Dans une lettre datée du 15 juillet 2005, le FCO (British Foreign & Commonwealth Office) a écrit ce qui suit :

 

« Les circonstances dans lesquelles une personne serait punie en Chine pour un crime commis dans un autre pays pour lequel une peine lui a déjà été infligée dans ce pays ne sont pas prévues. Les autorités chinoises sont très susceptibles de punir à nouveau une personne si le crime a fait l’objet de beaucoup de publicité en Chine, si les victimes ont des accointances en Chine, si le crime comporte un aspect politique ou si les autorités veulent faire un exemple. Notre ambassade à Beijing ne connaît aucun cas semblable. Le fait que le droit criminel prévoit des « exceptions » relatives à l’infliction d’une deuxième peine en Chine pour des crimes commis à l’étranger permet de croire que les autorités ne feraient rien dans les cas d’infractions criminelles ordinaires. » [31g] [Non souligné dans l’original.]

 

Décision de l’agent d’ERAR

[9]               L’agent d’ERAR mentionne dans son examen qu’il a reçu, le 9 février 2007, des observations dans lesquelles M. Liu [traduction]« maintient qu’il risque d’être détenu et emprisonné en Chine pour avoir été déclaré coupable d’une agression sexuelle dans un autre pays, même s’il a déjà purgé sa peine au Canada. La lettre du conseil indique que les personnes déclarées coupables d’agression sexuelle risquent plus que les autres d’être maltraitées. »

 

[10]           L’agent d’ERAR souligne que le demandeur a eu la possibilité de produire des éléments de preuve additionnels. Il indique aussi qu’il a lu avec soin la demande d’ERAR de M. Liu, ainsi que les documents relatifs à la situation existant actuellement en Chine.

 

[11]           L’agent d’ERAR a répété qu’il a examiné tous les rapports traitant de la situation des droits de la personne en Chine et il était d’avis [traduction] qu’« il s’agit de documents généraux qui sont utiles pour évaluer la situation générale du pays ». Il a ajouté : [traduction] « Cependant, je dispose de peu d’éléments de preuve démontrant que le demandeur serait susceptible d’être détenu à son retour en Chine à cause de ses antécédents criminels. » [Non souligné dans l’original.]

 

[12]           L’agent d’ERAR a ensuite traité de l’article 10 du code criminel de la RPC, lequel prévoit :

[traduction] Toute personne qui commet un crime à l’extérieur du territoire de la RPC et qui, selon la présente loi, est criminellement responsable peut être traduite en justice en vertu de la présente loi même si elle a déjà été jugée à l’étranger; cependant, la personne qui a déjà été condamnée à une peine dans un pays étranger peut ne pas être condamnée à une peine ou peut être condamnée à une peine réduite.

 

[13]           L’agent d’ERAR a ensuite fait référence aux documents mentionnés précédemment, qui décrivent la manière dont cette disposition est appliquée par les autorités chinoises. Il a écrit :

 

[traduction] Selon le rapport du Home Office, le Foreign Commonwealth Office a affirmé qu’il est peu probable que les autorités chinoises prennent des mesures dans les cas d’infractions criminelles ordinaires et qu’elles sont plus intéressées par les criminels ayant des accointances ou par les affaires qui attirent l’attention des médias. Un professeur de droit de l’Université de Washington, expert du droit pénal chinois, ne connaissait aucune affaire dans laquelle le gouvernement chinois a traduit à nouveau des personnes en justice pour des crimes commis à l’extérieur de la Chine et pour lesquels des peines avaient déjà été purgées. Bien que le code criminel le prévoie, le gouvernement ne semble pas appliquer souvent cette disposition en pratique afin de détenir des ressortissants de retour en Chine. La documentation générale sur le pays confirme que les conditions existant dans les prisons chinoises sont épouvantables. Je ne dispose toutefois pas d’une preuve objective suffisante du risque que le demandeur coure d’être puni à nouveau en Chine à cause de ses antécédents criminels. [Non souligné dans l’original.]

 

L’agent d’ERAR a ensuite conclu :

[traduction] J’ai examiné avec soin tous les éléments de preuve qui m’ont été présentés ainsi que la preuve documentaire et j’estime qu’il existe moins qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté s’il retourne en Chine. En outre, il n’y a aucune raison sérieuse de croire qu’il pourrait être torturé, ni aucun motif raisonnable de croire qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

Prétentions du demandeur

[14]           L’avocate du demandeur prétend que celui‑ci craint surtout, s’il retourne en Chine, d’être arrêté et traduit à nouveau en justice pour le crime qu’il a commis au Canada et pour lequel il a été condamné et a purgé sa peine ici. C’est en s’appuyant sur le rapport du Home Office de mars 2007 que l’agent d’ERAR est parvenu à sa conclusion. Ce rapport fait référence à deux sources :

 

·        un rapport de 2001 de la CISR qui repose sur l’opinion d’un professeur de droit de Washington portant sur les personnes qui sont susceptibles d’être traduites à nouveau en justice par les autorités chinoises pour des crimes commis à l’étranger;

 

·        l’opinion exprimée en juillet 2005 sur la même question par le British Foreign and Commonwealth Office.

 

[15]           L’avocate du demandeur fait essentiellement valoir qu’il était déraisonnable que l’agent d’ERAR s’appuie sur le rapport du Home Office, en raison en particulier du contrôle que les autorités chinoises exercent sur les médias et du régime répressif de la Chine, un pays qui, selon tous les rapports disponibles, a de très mauvais antécédents en matière de respect des droits de la personne et dont le système judiciaire est réputé pour son manque de transparence, sa nature secrète, l’absence de présomption d’innocence et l’absence de mesures assurant l’indépendance des juges.

 

[16]           Elle s’est demandé quel poids ou quelle valeur pouvait, dans ce contexte, être accordé à la conclusion d’un professeur de droit selon laquelle il [traduction] « ne connaissait » aucune affaire où les autorités chinoises avaient traduit à nouveau en justice des citoyens de la Chine qui avaient commis des crimes et purgé leur peine à l’étranger. Elle s’est demandé ce que valait cette conclusion compte tenu du secret qui entoure la société en Chine.

 

[17]           L’avocate du demandeur prétend en outre que l’agent d’ERAR a commis une erreur en ne tenant pas compte d’une catégorie de personnes susceptibles d’être traduites à nouveau en justice en Chine, soit les personnes dont les autorités chinoises veulent faire des exemples en raison du type particulier de crimes qu’elles ont commis – des agressions sexuelles, par exemple.

 

Analyse

a) Norme de contrôle

[18]           L’agent d’ERAR a pour mandat, selon l’alinéa 113b) de la Loi, d’examiner la demande de protection en tenant compte des articles 96 (persécution) et 97 (risque de torture et risque de traitements ou peines cruels et inusités) de la Loi. L’agent d’ERAR est parvenu à sa conclusion en s’appuyant, comme je l’ai indiqué précédemment, sur les deux sources mentionnées dans le rapport du Home Office.

[19]           La question soulevée par le demandeur a trait à l’appréciation de la preuve effectuée par l’agent d’ERAR, et une conclusion de fait entraîne, à mon avis, l’application de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Le demandeur devait démontrer à la Cour que la conclusion de l’agent d’ERAR avait été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à cet égard depuis Dunsmuir.

 

b) Conclusion

[20]           Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[21]           Premièrement, l’agent d’ERAR pouvait accorder le poids qu’il estimait approprié au rapport du Home Office et s’appuyer sur lui. Ce document est destiné aux fonctionnaires chargés des affaires relatives au droit d’asile et aux droits de la personne et renferme des renseignements à jour au 31 mars 2007. Le rapport mentionne que les documents utilisés [traduction] « émanent d’un certain nombre de sources d’information fiables » et sont examinés par un comité consultatif sur les renseignements concernant les pays (voir le dossier du demandeur, pages 2001 et 2005).

 

[22]           Deuxièmement, la fiabilité et le poids de la preuve sont des questions qui relèvent du décideur. Il ressort clairement de la jurisprudence que le juge chargé du contrôle ne doit pas soupeser à nouveau la preuve dont le tribunal disposait.

 

[23]           Troisièmement, lorsqu’on considère la décision dans son ensemble, on constate que l’agent d’ERAR était au courant des défauts du système judiciaire chinois et de la situation des droits de la personne en Chine.

 

[24]           Quatrièmement, l’avocate du demandeur a raison de dire que l’agent d’ERAR n’a pas mentionné une catégorie de personnes qui peuvent être traduites à nouveau en justice à leur retour en Chine, mais cette omission n’a aucune incidence car l’ambassade britannique à Beijing ne connaissait aucun cas de ce genre.

 

[25]           Cinquièmement, il n’y avait pas en l’espèce de rapports contredisant le rapport du Home Office sur la manière dont l’article 10 du code criminel chinois était appliqué. Le demandeur n’a pas été en mesure de présenter une telle preuve contraire.

 

[26]           Sixièmement, l’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve suffisante pour étayer ses prétentions alors qu’il lui incombait de le faire.

 

[27]           Septièmement, la décision rendue par ma collègue la juge Heneghan dans Man c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 85, est pertinente en ce qui concerne la preuve relative à l’application de l’article 10 du code criminel chinois et fait référence au rapport de la CISR étayé par d’autres éléments de preuve.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification.

 

« François Lemieux »

j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-3479-07

 

INTITULÉ :                                                       BING LIU

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 30 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 23 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Geraldine MacDonald

 

          POUR LE DEMANDEUR

 

 

Ladan Shahrooz

 

          POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine MacDonald

Avocate

Toronto (Ontario)

 

 

         POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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