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Date : 20080522

Dossier : T‑745‑04

Référence : 2008 CF 653

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

PEMBINA COUNTY WATER RESOURCE DISTRICT,

VILLE DE PEMBINA, DAKOTA DU NORD,

CANTON DE PEMBINA, DAKOTA DU NORD,

CANTON DE WALHALLA, DAKOTA DU NORD,

VILLE DE NECHE, DAKOTA DU NORD,

CANTON DE NECHE, DAKOTA DU NORD, ET

CANTON DE FELSON, DAKOTA DU NORD

demandeurs

et

 

LE GOUVERNEMENT DU MANITOBA,

LA MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND,

LA MUNICIPALITÉ RURALE DE MONTCALM,

LA MUNICIPALITÉ RURALE DE STANLEY et

LA VILLE D’EMERSON, MANITOBA

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

[1]      Les demandeurs présentent une requête en vue d’obtenir l’autorisation de modifier leur déclaration pour invoquer le délit d’atteinte aux relations économiques et demander des dommages‑intérêts économiques par suite de la perte de recettes fiscales causée par la diminution de la valeur de terres appartenant à des tiers qui auraient été inondées en raison de la négligence des défendeurs.

 

[2]               Les demandeurs soutiennent que les modifications proposées résultent essentiellement de la même situation factuelle dont fait déjà état leur déclaration et que, vu l’absence de tout préjudice qui en résulterait pour les défendeurs, les modifications proposées devraient être acceptées. Pour leur part, les défendeurs répliquent qu’il est manifeste que l’allégation d’atteinte aux relations économiques ne peut être retenue. En effet, ils affirment que les dommages‑intérêts supplémentaires que les demandeurs cherchent à obtenir équivalent à une réclamation pour perte économique pure et simple, perte recouvrable uniquement dans des circonstances exceptionnelles, et que ces dommages ne doivent pas être reconnus en l’espèce.

 

Contexte

 

[3]               Des villes du Dakota du Nord se sont unies pour intenter une action contre les défendeurs le 8 avril 2004. Les demandeurs allèguent dans leur déclaration que le gouvernement du Manitoba et quatre municipalités sont responsables des dommages causés par les inondations attribuables à la construction, à l’entretien et à l’exploitation d’une digue située à proximité de la frontière internationale qui longe le 49e parallèle entre le Dakota du Nord et le Manitoba. La digue est située du côté canadien, tout près de la frontière, et s’étend à l’ouest sur environ 30 milles à partir d’un point situé juste à l’ouest de l’endroit où la rivière Rouge croise la frontière. Selon les documents historiques, la construction d’une partie de la digue actuelle a été effectuée au début des années 1940 et, depuis cette époque, elle a été améliorée et étendue.

 

[4]               Les demandeurs allèguent que la digue empêche l’eau provenant des cours d’eau naturels du Dakota du Nord de s’écouler dans la province du Manitoba, contrairement à la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, L.R.C. 1985, ch. I‑17 (la LTELI). Ils allèguent aussi que l’exploitation de la digue est à l’origine de dommages causés par les crues et de dommages indirects touchant les ouvrages et les entreprises exploités ou gérés par les demandeurs. À titre de réparation, les demandeurs demandent la destruction de la digue, la remise du bien‑fonds sur lequel la digue a été construite au niveau de la prairie de même que des dommages‑intérêts. En mars 2005, les défendeurs ont déposé une défense dans laquelle ils nient toute responsabilité à l’égard de tout dommage.

 

[5]               Avant le début des interrogatoires préalables, les demandeurs demandent l’autorisation de modifier la déclaration en y ajoutant les passages soulignés dans les paragraphes suivants :

[traduction]

1.         Les demandeurs sollicitent :

 

 

e) des dommages‑intérêts supérieurs à 50 000 $ pour les dommages causés aux demandeurs, ou à l’un quelconque d’entre eux, relativement à la perte de recettes fiscales résultant de dommages causés directement ou indirectement aux biens, aux ouvrages ou aux entreprises par les actions ou nuisances intentionnelles ou la négligence des défendeurs de la façon indiquée dans les présentes;

 

8.         Chacun des demandeurs possède ou gère des biens, des ouvrages ou des entreprises ou tire son revenu des impôts perçus auprès des personnes qui possèdent ou gèrent des biens, des ouvrages ou des entreprises aux États‑Unis situés près de la frontière internationale dans les cantons de Pembina, Neche, Felson, St. Joseph, Walhalla, Joliette, Lincoln et Drayton dans le comté de Pembina, dans l’État du Dakota du Nord. La frontière nord des cantons de Pembina, Neche, Felson, St. Joseph et Walhalla longe la frontière internationale.

 

19.       Les demandeurs ont avisé, directement ou indirectement, depuis des années la province du Manitoba que la digue en question a causé et cause encore des inondations importantes dans les cantons de Pembina, Neche, Felson, St. Joseph, Walhalla, Joliette, Lincoln et Drayton et dans les villes de Pembina, Neche, Walhalla et Drayton, situés dans l’État du Dakota du Nord, entraînant des dommages aux biens, des pertes de revenus, des pertes d’occasions, des pertes de jouissance de terres et de biens, des risques pour la santé des humains et du bétail de même qu’une réduction de la qualité des terres.

 

19.1     Les demandeurs soutiennent que les défendeurs ont commis un délit d’atteinte intentionnelle à des intérêts économiques. La conduite des défendeurs, décrite dans les présentes, était dirigée contre les demandeurs, en toute connaissance de ses répercussions. La conduite illégale ou illicite des défendeurs entraîne depuis longtemps des dommages continus aux biens, ouvrages ou entreprises faisant partie de l’assiette fiscale des demandeurs, provoquant une dévaluation des biens et, par conséquent, une diminution de l’assiette fiscale et des impôts perçus par les demandeurs, de sorte que les défendeurs ont infligé aux demandeurs une perte économique dont l’ampleur sera établie au cours de l’instruction de la présente action.

 

19.2     De plus, les demandeurs affirment que les défendeurs, par leurs actions ou nuisances intentionnelles ou leur négligence relativement à la construction et à l’entretien de la digue de la façon susmentionnée provoquent depuis longtemps des dommages prévisibles et continus aux biens, aux ouvrages ou aux entreprises se trouvant à l’intérieur de l’assiette fiscale des demandeurs, entraînant ainsi une dévaluation des biens et, par conséquent, une diminution de l’assiette fiscale et des impôts perçus par les demandeurs, dont l’ampleur sera établie au cours de l’instruction de la présente affaire.

 

 

Questions à trancher

[6]               Il s’agit de décider, dans le cadre de la présente requête, si le délit d’atteinte intentionnelle aux relations économiques a des chances d’être reconnu ou, en d’autres termes, s’il est « évident et manifeste » que l’action est vouée à l’échec. Il faut, en premier lieu, chercher à savoir si les faits invoqués dans les modifications proposées satisfont aux exigences liées à l’existence d’un délit et, en deuxième lieu, se demander des considérations de politique justifient le refus de reconnaître toute responsabilité vu les faits de l’espèce.

 

Principes juridiques : modifications d’actes de procédure

[7]               Les parties s’entendent sur les principes qui s’appliquent à la présente requête en autorisation de modification d’un acte de procédure. Pour se prononcer sur la question de savoir s’il faut autoriser la modification d’un acte de procédure, la Cour doit considérer comme prouvés les faits décrits dans l’acte de procédure proposé : Hunt c. Carey [1990] 2 R.C.S. 959. La Cour doit aussi adopter une attitude ouverte relativement à une demande de modification : Bande indienne de Fox Lake c. Reid Crowther & Partners Ltd, 2002 CFPI 630, aux paragraphes 9 à 13; Canada c. J.D. Irving, Ltd., [1999] 2 C.F. 346; Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3, au paragraphe 10 (C.A.). Dans la mesure où il n’est pas manifeste et évident que la cause d’action est vouée à l’échec et qu’il n’existe pas à l’égard de l’autre partie de préjudice qui ne pourrait pas être compensé par l’adjudication de dépens, la modification doit être autorisée : décision Bande indienne de Fox Lake, précitée, au paragraphe 10; Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd. (1999), 85 C.P.R (3d) 216 (C.F.P.I.).

 

[8]               La Cour doit aussi se demander si la modification proposée peut être radiée en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales : 1340232 Ontario Inc. c. Corp. de gestion de la voie maritime du Saint‑Laurent, 2004 CF 209, au paragraphe 12. En effet, l’alinéa 221(1)a) des Règles prévoit que la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action.

 

[9]               Le critère qui justifie la radiation d’actes de procédure est exigeant; en effet, la Cour doit être convaincue que l’acte de procédure est voué à l’échec parce qu’il est entaché d’un « vice fondamental ». La partie requérante doit franchir un seuil très élevé, soit démontrer qu’il est manifeste et évident que la déclaration ne révèle aucune cause d’action. La longueur et la complexité des questions, pas plus que la nouveauté de la cause d’action ou la possibilité que le défendeur présente une défense solide, ne devraient empêcher un demandeur de poursuivre son action : arrêt Hunt  c. Carey, précité. Cependant, dans le cas où aucune cause d’action n’est révélée, les modifications proposées à des actes de procédure seront refusées : VISX Inc. c. Nidek Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19, à la page 24 (C.A.F.); Chrysler Canada Ltd. c. La Reine, [1978] 1 C.F. 137, à la page 138 (1re inst.); Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd. (2001), 14 C.P.R. (4th) 512, à la page 516 (C.F.P.I.).

 

Correspondance des modifications proposées aux exigences liées à l’existence du délit

[10]           Le concept d’action pour atteinte aux relations économiques, à l’extérieur du domaine du droit contractuel, prend naissance dans le droit britannique du XVIIIe siècle. Au cours des deux dernières décennies, le droit délictuel de l’atteinte économique a pris une place de plus en plus grande dans le paysage juridique canadien étant donné que les tribunaux reconnaissent qu’une responsabilité peut exister même lorsqu’il n’y a pas eu violation d’un contrat.

 

[11]           Le délit d’atteinte aux relations économiques peut naître lorsqu’un défendeur entrave ou perturbe les intérêts économiques d’un demandeur, sans égard à un contrat déjà conclu entre le demandeur et un tiers, par des actions qui nuisent à des contrats dont la conclusion est prévue ou qui, de façon générale, affaiblissent la situation économique du demandeur : G.H.L. Fridman, The Law of Torts in Canada, 2e éd., Carswell, 2002, aux pages 808 et 809.

 

[12]           Les tribunaux canadiens ont généralement appliqué un critère simple en trois volets pour conclure à l’existence d’un délit d’atteinte économique intentionnelle (voir Canada Steamship Lines Inc. c. Elliott, 2006 CF 609; Lineal Group Inc. c. Atlantis Canadian Distributors (1998), 42 O.R. (3d) 157 (C.A. Ont.)), soit :

[traduction]

1.         l’intention de causer du tort au demandeur;

2.         l’atteinte, par des moyens illégaux ou illicites, à la façon dont une autre partie gagne sa vie ou exploite son entreprise;

3.         la perte économique qui en résulte.

 

[13]           Selon le premier volet du critère, la Cour doit examiner la qualité de l’intention qui accompagne le comportement visé. Les motifs du défendeur ne sont pas pertinents dans le contexte de l’analyse du volet du critère relatif à l’intention : Daishowa Inc. c. Friends of the Lubicon (1996), 27 O.R. (3d) 215, au paragraphe 63 (Cour div. de l’Ont.). Il n’est pas non plus nécessaire à ce stade que le demandeur démontre que le but principal du défendeur était d’infliger des dommages au demandeur : Therien c. Int’l Brotherhood of Teamsters et autres, [1960] R.C.S. 265.

 

[14]           Une certaine incertitude demeure quant à la nature de l’intention requise pour démontrer l’existence d’un délit d’atteinte intentionnelle. Les tribunaux canadiens ont suivi de près le développement du droit britannique et les cours d’appel ont généralement retenu l’approche analytique adoptée par la Cour d’appel d’Angleterre dans l’arrêt Millar c. Bassey, [1994] Entertainment & Media L.R. 44, où il était question d’une atteinte indirecte à des dispositions contractuelles. La majorité de la Cour (les lords juges Ralph Gibson et Beldam) a estimé qu’il devait y avoir atteinte délibérée au contrat dans le but d’entraîner une violation plutôt qu’une atteinte causant une violation lorsque ladite atteinte ne constituait qu’une répercussion indirecte de la conduite du défendeur.

 

[15]           Selon l’analyse de l’intention qui [traduction] « cible le demandeur », la simple connaissance d’une action illégale de la part du défendeur ne suffit pas; en effet, il faut aussi une intention de causer des dommages au demandeur. Les tribunaux qui ont adopté cette approche ont fait une mise en garde explicite contre la tentation de confondre l’intention de causer des dommages et la simple possibilité de prévoir que de tels dommages pourraient résulter d’une conduite illégale. En résumé, le comportement reproché doit être dirigé contre le demandeur.

 

[16]           Cette approche a été adoptée par la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse dans l’arrêt Cheticamp Fisheries Co‑op Ltd. c. Canada 123 D.L.R. (4th) 121, dont voici un extrait tiré du paragraphe 42 :

[traduction]

[…] La jurisprudence exige l’intention de causer un dommage. La simple conscience de la part des fonctionnaires du M.P.O. du fait que leurs actions étaient illégales ou démontraient une insouciance quant à leur légalité ou à leur illégalité ne constitue pas en soi une preuve suffisante de l’intention de causer du tort. J’ai déjà mentionné que le but ou l’intention d’infliger des dommages est un élément essentiel du délit. Les tribunaux se sont abstenus de substituer à l’intention de causer des dommages au demandeur la simple possibilité de prévoir que lesdits dommages pourraient résulter d’un comportement illégal. L’intention implicite de causer un préjudice ou un préjudice prévisible peut avoir sa place dans le cadre d’un délit de conspiration, mais, à mon avis, pas dans un délit d’atteinte aux relations économiques. Voir Cement LaFarge c. B. C. Lightweight Aggregate (1983), 145 D.L.R. (3d) 385, à la page 398‑9 (C.S.C.), Fleming, The Law of Torts, 7e éd., (1987), page 663, note 45, page 665, particulièrement la note 59. Je pense que l’insouciance est plus proche de la prévisibilité que de l’intention. Si une norme moins exigeante sur la preuve de l’existence d’une intention était requise, il reste évident que la conduite répréhensible devrait quand même être « dirigée contre » le demandeur. [Non souligné dans l’original.]

 

[17]           La même approche a été adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Lineal Group Inc. c. Atlantis Canadian Distributors, précité, qui a soutenu que même si les actions du défendeur étaient intentionnelles, elles devaient cibler le demandeur pour qu’il y ait atteinte intentionnelle. De la même façon, dans l’arrêt Reach M.D. Inc. c. Pharmaceutical Manufacturers Assn. of Canada (2003), 227 D.L.R. (4th) 458, au paragraphe 46, la Cour d’appel de l’Ontario a décrit comme suit le premier volet du délit d’atteinte économique :

[traduction] Pour satisfaire aux exigences du premier volet, Reach n’avait pas à prouver que le but principal de PMAC était de lui causer du tort. En effet, il peut être satisfait au premier volet du critère d’établissement de l’existence de ce délit si l’acte illégal de PMAC était dans une certaine mesure dirigé contre Reach. C’est le cas même si – comme l’allègue PMAC – son but principal était de défendre ses propres intérêts et ceux de ses membres. En résumé, « les agissements du défendeur doivent avoir ciblé le demandeur, même si son but principal pourrait bien avoir été de défendre ses propres intérêts plutôt que de causer du tort au demandeur ». Voir John G. Fleming, The Law of Torts, 9e éd., (1998), page 769. [Non souligné dans l’original.]

 

[18]           En faisant l’examen de la qualité de l’intention, certains tribunaux inférieurs ont suivi une approche analytique qui met plus l’accent sur la prévisibilité. Cependant, même dans ce genre de situations, les tribunaux exigent que la perpétration des actes illégaux soit dirigée contre le demandeur pour que le délit d’atteinte aux intérêts économiques soit démontré : (voir par exemple Alford c. Canada (1997), 31 B.C.L.R. (3d) 228, aux paragraphes 43 et 45).

 

[19]           En résumé, il ne suffit pas que le dommage subi par le demandeur soit une simple conséquence des actions du défendeur; en effet, l’atteinte par négligence aux intérêts du demandeur n’équivaut pas à une atteinte intentionnelle : arrêt Lineal Group Inc. c. Atlantis Canadian Distributors, précité. Étant donné que l’atteinte illégale est un délit intentionnel, la conduite du défendeur doit viser la partie qui subit le dommage ou être dirigée contre elle.

 

[20]           Dans certains cas, le délit d’atteinte économique peut être utilisé pour accorder une réparation aux parties qui ont subi des dommages par suite d’un acte illégal commis par une autre partie et qui n’ont pas d’autres recours. Cependant, en l’espèce, la demande des demandeurs ne peut être accueillie étant donné que l’intention nécessaire n’a pas été invoquée. En effet, il n’est nullement allégué que la construction ou l’entretien des digues par les défendeurs ont été effectués avec l’intention délibérée de nuire aux demandeurs par des inondations qui entraîneraient une diminution de leurs recettes fiscales. Étant donné que la diminution de la valeur de l’assiette fiscale peut avoir été une conséquence des inondations causées par les digues, la preuve de l’intention, qu’il aurait fallu établir pour satisfaire au premier volet du critère relatif à l’existence d’un délit d’atteinte aux relations économiques, est entièrement absente.

 

[21]           Les modifications proposées ne peuvent tout simplement pas étayer une allégation d’atteinte économique intentionnelle étant donné que les éléments essentiels du délit ne sont pas allégués. Dans les circonstances, je conclus que les modifications proposées sont entachées d’un vice fondamental et qu’elles ne devraient pas être autorisées.

 

Considérations de politique

 

[22]           En règle générale, les tribunaux se sont montrés très réticents à accepter des demandes fondées sur une perte purement économique pour un certain nombre de motifs de politique publique, notamment parce que les intérêts à caractère économique ne mériteraient pas la même protection que l’intégrité physique ou les biens, que ces pertes sont souvent perçues comme des risques d’affaires courants et prévisibles et que l’acceptation du recouvrement d’une perte économique risque d’entraîner la multiplication d’actions en justice non fondées : D’Amato c. Badger, [1996] 2 R.C.S. 1071 (D’Amato), aux paragraphes 17 à 20.

 

[23]           Cette approche prudente s’explique toutefois principalement par la crainte d’une reconnaissance illimitée des pertes économiques qui pourrait entraîner une responsabilité pour des montants indéterminés. Voici de quelle façon la Cour suprême du Canada décrit ces facteurs au paragraphe 18 de l’arrêt D’Amato :

La deuxième et, probablement, la principale raison pour laquelle l’indemnisation est limitée, est celle qu’a mentionnée le juge en chef Cardozo dans l’arrêt Ultramares Corp. c. Touche, 174 N.E. 441 (N.Y. 1931), lorsqu’il a exprimé sa crainte qu’on en arrive à [traduction] « une responsabilité pour un montant indéterminé, pour un temps indéterminé et envers une catégorie indéterminée » (p. 444). L’omission ou l’acte négligent peut avoir un effet d’enchaînement et causer une perte économique à un groupe éventuellement étendu de personnes. Dans l’arrêt Weller, précité, le juge Widgery a refusé l’indemnisation d’une perte purement économique et émis l’opinion que si les commissaires priseurs pouvaient être indemnisés des dommages causés au bétail des agriculteurs, il pourrait en être de même des bouchers, des préposés au transport et des travailleurs de l’industrie laitière. Ce point de vue illustre l’hésitation des tribunaux à associer aux activités, commerciales ou non, le fardeau d’une dépense indéterminée pour toutes les pertes économiques possibles.

[24]           Permettre aux autorités fiscales d’intenter des poursuites contre un défendeur qui provoquerait une baisse de valeur des actifs d’un contribuable aurait d’importantes répercussions. L’accueil de ce genre de demande aurait pour effet de créer une responsabilité pour un montant indéterminé envers des autorités fiscales chaque fois que la valeur des biens d’un tiers diminuerait par suite d’une action ou d’une omission d’un défendeur. À mon avis, c’est précisément le type de responsabilité « pour un montant indéterminé, pour un temps indéterminé et envers une catégorie indéterminée » à l’égard de laquelle la Cour suprême a servi une mise en garde explicite.

 

[25]           Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus que les allégations formulées dans les modifications proposées sont vouées à l’échec.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La requête visant à faire ajouter le canton de St. Joseph aux demandeurs est accueillie.

 

2.         La requête visant à faire retirer les avis de désistement du canton de Walhalla, de la ville de Neche, du canton de Neche et du canton de Felson est accueillie.

 

3.         Le reste de la requête est rejeté et les dépens sont adjugés aux défendeurs.

 

 

« M. Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑745‑04

 

INTITULÉ :                                                  PEMBINA COUNTY WATER RESOURCE DISTRICT ET AUTRES c
LE GOUVERNEMENT DU MANITOBA ET AUTRES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 25 mars 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 mai 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Colin R. MacArthur, c.r.

John B. Martens

 

POUR LES DEMANDEURS

 

W. G. McFetridge

Tanys J. Björnson

 

POUR LES DÉFENDEURS

GOUVERNEMENT DU MANITOBA

 

Dean G. Giles

 

POUR LES DÉFENDEURS

MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND ET MUNICIPALITÉ RURALE DE STANLEY

 

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aikins, MacAulay et Thorvaldson LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ron Perozzo, c.r.

Sous‑ministre de la Justice du Manitoba

 

POUR LES DÉFENDEURS

GOUVERNEMENT DU MANITOBA

 

Fillmore Riley LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DÉFENDEURS

MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND ET MUNICIPALITÉ RURALE DE STANLEY

 

 

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