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Date : 20080527

Dossier : IMM-4589-07

Référence : 2008 CF 669

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2008

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

 

ENTRE :

CHARANJIT SINGH

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

I.   Introduction

[1]               Le demandeur, Charanjit Singh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision relative à un examen des risques avant renvoi (ERAR) rendue le 18 septembre 2007 par laquelle une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente) concluait que le demandeur ne serait pas exposé au risque de persécution, au risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé dans son pays de nationalité ou de résidence habituelle en application de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

II.    Faits

[2]               Le demandeur est né le 21 septembre 1976, dans le village de Kari Suri, au Penjab, en Inde. Il est Sikh et citoyen de l’Inde.

 

[3]               L’ami du demandeur, M. Dalbir Singh, est devenu un membre du parti Shiromani Akali Dal (Amritsar) en avril 2000. Le 10 août 2003, le demandeur et plusieurs amis ont été arrêtés alors qu’ils se trouvaient au restaurant de M. Dalbir Singh. La descente de police qui a mené à l’arrestation a eu lieu parce que les autorités soupçonnaient que M. Dalbir Singh projetait de perturber les célébrations du jour de l’Indépendance qui devaient avoir lieu quelques jours plus tard.

 

[4]               À la suite de son arrestation, le demandeur a été interrogé par la police et torturé. Il a été remis en liberté trois jours plus tard lorsqu’il a payé un pot-de-vin à la police. M. Dalbir Singh a été remis en liberté dix jours plus tard.

 

[5]               Le 1er septembre 2004, M. Dalbir Singh s’est rendu au poste de police comme il était requis de le faire et n’a plus jamais été revu.

 

[6]               Le 2 septembre 2004, le demandeur a été arrêté et torturé par la police. Pendant sa détention, il a subi une fracture de la clavicule. Il a été remis en liberté le lendemain et a nécessité des soins médicaux pour ses blessures.

 

[7]               Suivant les conseils de ses parents, le demandeur s’est enfui du Penjab en octobre 2004 et a déménagé chez sa tante au Rajasthan.

 

[8]               Le 1er mai 2005, la résidence des parents du demandeur a fait l’objet d’une descente et son père a été arrêté et détenu. Le demandeur a été arrêté à la résidence de sa tante au Rajasthan et deux jours plus tard il a été transféré à la police du Penjab. À ce moment-là, le demandeur a été accusé de transporter des armes depuis le Pakistan, il a été torturé, et il a été remis en liberté le 10 mai 2005 moyennant le versement d’un pot-de-vin à la police.

 

[9]               Le 1er juin 2005, le demandeur et son père se sont rendus au cabinet d’un avocat pour obtenir de l’aide.

 

[10]           Le 3 juin 2005, la police du Penjab a arrêté et détenu le demandeur. Elle a menacé de le tuer s’il instituait une action contre elle devant les tribunaux. Il a alors été torturé jusqu’à sa remise en liberté le 5 juin 2005, qui a été obtenue encore une fois par le versement d’un pot‑de‑vin.

 

[11]           Le 1er août 2005, la police du Penjab a fait une descente à la résidence du demandeur alors qu’il en était absent. Sa mère a été avisée de faire en sorte que le demandeur se présente aux autorités. Lorsqu’il est revenu à la maison, il a été décidé qu’il quitterait l’Inde. Il est parti pour Delhi, d’où des mesures ont été prises pour qu’il puisse quitter le pays.

 

[12]           Le demandeur a quitté l’Inde le 9 octobre 2005 et est arrivé à Toronto, en passant par Londres, le 12 octobre 2005. Il a présenté une demande d’asile le 9 novembre 2005.

 

[13]           La demande d’asile du demandeur s’appuyait sur une crainte d’être persécuté en raison de sa religion comme Sikh, de ses opinions politiques imputées et de son appartenance à un groupe social, à savoir la famille. Il a également demandé l’asile au motif qu’il était exposé à une  menace à sa vie et au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture. Sa demande d’asile a été rejetée par une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 26 juillet 2006. La Commission n’a pas cru que le demandeur était « un témoin crédible ou digne de foi ». Le 21 novembre 2006, la demande de contrôle judiciaire de cette décision présentée par le demandeur a été rejetée.

 

[14]           Le 9 février 2007, le demandeur a présenté une demande d’ERAR. Il a présenté les nouveaux éléments de preuve suivants à l’appui de sa demande :

-     une photocopie d’un article de journal daté de janvier 2007 et publié dans City News, ainsi qu’une traduction partielle de celui-ci;

-     un extrait de presse de SikhNet, daté du 2 juillet 2007;

-     l’affidavit de Kirpal Singh, du 21 février 2007;

-     l’affidavit de Swaran Singh, du 21 février 2007.

 

[15]           Une décision défavorable relative à l’ERAR a été rendue le 18 septembre 2007 et le 6 novembre 2007, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire contestant la décision d’ERAR.

 

III.    Décision contestée

[16]           Dans sa décision rendue le 18 septembre 2007 relative à l’ERAR, l’agente a tiré plusieurs conclusions qui sont résumées ci-après :

a)      Le demandeur répète les mêmes éléments qui ont été présentés dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et devant la Commission. La seule différence est qu’il déclare maintenant que les agents de persécution sont les policiers et un groupe appelé le parti Shamri Kali Mon. Non seulement n’a-t-il jamais mentionné ce groupe auparavant, mais il n’a donné aucune explication concernant la raison pour laquelle ce renseignement n’a pas été communiqué avant. Il a omis de fournir des détails sur la manière dont ce groupe avait participé aux incidents qui ont entraîné son départ de l’Inde et la manière selon laquelle il serait à risque s’il devait y retourner. En conséquence, peu de valeur probante a été accordée à ces éléments de preuve.

 

b)      La copie de l’article de journal et la traduction qu’a fournies le demandeur à l’appui de sa demande n’étaient pas des originaux. De plus, seulement une traduction partielle a été fournie, le nom de l’auteur n’était pas indiqué et la traduction n’était pas officielle. En outre, le contenu ne fait que répéter les incidents de la manière présentée par le demandeur. Pour ces motifs, l’agente a accordé peu de valeur probante à ces éléments de preuve.

 

c)      En ce qui a trait aux affidavits présentés par le père du demandeur et le conseiller municipal local en Inde, il a été conclu qu’ils ne fournissaient aucun renseignement détaillé quant aux dates, à la fréquence et aux lieux des incidents de harcèlement policier. De plus, les affidavits sont des copies (les originaux ne sont pas versés au dossier) et le sceau du notaire est illisible. Pour ces motifs, peu de poids a été accordé à ces documents.

 

d)      L’extrait de presse provenant d’Internet à propos d’une fausse affaire concernant un militant sikh présentée par le demandeur ne le concerne pas, ni ne concerne sa famille ou son ami M. Dalbir Singh. Le demandeur a omis de démontrer comment cet élément de preuve a un lien personnel avec son récit et par conséquent, peu de valeur probante y a été accordée.

 

e)      Le demandeur a omis d’étayer sa prétention selon laquelle il suscite de l’intérêt pour la police du Penjab à cause de son association avec M. Dalbir Singh, perçu comme un militant connu.

 

f)        Les documents objectifs concernant la situation du pays n’appuient pas les risques soulevés par le demandeur.

 

 

[17]           Pour ces motifs, l’agente n’était pas convaincue qu’il existerait plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit exposé à la persécution qu’il craignait s’il retournait en Inde. En conséquence, l’agente a conclu que le demandeur n’est [traduction] « pas une personne à protéger selon l’article 96. La preuve au soutien de la demande du demandeur n’indique pas non plus que le demandeur serait, selon la prépondérance des probabilités, personnellement exposé à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités selon l’article 97. »

 

IV.    Questions en litige

[18]           La présente demande soulève les questions suivantes :

A.                 L’agente a-t-elle commis une erreur dans son examen des éléments de preuve personnels du demandeur et des éléments de preuve documentaire sur la situation en Inde?

 

B.                 Le processus d’ERAR offre-t-il une procédure équitable, qui respecte l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), et les obligations internationales du Canada?

 

 

 

V.    Norme de contrôle

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a récemment décidé qu’il n’y a maintenant que deux normes de contrôle : la décision raisonnable et la décision correcte. La Cour suprême a indiqué que la norme de la décision correcte doit continuer à s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 50). Lors de l’application de la norme de la décision correcte, la cour de révision ne fera pas preuve de retenue à l’égard du processus de raisonnement du décideur et devra se demander si la décision du tribunal était correcte.

 

[20]           La Cour suprême du Canada enseigne également que le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[21]           La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution quant à l’application de la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 54). Le degré de retenue à accorder à un tribunal est en fonction de l’examen des éléments suivants : l’existence d’une clause privative, la question de savoir si le décideur possède une expertise spéciale dans le cadre d’un régime administratif distinct et particulier et la nature de la question à trancher (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 55). 

 

[22]           Il est établi en droit que lorsqu’elle est examinée dans sa totalité, la décision relative à un ERAR doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] A.C.F. no 458 (Lexis), au paragraphe 51; Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FC 361, [2007] A.C.F. no 476 (Lexis), au paragraphe 55). Toutefois, la norme à appliquer sera en fonction de la question particulière qui fait l’objet du contrôle. Dans Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, 272 F.T.R. 62, [2005] A.C.F. no 540 (Lexis), après avoir appliqué l’approche pragmatique et fonctionnelle, le juge Mosley a conclu que les questions de fait doivent être examinées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable, que les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable et que les questions de droit doivent être examinées en fonction de la norme de la décision correcte.

 

[23]           En l’espèce, la décision faisant l’objet du contrôle n’est pas protégée par une clause privative et ne fait pas appel à l’expertise de l’agente. En ce qui a trait à la nature de la question, il s’agit essentiellement d’une question de fait. L’agente est tenue d’examiner et de soupeser les éléments de preuve personnels du demandeur et les éléments de preuve documentaire sur la situation en Inde.

 

[24]           En appliquant les principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir et en examinant les facteurs mentionnés ci-dessus et la jurisprudence antérieure de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à l’égard de la première question de la présente demande est la norme de la décision raisonnable.

 

[25]           La seconde question soulève une question d’équité procédurale et de partialité institutionnelle. Aucune retenue ne sera accordée à une décision qui découle d’un processus qui omet de respecter les principes d’équité procédurale et/ou de justice naturelle, et une telle décision sera susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. (Olson c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 458, [2007] A.C.F. no 631 (Lexis), au paragraphe 27, et Kamara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 448, [2007] A.C.F. no 598 (Lexis), au paragraphe 20.) S’il est déterminé que le processus est entaché de partialité institutionnelle, ce processus est un processus non équitable. Une décision qui découle d’un processus non équitable sera annulée.

 

VI.  Analyse

A.        L’agente a-t-elle commis une erreur dans son examen des éléments de preuve personnels du demandeur et des éléments de preuve documentaire sur la situation en Inde?

[26]           Le demandeur prétend que le parti Shiromani Akali Dal et le parti Shamri Kali Mon sont une même entité et que l’agente a commis une erreur en concluant que le demandeur mentionnait ce groupe pour la première fois. Le demandeur renvoie à son exposé à la question no 31 de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), où il mentionne expressément ce groupe et la manière dont il se rapporte à la présente affaire. Le demandeur prétend également que les affidavits de son père et du conseiller municipal local offrent une preuve claire du harcèlement dont faisait l’objet sa famille par la police du Penjab et, par conséquent, du harcèlement dont il peut faire l’objet à son retour en Inde. Le demandeur ajoute que l’article de journal rapporte expressément les détails de son affaire et qu’il n’aurait pas dû être ignoré. En ce qui a trait à l’extrait de presse provenant d’Internet, le demandeur soutient que les faits qui y sont décrits sont semblables à sa situation et qu’en conséquence, l’agente aurait dû en tenir compte. Enfin, le demandeur soutient que les éléments de la preuve documentaire objective indiquent que sa vie serait grandement menacée s’il devait retourner en Inde, puisqu’il a été pris pour cible à plus d’une reprise et faussement accusé d’aider des militants.

 

[27]           Le demandeur affirme que le nom du parti Shiromani Akali Dal a été mal orthographié dans sa demande d’ERAR et il renvoie à l’exposé joint à son FRP à titre de preuve selon laquelle il avait auparavant mentionné ce parti comme agent de persécution. Je ne suis pas d’accord. L’exposé en question indique uniquement que M. Dalbir Singh appartenait au parti Shiromani Akali Dal et ne fournit pas de détails sur la manière dont ce parti le recherche ni pourquoi. Le demandeur n’a jamais mentionné craindre ce parti, ni lorsqu’il a demandé l’asile (lorsqu’il a rempli son FRP), ni devant la Commission. Le demandeur n’a pas expliqué la raison pour laquelle ce parti n’a pas été mentionné plus tôt. Dans sa demande d’ERAR, le demandeur déclare ce qui suit : [traduction] « Le parti Shamri Kali Mon et la police [me] recherchent toujours, même après le rejet de ma demande d’asile. Ils ont de fausses accusations. [Ils] me tortureront ou me tueront si je retourne. » Au-delà de cette simple déclaration, le demandeur ne fournit aucun élément de preuve pour corroborer son allégation. L’agente n’a pas commis d’erreur en accordant peu de valeur probante à cet élément de la demande du demandeur.

 

[28]           En ce qui a trait aux affidavits de M. Swaran Singh, le père du demandeur, et de M. Kirpal Singh, le conseiller municipal local, l’agente a, dans ses motifs, souligné la nature générale et vague des allégations dans les affidavits et indiqué qu’ils contenaient peu de détails en ce qui a trait aux dates et à la fréquence des incidents allégués. L’agente a également constaté que les affidavits n’étaient pas des originaux et que le sceau du notaire était illisible. L’agente a également noté une omission dans l’affidavit du père : M. Kirpal Singh a affirmé qu’il était intervenu personnellement pour que la police arrête d’interroger le père du demandeur. L’affidavit du père ne mentionne aucunement cet événement. Compte tenu de ces facteurs dans leur ensemble, il était loisible à l’agente d’accorder peu de valeur probante à ces deux affidavits.

 

[29]           En ce qui a trait à l’article de journal présenté pour corroborer le récit du demandeur, l’agente a examiné cet élément de preuve et fourni des motifs convaincants pour y avoir accordé peu de valeur probante. L’agente a noté que seul un passage choisi de l’article était traduit, que la traduction n’était pas officielle et que le nom de son auteur n’était pas indiqué. Elle a également constaté que les incidents mentionnés dans l’article s’étaient produits plusieurs années auparavant, mais qu’ils avaient fait l’objet d’un reportage trois jours après que le demandeur se soit vu offrir un ERAR. À mon avis, l’agente n’a pas commis d’erreur en accordant peu de valeur probante à cet élément de preuve.

 

[30]           Il était également loisible à l’agente d’accorder peu de poids à l’extrait de presse provenant d’Internet. Cet élément de preuve n’avait pas de rapport avec le récit personnel du demandeur.

 

[31]           J’examine maintenant les documents généraux sur la situation en Inde.

 

[32]           Le demandeur soutient que l’agente a mal interprété la preuve documentaire. Il renvoie à la preuve documentaire qui indique que la torture continue d’être régulièrement signalée au Penjab, malgré la fin de la période de militantisme, et que la détention arbitraire demeure un problème en Inde.

 

[33]           Dans ses motifs, l’agente s’est appuyée sur les Country Reports on Human Rights Practices, 2002 du Département d’État des États‑Unis, lesquels ne mentionnent pas d’arrestations arbitraires chez les Sikhs du Penjab. De plus, lorsque la preuve documentaire indique que les arrestations arbitraires sont répandues, elle déclare aussi qu’il en est ainsi en vertu de lois spéciales sur la sécurité visant à lutter contre les insurrections séparatistes.

 

[34]           Même si le demandeur soutient qu’il a été pris pour cible à plus d’une reprise et faussement accusé d’aider des militants, le dossier indique qu’en rejetant sa demande d’asile, la Commission a conclu ce qui suit : « Le demandeur d’asile ne pouvait donner aucune précision concernant de véritables activités militantes qui auraient poussé la police à rechercher son ami en 2003. » De plus, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que le demandeur était un militant ou qu’il était associé à des militants.

 

[35]           Les documents sur la situation en Inde indiquent que la situation s’est récemment grandement améliorée pour les Sikhs au Penjab et que le militantisme sikh au Penjab a [traduction] « […] pratiquement été éliminé. » La preuve documentaire indique également que [traduction] « […] les gens qui ne sont pas soupçonnés d’être des militants notoires ne courent pas de risques au Penjab de nos jours ». La preuve indique toutefois que tous ceux qui avaient un lien avec un mouvement du Khalistan risquaient d’être arrêtés. Rien ne prouve que le demandeur est lié à un tel mouvement.

 

[36]           L’agente a énuméré les sources de preuve documentaire qu’elle a consultées avant de rendre sa décision. Elle a reconnu que cette preuve indiquait qu’il y avait eu une période pendant laquelle les militants sikhs étaient persécutés par la police. Elle a également souligné que cette même preuve indiquait que le mouvement militant sikh n’était plus actif au Penjab. Elle ne croyait pas que le demandeur appuyait un militant ni qu’il était lui-même un militant. En conséquence, il n’avait pas le profil d’une personne qui courait le risque d’être persécutée en Inde. Le demandeur n’a présenté aucun autre élément de preuve probant dans sa demande d’ERAR pour étayer son allégation de risques. Il était donc loisible à l’agente de conclure que la preuve documentaire objective n’appuyait pas son allégation de risques.

[37]           Pour ces motifs, je suis d’avis que les conclusions de l’agente concernant les éléments de preuve personnels du demandeur et la preuve documentaire sur la situation en Inde font partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. L’agente n’a pas commis une erreur susceptible de contrôle en concluant comme elle l’a fait.

 


B.         Le processus d’ERAR offre-t-il une procédure équitable, qui respecte l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.), et les obligations internationales du Canada?

 

[38]           Le demandeur soutient que les ERAR sont effectués par des [traduction] « fonctionnaires de bas niveau, peu ou pas indépendants, sans compétence reconnue en matière d’analyse des droits de la personne ou du droit international, et [que] les tribunaux ne veillent pas à fournir un accès à un recours efficace ». De plus, le demandeur soutient que le [traduction] « décideur n’est pas une personne dont la compétence est reconnue, mais plutôt un employé du ministère qui souhaite expulser le demandeur. Il n’existe pas de véritable indépendance judiciaire pour les agents d’ERAR. » Le demandeur déclare que [traduction] « toutes les décisions rendues par les agents d’ERAR présentent une partialité systématique en faveur de l’expulsion et à l’encontre de l’application du droit international en matière de droits de la personne. »

 

[39]           Le demandeur soulève essentiellement la question de la partialité institutionnelle du processus d’ERAR. Mon collègue le juge de Montigny a examiné cette question dans la décision Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FC 361. Je reproduis ci‑dessous les paragraphes 64 et 74 de ses motifs : 

[64]     En raison de l’importance capitale que revêt une accusation de partialité, les raisons justifiant une crainte de cette nature doivent être solides et ne sauraient s’appuyer sur de simples hypothèses ou conjectures (Committee for Justice and Liberty, précité, aux pages 394‑395; Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au paragraphe 8). En l’espèce, je ne crois pas que l’avocat affirme que l’agente d’ERAR avait un parti pris personnel. Nous avons affaire ici à une allégation de partialité institutionnelle, qui entacherait tous les cas qui ont été jugés alors que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait le double pouvoir d’« intervention » et de « protection » au cours de la période de transition ayant suivi l’entrée en vigueur de la LIPR […]

 

[74]    Pour en arriver à cette conclusion, je suis conforté par la décision à laquelle en est arrivé mon collègue le juge Frederick Gibson dans l’affaire Say c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 739 (conf. par 2005 CAF 422). Dans cette affaire, les demandeurs avaient soulevé la question de la partialité institutionnelle ou du manque d’indépendance des agents d’ERAR des risques avant renvoi pendant la courte période au cours de laquelle ces agents relevaient de l’Agence des services frontaliers du Canada, au même titre que les agents de renvoi. Après avoir examiné la preuve, le juge Gibson a conclu que la section d’ERAR était structurée de telle manière qu’elle était isolée des autres sections de l’A.S.F.C., de sorte qu’une personne sensée et bien informée n’aurait pas une crainte raisonnable de partialité. Au paragraphe 39 de sa décision, le juge écrit ce qui suit :

 

Compte tenu de la preuve dont la Cour dispose en l’espèce, je conclus que dans un grand nombre de cas, il n’existerait aucune crainte raisonnable de partialité dans l’esprit d’une personne parfaitement informée. Cela ne veut pas dire qu’une crainte raisonnable de partialité soit inconcevable — sous forme de première impression — dans un grand nombre de cas dans l’esprit d’une personne moins bien informée. Dans un grand nombre de documents d’information au public diffusés au moment de la constitution de l’A.S.F.C., on a dit que son mandat concernait la sécurité et l’application de la loi, ce qui se distingue tout à fait d’un mandat de protection. Cependant, il ressort de la preuve dont dispose la Cour que, du moins au cours de la période en litige, le mandat de cette agence était assez diversifié et qu’un effort conscient a été fait pour isoler le programme d’ERAR des fonctions relatives à la prise de mesures de renvoi et à l’application de la loi incombant à l’A.S.F.C. Je conclus donc qu’une « personne parfaitement informée » n’aurait pas une crainte raisonnable que les décideurs du programme d’ERAR seraient partiaux « dans un grand nombre de cas ».

[Non souligné dans l’original.]

 

Voir aussi Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1187, au paragraphe 99; Kubby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 52, au paragraphe 9; Oshurova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1321, au paragraphe 5.

[40]           Je souscris au raisonnement et aux conclusions du juge de Montigny dans la décision Lai, précitée. En ce qui a trait au processus d’ERAR dans les circonstances de la présente affaire, je suis également d’avis qu’il n’existe aucune crainte de partialité, et ce, tant d’un point de vue institutionnel que d’un point de vue individuel. Il ne peut donc y avoir aucune violation des principes de justice fondamentale ou d’équité procédurale.

 

VII.   Conclusion

[41]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[42]           Les parties ont eu l’occasion de soulever une question grave de portée générale, comme l’envisage l’alinéa 74d) de la Loi et elles ne l’ont pas fait. Je suis convaincu que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale, et je n’en propose aucune aux fins de certification.

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à un examen des risques avant renvoi rendue le 18 septembre 2007 est rejetée.

 

2.                  Aucune question grave n’est certifiée.

 

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


ANNEXE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

[…]

 

112.(1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

 

a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;

 

b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);

 

 

c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré;

 

 

 

d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile.

 

 

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.en dehors

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

112.(1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

(2) Despite subsection (1), a person may not apply for protection if

 

(a) they are the subject of an authority to proceed issued under section 15 of the Extradition Act;

 

(b) they have made a claim to refugee protection that has been determined under paragraph 101(1)(e) to be ineligible;

 

(c) in the case of a person who has not left Canada since the application for protection was rejected, the prescribed period has not expired; or

 

 

(d) in the case of a person who has left Canada since the removal order came into force, less than six months have passed since they left Canada after their claim to refugee protection was determined to be ineligible, abandoned, withdrawn or rejected, or their application for protection was rejected.

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

 


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

Dossier :                                        IMM-4589-07

 

Intitulé :                                       CHARANJIT SINGH c. le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

Lieu de l’audience :                 Montréal (Québec)

 

DATE de l’audience :               le 5 mai 2008

 

Motifs du jugement

Et jugement :                              le juge Blanchard

 

Date des motifs                        le 27 mai 2008

ET DU JUGEMENT :

 

 

 

Comparutions :

 

Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Kinga Janik

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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