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Date : 20080523

Dossier : IMM-2161-08

Référence : 2008 CF 660

ENTRE :

UGOCHUKWU COLLINS

            demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

 

[1]               Voici les motifs pour lesquels j’ai décidé de surseoir à l’exécution du renvoi de M. Ugochukwu au Nigéria, qui était prévu pour ce soir.

 

[2]               M. Ugochukwu a présenté une demande d’asile qui a été refusée en 2004, tout comme sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La décision rendue en avril 2006 au sujet de l’examen des risques avant le renvoi lui était également défavorable.

 

[3]               Il a présenté au Canada une demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie du regroupement familial mais il a été débouté, parce qu’à l’époque en cause, sa femme était prestataire d’aide sociale et n’était donc pas admissible à le parrainer. Sa demande ultérieure fondée exclusivement sur des raisons d’ordre humanitaire a également été refusée.

 

[4]               Il s’est présenté avec sa femme et ses enfants à l’entrevue du 5 mai visant à organiser son renvoi à laquelle il avait été convoqué. Il a expliqué à l’agent qu’il avait présenté une nouvelle demande de résidence permanente dans la catégorie des époux et conjoints de fait au Canada. Il jure qu’il a fourni des pièces à l’appui, et l’agent qui l’a interrogé ce jour-là n’a pas souscrit d’affidavit pour réfuter ses dires.

 

[5]               On a considéré qu’il se soustrairait vraisemblablement à son renvoi et on l’a détenu. Son avocat a ensuite écrit à l’agent chargé de l’exécution pour lui demander officiellement de suspendre l’exécution de la mesure de renvoi pour la même raison. Cette demande a été refusée, d’où la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et la requête en sursis.

 

[6]               Les motifs de la décision ont été exposés par un autre agent. On les trouve dans des notes versées au dossier qui ne comptent qu’une seule page. Ces notes sont datées du 12 mai. Le motif principal du refus était que [traduction] « les demandeurs qui sont interdits de territoire pour grande criminalité n’ont pas droit à une suspension administrative (L 36) » (article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés). L’agent s’est toutefois complètement mépris dans sa lecture du dossier, car le rapport du ministre qui est exigé par l’article 44 de la Loi avait été retiré pour insuffisance de preuves.

 

[7]               Les notes se poursuivent en relatant [traduction] « en outre » l’évolution du dossier de M. Ugochukwu au Canada, notamment la décision d’ERAR défavorable, et précise que [traduction] « On ne trouve chez Foss ou dans le dossier rien qui permette de penser que le conjoint a déposé une autre demande de parrainage; de toute façon, le dépôt d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire ne donne pas ouverture à lui seul à un sursis et il n’existe donc aucune raison qui justifierait d’accorder une suspension ».

 

[8]               Certes, il faut prévoir un certain délai avant qu’un dossier ne soit mis à jour et il n’y a rien qui contredit l’affidavit du demandeur suivant lequel il a soumis une « demande de parrainage et d’engagement » au premier agent, demande dont une copie a été versée au dossier de la Cour.

 

[9]               L’avocat du ministre reconnaît l’erreur qui a été commise au sujet de la grande criminalité, mais souligne que la politique de suspension administrative prévue dans le document interne IP 8 de Citoyenneté et Immigration Canada intitulé « Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada » ne s’applique pas à une personne qui a fait l’objet d’une décision d’ERAR négative avant de déposer la demande de parrainage du conjoint. L’avocat a tout à fait raison.

 

[10]           Toutefois, selon mon interprétation, la décision tenait surtout au fait que M. Ugochukwu était interdit de territoire pour cause de criminalité et au fait que rien ne permettait de penser que son épouse avait déposé une demande. Le premier point était erroné et le second – suivant lequel les documents avaient été fournis à un autre agent la semaine précédente – n’a pas été contredit.

 

[11]           Il nous faut donc nous demander comment l’agent aurait exercé son pouvoir discrétionnaire s’il avait bien compris les faits. L’IP 8 prévoit qu’il n’y a pas de suspension administrative dans le cas d’une demande déposée après une décision d’ERAR négative, mais il n’est par ailleurs pas censé entraver l’exercice des pouvoirs discrétionnaires de l’agent comme celui que lui confère l’article 48 de la Loi.

 

[12]           L’arrêt Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, 24 D.L.R. (4th) 44, nous enseigne qu’il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu et qu’il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qui aurait pu être le résultat de l’audience si le pouvoir discrétionnaire n’avait pas été exercé en vertu de principes erronés (Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, 137 D.L.R. (3d) 558). Dans le même ordre d’idées, le ministre a depuis soumis des renseignements au sujet d’un séjour que M. Ugochukwu aurait fait en Italie et qui n’aurait pas été divulgué aux autorités canadiennes de l’immigration. Ces renseignements ne se trouvaient pas dans le dossier soumis à l’agent qui a pris la décision et on ne peut donc pas en tenir compte.

 

[13]           Ainsi que la Cour d’appel l’a souligné dans l’arrêt North c. West Region Child and Family Services Inc., 2007 CAF 96, 362 N.R. 83, en se fondant sur l’arrêt R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, l’obligation de motiver sa décision est une exigence de l’équité procédurale. En l’espèce, les motifs étaient erronés et il n’appartient ni au ministre ni à la Cour de spéculer sur la façon dont l’agent aurait exercé son pouvoir discrétionnaire s’il avait bien cerné les faits.

 

[14]           En ce qui concerne la catégorie des époux et des conjoints de fait au Canada, le gouvernement a pour principe de s’efforcer « d’éviter que les époux et les conjoints de fait qui vivent ensemble au Canada subissent le préjudice résultant de leur séparation ». Il atténue ainsi une partie des irritants que comporte nécessairement une séparation. Le fait que M. Ugochukwu soit visé par une subtilité de la loi ne signifie pas automatiquement que l’agent qui aurait été correctement mis au courant des faits n’aurait pas accordé la suspension réclamée.


 

[15]           Compte tenu du contexte de la présente affaire, il faut non seulement que justice soit rendue, mais qu’il soit manifeste qu’elle a été rendue. Le critère à trois volets applicable aux sursis qui a été énoncé dans des décisions comme l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302, 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.) s’applique aussi. Le refus d’accorder une suspension ne peut être fondé sur des raisons qui sont erronées de façon flagrante et manifeste.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Toronto (Ontario)

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2161-08

                                                                       

 

INTITULÉ :                                                   UGOCHUKWU COLLINS c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                                        ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                                       

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         LES 22 ET 23 MAI 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christian Chijindu                                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Tamrat Gebeyehu                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Christian Chijindu

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

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