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Date : 20080523

Dossier : IMM-3705-07

Référence : 2008 CF 658

Toronto (Ontario), le 23 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAURICE E. LAGACÉ

 

 

ENTRE :

SAQUANH THACH

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27, (la Loi) d’une décision rendue le 17 août 2007 (la décision) par la Section d’appel de l’immigration (SAI) concluant que le mariage entre le demandeur et la répondante, dans le cadre d’une demande de résidence permanente, n’est pas authentique, car il a été contracté afin d’acquérir le statut d’immigrant.

 

 

I. Les faits

 

[2]               Citoyen canadien né au Cambodge, le demandeur a rencontré Ly (la répondante) à Angkor Wat, au Cambodge, le 8 janvier 2003. Leur relation serait devenue intime. Ils ont voyagé ensemble et auraient rencontré les membres des deux familles. Ils sont restés en contact après le retour du demandeur au Canada, le 5 février 2003. Le demandeur a demandé la répondante en mariage en avril 2003 et est retourné au Cambodge le 21 juillet 2003; le mariage a été célébré le jour suivant. Le demandeur aurait fourni une aide financière d’environ 200 $ à 300 $ par mois à la répondante depuis la fin du mois de janvier 2003 (c’est-à-dire avant qu’ils ne se marient).

 

[3]               Ce n’était pas le premier mariage du demandeur, ni la première fois qu’il tentait de faire venir son épouse au Canada. Il s’agit en vérité de son quatrième mariage et de sa quatrième tentative de faire venir son épouse au Canada. Il s’est marié pour la première fois au Vietnam, le l2 avril 1974, et a eu trois enfants. Le couple s’est séparé en 1980, mais n’a pas divorcé. Le 13 octobre 1980, le demandeur a marié une cousine et a immigré avec elle au Canada le 1er juin 1988. À l’époque, il n’avait pas mentionné qu’il avait déjà été marié. Le couple a obtenu le divorce le 1er décembre 1996.

 

[4]               Le demandeur s’est remarié une troisième fois, le 4 mars 1999, et a essayé à deux occasions de parrainer la venue de son épouse au Canada. Or, sa première demande, faite le 25 juin 1999, a été refusée, car il n’avait toujours pas divorcé de sa première épouse, ce qu’il a fait le 17 janvier 2002. Par la suite, il a fait une nouvelle demande de parrainage pour sa troisième épouse le 17 février 2002. Cette demande a été refusée le 28 novembre 2002, parce qu’il avait marié sa troisième épouse avant d’obtenir le divorce de son premier mariage.

 

[5]               Dans son témoignage, le demandeur affirme avoir essayé de remarier sa troisième épouse afin de pouvoir la parrainer. Cependant, à son arrivée au Cambodge, il a appris qu’elle s’était déjà remariée à quelqu’un d’autre. Il ajoute néanmoins qu’elle lui a demandé de la remarier afin qu’il puisse parrainer sa venue au Canada, et qu’elle lui a même offert de l’argent, mais il l’a refusé. C’est au cours de ce voyage au Cambodge qu’il a rencontré la répondante.

 

[6]               Après son mariage avec la répondante, le demandeur a été arrêté alors qu’il revenait au Canada. Il semble que l’arrestation aurait été effectuée par suite d’une action intentée par la troisième épouse du demandeur. Une entente à l’amiable a été conclue le 5 août 2003 (l’entente). Dans le cadre de l’entente, le demandeur a payé 13 000 $US à sa troisième épouse « pour résilier l’accord de mariage et son parrainage au Canada », et en échange, celle-ci a accepté d’abandonner toutes les poursuites intentées contre lui.

 

[7]               À son retour au Canada, le demandeur a parrainé son épouse Ly, le 29 août 2003, afin qu’elle puisse obtenir sa résidence permanente. Il est resté en contact avec elle par téléphone et par lettres. Il est retourné au Cambodge au mois d’août 2004 et est resté près d’un mois avec elle. Il lui a également rendu visite en mars 2007.

 

[8]               Le 28 mai 2004, une agente des visas a posé des questions à la répondante. L’agente des visas a rendu sa décision le 11 juin 2004. Elle a conclu que la répondante n’a pas réussi à démontrer qu’elle partageait une relation authentique avec le demandeur. Insatisfait de la décision, le demandeur a interjeté appel devant la SAI.

 

II. La décision

 

[9]               L’audience a eu lieu les 23 mai 2006, 16 octobre 2006 et 17 avril 2007. Lors de la dernière journée, la répondante a été interrogée par téléconférence. Au cours de l’audience, le demandeur et la répondante ont utilisé les services d’un interprète. Le demandeur a produit une quantité substantielle de documents à l’appui de son appel devant la SAI.

 

[10]           Malgré le caractère volumineux de la preuve, la SAI a conclu dans sa décision qu’il existait un grand nombre d’incohérences et de contradictions dans les témoignages des époux et a mis leur crédibilité en doute. De plus, la preuve ne pouvait être considérée comme digne de foi, car le demandeur a manifestement produit de faux documents. Après avoir tiré ces conclusions, la SAI a dit ce qui suit :

Après avoir examiné tous les éléments de preuve dont il disposait, le tribunal n’est pas convaincu que l’appelant s’est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait d’établir, au moyen d’éléments de preuve crédibles et fiables, que son mariage avec la demanderesse était authentique ou qu’il ne visait pas principalement des fins d’immigration. En conséquence, le tribunal rejette le présent appel.

 

 

[11]           En l’espèce, le demandeur allègue que la SAI a mal interprété les faits et qu’elle a commis un certain nombre d’erreurs qui justifient l’annulation de la décision.

 

III. Questions en litige

 

[12]           Dans son mémoire, le demandeur dresse une liste des questions en litige, en vue de contester la décision de la SAI, par exemple que la SAI a commis une erreur de droit, qu’elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer, qu’elle n’a pas observé le principe de l’équité procédurale, qu’elle a tiré des conclusions de fait erronées, de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition, et qu’elle a agi d’une façon contraire à la loi.

 

[13]           Cependant, le demandeur n’a abordé sérieusement que trois questions dans sa plaidoirie orale, qui ont été reformulées comme suit par la Cour :

1.      La SAI a-t-elle commis une erreur quant à la conclusion portant sur la crédibilité?

2.      La SAI a-t-elle rendu une décision déraisonnable?

3.      La SAI a-t-elle violé le principe de l’équité procédurale?

 

IV. Dispositions législatives pertinentes

 

[14]           Les dispositions suivantes du règlement sont pertinentes en l'espèce :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement

 

[…]

 

« mariage »S’agissant d’un mariage contracté à l’extérieur du Canada, mariage valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes.

 

[…]

 

 

4.  Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 2. The definitions in this section

  apply in these regulations

 

  […]

 

 “marriage”, in respect of a marriage

  that took place outside Canada,

  means a marriage that is valid both

  under the laws of the jurisdiction

  where it took place and under

  Canadian law

 

  […]

 

4.  For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

V. La norme de contrôle

 

[15]           Les deux premières questions visent en fin de compte une question de fait, à savoir si le mariage est authentique. Il s’agit d’un « fait attributif de compétence» assujetti à la même norme de contrôle que les autres questions de fait. En concluant que le mariage a été contracté principalement en vue d’être admis au Canada, la SAI a exclu l’épouse du demandeur (la répondante) de la catégorie du regroupement familial. Essentiellement, les deux questions sont donc factuelles, ce qui signifie que la SAI doit apprécier la preuve présentée par le demandeur. Comme la SAI avait accès à la preuve verbale, sa décision commande un niveau élevé de retenue judiciaire.

 

[16]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême a estimé que « […] en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s'applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l'application de la norme de la décision correcte, mais certaines d'entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité » (au paragraphe 51). La Cour conclut que compte tenu du contexte dans lequel la troisième question a été soulevée, celle-ci commande l’application de la norme de la raisonnabilité.

 

[17]           De plus, on peut lire au paragraphe 55 de l’arrêt Dunsmuir :

[55] Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale […]

La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte […]. Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

 

 

[18]           En tenant compte des facteurs susmentionnés, ainsi que de la nature factuelle des présentes questions en litige et de l’expertise particulière de la SAI, la Cour conclut que la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité. Selon cette norme, l’analyse faite par la Cour de la décision de la Commission portera sur « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l'intelligibilité du processus décisionnel, [ainsi qu’à] […]l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[19]           À moins que la Cour ne soit convaincue que la SAI a fondé sa conclusion sur des considérations dénuées de pertinence ou « n’a pas tenu compte » d’éléments de preuve importants, elle ne devrait pas substituer son point de vue à celui de la SAI au sujet de la crédibilité, car une audience a été tenue et la SAI a eu l’avantage d’entendre les témoins. (Grewal c. Canada (M.I.C.), 2003 CF 960; Jaglal c. Canada (M.I.C.), 2003 CFPI 685; Singh c. Canada (M.I.C.), 2002 CFPI 347.

 

VI. Analyse

 

[20]           La conclusion défavorable rendue par la SAI au sujet de la crédibilité des époux est fondée principalement sur les contradictions suivantes relevées dans leur témoignage :

1.      La répondante a affirmé que les enfants du demandeur étaient présents à leur mariage, alors que le demandeur a affirmé le contraire. La répondante a modifié son témoignage après qu’on lui eut fait part de cette contradiction;

2.      Le demandeur a déclaré avoir accepté de payer 13 000 $ à sa troisième épouse afin qu’elle puisse sortir de prison, alors que la répondante a affirmé à l’agente des visas que le demandeur a reçu 13 000 $ de sa troisième épouse pour qu’il parraine sa venue au Canada;

3.      Dans leur témoignage, les deux époux se sont contredits de manière importante en tentant d’expliquer pourquoi la répondante a affirmé à l’agente des visas qu’elle donnerait 100 000 $ au demandeur à son arrivée au Canada;

4.      La répondante a affirmé avoir vécu dans un logement dont le loyer était payé par le demandeur depuis juillet 2003. Cependant, le demandeur a fourni des reçus montrant qu’il payait le logement depuis janvier 2003, six mois avant la date à laquelle la répondante a déclaré avoir commencé à y habiter. Devant cette contradiction, la répondante a fourni trois explications différentes avant d’admettre que le demandeur avait effectivement payé le loyer depuis janvier 2003, ce qui contredisait également le fait que le demandeur était en fait au Cambodge, alors qu’il a affirmé avoir envoyé de l’argent depuis le Canada;

5.      Un rapport de police indiquait que l’adresse de la répondante était celle de l’appartement mentionné ci-dessus même si elle a prétendu qu’elle n’y habitait pas encore;

6.      La répondante a nié posséder un compte de banque conjoint avec le demandeur en dépit d’un élément de preuve démontrant qu’ils possédaient effectivement un tel compte depuis mars 2004. Cette fausse déclaration de la répondante à propos d’une question aussi banale a soulevé encore plus de doutes sur la crédibilité générale des époux.

 

[21]           Il est vrai que, confrontée à son témoignage contradictoire concernant la présence des enfants du demandeur à leur mariage, la répondante a finalement admis qu’ils n’y avaient pas assisté. Mais cette contradiction demeure et la SAI n’a pas commis d’erreur en décidant d’en tenir compte. Le demandeur fait valoir que l’importance de cette contradiction est diminuée par le grand nombre d’éléments de preuve produits dans le but d’établir l’authenticité du mariage. Or, il est impossible de contre‑interroger une preuve documentaire, et cette dernière ne peut prouver que ce à quoi elle fait référence. Elle ne peut parler, elle n’exprime aucun sentiment, ni aucune émotion ou attitude et il n’est pas possible de la contester pour cette raison. Conséquemment, la seule façon d’évaluer son importance est d’interroger les parties qui la présentent et de mettre leur crédibilité à l’épreuve. Et l’exercice de cette fonction relève bel et bien de la compétence et du pouvoir discrétionnaire de la SAI.

 

[22]           Il en va de même pour les autres contradictions; il incombait à la SAI de déterminer l’incidence qu’elles avaient sur la crédibilité générale du couple. La SAI a-t-elle mal interprété la preuve en concluant, comme le fait valoir le demandeur, à l’existence de contradictions?

 

[23]           Le demandeur soutient que la SAI s’est trompée lorsqu’elle a dit qu’il payait à l’époque 100 $ par mois à sa troisième épouse, alors qu’il n’a en fait payé cette somme qu’avant leur séparation. Cependant, un examen de la preuve révèle que la SAI n’a jamais affirmé ce à quoi le demandeur fait référence. De plus, dans sa déclaration, le demandeur a affirmé n’avoir fait que des paiements mensuels de 100 $ à sa troisième épouse; il n’a jamais précisé quand il les avait faits, et il n’a certainement jamais affirmé qu’il les avait faits avant leur rupture. Toujours est-il qu’en raison du contexte dans lequel ont été faites les déclarations du demandeur à cet égard pendant le contre‑interrogatoire, il est raisonnable de penser que les paiements ont été effectués après la rupture.

 

[24]           De plus, le demandeur prétend que la SAI a commis une erreur en considérant, à partir d’un document, que sa troisième épouse l’a poursuivi afin de récupérer la somme de 13 000 $ qu’elle lui avait versée pour parrainer sa venue au Canada, car cette demande n’a jamais été approuvée. Le demandeur fait valoir que l’agente des visas a tiré une conclusion contraire en ce qui concerne ce document. Or, d’une part, il ne ressort pas de la preuve que l’agente des visas a effectivement conclu le contraire; la preuve démontre plutôt que l’agente des visas a conclu que la troisième épouse du demandeur avait payé 13 000 $ pour qu’il la parraine sur la base des réponses que la répondante a fournies. D’autre part, l’agente des visas n’a fait qu’affirmer que le document en question n’était pas un certificat de divorce. Dans tous les cas, et peu importe l’interprétation qui a été faite par l’agente des visas, il ne faut pas oublier que l’audience de la SAI est une nouvelle audience et, partant, que la SAI n’est en rien liée par les conclusion de l’agente des visas.

 

[25]           Le demandeur continue de soutenir qu’il n’était pas raisonnable pour la SAI de conclure que sa troisième épouse l’avait payé pour qu’il la parraine puisqu’elle a mis fin à « l’entente », pour reprendre ses propres mots. Un examen des motifs exposés par la SAI et l’agente des visas montre cependant qu’elles ont toutes les deux conclu que la troisième épouse du demandeur l’avait payé pour qu’il la parraine parce que c’est exactement ce que la répondante a dit à l’agente des visas. Dans les circonstances, cette conclusion n’est pas déraisonnable. C’est également une conclusion importante parce que, si la troisième épouse du demandeur a annulé leur « entente », malheureusement pour le demandeur, cela vient étayer l’interprétation faite par la SAI au sujet de la preuve documentaire.

 

[26]           Le demandeur ajoute que la SAI a commis une erreur en concluant que son mariage actuel n’était pas authentique parce que son troisième mariage était un mariage de convenance. Cependant, il s’agit là d’une mauvaise interprétation de la véritable conclusion de la SAI. En fait, la SAI a simplement conclu que la crédibilité du demandeur était diminuée parce que son mariage précédent était probablement un mariage de convenance. La Cour comprend les raisons pour lesquelles le demandeur n’est pas satisfait de ce verdict, compte tenu du fait qu’il a tenté de se remarier. Encore une fois, malheureusement pour lui, il était loisible à la SAI d’examiner les antécédents des parties en matière d’immigration afin d’évaluer leur crédibilité, puisqu’il s’agit là d’un facteur important dans l’évaluation de l’authenticité de leur mariage (Rosa c. Canada (M.I.C.), 2007 CF 117, paragraphes 24‑25).

 

[27]           Quoi qu’il en soit, il semble que le fait que le demandeur ait déjà été partie à un mariage non authentique n’est qu’un des facteurs ayant amené la SAI à rendre une décision défavorable dans cette affaire. Par conséquent, cette conclusion à l’égard de la crédibilité des époux ne doit pas être considérée comme le seul facteur ayant permis à la SAI de rendre un tel jugement. Au contraire, cette conclusion doit être examinée dans le contexte de l’ensemble de la preuve que la SAI devait examiner et apprécier. Après avoir considéré la conclusion de la SAI dans cette perspective plus large, la Cour n’y voit aucune erreur. Au contraire, ce facteur demeure pertinent en l’espèce et la SAI était fondée à en tenir compte.

 

[28]           Le demandeur ajoute qu’en refusant que certains documents portant sur les conditions de vie au Cambodge ne soient produits, la SAI a violé le principe de l’équité procédurale et ce, parce que ces documents étaient nécessaires afin d’appuyer ses explications en ce qui concerne l’entente de paiement de 13 000 $ conclue avec sa troisième épouse. Les documents sur les conditions de vie portaient sur la corruption policière. Au cours de son témoignage, le demandeur a demandé la permission de présenter ces documents en preuve afin de rendre compte d’un événement qui est survenu à l’aéroport et de se pencher sur les antécédents de la répondante en matière de contrebande. Pourtant, comme il ressort de la transcription, le demandeur n’a jamais affirmé que ces documents étaient liés à son troisième mariage. Comme le demandeur n’a pas signalé la pertinence de ces documents à la SAI lors de son témoignage, la Cour ne voit pas le bien-fondé de cet argument procédural. Premièrement, s’il voulait utiliser ces documents en preuve, le demandeur aurait dû le faire plus tôt, et deuxièmement il aurait dû à tout le moins faire part de leur pertinence à la SAI.

 

[29]           Le demandeur soutient qu’il n’était pas raisonnable pour la SAI de conclure à l’existence de contradictions dans le témoignage au sujet de la question des 100 000 $, puisque ces contradictions étaient manifestement dues à des erreurs de traduction. Cependant, un examen de la transcription citée par le demandeur, et sur laquelle il fonde son argument, ne permet pas d’étayer celui-ci. Au contraire, cet examen appuie la conclusion de la SAI, puisqu’il appert que la SAI n’a fait que préférer la déclaration que la répondante a faite à l’agente des visas, plutôt que le témoignage qu’elle a livré lors de l’audience. La SAI avait effectivement le droit d’agir ainsi.

 

[30]           La SAI devait déterminer quels éléments de preuve elle devait admettre et ceux auxquels elle devait ajouter foi, et quels éléments de preuve elle devait rejeter et ne pas croire. C’est le choix que doit faire tout tribunal. Le rôle de la SAI était donc d’analyser, d’évaluer et de peser les éléments de preuve qui lui avaient été soumis. Il n’appartient pas à la Cour de refaire l’exercice en vue de substituer ses propres conclusions à celles de la SAI.

 

[31]           Le demandeur maintient que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet élément de preuve. Tout d’abord, il est bien établi en droit que, à moins d’une preuve évidente à l’effet contraire, la Cour est présumée avoir tenu compte de toute la preuve qui a été présentée (Buttar c. Canada (M.I.C.), 2006 CF 1281, aux paragraphes 29-30). La preuve documentaire est volumineuse. Bien que contestée, la décision est bien articulée; elle renvoie aux facteurs les plus importants pris en compte par la SAI et appuie intelligemment sa conclusion. La SAI n’avait pas à faire mention de tous les éléments de preuve dont elle a tenu compte.

 

[32]           En vérité, le demandeur a tenté, tant dans son mémoire que dans sa plaidoirie, de soumettre à l’attention de la Cour un grand nombre d’éléments de preuve, tels qu’une explication visant à excuser certaines contradictions dans son témoignage, dans le but d’annuler les conclusions tirées au sujet de la crédibilité des époux. Ce faisant, il incite plus ou moins la Cour, sur la foi de certains éléments de preuve, à substituer sa propre conclusion à celle de la SAI. Comme ce n’est pas son rôle, la Cour déclinera cette invitation.

 

[33]           Le rôle de la Cour est de s’assurer simplement de « l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». La Cour a déjà jugé que l’évaluation de la crédibilité effectuée par la SAI ne comportait aucune erreur, étant fondée sur des considérations pertinentes et sur l’avantage d’avoir entendu le demandeur et la répondante. Par conséquent, la Cour ne peut que conclure que la SAI n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en décidant que l’épouse du demandeur n’appartenait pas à la « catégorie de regroupement familial » décrite dans la Loi et son règlement d’application.

 

[34]           La Cour et les parties conviennent qu’il n’y aucune question d’intérêt général à certifier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

            POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LA COUR rejette la demande.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Edith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3705-07

                                                           

 

INTITULÉ :                                       SAQUANH THACH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               20 MAI 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :       LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

 

DATE DES MOTIFS :                      23 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael F. Loebach                                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Judy Michaely                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

michael f. loebach                                                      

TORONTO (ONTARIO)                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

 

JOHN H. SIMS, c. r.                                                              

Sous-procureur général du Canada

 

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