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Date : 20080521

Dossier : IMM-4222-07

Référence : 2008 CF 632

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2008

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

WAN SOO KIM, MI KYUNG LEE, DA HYUN KIM,

JU YOUNG KIM et HANNAH KIM

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               La Cour statue sur une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR ou la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 24 septembre 2007 par laquelle un agent chargé d’examiner les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (l’agent CH ou l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs depuis le Canada sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire.

 

[2]               Les demandeurs réclament l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire à un autre agent CH pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Contexte

 

[3]               Wan Soo Kim (père), Mi Kyung Lee (mère), Da Hyun Kim (fille) et Ju Young Kim (fille) (ci-après collectivement appelés les demandeurs) sont tous des citoyens de la Corée du Sud. Le père et la mère ont une troisième fille, Hannah Kim, mais cette dernière a la citoyenneté canadienne, étant née au Canada.

 

[4]               Les demandeurs sont arrivés au Canada en 2002. Ils ont présenté une demande d’asile, qui a été rejetée en juillet 2004. En mai 2005, la Cour fédérale a rejeté leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Les demandeurs ont alors soumis la présente demande par laquelle ils réclament une mesure spéciale leur permettant de demeurer au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire. La demande a d’abord été soumise aux autorités locales de l’immigration à Oshawa (Ontario) et les demandeurs ont obtenu une décision favorable au « premier palier » d’évaluation. Leur demande a toutefois par la suite été transmise aux autorités de l’immigration à l’Administration centrale le 15 mars 2007 pour décision définitive. Dans une décision datée du 24 septembre 2007, l’agent a rejeté leur demande.

Décision de l’agent

 

[5]               L’agent a d’abord examiné la question du degré d’établissement des demandeurs au Canada. Il a pris acte des éléments de preuve documentaire soumis par les demandeurs pour démontrer leur établissement. L’agent a fait observer que les demandeurs étaient actifs au sein de leur église locale et il a convenu que cette participation représentait un aspect important de leur vie spirituelle. L’agent a toutefois également déclaré que rien ne permettait de penser que les demandeurs ne pouvaient se livrer à des activités semblables en Corée du Sud. L’agent a reconnu que les demandeurs n’étaient pas des prestataires d’aide sociale et que le père exerçait un emploi rémunéré et qu’il gagnait suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. L’agent a tenu compte du fait que les demandeurs avaient acheté une maison et qu’ils faisaient une vingtaine d’heures de bénévolat par mois. Il a reconnu que les demandeurs s’étaient établis au Canada, mais a également déclaré que ce facteur n’était pas suffisant en soi pour justifier la prise d’une mesure spéciale.

 

[6]               L’agent a ensuite examiné l’intérêt supérieur des enfants en cause. Il a fait observer que les enfants étaient satisfaits de l’instruction qu’ils recevaient au sein du système scolaire ontarien, ajoutant que rien ne permettait de penser qu’ils seraient désavantagés s’ils devaient poursuivre leurs études en Corée du Sud. L’agent a convenu que les deux enfants cadets n’avaient aucune expérience du système d’enseignement de la Corée du Sud, mais a conclu que cet état de fait était attribuable à la décision du père de quitter la Corée du Sud. L’agent n’a pas retenu l’argument des demandeurs suivant lequel les enfants auraient beaucoup de difficulté à se réadapter à la culture si différente de la Corée du Sud après avoir passé autant de temps au Canada. L’agent a laissé entendre qu’il y aurait certainement une période d’adaptation mais que cela était normal dans les circonstances.

 

[7]               L’agent a également tenu compte de la situation d’Hannah, la cadette née au Canada, chez qui l’on avait diagnostiqué en bas âge une affection cardiaque appelée « communication intraventriculaire ». L’agent a fait observer que l’état d’Hannah avait nécessité une intervention chirurgicale en 2005 et qu’elle avait reçu son congé de l’hôpital sans souffrir d’autres maladies et qu’elle ne prenait aucun médicament. L’agent a également signalé que, bien qu’il ressortait de l’ensemble de la preuve que Hannah [traduction] « va très bien du point de vue de sa santé cardiaque », on ne pouvait exclure la possibilité qu’elle ait besoin d’autres traitements médicaux. L’agent a poursuivi en s’interrogeant au sujet de la possibilité pour Hannah de recevoir des soins médicaux en Corée du Sud. Il a fait remarquer que les fonctionnaires canadiens à l’ambassade du Canada à Séoul qui avaient été contactés avaient expliqué que les services médicaux en Corée du Sud étaient [traduction] « de premier plan » mais que les traitements coûtaient plus chers. L’agent a ajouté qu’il avait consulté plusieurs sites Web pour se renseigner sur le sujet et qu’il avait constaté ce qui suit :

  • La mention suivante, trouvée dans une publication du Département d’État des États-Unis portant sur la Corée du Sud et intitulée « Country Reports on Human Rights Practices – 2006 », [traduction] « les enfants ont accès à des soins de santé de grande qualité »;
  • Un site Web intitulé « Publmed.gov » faisant état des progrès accomplis en ce qui concerne les soins de la santé en Corée du Sud sur une période de temps déterminée;
  • Une fiche de renseignements consulaire des États-Unis suivant laquelle [traduction] « en Corée du Sud, les hôpitaux sont en règle générale bien équipés et sont dotés d’équipements thérapeutiques et de diagnostic à la fine pointe de la technologie […] Des services médicaux à l’occidentale sont offerts dans les grands centres urbains comme Séoul, Busan, Daegu et quelques autres grandes villes »;
  • Une publication de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis concernant la Corée du Sud et des questions ayant trait à la santé et au bien-être social suivant laquelle le nombre de professionnels de la santé a connu une hausse remarquable au cours des dernières années, tout comme le nombre d’hôpitaux.

 

[8]               Pour conclure, l’agent s’est dit convaincu que les soins qui seraient offerts à Hannah en Corée du Sud étaient suffisants.

 

[9]               L’agent s’est également demandé si les demandeurs seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou disproportionnées. L’agent a fait remarquer que ce facteur était [traduction] « intimement lié à la crainte du [demandeur principal] de retourner en Corée du Sud en tant que victime d’un stratagème de prêts (frauduleux) d’argent ». L’agent a fait observer que le demandeur principal affirmait que, s’il retournait en Corée du Sud, il ne pourrait obtenir un emploi en raison du taux de chômage élevé. L’agent a estimé que, si cette affirmation était véridique, toutes les personnes ayant le même âge que le demandeur principal seraient exposées au même risque, de sorte qu’on n’avait pas affaire à un risque personnalisé.

 

[10]           L’agent a poursuivi en examinant les questions relatives à la criminalité. Il a signalé que le demandeur principal avait été reconnu coupable des infractions suivantes en Corée du Sud :

  • Une « contravention au code de la route » qui équivaut à l’infraction prévue à l’article 225 du Code criminel du Canada (conduite avec facultés affaiblies);
  • Deux autres « contraventions au code de la route » dont l’une équivaut à l’infraction prévue à l’article 259 du Code criminel du Canada (conduite sans permis);
  • Une accusation de « falsification de documents privés, fraude, utilisation de documents privés falsifiés », qui équivaut à l’infraction prévue à l’article 380 du Code criminel du Canada (fraude de plus de 5 000 $).

 

[11]           L’agent a fait observer que ces déclarations de culpabilité emportaient l’interdiction de territoire au Canada du demandeur principal aux termes des paragraphes 36(1) et 36(2) de la Loi. L’agent a également déclaré qu’il était évident que le demandeur principal avait délibérément omis de déclarer ces faits aux autorités de l’immigration et qu’il avait caché ses antécédents criminels. L’agent a également signalé que le demandeur principal disposait d’un délai de quatre ans et demi pour divulguer ces renseignements et qu’il savait qu’il était effectivement tenu d’en faire état dans les quelques demandes et déclarations qu’il avait soumises aux autorités de l’immigration. L’agent a en outre signalé que la femme du demandeur principal était au courant des déclarations de culpabilité de son mari et qu’elle n’avait rien fait.

 

[12]           En conclusion, l’agent a estimé que, même s’il existait des indications permettant de conclure à l’existence de certaines considérations d’ordre humanitaire, la décision à prendre était celle de savoir si [traduction] « l’existence possible des raisons d’ordre humanitaire en question justifie la prise de la mesure spéciale réclamée ». Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, l’agent a estimé qu’il n’existait pas suffisamment de raisons d’ordre humanitaire pour justifier la prise d’une mesure spéciale en faveur des demandeurs. L’agent a expliqué que [traduction] « la présente décision est en partie motivée par les fausses déclarations que le demandeur principal et sa femme ont faites à plusieurs reprises pour dissimuler les antécédents criminels du demandeur principal ». L’agent a reconnu que l’intégration de la famille au Canada s’était échelonnée sur de nombreuses années. Il a ajouté que les membres de la famille étaient convaincus que Hannah pourrait se faire soigner en Corée du Sud et que la famille que les demandeurs avaient là-bas pourraient s’occuper d’elle et l’accompagner pendant sa période d’adaptation. L’agent a également pris acte du fait que le demandeur principal craignait surtout l’« usurier » mais il a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes de croire que la famille serait menacée de mort ou qu’elle serait exposée à la torture ou à des traitements cruels et inusités.

 

[13]           Pour conclure, l’agent a fait remarquer qu’on trouvait au dossier une note indiquant que les autorités locales de l’immigration auraient refusé la demande si elles avaient été mises au courant des antécédents criminels du demandeur principal avant l’évaluation favorable qu’il avait reçue au « premier palier ». L’agent a pris acte de ces observations, mais a fait remarquer qu’elles n’avaient été consignées nulle part et qu’elles n’avaient aucune incidence sur le contenu ou le sort de la demande.

 


Questions en litige

 

[14]           Les demandeurs ont soumis les questions suivantes à notre examen :

            1.         L’agent a-t-il commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère pour déterminer s’il existait des raisons d’ordre humanitaire justifiant de faire droit à la demande de résidence permanente en vertu de l’article 25 de la Loi?

            2.         L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale en ne fournissant pas au demandeur des motifs suffisants pour justifier sa décision?

            3.         L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas aux demandeurs la possibilité de dissiper ses réserves?

 

[15]           Je reformulerais comme suit les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         L’agent a-t-il commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère pour déterminer si les demandeurs seraient exposés à des difficultés injustifiées ou excessives?

            3.         L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne fournissant pas des motifs suffisants pour justifier ses conclusions au sujet du degré d’établissement au Canada et de l’intérêt supérieur des enfants?

            4.         L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas aux demandeurs la possibilité de réponde aux éléments de preuve documentaires sur lesquels il se fondait pour rendre sa décision?

 

Prétentions et moyens des demandeurs

 

[16]           Les demandeurs affirment que l’agent n’a de toute évidence pas appliqué le bon critère pour conclure qu’ils ne seraient exposés à aucun risque s’ils retournaient en Corée du Sud. Les demandeurs soutiennent que le critère prévu aux articles 96 et 97 de la Loi pour déterminer l’existence d’un risque est différent de celui qui s’applique dans le cas des décisions relatives aux raisons d’ordre humanitaire. Les demandeurs font valoir qu’il est possible de conclure que quelqu’un ne répond pas à la définition de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 tout en concluant que cette même personne serait probablement confrontée à des difficultés injustifiées et excessives en raison du risque auquel elle serait exposée. Les demandeurs invoquent le jugement Melchor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1600 pour illustrer le fait que le critère appliqué en vertu des articles 96 et 97 est en réalité plus exigeant que celui qui régit les demandes visées à l’article 25. Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas appliqué le bon critère et qu’en conséquence, sa décision devrait être annulée.

 

[17]           Les demandeurs affirment en deuxième lieu que l’agent a manqué aux principes d’équité procédurale en ne leur fournissant pas des motifs suffisants pour justifier deux de ses conclusions, en l’occurrence celle qu’il a tirée au sujet de leur degré d’établissement au Canada et celle concernant l’intérêt supérieur des enfants. Les demandeurs appellent l’attention de la Cour sur certains passages de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, de la Cour suprême du Canada, au sujet de l’importance de motiver ses décisions. Les demandeurs attirent par ailleurs l’attention de la Cour sur certains passages du jugement Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 532, qui traitent de l’obligation de motiver suffisamment ses décisions. Les demandeurs affirment que, dans sa décision, l’agent s’est contenté de reprendre les éléments de preuve pour ensuite formuler sa conclusion sans motiver suffisamment sa décision.

 

[18]           Les demandeurs affirment enfin que l’agent a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques pour examiner la question de savoir si Hannah pouvait recevoir des soins médicaux en Corée du Sud. Les demandeurs affirment qu’aucun des renseignements et des documents invoqués par l’agent n’ont été portés à leur attention avant le prononcé de la décision finale. Il est de jurisprudence constante que, dans ces conditions, l’agent a commis une erreur en ne leur donnant pas l’occasion de réfuter la preuve (Azarpajooh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 333; Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 819; Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 854; Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 43).

 

Prétentions et moyens du défendeur

 

[19]           Le défendeur a commencé l’exposé de ses arguments en rappelant certains des grands principes qui régissent les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire. Il soutient qu’une décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire constitue une mesure à la fois exceptionnelle et discrétionnaire (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125). Les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire offrent aux demandeurs une possibilité supplémentaire et spéciale d’être dispensés de l’application de la législation sur l’immigration et ces demandes ne sont accueillies que lorsque les demandeurs risquent d’être confrontés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire « ne peut permettre aux intéressés d'obtenir ce qu'ils souhaitent après avoir été déboutés, conformément au droit canadien, en exerçant tous les recours judiciaires qui s'offraient à eux » (Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 953, au paragraphe 39). Le défendeur affirme également que la norme de contrôle appropriée dans le cas des décisions relatives à des raisons d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (arrêt Baker, précité). On doit s’abstenir de modifier les décisions relatives à des raisons d’ordre humanitaire dès lors qu’elles renferment certains motifs qui peuvent résister à un examen assez poussé (Doudkina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 858).

 

[20]           Le défendeur soutient que la décision de l’agent était suffisamment motivée et que les demandeurs sont tout simplement en désaccord avec la conclusion générale que l’agent a tirée. Le défendeur affirme que l’agent a tenu compte de tous les éléments de preuve soumis par les demandeurs et qu’il a tiré une conclusion raisonnable que la Cour ne devrait pas modifier. Le défendeur affirme qu’il ressort à l’évidence de ses motifs que l’agent a reconnu le degré d’établissement et l’intérêt supérieur des enfants, mais qu’il a pondéré ces facteurs avec les antécédents criminels et les fausses déclarations du demandeur principal pour conclure en fin de compte que le fait de présenter la demande à l’étranger ne créerait pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[21]           Le défendeur affirme aussi que l’agent n’a pas commis d’erreur dans son évaluation du risque en appliquant les mêmes critères que ceux qui sont utilisés dans le cas d’un examen des risques avant le renvoi. L’agent a correctement examiné le facteur du risque. « Il incombe au demandeur de convaincre l’agent que, dans les circonstances particulières et personnelles qui lui sont propres, les difficultés que pose le fait d’avoir à obtenir de la manière habituelle un visa de résident permanent à l’extérieur du Canada seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives » (Rafieyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 727, au paragraphe 40, citant l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, et le jugement Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296). L’agent ne commet pas d’erreur lorsqu’il se fonde sur la même série de conclusions factuelles pour évaluer une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire que pour examiner une demande d’ERAR, à condition d’appliquer aux faits en question le critère approprié à chaque contexte (Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1293; Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1763).

 

[22]           Enfin, le défendeur affirme que l’agent n’a pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de sa décision en se fondant sur des documents portant sur l’accès aux soins médicaux en Corée du Sud. Le défendeur fait valoir que la Cour d’appel fédérale a jugé que des documents de notoriété publique comme les Country Reports du Département d’État américain ne constituent pas des éléments de preuve extrinsèques (Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 565 (CAF)).

 

Réponse des demandeurs

 

[23]           Les demandeurs conviennent que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne la décision générale de l’agent est celle de la décision raisonnable (arrêt Baker, précité). Ils ajoutent toutefois que la norme de contrôle appropriée dans le cas des questions de droit et de celles concernant l’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Pushpnathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982). Les demandeurs répètent qu’on ne peut prétendre que des motifs sont exhaustifs simplement parce qu’ils reprennent les prétentions et les moyens des parties et qu’ils expriment une conclusion; pour être considérés comme suffisants, les motifs doivent renfermer des explications sur la façon dont l’auteur en est arrivé à sa décision. Les demandeurs soutiennent en outre que le critère relatif au risque dans le cas d’une décision portant sur des raisons d’ordre humanitaire est celle de savoir si l’intéressé serait exposé à des « difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives »; l’agent a toutefois a conclu que, [traduction] « selon la prépondérance des probabilités, il n’y a pas de raisons suffisantes pour croire que la vie de M. Kim serait menacée ou qu’il serait exposé à la torture ou à des peines ou à des traitements cruels et inusités ». Les demandeurs affirment que l’agent a appliqué le critère légal relatif au risque prévu aux articles 96 et 97 de la Loi, et non le critère moins exigeant prévu à l’article 25. Les demandeurs soutiennent enfin que les renseignements obtenus à la suite d’une recherche sur « GOOGLE », de même que les renseignements obtenus des employés de l’ambassade du Canada à Séoul ne constituent de toute évidence pas des « documents de notoriété publique ».

 

Analyse et décision

 

[24]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Les deux parties conviennent que la norme de contrôle appropriée dans le cas des décisions relatives à des raisons d’ordre humanitaire est, selon l’arrêt Baker, précité, celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord avec cet argument, mais les demandeurs ne contestent pas la décision générale de l’agent. Les demandeurs font valoir trois moyens, dont l’un concerne une question de droit et les deux autres, des questions d’équité procédurale. J’estime donc que la norme de contrôle appropriée pour toutes les questions en litige est celle de la décision correcte.

 

[25]           Deuxième question

            L’agent a-t-il commis une erreur de droit en n’appliquant pas le bon critère pour déterminer si les demandeurs seraient exposés à des difficultés injustifiées ou excessives?

            Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère légal pour apprécier le risque selon l’article 25 de la Loi. Le défendeur explique qu’il était loisible à l’agent de se fonder sur les conclusions de fait, comme dans le cas d’une demande d’ERAR. Voici l’extrait pertinent de la décision de l’agent :

[traduction] Je prends acte du fait que M. Kim a expliqué qu’il craignait de retourner en Corée du Sud en raison des agissements d’un « usurier » qui était également impliqué dans le stratagème qui a conduit à sa condamnation pour fraude. Pour évaluer cette crainte, j’ai procédé à l’évaluation du risque (ci-jointe) et je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de raisons suffisantes de croire que lui ou sa famille seraient menacés de mort ou exposés à la torture ou à des traitements cruels et inusités.

 

 

[26]           Voici l’extrait pertinent de l’évaluation des risques jointe à la décision :

[traduction] Pour conclure, j’estime que les agissements du criminel qui a menacé M. Kim et sa famille ne sont pas assez graves pour justifier une crainte de persécution. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de raisons de croire que la vie de M. Kim serait menacée ou qu’il serait exposé à la torture ou à des peines ou à des traitements cruels et inusités.

 

 

[27]           Dans le jugement Ramirez, précité, aux paragraphes 42 et 43, le juge de Montigny, de notre Cour, a analysé la question du critère légal des difficultés prévu à l’article 25. Il déclare ce qui suit :

[42]     Il va sans dire que la notion de « difficultés », dans une demande CH, et la notion de « risque » envisagée dans une ERAR ne sont pas équivalentes et doivent être appréciées selon une norme différente. Comme le juge en chef Allan Lutfy l'a expliqué dans la décision Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 296 :

[3] Dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), le demandeur a le fardeau de convaincre le décideur qu’il y aurait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada.

 

[4] Dans un examen des risques avant renvoi en vertu des articles 97, 112 et 113 de la LIPR, la protection peut être accordée à une personne qui, suivant son renvoi du Canada vers son pays de nationalité, serait exposée soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités.

 

[5] À mon avis, l’agente d’immigration a commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’était pas tenue de traiter des facteurs de risque dans son examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Elle n’aurait pas dû se fermer aux facteurs de risque même si une décision défavorable valide avait pu être rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi. Il peut exister des considérations relatives au risque qui soient pertinentes à une demande de résidence permanente depuis le Canada, lesquelles sont loin de satisfaire le critère plus rigoureux de la menace à la vie ou du risque de traitements cruels et inusités.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[43]    Il est tout à fait légitime pour un agent de s'appuyer sur le même ensemble de conclusions factuelles en appréciant une demande CH et une demande d'ERAR, à condition que ces faits soient analysés sous le bon angle. Or, c'est précisément là que l'évaluation effectuée par l'agente en l'espèce est insuffisante. L'agente a apprécié les facteurs de risque que les demanderesses ont invoqués, mais elle ne les a pas appréciés par rapport à la bonne norme.

 

 

[28]           Bien que la présente affaire soit quelque peu différente étant donné que l’agent n’était pas appelé à trancher une demande d’ERAR, je suis d’avis que le principe susmentionné s’applique quand même.

 

[29]           Il ressort à l’évidence des extraits précités des motifs de l’agent que ce dernier a appliqué la norme applicable à la question de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, la vie des demandeurs serait menacée ou si les demandeurs seraient exposés à la torture ou à des peines ou des traitements cruels et inusités. Il ne s’agit pas de la norme appropriée pour évaluer les risques dans le cas d’une décision fondée sur l’article 25. Le bon critère est celui de savoir si le risque créerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Il s’agissait d’une erreur de droit et j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire sur ce moyen.

 

[30]           Il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions soulevées par les demandeurs en raison de ma conclusion sur le deuxième point litigieux.

 

[31]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent CH pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[32]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre de question grave de portée générale en vue de sa certification.


 

JUGEMENT

 

[33]           IL EST ORDONNÉ QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent CH pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Les dispositions législatives applicables sont reproduites dans la présente section.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) :

 

25.(1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

36.(1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

[. . .]

 

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants  :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

 

 

d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

 

25.(1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

36.(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

. . .

 

(2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

 

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by way of indictment, or of two offences under any Act of Parliament not arising out of a single occurrence;

(b) having been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, or of two offences not arising out of a single occurrence that, if committed in Canada, would constitute offences under an Act of Parliament;

 

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament; or

 

(d) committing, on entering Canada, an offence under an Act of Parliament prescribed by regulations.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4222-07

 

INTITULÉ :                                       WAN SOO KIM, MI KYUNG LEE, DA HYUN KIM,

                                                            JU YOUNG KIM et HANNAH KIM

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 mai 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

POUR LE DEMANDEUR

Negar Hashemi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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