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Date : 20080527

Dossier : T-2167-06

Référence : 2008 CF 676

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

STANLEY COHEN

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Stanley Cohen, est un avocat qui, durant les années 1985 à 1992, a travaillé à la Commission de réforme du droit du Canada. Lorsque les activités de cette commission ont pris fin en 1992, le demandeur a repris son emploi au ministère de la Justice du Canada, un emploi qu’il occupe toujours aujourd’hui. Le demandeur a cherché à racheter sa période de service à la Commission aux fins du Régime de pension de la fonction publique. Sa démarche qui n’a pas été fructueuse est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter la demande avec dépens.

 

 

EXPOSÉ DES FAITS

[2]               Les faits pertinents sont les suivants :

1.      Le demandeur a obtenu son diplôme en droit, a été admis au Barreau du Manitoba et a travaillé comme avocat dans cette province et enseigné le droit à temps partiel jusqu’en 1977.

 

2.      En 1978 et 1979, le demandeur a agi à titre de conseiller spécial pour le ministère fédéral de la Justice et, en 1979, il est devenu professeur invité à la Faculté de droit de l’Université McGill.

 

3.      Le 1er septembre 1980, le demandeur a été engagé comme « contractuel » par la Commission de réforme du droit du Canada et il y a occupé un poste à plein temps jusqu’au 31 décembre 1981, date à laquelle il est retourné à la Faculté de droit de l’Université McGill comme professeur agrégé. Il a continué d’agir comme conseiller pour la Commission en touchant une indemnité journalière.

 

4.      Le demandeur a signé deux contrats d’engagement avec la Commission. Le premier daté du 31 décembre 1981 avait une durée d’un an et expirait le 31 décembre 1982. Le second daté du 30 septembre 1982 résiliait le premier contrat à une date anticipée et sa durée s’étendait du 1er octobre 1982 au 30 septembre 1983.

 

5.      La première entente, celle datée du 31 décembre 1981, stipulait que le demandeur devait donner [traduction] « des avis et des consultations sur des questions liées à la recherche en droit et être présent dans les locaux de la Commission. Cette entente prévoyait une indemnité journalière de 250 $, jusqu’à concurrence de 3 750 $ plus les frais. Le paragraphe 7 de l’entente stipulait ce qui suit :

[traduction]

7.         Il est entendu et convenu que la présente entente est un contrat de prestation de service et que le consultant est engagé à titre d’entrepreneur indépendant et n’est pas, ni ne sera pas réputé être, un employé ou un fonctionnaire de la Commission.

 

 

6.      La seconde entente, celle du 30 septembre 1982 était essentiellement identique. Elle prévoyait une indemnité journalière de 250 $, mais jusqu'à concurrence de 6 250 $, plus les frais. Le libellé de la clause 8 de cette entente était identique à celui de la clause 7 (citée précédemment) de la première entente.

 

7.      Le demandeur, au paragraphe 5 de l’affidavit qu’il a souscrit dans la présente instance, décrit la fonction qu’il a exercée pour la Commission durant la période de 1981 à 1983 comme étant celle d’un consultant externe. Il ne cherche pas à acquérir des prestations de pension de retraite pour cette période.

 

8.      Le demandeur a continué d’enseigner à la Faculté de droit de l’Université McGill jusqu’en août 1985.

 

9.      En août 1985, le demandeur est retourné à la Commission de réforme du droit du Canada cette fois pour y travailler à plein temps. Il faisait partie de l’échelon administratif supérieur. Il travaillait sur place, supervisait bon nombre d'employés et participait à des consultations externes. Il a occupé cette fonction sans interruption jusqu’à ce que la Commission cesse ses activités en 1992. Le demandeur déclare au paragraphe 13 de son affidavit qu’il a signé un certain nombre de contrats avec la Commission relativement à cette période d’engagement. Il croyait savoir, et le défendeur ne l’a pas contredit, que les contrats devaient être renouvelables et que la durée de son mandat demeurait indéterminée et indéfinie. Il a déclaré dans son affidavit que les contrats étaient différents de ceux signés le 31 décembre 1981 et le 30 septembre 1982, dont il a été question précédemment, et de celui dont il est fait mention à l’annexe D de la lettre du Conseil du Trésor du 9 novembre 2006 dont il sera question plus loin. Ni le demandeur ni le défendeur n’ont été en mesure de produire en preuve l’un ou l’autre de ces contrats. La Cour a été informée (tel qu’il appert clairement) que, durant la période en question, le demandeur n’a fait aucun paiement lié à des prestations de pension.

 

10.  Le ministère fédéral de la Justice a réengagé le demandeur le 23 septembre 1992 qui a alors présenté une demande en vue du rachat de sa période de service à la Commission de réforme du droit du Canada aux fins du Régime de pension de la fonction publique. La Direction des pensions de retraite de Approvisionnements et Services Canada l’a informé de ce qui suit dans une note de service contenue dans un formulaire type comportant des insertions manuscrites, daté du 11 janvier 1993 :

[traduction]

La période d’emploi à la Commission de réforme du droit comme contractuel de 1981 à 1982 et à la Commission de réforme du droit de 1985 à 1992 correspond à un emploi durant lequel le cotisant n’était pas assujetti à un régime de pension. Voir le paragraphe 2(1) de la LPFP. [Insertions manuscrites soulignées.]

 

11.  Le demandeur n’a pas donné suite à cet avis avant 2001. Dans l’affidavit qu’il a souscrit, le demandeur mentionne ceci au paragraphe 16 :

[traduction]

Je me suis fié à cet avis et je n’ai pris aucune autre mesure pour racheter ma période de service à la Commission de réforme du droit avant 2001.

                       

Dans une lettre datée du 17 mars 2006 envoyée à Travaux publics, son avocat a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Il est évident que M. Cohen n’a pas été bien informé en 1993 lorsqu’il a demandé la première fois des renseignements sur le rachat de sa période de service.

 

12.  Pour des motifs qui ne sont pas exposés dans la preuve, le demandeur a présenté une nouvelle demande pour racheter ses années de service à la Commission aux fins de pension en mars 2001. Au paragraphe 17 de son affidavit, le demandeur affirme avoir procédé avec diligence dans cette démarche. Dans une lettre datée du 17 mars 2006 que son avocat a fait parvenir à Travaux publics, M. Cohen s’est de nouveau enquis du droit de racheter ses années de service passées à la Commission. Il a de nouveau été avisé que l’achat de prestations de pension n’était pas possible.

 

13.  Même si cela n’a pas été mis en preuve directement, la lettre du 17 mars 2006 rédigée par l’avocat du demandeur fait état d’un courriel, dont la teneur n’a pas été produite en preuve au complet, que Linda Belliveau de la Direction des pensions de retraite a envoyé au demandeur le 6 janvier 2003. Elle y affirmait notamment ce qui suit :

[traduction]

L’emploi contractuel n’est pas reconnu comme ouvrant droit à pension sous le régime de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP); toutefois, si après examen du contrat, il est établi que le contrat est un contrat de travail et qu’un lien employeur-employé existait, le service n’est plus considéré comme un emploi contractuel pour l’application de la LPFP mais plutôt comme un emploi dans la fonction publique.

 

Le courriel lui‑même et la correspondance connexe n’ont pas été produits en preuve.

 

14.  Tel qu’il a été souligné précédemment, le demandeur a retenu, au début de 2006, les services d’un avocat, M. Brown, qui le représentait également à l’audience. Dans la lettre du 17 mars 2006 envoyée à Travaux publics, ce dernier a fourni deux déclarations : l’une d’Allen Linden, actuellement juge surnuméraire à la Cour d’appel fédérale et antérieurement président de la Commission de réforme du droit de 1983 à 1990 et l’autre de Gilles Létourneau, actuellement juge à la Cour d’appel fédérale et antérieurement vice‑président de la Commission de réforme du droit de 1985 à 1990 et président de cette même commission de 1990 à 1992. Les deux déclarations qui portaient sur l’engagement et le mandat du demandeur au sein de la Commission le décrivaient comme étant le coordonnateur du projet relatif à la procédure en matière criminelle. Il était considéré comme un membre à part entière de l’équipe de direction qui assumait des responsabilités de supervision. Deux points revêtant une importance particulière ont été soulevés suivant des termes assez semblables dans chacune des déclarations :

[traduction]

·         Même si l’engagement de M. Cohen à la Commission a été officialisé par une série de contrats écrits, il était entendu que ces contrats seraient renouvelables et, indice de cet arrangement, M. Cohen a exercé son mandat sans interruption durant toute la durée de ma nomination à la Commission.

 

·         M. Cohen n’était pas considéré comme un employé temporaire. En fait, il lui aurait été impossible de remplir ses fonctions et de s’acquitter de ses responsabilités à la Commission de façon temporaire.

 

 

15.  L’avocat du demandeur conclut la lettre du 17 mars 2006 en ces termes :

[traduction]

Je vous demanderais d’examiner cette question le plus rapidement possible. Si vous ne nous répondez pas avant le 15 avril 2006, nous présenterons au président du Conseil du Trésor une demande en bonne et due forme pour qu’il examine la question. S’il le faut, nous sommes disposés à saisir la Cour fédérale de l’affaire.

 

16.  Le dialogue qui suit est extrait d’une autre lettre que l’avocat du demandeur a fait parvenir à Travaux publics en date du 26 octobre 2006 et dans laquelle il demandait qu’une décision soit communiquée avant le 30 novembre 2006, faute de quoi une procédure judiciaire serait engagée. Cette lettre est rédigée comme suit :

[traduction]

Je vous ai écrit le 17 mars 2006 au sujet du droit de M. Cohen de racheter les années de service s’étendant d’août 1985 à septembre 1992, période durant laquelle il était à l’emploi de la Commission de réforme du droit du Canada.

 

Le 18 mai 2006, je vous ai fourni une copie de la lettre que j’avais envoyée au président du Conseil du Trésor le 5 mai 2006 pour lui demander officiellement de rendre une décision. Je vous ai également fourni une copie des déclarations signées par deux anciens présidents de la Commission de réforme du droit, lesquelles décrivaient la situation d’emploi de M. Cohen à la Commission de 1985 à 1992.

 

Le 8 juin 2006, une lettre que vous aviez adressée à Mme D.M. Gushta du ministère de la Justice a été remise à M. Cohen. Vous demandiez dans cette lettre que M. Cohen soumette pour examen tous les contrats couvrant la période de 1985 à 1992 et une période antérieure en 1978.

 

M. Cohen a fouillé ses dossiers et papiers, mais il n’arrive pas à trouver les contrats couvrant la période de 1985 à 1992. Il a réussi à trouver deux contrats antérieurs qu’il avait signés avec la Commission de réforme du droit, l’un daté du 31 décembre 1981 et l’autre daté du 30 septembre 1982. Des copies de ces deux contrats sont jointes aux présentes. Ces deux contrats visaient un nombre de jours précis sur une période de plusieurs mois. À l’époque en question, M. Cohen enseignait à l’Université McGill. Ces accords différaient substantiellement des accords de travail de la période de 1985 à 1992 où M. Cohen occupait à plein temps de façon continue, à Ottawa, le poste de coordonnateur du projet relatif à la procédure en matière criminelle à la Commission suivant les conditions décrites dans les déclarations de M. Linden et de M. Létourneau.

 

Compte tenu du fait qu’il s’est écoulé beaucoup de temps, j’apprécierais recevoir rapidement une décision sur la question du droit de M. Cohen à racheter les années de service de 1985 à 1992.

 

Si nous n’avons pas reçu de réponse de la part du Conseil du Trésor (ou de votre part, en tant que délégué autorisé du Conseil du Trésor) avant le 30 novembre 2006, nous considérerons que la décision est un refus du droit en question. Dans ce cas, M. Cohen a l’intention de présenter une demande fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [sic] afin que la question de son droit au rachat puisse être résolue.

 

 

17.  Le demandeur a reçu une lettre de Phil Charko du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, datée du 9 novembre 2006, l’informant que la période de temps où il avait travaillé à la Commission de réforme du droit ne pouvait être comptée aux fins de pension sous le régime de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP). Cette lettre était rédigée comme suit :

[traduction]

Je vous remercie de votre lettre du 6 novembre 2006 concernant votre client, M. Stanley Cohen, qui souhaite porter à son crédit certaines périodes de temps passées à la Commission de réforme du droit du Canada comme service ouvrant droit à pension en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP). L’examen du dossier de M. Stanley Cohen est terminé et je désire vous informer des résultats.

 

Dans votre lettre datée du 17 mars 2006, vous alléguiez que M. Cohen avait été nommé en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi sur la Commission de réforme du droit, L.R.C. 1985, ch. L‑7, qui prévoit que : « Le secrétaire de la Commission et les autres fonctionnaires et employés nécessaires à la bonne marche des travaux de la Commission sont nommés conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. »

 

Si M. Cohen avait été nommé en vertu du paragraphe 7(1), il serait réputé, comme vous l’avez proposé, faire partie de la fonction publique pour l’application de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP) en vertu de l’article 8 de la Loi sur la Commission de réforme du droit.

 

Un examen minutieux du dossier n’a révélé aucune preuve corroborant votre allégation selon laquelle M. Cohen avait été nommé en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi sur la Commission de réforme du droit.

 

Par ailleurs, l’examen du dossier a effectivement permis de recueillir des éléments de preuve laissant croire que M. Cohen avait été engagé en vertu du paragraphe 7(2) de la Loi sur la Commission de réforme du droit qui est rédigé comme suit : « La Commission peut, à titre provisoire ou pour des projets déterminés, retenir les services de personnes possédant des connaissances techniques ou spécialisées sur toute question relative à ses travaux, pour la conseiller et l’aider à remplir les fonctions que lui attribue la présente loi, et, avec l’approbation du ministre, elle peut fixer et payer la rémunération et les frais de ces personnes. »

 

Deux éléments de preuve, consistant en des notes datées du 20 mai 1980 et du 5 février 1982, font état du paragraphe 7(2).

 

La première note (annexe A) sollicite l’autorisation du sous‑ministre pour retenir les services de M. Cohen du 1er septembre 1980 au 31 août 1982 en vue de faire de la recherche dans le domaine du droit criminel. Pour aider à justifier la rémunération recommandée de 42 500 $ par année, il y est signalé que, si M. Cohen était un fonctionnaire du ministère de la Justice, il pourrait bien toucher 37 000 $ par année. Il y est également mentionné qu’il est d’usage d’ajouter 15 p. 100 dans le cas d’un employé contractuel et que, si ce 15 p. 100 était ajouté au montant de 37 000 $, le résultat se chiffrerait à 42 550 $ par année.

 

La seconde note (annexe B) demande que les services de M. Cohen soient retenus pour un maximum de 15 jours durant la période du 1er janvier 1982 au 31 décembre 1982 au tarif de 250 $ par jour et les frais usuels.

 

Je joins des copies des notes en question pour que vous en preniez connaissance. Je souligne que le paragraphe 7(2) de la Loi est mentionné expressément dans les deux notes comme la disposition conférant le pouvoir de retenir les services de M. Cohen.

 

Même si les deux notes ne se rapportent pas à la période que votre client souhaite choisir sous le régime de la LPFP – août 1985 à septembre 1992 – elles indiquent que ses nominations antérieures comme contractuel à la Commission de réforme du droit ont été faites en vertu du paragraphe 7(2).

 

Nous joignons également d’autres documents des mêmes années qui laissent croire qu’il était entrepreneur indépendant, dont une liste extraite d’un document de 1988 dans laquelle M. Cohen est désigné comme chercheur à la Commission (annexe C), une copie d’un contrat type offert aux chercheurs à plein temps (annexe D) et un organigramme (annexe E) montrant que les chercheurs étaient des contractuels.

 

En prenant connaissance du contrat type, vous noterez que l’article 10 stipule que les chercheurs étaient des entrepreneurs indépendants et non des employés de la Commission. Puisque M. Cohen était un chercheur, il aurait été engagé en vertu du contrat type. Compte tenu de son bagage juridique, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait lu cette clause et en ait compris les ramifications juridiques.

 

Tous les éléments qui précèdent laissent croire que M. Cohen a été engagé par la Commission de réforme du droit comme entrepreneur indépendant en vertu du paragraphe 7(2). Il ne m’est donc pas possible de conclure que la période durant laquelle il a travaillé à la Commission peut être comptée aux fins de pension en vertu de la LPFP.

 

Si vous êtes en mesure de démontrer qu’il a été engagé en vertu de contrats différents du contrat type, il nous fera plaisir de réexaminer le dossier.

 

 

18.  Il faut se rappeler que le demandeur n’a pas demandé de prestations de pension pour les périodes couvertes par les contrats mentionnés dans les notes dont il est discuté dans la lettre (annexes A et B). Ce fait est reconnu dans la lettre du 9 novembre 2006. De plus, la preuve que le demandeur a présentée à la Cour seulement sous forme d’affidavit, et non à M. Charko, veut que l’ébauche de contrat type figurant à l’annexe D ne soit représentative d’aucun contrat écrit qu’il a signé avec le gouvernement. Il semble que ni l’une ni l’autre des parties ne puisse trouver ou produire les contrats écrits visant la période de 1985 à 1992.

 

19.  Le demandeur, par avis déposé le 8 décembre 2006, a demandé le contrôle judiciaire de ce qui est énoncé dans la lettre du 9 novembre 2006.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[3]               Trois questions doivent être tranchées dans la présente demande :

1.      La lettre du 9 novembre 2006 constitue‑t‑elle une « décision » susceptible d’être l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7? Plus particulièrement, le demandeur est‑il irrecevable à demander le contrôle judiciaire compte tenu d’une note datée du 11 janvier 1993 affirmant qu’il n’était pas assujetti à un régime de pension? (DÉLAI)

2.      Quelle est la norme de contrôle applicable, le cas échéant? (NORME DE CONTRÔLE)

3.      Si le demandeur peut solliciter le contrôle judiciaire et si la lettre du 9 novembre 2006 constitue une « décision » au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, cette décision devrait‑elle alors être annulée? (BIEN‑FONDÉ)

 

QUESTION 1 - DÉLAI

[4]               Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, prévoit qu’une demande de ce genre doit être présentée dans les trente jours qui suivent la première communication de la décision à la partie concernée, à moins que la Cour n’en ordonne autrement. Pour résumer, la demande en vue d’acheter des prestations de pension a été refusée en 1993, 2001 et 2003 et finalement le 9 novembre 2006. Si le 9 novembre 2006 est la date déterminante, il s’ensuit alors que la demande de contrôle judiciaire a été présentée dans le délai prévu. Si la date de la décision est l’une des dates antérieures, la demande est alors bien hors délai. Le demandeur n’a pas demandé la prolongation du délai prévu pour présenter sa demande de contrôle judiciaire. Il affirme que la date déterminante est le 9 novembre 2006.

 

[5]               L’avocate du défendeur soutient que les lettres envoyées par l’avocat du demandeur à partir du 17 mars 2006 constituent simplement une tentative de ressusciter une affaire à laquelle il avait été mis fin plusieurs années auparavant dans l’intention de susciter une réponse du gouvernement. L’avocate s’appuie sur la déclaration du juge McKeown de la Cour dans Dhaliwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 982, au paragraphe 2 :

Comme le juge Wetston l’a déclaré dans l’arrêt Wong c. le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 5 mai 1995, no du greffe IMM-1338-93 (C.F. 1re inst.) [[1995] A.C.F. no 685], un procureur ne peut reporter la date d’une décision en envoyant une lettre dans l’intention de susciter une réponse.

 

 

[6]               L’avocate du défendeur affirme que l’affaire a été tranchée en 1993 et que, mises à part les tentatives effectuées en 2001 et en 2003 qui sont piètrement étayées par la preuve au dossier, elle a été laissée de côté. Les lettres de 2006 étaient simplement une tentative grossière d’amener le gouvernement à rouvrir un dossier périmé.

 

[7]               L’avocat du demandeur prétend qu’il n’y avait rien de répréhensible dans la tentative de faire rouvrir le dossier et que, si le gouvernement a effectivement rouvert le dossier, et il peut être considéré qu’il l’a fait, la date du 9 novembre 2006 est la date déterminante. Il invoque la décision du juge Noël dans Dumbrava c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1995), 101 F.T.R. 230, au paragraphe 15 :

15     Je trouve ce raisonnement irrésistible. Chaque fois qu’une autorité décisionnaire qui y est habilitée accepte de revoir une décision à la lumière de faits nouveaux, il en résultera une nouvelle décision, que la décision initiale soit changée, modifiée ou maintenue4. La question qui se pose est de savoir s’il y a nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, et il en sera toujours ainsi lorsque l’autorité décisionnaire accepte de revoir sa décision à la lumière de faits et d’arguments dont elle n’avait pas été saisie au moment de la décision initiale.

 

[8]               Je suis d’avis, eu égard à la lettre du 9 novembre 2006, que l’autorité décisionnaire s’est effectivement engagée dans le réexamen de l’affaire. Nous ne savons pas quels étaient les faits dont l’autorité décisionnaire avait été saisie en 1993, 2001 ou 2003, mais nous savons cependant, tel qu’il est précisé dans la lettre du 9 novembre 2006, qu’un [traduction] « examen minutieux du dossier » a été entrepris. Il a été fait état des contrats, et de notes y afférentes, datés de 1981 et 1982. De nouveaux éléments de preuve, présentés aux annexes C, D et E, sont invoqués. L’annexe C dresse la liste des personnes engagées à la Commission. L’annexe D est présentée comme étant un contrat type offert aux chercheurs à plein temps. L’annexe E est un organigramme. La lettre se termine en invitant le demandeur à soumettre la preuve de l’existence de contrats différents. Aucune réponse, quelle qu’elle soit, n’a suivi. La demande de contrôle judiciaire a été déposée le 8 décembre 2006.

 

[9]               Par conséquent, je suis d’avis que la lettre du 9 novembre 2006 est la décision déterminante et que la demande de contrôle judiciaire a été présentée dans le délai prévu.

 

QUESTION 2 – NORME DE CONTRÔLE

[10]           Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, il est nécessaire d’adopter une nouvelle démarche pour déterminer quelle est la norme de contrôle applicable à une décision particulière à l’étude. La Cour suprême à la majorité a déclaré au paragraphe 45 de la décision qu’il existait désormais deux normes de contrôle seulement, à savoir la décision raisonnable et la décision correcte :

45     Nous concluons donc qu’il y a lieu de fonder en une seule les deux normes de raisonnabilité. Il en résulte un mécanisme de contrôle judiciaire emportant l’application de deux normes – celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Or, la nouvelle approche ne sera plus simple et plus facile à appliquer que si les concepts auxquels elle fait appel sont bien définis.

 

 

[11]           La Cour à la majorité a affirmé, au paragraphe 47, que la « décision raisonnable » était la norme empreinte de déférence et que les tribunaux administratifs devaient considérer différentes solutions rationnelles acceptables.

47     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[12]           La décision plus récente de la Cour suprême dans Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, définit davantage la « décision raisonnable ». La décision unanime de la Cour a été rédigée par le juge LeBel. Au paragraphe 41, il affirme qu’une cour doit déterminer si la décision se situe dans le cadre des solutions raisonnables possibles.

41     La norme de la raisonnabilité n’exige pas l’adhésion aveugle à l’appréciation ministérielle. Au contraire, elle admet la possibilité de plus d’une conclusion. Il n’appartient pas à la cour de révision de substituer sa propre appréciation des considérations pertinentes. Cette cour doit plutôt déterminer si la décision du ministre se situe dans le cadre des solutions raisonnables possibles. La cour qui applique cette norme dans le contexte d’une demande d’extradition doit alors déterminer si le ministre a tenu compte des faits pertinents et tiré une conclusion susceptible de se justifier au regard de ces faits. À l’instar du juge Laskin de la Cour d’appel, j’estime que le ministre doit se prononcer en appliquant la norme juridique appropriée. Sans l’analyse voulue, la conclusion ministérielle n’est ni rationnelle ni justifiable. Or, lorsque le ministre a choisi le bon critère, sa conclusion devrait être confirmée par la cour à moins qu’elle ne soit déraisonnable. Cette approche ne diminue pas la protection offerte par la Charte. Elle signifie tout simplement que les évaluations des droits et intérêts protégés par l’art. 7 en matière d’extradition supposent des pondérations essentiellement dépendantes de l’appréciation des faits en cause. L’expertise du ministre en la matière et son obligation de veiller au respect des obligations internationales du Canada le rendent plus apte à déterminer si les facteurs pertinents militent ou non en faveur de l’extradition.

 

[13]           Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunmuir, la Cour suprême à la majorité a déclaré à propos de la décision correcte que cette norme devait continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit :

50     S’il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d’une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit. On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

[14]           Dans la détermination de la norme de contrôle appropriée, aux paragraphes 51 à 65 de la décision Dunsmuir, la majorité de la Cour suprême a donné des indications qui sont bien résumées aux paragraphes 55 et 56 et 62 à 64 :

55     Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

·                     Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

 

·                     Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).

 

·                     La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

 

56     Dans le cas où, ensemble, ces facteurs militent en faveur de la norme de la raisonnabilité, il convient de déférer à la décision en faisant preuve à son endroit du respect mentionné précédemment. Il n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit au regard du caractère raisonnable. Il s’agit simplement de confirmer ou non la décision en manifestant la déférence voulue à l’égard de l’arbitre, compte tenu des éléments indiqués.

 

[…]

 

 

62     Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

63     L’analyse qui préside actuellement à la détermination de la norme de contrôle applicable est généralement qualifiée de « pragmatique et fonctionnelle ». Cette appellation importe peu, et la cour de révision ne doit pas s’y attacher au détriment de ce qu’exige réellement la démarche. Il se peut qu’elle ait induit les cours de justice en erreur dans le passé. C’est pourquoi, à l’avenir, nous parlerons simplement d’« analyse relative à la norme de contrôle ».

 

64     L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative; (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante; (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

 

[15]           Dans la présente affaire, la décision du 9 novembre 2006 supposait une analyse de la preuve quant à la nature de l’engagement du demandeur à la Commission de réforme du droit et l’application de ces faits à la Loi sur la Commission de réforme du droit, S.R., ch. 23 (1er suppl.), à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, S.R., ch. P-32, et à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, S.R., ch. P-35. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit.

 

[16]           Aucune des lois pertinentes ne comporte de clause privative. Aucune expertise particulière n’a été mise en preuve à l’égard du décideur, même s’il peut être inféré qu’il a une certaine expertise en la matière. Il n’y a pas de structure officielle semblable à celle d’un tribunal et le processus de prise de décision s’apparente plus, de par sa nature, à un processus administratif. L’avocate du défendeur invoque trois décisions présentant des faits plus ou moins analogues pour lesquelles la Cour a déterminé la norme de contrôle applicable.

 

[17]           Dans Estwick c. Canada (Procureur général), 2007 CF 894, la juge Heneghan de notre Cour s’est dite d’avis, au paragraphe 80, que la norme de contrôle applicable à une décision rendue par un arbitre en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique était celle de la décision manifestement déraisonnable. Cette décision est antérieure à l’arrêt Dunsmuir, précité.

 

[18]           Dans Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2008 CF 474, le juge suppléant Frenette de la Cour, aux paragraphes 17 et 18, a appliqué, à l’égard d’une décision prise par une agente des politiques agissant en vertu de la Loi sur la pension dans la fonction publique, précitée, la norme de la décision correcte pour les conclusions liées à de pures questions de droit et la norme de la décision raisonnable aux questions mixtes de fait et de droit.

 

[19]           Dans Burley c. Canada (Procureur général), 2008 CF 525, la juge Dawson de notre Cour a examiné la décision prise par une sous‑ministre adjointe quant à la question de savoir si une personne était employée ou non pendant qu’elle suivait un cours de langue, pour l’application de la Loi sur la pension de la fonction publique, précitée. Aux paragraphes 21 à 26, la juge Dawson s’est penchée sur la question de la norme de contrôle applicable et elle a décidé qu’il n’était pas nécessaire de la déterminer puisque la décision résistait à un examen approfondi, même avec l’application de la norme moins rigoureuse de la norme de la décision correcte.

 

[20]           Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable à l’égard de la décision en cause en l’espèce est celle de la décision raisonnable. La question à trancher était une question mixte de fait et de droit eu égard à des circonstances où une certaine expertise a été mise à profit.

 

QUESTION 3 – BIEN‑FONDÉ

[21]           La décision du 9 novembre 2006 était‑elle raisonnable sur le fond?

 

[22]           Le décideur, M. Charko, avait été saisi des éléments de preuve suivants :

·        Les contrats signés par le demandeur et le gouvernement en 1981 et 1982 qui décrivent clairement le demandeur comme un entrepreneur indépendant, et non un consultant, et les notes (annexes A et B) en rapport avec ces contrats. Le décideur dans la lettre du 9 novembre 2006 reconnaît que ces contrats ne visaient pas la période en question mais il ajoute qu’ils indiquent que l’engagement contractuel du demandeur dans cette période était régi par le paragraphe 7(2) de la Loi sur la Commission de réforme du droit, précitée (dont il sera discuté plus en détail plus loin).

·        Une liste des personnes travaillant à la Commission (annexe C) en 1988 sur laquelle le demandeur était désigné comme l’un des [traduction] « chercheurs de la CRDC ».

·        Un organigramme (annexe E) énumérant les divers postes au sein de la Commission, y compris ceux des chercheurs, et permettant de constater que, contrairement aux autres postes, aucune désignation alphanumérique de classification interne n’était attribuée aux chercheurs.

·        Une copie d’un contrat type (annexe D) offert aux chercheurs. Le décideur a tiré la conclusion que, puisque le demandeur était un chercheur, ce contrat représentait le contrat valide. La lettre du 9 novembre 2006 se termine en précisant clairement que, si le demandeur pouvait démontrer qu’il avait été engagé en vertu de contrats différents du contrat type, l’affaire ferait l’objet d’un nouvel examen.

D’après la preuve, le demandeur ne semble pas avoir répondu à l’invitation d’établir une distinction entre sa situation et celle reflétée par le contrat type. Il a plutôt choisi d’entreprendre la présente demande. Dans l’affidavit qu’il a souscrit dans le cadre de la présente demande, le demandeur affirme, au paragraphe 13, qu’il a signé un certain nombre de contrats, tous introuvables, mais qu’ils étaient différents du contrat type et des contrats de 1981 et de 1982. Cette preuve n’a toutefois pas été soumise au décideur, malgré l’invitation à réagir sur ce point précis. Il nous reste à essayer de comprendre pourquoi il n’a pas été donné suite à la discussion avec le décideur pour soulever le point que le demandeur cherche maintenant à faire trancher par la Cour pour la première fois. Une preuve de ce genre ne peut être admise à l’heure actuelle (Kante c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 109, aux paragraphes 9 et 10). Le caractère raisonnable de la décision doit être déterminé sur le fondement de la preuve dont le décideur était saisi.

·        Les déclarations des juges Linden et Létourneau, mentionnées précédemment, lesquelles décrivent le demandeur comme un membre à part entière de l’équipe de gestion de la Commission travaillant à plein temps et, de toute évidence, non pas comme un employé temporaire.

Le décideur ne fait pas état de ces déclarations même si la preuve indique nettement qu’il en avait été saisi à ce moment‑là. Les déclarations démontrent clairement la nature de l’engagement du demandeur dans une fonction exclusive à plein temps et non dans une fonction qui serait normalement associée à celle d’un chercheur contractuel.

 

Le défaut de faire état de ces déclarations et de l’influence qu’elles ont eu sur la décision communiquée dans la lettre du 9 novembre 2006 soulève effectivement des doutes quant à la rigueur du processus de prise de décision. Par ailleurs, la lettre du 9 novembre 2006 se termine bel et bien par une invitation à soumettre d’autres observations et il s’agissait là d’une occasion de faire ressortir ces déclarations et l’éclairage qu’elles jettent sur la nature de la relation.

 

[23]           Le décideur devait prendre une décision en appliquant les éléments de preuve au régime législatif établi aux articles 7 et 8 de la Loi sur la Commission de réforme du droit, précitée, qui sont rédigés comme suit :

7. (1) Le secrétaire de la Commission et les autres fonctionnaires et employés nécessaires à la bonne marche des travaux de la Commission sont nommés conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

 

(2) La Commission peut, à titre provisoire ou pour des projets déterminés, retenir les services de personnes possédant des connaissances techniques ou spécialisées sur toute question relative à ses travaux, pour la conseiller et l’aider à remplir les fonctions qui lui attribue la présente loi, et, avec l’approbation du ministre, elle peut fixer et payer la rémunération et les frais de ces personnes. 

 

8. Les membres de la Commission dont le traitement n’est pas régi par la Loi sur les juges ou qui n’ont pas fait l’objet d’une décision contraire du gouverneur en conseil, ainsi que les personnes nommées conformément au paragraphe 7(1), sont réputés faire partie de la fonction publique pour l’application de la Loi sur la pension de la fonction publique, et de l’administration publique fédérale pour l’application de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État et des règlements pris en vertu de l’article 9 de la loi sur l’aéronautique. 

7. (1) A secretary of the Commission, and such other officers and employers as are necessary  for the proper conduct of the work of the Commission, shall be appointed in accordance with the Public Service Employment Act.

 

(2) The Commission may engage on a temporary basis or for specific projects the services of persons having technical or specialized knowledge of any matter relating to the work of the Commission, to advise and assist the Commission in the performance of its duties under this Act, and, with the approval of the Minister, may fix and pay the remuneration and expenses of such persons.

8. Except in the case of a member of the Commission in receipt of a salary under the Judges Act, or unless in the case of any other member of the Commission, the Governor in Counsel otherwise directs, the members of the Commission and the persons appointed under subsection 7(1) shall be deemed to be persons employed in the Public Service for the purposes of the Public Service Superannuation Act and to be employed in the public service of Canada for the purposes of the Government Employees Compensation Act and any regulations made under section 9 of the Aeronautics Act

 

[24]           L’avocat du demandeur soutient qu’une interprétation appropriée de ces dispositions consiste à les lire dans leur contexte global. Comme l’a conseillé la Cour suprême dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, ces dispositions doivent être interprétées conformément à l’objet de la loi et à l’intention du législateur. Par conséquent, l’avocat du demandeur avance qu’il en résulte une interprétation suivant laquelle le législateur voulait que les personnes, autres que les travailleurs temporaires ou ceux travaillant à des projets déterminés au sens du paragraphe 7(2), engagées par la Commission de réforme du droit, aient droit à des prestations de pension sous le régime de la Loi sur la pension de la fonction publique. Il est donc allégué que, sauf l’exception particulière prévue au paragraphe 7(2), toutes les autres personnes engagées par la Commission de réforme du droit ont droit à des prestations de pension.

 

[25]           L’avocat du demandeur prétend que les mots « sont nommés conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique » doivent être interprétés dans le contexte du paragraphe 7(2) qui considère que les personnes visées sont réputées engagées et qui n’exige donc pas les rigueurs d’une nomination. Subsidiairement, l’avocat du demandeur fait valoir que l’exigence relative à la nomination d’une personne est une obligation qui incombe à la Commission et le défaut de s’y conformer n’a aucune répercussion sur le statut du demandeur comme personne visée au paragraphe 7(1).

 

 

[26]           L’avocate du défendeur allègue que le paragraphe 7(1) exige effectivement qu’une personne soit « nommé[e] conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique » avec tout ce que cela comporte, notamment se porter candidat pour le poste, porter les décisions en appel et ainsi de suite. L’avocate prétend que, si une personne n’est pas ainsi nommée, elle est implicitement visée par le paragraphe 7(2) et, par conséquent, elle n’a pas droit aux prestations de pension. Plusieurs autres lois fédérales comportant des dispositions semblables sont citées. Aucune ne semble avoir été examinée par les tribunaux.

 

[27]           Les paragraphes 7(1) et (2) et l’article 8 de la Loi sur la Commission de réforme du droit, précitée, ne sont pas bien formulés. Ils semblent laisser le choix de l’un ou l’autre dans l’interprétation, suivant la position du demandeur ou celle du défendeur. Ces dispositions ne semblent pas offrir d’autres solutions ou d’entre‑deux. La décision faisant le plus autorité est la décision de la Cour suprême dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614 (parfois appelée Econosult), qui, dans une décision à la majorité rédigée par le juge Sopinka, a fait sien, au paragraphe 26, le résumé du juge Marceau de la Cour d’appel fédérale :

26     Bref, le juge Marceau résume bien la situation lorsqu’il affirme, au nom de la Cour d’appel à la majorité (à la p. 643) :

 

Il n’y a tout simplement pas de place dans cette construction juridique pour un fonctionnaire (i.e. un employé de la Reine, membre de la fonction publique) sans poste créé par le Conseil du Trésor, et sans nomination faite par la Commission de la fonction publique.

 

[28]           L’avocate du défendeur, tout en reconnaissant qu’elles pouvaient être distinguées de l’arrêt Econosult et qu’elles étaient dans une certaine mesure annulées par cet arrêt, cite des décisions antérieures de la Cour suprême, Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489 et Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503, et fait valoir que ces deux décisions antérieures illustrent qu’une analyse contextuelle des dispositions législatives pertinentes est requise dans tous les cas afin d’en arriver à la bonne interprétation.

 

[29]           En l’espèce, nous nous butons sur deux interprétations différentes de la loi, les paragraphes 7(1) et 7(2) et l’article 8 de la Loi sur la Commission de réforme du droit. S’il s’agissait d’une pure question de droit, la Cour devrait en arriver à une interprétation qui soit correcte. Toutefois, la question n’est pas une pure question de droit mais bien une question mixte de fait et de droit, à l’égard de laquelle, compte tenu de la preuve dont le décideur était saisi, la Cour doit déterminer si la décision prise était « raisonnable ». Par « raisonnable », il faut entendre une décision parmi les décisions raisonnablement susceptibles d’être prises eu égard aux circonstances de l’espèce. J’estime que tel est le cas. Compte tenu de la preuve dont le décideur disposait et même s’il n’a pas été fait état des deux déclarations, il était raisonnable de trancher que la situation du demandeur se rapprochait le plus de ce que le paragraphe 7(2) de la Loi sur la Commission de réforme du droit, précitée, envisage.

 

[30]           Après avoir tiré cette conclusion, je dois ajouter que si j’avais dû aborder cette révision sur le fondement de la décision correcte, j’aurais accordé la préférence à l’interprétation de l’avocat du demandeur concernant les paragraphes 7(1) et 7(2) et l’article 8 de la Loi sur la Commission de réforme du droit. Cette interprétation s’harmonise davantage à l’esprit de la loi qui semble avoir pour but de procurer à tous, sauf à ceux dont les services ont été retenus pour des projets déterminés de la Commission, les mêmes prestations de pension que s’ils avaient été nommés dans la fonction publique. J’aurais considéré que les dispositions déterminatives de l’article 8 influent sur les dispositions de nomination du paragraphe 7(1) si bien que toute personne qui n’est pas clairement visée par le paragraphe 7(2) est réputée avoir été nommée au sens du paragraphe 7(1).

 

[31]           La décision Dunsmuir que la Cour suprême du Canada a rendue récemment et qui a été suivie dans Lake ne fait pas que fondre les trois normes de contrôle – décision manifestement déraisonnable, décision raisonnable et décision correcte – en deux normes distinctes – décision raisonnable et décision correcte – elle invite aussi la cour de révision à examiner la question de savoir si la décision à l’étude fait partie des décisions raisonnables possibles. Par conséquent, si la décision fait partie des décisions raisonnables possibles, elle ne peut être annulée même si la Cour n’aurait pas rendu la même décision. Tel est le cas en l’espèce.

 

RÉSUMÉ ET ADJUDICATION DES DÉPENS

[32]           En résumé :

1.      La décision pertinente est celle du 9 novembre 2006 et la demande de contrôle judiciaire a été présentée dans le délai prévu.

2.      La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

3.      La décision du 9 novembre 2006 était raisonnable.

 

[33]           Par conséquent, la demande est rejetée avec dépens. Les parties ont convenu que les dépens devraient correspondre au niveau habituel, soit la valeur médiane des unités prévues à la colonne III.


 

JUGEMENT

 

Pour les motifs exposés :

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Le défendeur a droit aux dépens à être taxés selon la valeur médiane des unités prévues à la colonne III.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-2167-06

 

INTITULÉ :                                                   STANLEY COHEN

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU      CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 22 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 27 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dougald Brown

 

POUR LE DEMANDEUR

Anne Turley

Lorne Ptack

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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