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Date : 20080527

Dossier : T-305-99

Référence : 2008 CF 679

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION DENE THA’ et LE CHEF JAMES AHNSASSAY

et CHARLIE CHAMBAUD, VICTOR CHONKOLAY, FABIAN CHONKOLAY,

JOHN DEEDZA, GABRIEL DIDZENA et FRED DIDZENA,

CONSEILLERS DE BANDE, agissant en leur propre nom et au nom de

TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DENE THA’

 

demandeurs

 

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

[1]               Les demandeurs veulent obtenir l’autorisation de modifier la déclaration afin d’y inclure une réclamation en dommages-intérêts du fait que la défenderesse (la Couronne) a omis de fournir l’aide au secteur agricole prévue dans le Traité no 8. La Couronne s’oppose à la requête pour des raisons de procédure et de fond. Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion qu’il y a lieu de faire droit à la requête visant la modification.

Contexte

[2]               Le 26 février 1999, les demandeurs ont déposé une déclaration alléguant que la Couronne avait omis de s’assurer que les demandeurs reçoivent tous les avantages auxquels ils avaient droit en vertu du Traité no 8. Plus précisément, les demandeurs soutenaient que la Couronne ne s’était pas acquittée de ses obligations fiduciaires, contractuelles et issues de traités en omettant de distribuer des munitions et de la ficelle servant à la fabrication des filets aux demandeurs et à leurs ancêtres entre 1900 et 1951. En outre, la Couronne n’a pas selon eux respecté les termes du Traité no 8 en 1950 en ne leur octroyant pas toutes les terres de réserve auxquelles ils avaient droit. Dans leur demande de redressement, les demandeurs ont notamment demandé à obtenir une déclaration selon laquelle la Couronne n’a pas respecté ses promesses de fournir des munitions et de la ficelle; les droits territoriaux [traduction] « et divers autres promesses et engagements », de même que des dommages-intérêts généraux et punitifs de plus de 5 milliards de dollars.

 

[3]               À la suite d’une requête présentée par la Couronne, l’instance a été décrétée instance à gestion spéciale en septembre 1999. À la clôture des actes de procédure en janvier 2000, la juge chargée de la gestion de l’instance, madame la juge Eleanor Dawson, a dressé l’échéancier pour les prochaines étapes de l’instance. Il a été demandé aux parties d’échanger les affidavits de documents au plus tard le 31 octobre 2000 et de commencer les interrogatoires préalables en novembre 2000.

 

[4]               Pendant l’interrogatoire préalable du représentant de la Couronne tenu en mars 2001, l’avocat qui représentait alors les demandeurs avait demandé à la Couronne l’autorisation de soumettre d’autres dispositions du Traité no 8 portant sur le droit des demandeurs à [traduction] « deux houes, une bêche et d’autres éléments semblables ». Il avait alors aussi demandé une liste détaillée de tout ce qui était fourni à la Première Nation Dene Tha’ en vertu desdites dispositions (demande no 175). L’avocat de la Couronne avait contesté la pertinence des demandes par rapport aux questions énoncées dans la déclaration et avait pris la question en délibéré. La Couronne avait accepté de déterminer les dispositions du traité (voir la pièce A de l’affidavit de Colleen Doty déposé le 2 avril 2008), refusant toutefois, au moyen d’une lettre du conseil datée du 30 avril 2002, de répondre à la demande no 175.

 

[5]               Le 10 octobre 2002, les demandeurs ont nommé de nouveaux avocats inscrits au dossier. Le 1er novembre 2002, la juge Dawson a reçu une lettre des avocats des deux parties l’avisant qu’il ne restait plus que deux engagements sans réponse à la suite des interrogatoires préalables, à savoir les demandes no 90 et 91. Le 30 mai 2003, les parties ont présenté un rapport d’étape conjoint à la Cour et confirmé qu’une suite avait été donnée à tous les engagements de l’instance.

 

[6]               En février 2004, les demandeurs ont nommé de nouveaux avocats inscrits au dossier. Les documents de la requête des demandeurs ne contiennent toutefois aucune information sur les étapes prises ensuite pour faire avancer l’instance. Une recherche dans le Système de gestion des instances révèle que la juge Dawson est intervenue activement à plusieurs reprises au cours des deux années suivantes en donnant des directives sur la gestion de l’affaire et en délivrant des ordonnances. Lors d’une conférence de gestion de l’instance plus particulièrement qui s’est tenue le 27 octobre 2006, elle a établi le calendrier suivant avec l’accord des parties :

 

[traduction]

a)         Le 30 avril 2007, les deux parties auront produit leurs documents.

b)         Le 30 septembre 2007, les demandeurs auront terminé leurs interrogatoires préalables de la Couronne.

c)         Le 1er octobre 2007, la Couronne entamera ses interrogatoires préalables des demandeurs, qui devront être terminés au plus tard à la fin du mois de mars 2008.

d)         Entre le 30 mars 2008 et le 30 mars 2009, les deux parties devront retenir les services d’experts, les informer et échanger leurs rapports. Les parties devront également résoudre toute question interlocutoire.

e)         Le 30 mars 2009, les deux parties déposeront leurs documents préalablement à l’instruction et les dates d’audience seront alors communiquées.

 

[7]               Près de huit ans après l’instruction de l’action, les demandeurs veulent maintenant obtenir une autorisation de modifier leur déclaration afin d’ajouter trois nouveaux paragraphes et sous-paragraphe, soit le sous-paragraphe 1(a) et les paragraphes 26 et 27. Le premier paragraphe se veut une réclamation supplémentaire en dommages-intérêts pour le non-respect allégué de diverses obligations juridiques émanant de l’absence d’aide au secteur agricole par la Couronne. Le deuxième paragraphe réitère que la Couronne a manqué à diverses obligations en n’offrant pas d’aide au secteur agricole entre 1900 et 1999. Le troisième paragraphe contient une allégation selon laquelle les demandeurs ont tenté de cultiver des terres de réserve, mais que l’absence de toute aide a fait en sorte qu’en 1954, seulement 190 acres de terres de réserve étaient cultivées.

 

Analyse

[8]               Le critère permettant de déterminer si l’on doit autoriser la modification des actes de procédure est bien établi. Dans l’arrêt Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 CF 3, la Cour d’appel fédérale affirme qu’une modification devrait être autorisée « à tout stade de l’action », sous réserve des trois conditions suivantes : a) la modification doit avoir pour but de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties; b) la modification ne doit pas causer d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer; et c) la modification doit servir les intérêts de la justice. En résumé, une modification à un acte de procédure devrait être autorisée lorsqu’elle ne cause aucun préjudice grave à la partie adverse.

 

[9]               Il est aussi bien établi que les modifications fondées sur les interrogatoires préalables qui mettent en perspective et présentent de façon plus détaillée les questions en litige sont généralement perçues comme venant faciliter le procès en aidant à déterminer les véritables questions litigieuses : voir Hoechst Marion Roussel Deutchland Gmbtt c. Adir et Cie (2000), 190 F.T.R. 233, 2000 CarswellNat 967 (1re inst.). Par ailleurs, l’existence d’une possible prescription, notamment une prescription légale, ne constitue pas un motif de rejet d’une modification.

 

[10]           La Couronne soutient que les demandeurs n’ont présenté aucun fait qui corrobore leur allégation relative à l’aide au secteur agricole. Le fait est que, lors de la présentation d’une requête en autorisation de modifier, une partie n’est pas tenue de prouver ce qu’elle avance. La Cour doit plutôt partir du principe que les faits allégués sont véridiques et refuser de faire droit à la modification seulement dans les cas les plus évidents où la situation ne soulève aucun doute.

 

[11]           La Couronne soutient également que l’allégation relative à l’aide au secteur agricole soulève des moyens nouveaux et vastes qui ne découlent pas des faits ayant déjà été allégués. Les demandeurs ont manifestement manqué de précision dans la rédaction de leur acte de procédure initial, en se concentrant presque exclusivement sur les dispositions du Traité no 8 liées aux munitions et à la ficelle. Toutefois, le sous-paragraphe 1(a) de la déclaration est quant à lui formulé en des termes généraux et englobe d’autres promesses et engagements prévus dans le Traité no 8. Les modifications proposées par les demandeurs doivent donc être interprétées dans leur contexte global comme faisant partie de la déclaration.

 

[12]           Les modifications proposées ne sont ni vagues ni ambiguës. Au paragraphe 6 de son affidavit, Mme Colleen Doty, gestionnaire de projets liés aux litiges travaillant au sein du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, soutient que des recherches plus approfondies seront nécessaires si les modifications sont autorisées. Elle précise que les dossiers du gouvernement pertinents ou susceptibles d’ajouter du contenu à la preuve ont été recensés aux fins d’examen. Dans les circonstances, j’estime que la Couronne connaît bien l’allégation supplémentaire que cherchent à faire valoir les demandeurs et qu’elle connaît le dossier auquel il doit répondre.

 

[13]           La Couronne soutient également que les demandeurs n’ont expliqué en aucune façon le laps de temps très long qui s’est écoulé avant de demander l’autorisation d’apporter des modifications et que l’approbation de ces modifications alors que la procédure est aussi avancée ne ferait que retarder encore davantage l’instruction expéditive de l’affaire, ce qui lui porterait préjudice. En principe, toute modification proposée qui a pour effet de soulever de nouvelles questions, de nécessiter de nouveaux interrogatoires préalables et de bouleverser l’échéancier établi ne devrait pas être encouragée.

 

[14]           Il faut interpréter et appliquer les règles relatives à la demande de modification de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, conformément à l’article 3. De plus, la gestion des instances a été mise sur pied afin de cerner et de définir les questions en litige et de réduire les délais, les frais et les activités futiles avant l’instruction. Dans la mesure où il existe une cause d’action qui ne serait pas considérée comme évidemment et manifestement futile, il convient d’autoriser la modification, si elle peut être apportée sans causer préjudice à l’autre partie.

 

[15]           Considérant les faits particuliers de l’espèce, j’estime que les modifications proposées ne causent aucun préjudice grave à la Couronne qui ne pourrait être indemnisé par une adjudication des dépens. Je souligne que l’instance en est encore au début des interrogatoires préalables, même si l’action a été introduite en 1999. Le retard occasionné par une preuve documentaire additionnelle et des interrogatoires préalables oraux est somme toute mineur si l’on considère la longue chronologie de la présente instance.

 

[16]           Il s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et des intérêts de la justice. Les modifications proposées visent les mêmes parties, le même traité et les mêmes allégations de non-respect d’obligations fiduciaires, contractuelles et issues de traités. Il ne servirait à rien d’exiger des demandeurs qu’ils introduisent une action distincte pour faire valoir leur allégation.

 

[17]           Enfin, malgré quelques irrégularités relevées dans les documents de la requête déposée par les demandeurs, la Couronne ne semble pas avoir été induite en erreur ni avoir subi un quelconque préjudice. Cela étant dit, les lacunes relevées n’ont pas été prises en compte pour trancher la présente requête.

 

[18]           Par conséquent et pour les motifs susmentionnés, la requête sera accueillie, et les dépens sont adjugés à la défenderesse, quelle que soit l’issue de la cause et sans porter atteinte au droit de la Couronne de présenter une requête pour des dépens inutiles, s’il y a lieu.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la requête soit accueillie avec dépens en faveur de la défenderesse, quelle que soit l’issue de la cause.

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                         T-305-99

 

INTITULÉ :                                                                        PREMIÈRE NATION DENE THA’ ET AL. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE                                     LE PROTONOTAIRE
ET ORDONNANCE :
                                                        LAFRENIÈRE

 

DATE :                                                                                LE 27 MAI 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Will Willier

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Linda Fleury

Sherry Daniels

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Willier & Company

Avocats

Tsuu T’ina (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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