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Date : 20080521

Dossier : IMM-4933-07

Référence : 2008 CF 637

Toronto (Ontario), le 21 mai 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

Entre :

CECILE YOUNG

 

demanderesse

et

 

le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration et le ministre de

la sécurité publique et de la protection civile

 

défendeurs

 

motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 26 septembre 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la Commission) concluait que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée ou de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

 

 

 

I. Les faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne de Saint-Vincent-et-les Grenadines (Saint-Vincent) qui est entrée au Canada en 2001. Elle allègue dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) qu’elle craint de retourner à Saint-Vincent parce qu’elle a peur de son ancien conjoint de fait violent et de deux autres hommes. Toutefois, à l’audience, elle a témoigné qu’elle ne craignait pas son ancien conjoint, seulement les deux autres hommes, soit un prénommé Jevon et le cousin de Jevon. Dans son FRP, la demanderesse dit que Jevon l’a violée et que, lorsqu’elle a signalé le viol à la police, il a été reconnu coupable et emprisonné pendant 15 ans. Quelques temps plus tard, le cousin de Jevon, dont la demanderesse ne connaît pas le nom, s’est présenté à la maison de sa mère et a dit à la demanderesse que Jevon serait bientôt libéré de prison et qu’elle devrait s’attendre à le voir. La demanderesse n’a pas signalé cette menace à la police.

 

[3]               La demanderesse allègue également craindre de retourner à Saint-Vincent parce qu’elle ne peut pas recevoir de soins pour son arthrite rhumatoïde. La SPR a rejeté cette allégation et, bien que cette conclusion n’ait pas été contestée dans la demande écrite, la demanderesse a, dans son exposé oral, insisté pour contester cette conclusion et en faire son principal argument.

 

II. La décision de la SPR

[4]               À l’audience, la commissaire a souligné que la crédibilité de la demanderesse ne soulevait aucun problème, mais qu’il y avait des doutes à propos de l’existence d’une protection de l’État. Dans sa décision, la Commission déclare que la protection était offerte à la demanderesse, indiquant en premier lieu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve selon lesquels « le gouvernement de Saint‑Vincent est chaotique, désorganisé ou incapable de gouverner. » La Commission constate que la preuve documentaire révèle que la violence familiale constitue un grave problème à Saint‑Vincent, mais que le gouvernement du pays fait de sérieux efforts afin de résoudre le problème, avec le concours des groupes de défense des droits de la personne et d’un organisme indépendant appelé Marion House. En outre, la Commission souligne d’autres éléments de preuve documentaire indiquant que les policiers répondent à tous les cas signalés de violence familiale. Enfin, la Commission n’est « […] pas convaincue que la demandeure d’asile, une femme qui a demandé l’aide de la police et l’a obtenue en 1994, ne devrait pas avoir à faire un effort soutenu pour régler ses problèmes à Saint‑Vincent et à s’informer des mesures prises par le gouvernement pour traiter de la violence fondée sur le sexe, tel qu’il est indiqué dans la preuve documentaire. [La Commission n’est également] pas convaincue, comme [elle doit] l’être, que, selon la prépondérance des probabilités, les autorités de Saint‑Vincent ne feraient pas raisonnablement d’efforts sérieux pour protéger la demandeure d’asile si elle devait retourner à Saint‑Vincent et demander une protection ». La Commission conclut donc que la demanderesse n’a pas la qualité de réfugiée ou de personne à protéger.

 

III. Les questions en litige

[5]               Selon la demanderesse, la présente demande soulève 12 questions distinctes. Toutefois, la demanderesse prétend essentiellement que la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de façon appropriée des éléments de preuve, en interprétant mal la définition de réfugié au sens de la Convention telle qu’établie dans la Loi et en tirant des conclusions non fondées quant à sa crédibilité. La demanderesse prétend également craindre de retourner à Saint-Vincent parce qu’elle ne peut pas recevoir de soins adéquats pour son arthrite rhumatoïde. La Commission a rejeté cette prétention et, bien que cette conclusion n’ait pas été contestée dans la demande écrite, la demanderesse a, dans son exposé oral, insisté pour contester la conclusion de la Commission sur cette question au point d’en faire son principal argument.

 

[6]               Les questions présentées par la demanderesse peuvent être regroupées comme suit :

(1)               La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation du témoignage de la demanderesse?

(2)               La SPR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu à l’existence de la protection de l’État, en n’évaluant pas de façon appropriée la preuve documentaire?

(3)               La SPR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle elle est une personne à protéger parce qu’elle ne pourrait pas recevoir des soins adéquats pour son arthrite rhumatoïde si elle retournait à Saint-Vincent?

 

IV. Analyse

(1) La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation du témoignage de la demanderesse?

[7]               Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à sa crédibilité et en omettant d’accepter son témoignage concernant sa crainte subjective.

 

[8]               Cependant, la Commission n’a tiré aucune conclusion concernant la crédibilité de la demanderesse ni n’a conclu qu’elle n’avait pas une crainte subjective de retourner à Saint-Vincent. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada, un demandeur d’asile doit montrer une crainte de persécution fondée, qui comporte un critère en deux volets : « (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. » (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 47, [1993] A.C.S. n74 (QL)). En l’espèce, la Commission n’a pas examiné la question de la crainte subjective, mais a simplement conclu que les éléments de la crainte objective ne sont pas présents, compte tenu de la capacité de Saint-Vincent de protéger la demanderesse. La Cour juge que la Commission n’a commis aucune erreur concernant cette question.

 

(2) La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu à l’existence de la protection de l’État, en n’évaluant pas de façon appropriée la preuve documentaire?

[9]               La demanderesse soutient que la Commission a omis de mentionner les éléments de preuve documentaire cités par le conseil de la demanderesse à l’audience devant elle ou d’aborder les observations du conseil concernant l’existence de la protection de l’État.

 

[10]           Comme il est noté ci-dessus, un demandeur d’asile doit montrer à la fois une crainte subjective et le fondement objectif de cette crainte. L’incapacité de l’État d’assurer la protection est essentielle à l’examen de la deuxième question (arrêt Ward, précité, au paragraphe 45). Toutefois, en l’absence de l’effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est en mesure de protéger ses citoyens (arrêt Ward, précité). « Si un État est capable de protéger un demandeur, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d'être persécuté. » (Rodriguez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 153, au paragraphe 22, [2005] A.C.F. no 223 (1re inst.) (QL)).

 

[11]           La conclusion de la Commission concernant l’existence de la protection de l’État doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable (Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 467 (1re inst.); Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232 (1re inst.) (QL)). Toutefois, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée simplement parce que la Commission n’a pas mentionné chaque élément de preuve dont elle était saisie, dans la mesure où elle montre qu’elle comprend les questions en litige (Manorath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 134 (1re inst.) (QL); Cupid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 176, [2007] A.C.F. no 244 (1re inst.) (QL); Gavoci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 207, [2005] A.C.F. no 249 (1re inst.) (QL)). Selon  l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, de la Cour suprême du Canada,

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. (Au paragraphe 47)

 

[12]           En l’espèce, la preuve documentaire indique que, même si la violence contre les femmes demeure un problème à Saint-Vincent, le gouvernement et la police prennent le problème au sérieux et font des efforts pour s’y attaquer (document intitulé Country Reports on Human Rights Practices for 2006, publié par le Département d’État des États-Unis le 6 mars 2007, dossier du tribunal, page 50). La Commission a expressément reconnu cela et a tenu compte des aspects à la fois défavorables et favorables mentionnés dans la preuve documentaire.

 

[13]           Même si la Commission a mentionné la preuve documentaire concernant la violence familiale, plutôt que la violence fondée sur le sexe de manière plus générale, cela constituait le principal aspect de la preuve présentée par le conseil de la demanderesse à l’audience de la Commission et la demanderesse n’a pas prétendu que le gouvernement de Saint-Vincent réagissait  différemment à la violence fondée sur le sexe. La demanderesse n’a signalé aucun élément de preuve documentaire dans le dossier du tribunal indiquant que les mesures prises par le gouvernement pour combattre la violence fondée sur le sexe n’étaient pas efficaces, et la Cour n’a pas été non plus en mesure d’en trouver.

 

[14]           La crainte de la demanderesse découle de la libération éventuelle de prison de son violeur. Mais lorsque la demanderesse a signalé le viol à la police de Saint-Vincent, le violeur a été arrêté, reconnu coupable et envoyé en prison pendant 15 ans. En conséquence, la police et les autorités de Saint-Vincent se sont assurées de punir le violeur et de l’éloigner de la demanderesse. Il n’y a aucun élément de preuve selon lequel la police ne protégerait pas encore la demanderesse une fois que son violeur sera remis en liberté. La demanderesse n’a même pas signalé la menace qu’elle aurait reçue selon laquelle elle devrait s’attendre à ce qu’il la recherche après sa remise en liberté. Avant d’alléguer une crainte de ne pas être protégée, la demanderesse aurait dû au moins signaler la menace du violeur à la police et demander la protection de celle-ci. Comme elle a reçu la protection de la police après son viol, il n’existe aucune raison de croire que la demanderesse ne recevrait pas la même protection contre la menace de recherche de son violeur une fois ce dernier remis en liberté. De son propre aveu, la demanderesse n’a même pas signalé cette menace à la police. Peut‑être devrait-t-elle commencer par faire cela avant de rechercher une protection au Canada?

 

[15]           Pour ces motifs, la Cour juge que la conclusion de la Commission sur cette question est plus que raisonnable et qu’elle appartient assurément aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

(3) La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle elle est une personne à protéger parce qu’elle ne pourrait pas recevoir des soins adéquats pour son arthrite rhumatoïde si elle retournait à Saint-Vincent?

[16]           L’argument oral de la demanderesse selon lequel la Commission a commis une erreur à propos de cette question est dénué de fondement en fait et en droit pour les motifs ci-dessous.

 

[17]           La Commission et les défendeurs ne contestent pas le fait que la demanderesse a besoin de soins adéquats pour son arthrite rhumatoïde. Toutefois, la preuve présentée par la demanderesse ne met pas en question l’existence et le caractère adéquat des soins fournis pour sa maladie à Saint‑Vincent; elle ne fait qu’établir [traduction] « la mauvaise gestion des soins médicaux ou l’accès restreint à ceux-ci » à Saint-Vincent.

 

[18]           Il se peut que la maladie de la demanderesse n’ait pas été traitée pendant plus de dix ans à Saint-Vincent, mais aucun élément de preuve n’a été présenté pour montrer que la demanderesse a fait des efforts sérieux pendant cette période pour recevoir des soins et elle n’a présenté aucun élément de preuve montrant que ces soins n’étaient pas offerts dans son pays. De plus, à l’audience devant la Commission en septembre 2007, la demanderesse a admis que sa maladie n’a toujours pas été traitée depuis son arrivée au Canada. Elle prétend maintenant que les soins offerts au Canada pour sa maladie sont plus disponibles et plus accessibles qu’à Saint-Vincent, ce qui est probablement vrai. Il n’en reste pas moins qu’après plus de cinq ans au Canada, la demanderesse n’est toujours pas soignée et qu’elle a fait peu d’efforts pour recevoir des soins depuis. En conséquence et compte tenu uniquement des faits, son argument semble être une très faible excuse pour demeurer au Canada, puisqu’elle n’a pas encore démontré un réel désir de recevoir des soins ici.

 

[19]           En droit, son argument concernant cette question est encore pire et ne tient pas la route, et cela est précisément attribuable au libellé du sous alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi sur lequel elle s’appuie et qui est rédigé comme suit :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

[…]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

[…]

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a)…

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i)… (ii)… (iii) …

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical car

 

[20]           Correctement interprété, cet article de la Loi n’étaye pas l’argument de la demanderesse sur cette question puisque « [l]a question d’une menace à la vie suivant l’article 97 ne devrait pas inclure l’obligation d’évaluer la question de savoir s’il existe des soins médicaux et de santé adéquats dans le pays en question ». (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 323).

 

[21]           Par conséquent, la Cour rejettera la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[22]           La Cour convient avec les parties qu’il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 


JUGEMENT

 

Pour les motifs qui précèdent, la cour rejette la demande.

 

                                                                                                            « Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

Dossier :                                                    IMM-4933-07

                                                           

 

Intitulé :                                                   CECILE YOUNG

c.

le ministre de la CITOYENNETÉ ET

                                                                        de l’immigration et

                                                                        le ministre de La sécurité publique et

                                                                        de la protection civile

 

 

Lieu de l’audience :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

Date de l’audience :                           le 8 mai 2008

 

 

Motifs du jugement

Et jugement :                                          le juge suppléant LAGACÉ

 

 

Date des motifs

ET DU JUGEMENT :                                   le 21 mai 2008

 

 

Comparutions :

 

Munyonzwe Hamalengwa                                pour la demanderesse

 

Ricky Tang                                                       pour les défendeurs

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Munyonzwe Hamalengwa                                 POUR LA DEMANDERESSE           

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                    

 


 

John H. Sims, c.r.                                                  POUR LES DÉFENDEURS          

Sous-procureur général du Canada                                          

 

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