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Date : 20080521

Dossier : IMM‑4548‑07

Référence : 2008 CF 633

Toronto (Ontario), le 21 mai 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

CECILE DEL CARMEN RODRIGUEZ ESTRELLA

(ÉGALEMENT APPELÉE CECILIA DEL CAR RODRIGUEZ ESTRELLA)

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 5 octobre 2007, qui lui a refusé la qualité de réfugiée au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger.

 

I. Les faits

[2]               La demanderesse, de nationalité mexicaine, revendique l’asile en alléguant que son ex‑conjoint de fait était violent et qu’il a menacé de la tuer. Pour le prouver, la demanderesse a fait, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), et a présenté, dans son témoignage devant la Commission, une série d’allégations souvent contradictoires portant sur des cas précis d’agressions. Il y a par exemple l’incident au cours duquel elle fut agressée au travail le 28 octobre 2005 par son ex‑conjoint de fait, et à la suite duquel elle l’avait dénoncé à la police.

 

[3]               À la fin de l’audience, la Commission a prié la demanderesse de tenter d’obtenir la dénonciation qu’elle avait déposée le 28 octobre 2005. La demanderesse n’a pas présenté la dénonciation à la Commission, ni n’a expliqué les raisons pour lesquelles elle ne l’avait pas présentée.

 

II. La décision de la Commission

[4]               La Commission a rejeté la demande d’asile parce que : (1) le témoignage de la demanderesse n’était ni crédible ni digne de foi, en raison de contradictions et d’omissions portant sur des aspects importants de la demande d’asile; (2) la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mexico (le District fédéral).

 

[5]               D’abord, la Commission a noté plusieurs contradictions dans le témoignage de la demanderesse portant sur les prétendues agressions. Après avoir examiné les contradictions et divergences constatées dans les allégations de la demanderesse, la Commission a estimé que, selon la prépondérance de la preuve, la plupart des prétendues agressions, sinon la totalité, n’avaient jamais eu lieu. Cependant, la Commission n’arrive pas à une conclusion précise sur la manière dont les contradictions constatées pouvaient empêcher la demanderesse de revendiquer la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou la qualité de personne à protéger.

 

[6]               Au lieu de cela, la Commission a jugé déterminant le fait que la demanderesse disposât d’une PRI dans le District fédéral. Pour arriver à cette conclusion, elle a passé en revue la preuve documentaire à la recherche d’information sur la violence conjugale dans le District fédéral. La Commission fait observer ce qui suit :

  • le cadre légal établi pour combattre la violence contre les femmes varie d’un État à l’autre au Mexique;
  • dans le District fédéral, la violence conjugale et le viol conjugal sont qualifiés de crimes;
  • il y a une réglementation nationale obligeant les dispensaires à consigner les plaintes de violence conjugale et établissant des normes qui permettent au personnel médical de reconnaître et de signaler les violences aux autorités compétentes;
  • les peines prévues pour les cas de violence s’étendent aux unions de fait;
  • il est possible à toute personne de s’adresser à plusieurs instances publiques dans le District fédéral, et le Centre d’aide aux victimes de violence conjugale apporte une aide psychologique, juridique, médicale et sociale complète (services d’aiguillage vers des refuges, et aide dans le dépôt de plaintes auprès des bureaux du Ministère public);
  • il existe des règles précises régissant le traitement des plaintes de violence conjugale.

 

[7]               Finalement, la Commission a conclu que, même si la violence contre les femmes demeure endémique au Mexique, la preuve documentaire montrait que les autorités du District fédéral s’emploient résolument à enrayer le phénomène et qu’il serait logique que la requérante d’asile s’adresse à ces autorités si elle se sentait menacée. La Commission conclut également qu’il ne serait pas excessivement difficile pour la demanderesse d’aller s’installer à Mexico puisqu’elle a travaillé comme représentante commerciale pour plusieurs sociétés et qu’elle a déjà changé de lieu de résidence au Mexique et a pu trouver un emploi.

 

III. Le point litigieux

1.             La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans sa manière d’interpréter et d’appliquer le critère de PRI?

 

IV. La norme de contrôle

[8]               La norme de contrôle applicable à la question de la PRI a toujours été la décision manifestement déraisonnable (voir par exemple, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 193; Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 238 F.T.R. 289, 2003 CF 999). C’est la norme que le défendeur pressait la Cour d’appliquer avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[9]               La question dont il s’agit ici est de nature factuelle et entre dans la spécialisation de la Commission; sa décision commande donc une certaine retenue, ainsi qu’on peut le lire dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47 :

 

[…] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Il n’en va pas différemment pour la conclusion de la Commission qui concerne l’existence d’une PRI.

 

V. Analyse

[10]           Les allégations de la demanderesse sont remplies de contradictions pour ce qui concerne sa demande d’asile en tant que personne à protéger. Il y a d’importantes contradictions dans le témoignage qu’elle a produit devant la Commission, et aussi entre ce témoignage et son FRP, en ce qui a trait aux prétendues violences. La Commission relève ces contradictions, elle les décrit clairement et elle expose des raisons valides de rejeter les explications qu’en donne la demanderesse.

 

[11]           Cependant, la Commission n’arrive pas en réalité à une conclusion précise sur la manière dont les contradictions constatées par elle font obstacle à la revendication de la demanderesse. La Commission considère plutôt que c’est l’existence d’une PRI qui est le point déterminant. Par conséquent, bien que les deux parties présentent des observations sur les propos de la Commission touchant la crédibilité de la demanderesse, il n’est pas vraiment nécessaire d’approfondir cet aspect puisque l’on ne sait pas dans quelle mesure la crédibilité de la demanderesse a pu infléchir la décision ultime de la Commission sur l’existence d’une PRI.

 

[12]           Il est bien établi que l’existence d’une PRI valable rend irrecevable une demande d’asile. La Cour n’a donc pas à considérer les autres points soulevés par la demanderesse (Shimokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445, paragraphe 17; Sran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 145, paragraphe 11).

 

[13]           Pour conclure que la demanderesse dispose d’une PRI, la Commission passe en revue la preuve documentaire sur la protection accordée par l’État au Mexique, comme je l’ai mentionné plus haut, et elle reconnaît que la preuve n’est pas uniforme. Elle considère alors la preuve sous l’angle du critère exposé dans l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. n° 1172 (C.A.F.), et dans l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.). Ce critère, qui permet de dire s’il existe une PRI valable, comporte deux volets : d’abord, la Commission doit être persuadée, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse que les demandeurs d’asile seront persécutés dans la région où la PRI est envisagée; deuxièmement, les conditions qui ont cours dans ladite région doivent être telles qu’il n’est pas déraisonnable pour les demandeurs d’asile d’y chercher refuge.

 

[14]           La seule critique formulée par la demanderesse à l’encontre de la conclusion de la Commission relative à la PRI est que la Commission n’a pas cherché à savoir si les moyens déployés pour enrayer la violence conjugale donnaient ou non des résultats.

 

[15]           La Commission est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit démontré, et elle n’est pas tenue d’évoquer toutes les preuves (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 598 (C.A.F.)). Ici, la demanderesse n’a pas prétendu que la Commission avait devant elle des preuves contradictoires concernant le District fédéral.

 

[16]           Il est clair que la Commission a passé en revue la preuve qui lui a été soumise et qui concernait le cadre légal et institutionnel établi dans le District fédéral, tout comme il est clair aussi qu’elle a passé en revue l’information existante portant sur les retombées de l’application de ce cadre. L’information relative à l’« efficacité » des moyens mis en œuvre pour enrayer le phénomène de la violence conjugale dans le District fédéral est restreinte, mais elle ne contredit pas les conclusions de la Commission.

 

[17]           Il importe d’ailleurs de reconnaître qu’une distinction s’impose entre l’information relative au District fédéral et l’information générale relative au Mexique. L’information soumise à la Commission montre clairement que le cadre légal varie d’un État à un autre. S’agissant de la violence conjugale, la preuve documentaire soumise à la Commission parle souvent du District fédéral séparément des autres États.

 

[18]           Finalement, la Commission est arrivée à une conclusion raisonnable au vu de la preuve qu’elle avait devant elle, même si ce n’était pas la seule conclusion raisonnable possible.

 

[19]           Après examen, il apparaît clairement que la Commission a bien examiné l’information existante concernant le Mexique, avant d’arriver à une conclusion claire et raisonnable sur le premier volet du critère d’existence d’une PRI.

 

[20]           S’agissant du deuxième volet du critère, la Cour ne voit rien de déraisonnable dans la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse avait déjà été en mesure de changer d’endroit et de trouver du travail au Mexique, et qu’elle devrait donc être en mesure de le faire dans le District fédéral. La demanderesse n’a pas explicitement signalé de facteurs que la Commission aurait négligé de considérer au regard de sa situation; et la Cour n’a pas constaté, dans le dossier du tribunal ni dans la transcription, l’existence d’autres éléments pertinents que la demanderesse aurait soulevés et que la Commission aurait négligés.

 

[21]           Pour tous ces motifs, la Cour n’a d’autre choix que de conclure que la décision contestée entre dans l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et statue que la demanderesse, pour sa part, n’a pas montré que la décision de la Commission est déraisonnable.

 

[22]           La Cour reconnaît avec les parties qu’aucune question de portée générale ne mérite d’être certifiée.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS, LA COUR rejette la demande.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4548‑07

 

 

INTITULÉ :                                       ESTRELLA c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 MAI 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph S. Farkas

 

POUR LA DEMANDERESSE

Janet Chisholm

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joseph S. Farkas

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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