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Date : 20080522

Dossier : IMM-2448-07

Référence : 2008 CF 646

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

NAZIR AHMAD,

ZARINA NAZIR et

ALI HUSSNAIN,

ASAD HUSSNAIN,

AMINA NAZIR,

QASIM HUSSNAIN et

SALMAN HUSSNAIN,

par leur tuteur à l’instance,

NAZIR AHMAD

 

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Nazir Ahmad, son épouse Zarina Nazir, et leurs enfants Ali, Asad, Amina, Qasim et Salman, sont des citoyens du Pakistan, de Lahore, dans la province du Pendjab. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente a refusé la demande de résidence permanente au Canada qu’ils avaient présentée sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire.

 

[2]        La demande de contrôle judiciaire a été rejetée parce que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir que l’agente avait commis une erreur de fait ou de droit. Les demandeurs n’ont par ailleurs pas réussi à démontrer qu’ils avaient été victimes d’un déni de justice ou d’équité naturelles en raison de la présumée incompétence de leur consultant en immigration, qui avait préparé et soumis leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

Contexte

[3]        Le 7 janvier 2003, au terme d’un long séjour aux États-Unis au cours duquel ils n’ont pas cherché à obtenir l’asile, les demandeurs sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile. M. Ahmad affirmait qu’au Pakistan, il avait été un membre actif de la communauté musulmane chiite qui avait été ciblée et menacée par le Sipah-e-Sahaba (SSP). Le 29 juin 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile des demandeurs. La Commission a estimé que les demandeurs manquaient de crédibilité. La Cour a refusé d’autoriser le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]        À la suite de la décision négative de la Commission, les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant le renvoi (ERAR). Le 3 mai 2005, ils ont fait l’objet d’une décision d’ERAR qui leur était défavorable.

 

[5]        Le 29 septembre 2004, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Ils ont communiqué des renseignements et des observations à jour au soutien de leur demande le 22 avril 2005 et le 6 avril 2007. Leur demande a été refusée le 30 mai 2007.

 

Décision de l’agente

[6]        Pour en arriver à sa décision, l’agente a tenu compte de trois principaux facteurs :

 

·        le risque auquel les demandeurs seraient exposés s’ils retournaient à Lahore, au  Pakistan;

·        le degré d’établissement des demandeurs au Canada;

·        l’intérêt supérieur des enfants.

 

[7]        Pour refuser la demande, l’agente a tiré un certain nombre de conclusions :

 

  • L’agente a signalé que la Commission avait conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et que leurs craintes n’étaient pas fondées. Elle a également relevé que la demande d’ERAR des demandeurs avait été rejetée. Après avoir examiné la preuve documentaire, l’agente a conclu que M. Ahmad n’était pas un membre bien en vue de la communauté chiite aux yeux du SSP et qu’il ne risquait donc pas d’être ciblé. Pour en arriver à cette décision, l’agente a accordé peu de poids aux déclarations et aux affidavits qui avaient été soumis pour établir que M. Ahmad jouait un rôle actif au sein de la communauté chiite et qu’il était ciblé par le SSP. L’agente a également conclu que le comportement de M. Ahmad ne concordait pas avec celui d’une personne qui aurait fait l’objet de menaces constantes d’agressions de la part du SSP. L’agente a en outre conclu que les mesures prises par le gouvernement pakistanais pour résoudre le problème des menaces d’agressions violentes s’étaient avérées raisonnablement efficaces.

 

  • L’agente a fait observer que les demandeurs vivaient au Canada depuis environ quatre ans et qu’ils avaient acquis une réputation de « bons citoyens » pendant cette période. L’agente a également fait remarquer que M. Ahmad avait entrepris des démarches pour démarrer une entreprise et qu’il travaillait pour subvenir aux besoins de sa famille. L’agente a toutefois bien précisé qu’il n’y avait aucun élément de preuve qui permettait de penser que les demandeurs possédaient des biens (ou d’autres actifs importants) au Canada, ce qui aurait pu faire obstacle à leur retour au Pakistan, ou que Mme Nazir avait entrepris des démarches pour se trouver du travail ou pour s’intégrer à la communauté. L’agente a également souligné que les demandeurs n’avaient pas de liens familiaux au Canada, mais qu’ils avaient des liens « importants » au Pakistan.

 

  • L’agente a fait observer que les enfants fréquentaient l’école depuis peu et que tous parlaient le punjabi. Tout en reconnaissant que les enfants seraient perturbés dans leurs études s’ils devaient retourner au Pakistan, l’agente s’est dite d’avis qu’ils réussiraient à surmonter les difficultés causées par le changement de lieu et de langue d’enseignement.

 

[8]        L’agente a reconnu que la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs comportait plusieurs aspects positifs. Toutefois, vu l’ensemble de la preuve fournie par les demandeurs, elle a conclu que les difficultés qu’entraînerait le refus d’accorder la mesure spéciale qu’ils réclamaient ne seraient pas inusitées, injustifiées ou disproportionnées.

 

Questions en litige

[9]        Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans le cadre du présent contrôle judiciaire :

 

1)             L’agente a-t-elle commis une erreur :

a)      dans son évaluation des risques auxquels les demandeurs seraient exposés au Pakistan;

b)      en écartant les éléments de preuve documentaires présentés par les demandeurs pour corroborer leurs prétentions;

c)      en ignorant certains éléments de preuve;

d)      dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants;

e)      en appliquant une norme arbitraire pour évaluer le degré d’établissement des demandeurs au Canada.

 

2)             Le consultant en immigration qui a préparé et présenté la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire des demandeurs a-t-il, par sa conduite, manqué à l’obligation d’agir avec équité à laquelle il était tenu envers les demandeurs?

 

Norme de contrôle

[10]      Depuis que la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 SCS 9, la détermination de la norme de contrôle appropriée est un processus qui se déroule en deux étapes. Premièrement, la Cour doit vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, la Cour doit entreprendre l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. Parmi les facteurs pertinents, mentionnons les suivants : (i) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (ii) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (iii) la nature de la question en cause et (iv) l’expertise du tribunal administratif (arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 57, 62 et 64).

 

[11]      Jusqu’ici, les tribunaux estimaient que la norme de contrôle appropriée dans le cas d’une décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était celle de la décision raisonnable simpliciter  (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 57 à 62). Compte tenu du fait qu’une décision touchant à des raisons d’ordre humanitaire comporte l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et qu’elle est fortement tributaire des faits, c’est la norme de la décision raisonnable – qui appelle plus de retenue de la part de la Cour – qui s’applique (arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 51 et 53).

 

[12]      Pour ce qui est des conséquences qu’entraîne l’application de la norme de la décision raisonnable, la Cour suprême a bien pris soin de dire, dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 48, que le remplacement des deux anciennes normes de raisonnabilité par une seule norme de raisonnabilité n’ouvrait pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire. Au paragraphe 49, la Cour formule la mise en garde suivante :

La déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur. Comme l’explique Mullan, le principe de la déférence [traduction] « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » : D. J. Mullan, « Establishing the Standard of Review — The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93. La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.

 

[13]      Pour vérifier si la décision est raisonnable, le tribunal saisi de la demande de contrôle judiciaire se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[14]      La dernière question soulevée par les demandeurs concerne la question de savoir s’il y a eu un manquement à l’obligation d’agir avec équité. C’est la norme de la décision correcte qui s’applique au contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale. C’est à la Cour qu’il appartient de déterminer si le tribunal administratif a respecté les principes d’équité procédurale. La Cour n’a pas à faire preuve de retenue judiciaire (Syndicat canadien des employés de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100). Ce principe s’applique toujours (arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 129 et 151).

 

Application de la norme de contrôle à la décision de l’agente

[15]      Je vais examiner à tour de rôle chacune des cinq erreurs reprochées à l’agente.

 

a.    L’agente a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des risques auxquels les demandeurs seraient exposés au Pakistan?

[16]      L’agente se serait livrée à une analyse des risques qui convenait dans le cas d’une demande d’asile ou d’une demande d’ERAR, mais pas dans le cas d’une demande relative à des raisons d’ordre humanitaire. En conséquence, les demandeurs affirment que l’agente a négligé de tenir compte du risque comme élément des difficultés auxquels ils seraient confrontés.

 

[17]      À mon avis, l’agente a correctement évalué les risques auxquels les demandeurs seraient exposés au Pakistan et elle n’a pas commis d’erreur en appliquant le mauvais critère légal pour évaluer les risques dans le contexte d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. J’en arrive à cette conclusion parce qu’au début de la partie de ses motifs intitulée [traduction] « Décision et raisonnement », l’agente expose correctement le critère relatif à l’existence de difficultés inusitées, injustifiées ou disproportionnées. L’agente a repris ce critère lorsqu’elle a formulé sa conclusion.

 

[18]      De plus, ainsi que la Cour l’a déjà écrit, la décision d’un agent ne peut être évaluée dans l’abstrait. Il y a lieu de tenir compte des observations soumises à l’agente. On ne saurait reprocher à l’agente, comme c’est le cas en l’espèce, d’avoir examiné les questions précises que, par ses observations, le demandeur l’invitait à analyser.

 

[19]      Lors des débats, l’avocate des demandeurs a également souligné que certains éléments que l’on retrouve dans la documentation sur la situation au pays contredisaient les faits exposés dans la décision de l’agente. Ainsi, tandis que l’agente cite un document suivant lequel le nombre d’attentats terroristes sectaires est à la baisse pour une seconde année consécutive, un autre document affirme que le degré de violence sectaire est demeuré inchangé. Je ne suis pas persuadée que ces erreurs ont joué un rôle déterminant dans la décision de l’agente.

 

b.         L’agente a-t-elle commis une erreur en écartant les éléments de preuve documentaires présentés par les demandeurs pour corroborer leurs prétentions?

[20]      M. Ahmad a soumis plusieurs documents, dont les suivants :

 

·        une lettre d’un avocat qui expliquait que M. Ahmad l’avait consulté au sujet des menaces dont il avait fait l’objet de la part du SSP (bien que la lettre indique aussi que M. Ahmad était membre du SSP);

·        des affidavits ou des déclarations de trois personnes confirmant que M. Ahmad jouait un rôle actif au sein de la communauté chiite et avait fait l’objet de menaces de la part du SSP;

·        deux rapports médicaux expliquant en détail les blessures que M. Ahmad avait reçues en 1984 et en 1998;

·        une lettre d’un membre du clergé confirmant les problèmes que M. Ahmad avait eus antérieurement avec le SSP et le rôle important que M. Ahmad jouait au sein de la communauté chiite.

 

[21]      L’agente n’a accordé aucun poids à la lettre de l’avocat parce qu’elle précisait que M. Ahmad était membre de l’organisation même qu’il craignait. L’agente a écarté les autres documents notamment parce qu’ils ne démontraient pas une connaissance directe des faits relatés et que les renseignements fournis n’étaient pas suffisamment détaillés.

 

[22]      Tout en reconnaissant que la lettre de l’avocat était problématique, les demandeurs font valoir que l’agente n’aurait pas dû rejeter les documents [traduction] « en invoquant surtout le manque de détails ».

 

[23]      À mon avis, l’agente n’a commis aucune erreur qui justifierait notre intervention. Elle n’a pas ignoré les preuves corroborantes, invoquant plutôt des motifs raisonnables pour justifier sa décision d’accorder peu ou pas de valeur aux documents. Ayant lu chaque document, je conclus que l’agente pouvait raisonnablement choisir de leur accorder peu de poids parce que, dans chaque cas, soit l’auteur n’avait pas démontré qu’il avait une connaissance directe des faits qu’il relatait, soit l’auteur fournissait des renseignements insuffisamment détaillés. Aucun document ne contenait suffisamment de renseignements au sujet des activités de M. Ahmad pour expliquer de façon plausible ou crédible pourquoi il était ciblé par le SSP.

 

c.         L’agente a-t-elle ignoré certains éléments de preuve?

[24]      Les demandeurs affirment que l’agente a ignoré certains éléments de preuve et qu’elle a retenu de façon sélective certains autres éléments de preuve se rapportant aux violences sectaires au Pakistan. Les demandeurs soutiennent en outre que l’agente s’est attardée à l’agression dont M. Ahmad avait été victime en 1984 pour ensuite invoquer le temps écoulé depuis pour conclure qu’il ne présentait plus d’intérêt pour le SSP, faisant ainsi fi du fondement même de la demande de M. Ahmad. M. Ahmad affirme qu’il n’a pas été ciblé en raison de la première agression, mais qu’il a été agressé en raison du rôle actif qu’il a continué de jouer au sein de la communauté chiite.

 

[25]      Là encore, je ne suis pas persuadée que l’agente a commis une erreur sur ce point.

 

[26]      Après avoir examiné les éléments de preuve documentaires, l’agente a conclu que [traduction] « les éléments de preuve documentaires objectifs ne m’ont pas convaincue que la province du Pendjab et la ville de Lahore en particulier sont exposées à des attaques. Certes, les terroristes peuvent frapper n’importe où. Je constate toutefois que le gouvernement du Pakistan semble avoir pris des mesures qui se sont avérées raisonnablement efficaces pour contrer ces menaces ». L’agente disposait d’éléments de preuve qui appuyaient cette conclusion, et j’estime qu’il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve contradictoires pour me permettre de conclure que l’agente a ignoré certains éléments de preuve.

 

[27]      On ne m’a pas non plus convaincue que l’agente a ignoré le fait que M. Ahmad fondait sa demande sur le rôle actif qu’il avait continué de jouer au sein de la communauté chiite. L’agente écrit ce qui suit :


[traduction]

Les premiers ennuis que le demandeur d’asile a eus avec le SSP remontent à 1984. Il aurait donc été âgé de seize (16) ans à l’époque. À lui seul, l’âge ne l’empêchait pas d’exercer un rôle de premier plan, mais j’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir qu’il présentait un profil qui aurait attiré l’attention du SSP. Je ne suis pas convaincue qu’il était en mesure d’assurer à la communauté une contribution financière ou religieuse suffisante pour attirer l’attention du SSP sur sa personne. Le demandeur a quitté le Pakistan en 1988. Je ne suis pas convaincue que le demandeur serait aujourd’hui considéré comme une personnalité chiite « bien en vue » aux yeux du SSP.

 

[28]      Cet extrait démontre que l’agente a bien compris le fondement de la demande de M. Ahmad.

 

d.         L’agente a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants?

[29]      Les demandeurs reconnaissent qu’ils n’ont pas soumis de documents au sujet des enfants [traduction] « ou formulé des observations détaillées au sujet de leur intérêt ». Les demandeurs affirment malgré tout que l’agente a commis une erreur en analysant de façon restrictive la question de l’intérêt supérieur des enfants. Voici, à ce propos, ce que les demandeurs déclarent dans leur mémoire :

[traduction]

L’agente s’est principalement attardée à la capacité des enfants de parler la langue maternelle de leurs parents et sur la question de savoir où ils en étaient dans leur cheminement pédagogique. Les seuls facteurs ayant trait aux « risques » dont elle a tenu compte pour ce qui est des enfants étaient la traite des enfants et l’exploitation sexuelle. Il y avait d’autres facteurs évidents dont l’agente aurait dû tenir compte, vu que la loi l’oblige à tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants. Un des facteurs les plus significatifs est le fait que les minorités religieuses, y compris les chiites, font toujours l’objet de violences religieuses au Pakistan. Les enfants en question vivent au Canada depuis presque cinq ans. Ils ont grandi dans un milieu tolérant, dans lequel les violences religieuses sont rares. L’agente a totalement négligé de prendre en compte les conséquences qu’ils auraient à subir s’ils devaient retourner dans un pays où sévit la violence religieuse et où ils seraient minoritaires.

 

[30]      Il est de jurisprudence constante que l’intérêt supérieur des enfants touchés par une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est un facteur important mais qu’il n’est pas déterminant (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.)). Lorsqu’il examine une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, l’agent doit apprécier avec soin et compassion l'intérêt supérieur de l'enfant (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.)).

 

[31]      Toutefois, celui qui réclame une mesure spéciale en invoquant des raisons d’ordre humanitaire doit soigneusement exposer le fondement de sa demande. Dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 2 R.C.F. 635 (C.A.), le juge Evans explique de la façon suivante les obligations respectives du demandeur d’asile et de l’agent :

5   L'agent d'immigration qui examine une demande pour des raisons d'ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l'expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas « minimiser » cet intérêt : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Toutefois, l'obligation n'existe que lorsqu'il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur qu'une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l'appui de son allégation, l'agent est en droit de conclure qu'elle n'est pas fondée.        [Non souligné dans l’original.]

 

[32]      En l’espèce, les observations que les demandeurs avaient à l’origine formulées au soutien de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire avaient six pages. Ces observations se rapportaient uniquement à la crainte du SSP de M. Ahmad. Bien qu’il réclame effectivement une dispense pour lui-même et pour sa « famille », M. Ahmad ne mentionne pas explicitement sa femme ou ses enfants. Leur nom est simplement indiqué dans les formules IMM 5001 qui accompagnait la demande en tant que personnes se trouvant au Canada. Dans ses observations complémentaires, M. Ahmad se concentre de nouveau sur sa crainte du SSP, bien que dans une phrase, il déclare : [traduction] « mes enfants sont bien intégrés à l’école et ils réussissent très bien ».

 

[33]      Vu ces observations et à défaut de pièces à l’appui au sujet des enfants, l’agente a écrit :

[traduction]

J’ai tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants. Les demandeurs affirment que leurs enfants sont intégrés au Canada. Je me suis demandé jusqu’à quel point un changement d’établissement scolaire était susceptible de nuire aux enfants. Je constate que les enfants fréquentent tous l’école depuis à peine quelques années. Les demandeurs ont expliqué qu’on parle le pendjabi à la maison et que tous les enfants parlent le pendjabi. Je ne suis pas convaincue qu’ils auraient de la difficulté à s’adapter à un changement de lieu ou de langue d’enseignement.

 

[34]      Au sujet des documents portant sur la situation au pays, l’agente écrit ce qui suit :

[traduction]

Il ressort de la preuve documentaire qu’en général, les droits de la personne sont peu respectés au Pakistan. Je constate toutefois que la province du Pendjab se démarque de façon positive dans plusieurs domaines, tels que les mesures prises pour veiller au respect de la loi et en matière d’éducation, et qu’il y existe des organismes de surveillance efficaces. La preuve documentaire fait état de plusieurs cas où les enfants sont exposés à des risques (traite d’enfants, exploitation sexuelle, violence à la maison, travail par des mineurs). Toutefois, dans le cas qui nous occupe, je suis persuadée que ces risques sont atténués par la présence des parents des enfants.

 

[35]      Les éléments dont l’agente disposait ne lui permettaient pas de savoir avec certitude si les demandeurs invoquaient l’intérêt supérieur des enfants à l’appui de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. L’agente n’a cependant pas ignoré l’intérêt des enfants, mais elle s’est concentrée sur l’ampleur des difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils devaient quitter le Canada pour retourner au Pakistan.

 

[36]      Les demandeurs n’ont relevé aucune erreur de fait dans l’analyse de l’agente, affirmant plutôt que son cadre d’analyse était trop étroit. Les demandeurs soutiennent que l’agente aurait dû tenir compte de la discrimination que la fille du demandeur, qui est maintenant âgée de huit ans, subirait au Pakistan.

 

[37]      À mon avis, cet argument n’est pas compatible avec le fait que c’était aux demandeurs qu’il incombait de préciser que leur demande était fondée, du moins en partie, sur l’intérêt supérieur des enfants et à qui il incombait de présenter des éléments de preuve pour établir les prétentions sur lesquelles reposait leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Il appartenait aux demandeurs de préciser, avec preuve à l’appui, tout problème auquel un des membres de la famille serait confronté et qui se traduirait par des difficultés que l’on pourrait qualifier d’inusitées, d’injustifiées ou de disproportionnées.

 

[38]      Comme les demandeurs n’ont pas invoqué directement l’intérêt supérieur des enfants parmi les motifs de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, et parce qu’ils n’ont soulevé aucun facteur précis se rapportant aux enfants, j’estime que l’agente n’a pas commis d’erreur dans la façon dont elle a analysé la question de l’intérêt supérieur des enfants.

 

[39]      Dans la mesure où les demandeurs soutiennent également que l’agente aurait dû considérer que les violences sectaires au Pakistan constituent un facteur ayant une incidence sur l’intérêt supérieur des enfants, j’estime que l’agente a tenu compte de ce facteur dans son évaluation de la situation générale au pays.

 

e.         L’agente a-t-elle commis une erreur en appliquant une norme arbitraire pour évaluer le degré d’établissement des demandeurs au Canada?

[40]      Les demandeurs affirment que l’agente a commis une erreur en concluant que leur intégration au Canada n’avait rien d’exceptionnel. Les demandeurs soutiennent qu’au lieu de reprendre tous les facteurs positifs qui avaient été relevés, l’agente les a sous-estimés ou les a minimisés. Suivant les demandeurs, il n’y a rien dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch., 27 (la Loi), qui les oblige à démontrer que leur intégration était exceptionnelle pour avoir droit à une mesure spéciale pour des raisons d’ordre humanitaire.

 

[41]      Les demandeurs ajoutent qu’on introduit ainsi un aspect subjectif dans la décision de l’agente : qui décide du degré d’intégration auquel on s’attend normalement? Les demandeurs affirment que cette évaluation ne devrait pas être axée sur une comparaison avec d’autres personnes, mais qu’elle devrait se situer dans le contexte de leurs propres raisons d’ordre humanitaire. Les demandeurs soutiennent enfin que cette façon d’évaluer néglige le concept des difficultés disproportionnées.

 

[42]      Un des principes fondamentaux de la Loi veut que ceux qui souhaitent obtenir le statut de résident permanent au Canada doivent en faire la demande à l’étranger, ainsi qu’il ressort des paragraphes 11(1) et 20(1) de la Loi et de l’article 6 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[43]      Toutefois, pour assurer une certaine souplesse et pour tenir compte du fait qu’il peut se présenter des cas dans lesquels il convient de dispenser du respect cette obligation, le ministre se voit accorder le pouvoir discrétionnaire de lever tout ou partie des critères et obligations de la Loi. Ce pouvoir discrétionnaire se trouve au paragraphe 25(1) de la Loi, qui dispose :

25(1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25(1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 [44]     Ni la Loi ni le Règlement ne précisent ce qu’il faut entendre par « circonstances d’ordre humanitaire ». Pour favoriser l’équité et l’uniformité dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 25(1), des lignes directrices administratives sont données aux agents chargés d’exercer ce pouvoir discrétionnaire. Dans le cas des demandes présentées au Canada, les directives applicables se trouvent au chapitre 5 du Guide de traitement des demandes au Canada (IP 5).

 

[45]      Dans l’arrêt Baker, aux paragraphes 16 et 17, la Cour suprême du Canada cite les lignes directrices applicables aux termes des dispositions législatives qui ont précédé le paragraphe 25(1) actuel. La Cour écrit ce qui suit :

16             Les agents d’immigration qui prennent des décisions d’ordre humanitaire reçoivent une série de lignes directrices, figurant au chapitre 9 du Guide de l’immigration : examen et application de la loi, qui leur servent d’instructions sur la façon d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui leur est délégué. Le public a aussi accès à ces lignes directrices.

 

 

17                          Ces directives définissent également les fondements de l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le par. 114(2) et le règlement. Deux types de raisons pouvant mener à une décision favorable sont indiqués – les raisons d’intérêt public et les considérations humanitaires. Conformément à la directive 9.07, les agents d’immigration doivent s’assurer d’abord qu’il n’existe pas de raisons d’intérêt public, et, s’il n’y en a pas, s’il existe des considérations humanitaires […] La directive 9.07 dit qu’il existe des considérations humanitaires lorsque « des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l’examen de son cas si celle-ci devait quitter le Canada ».

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

[46]      Les lignes directrices que l’on trouve maintenant dans l’IP 5 expliquent de la façon suivante l’objectif visé par le paragraphe 25(1) de la Loi :

L’objet du pouvoir discrétionnaire CH est de conserver la possibilité d’approuver les cas dignes d’intérêt non prévus à la Loi. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne doit pas être perçu comme allant à l’encontre d’autres parties de la Loi ou du Règlement, mais plutôt comme une disposition complémentaire qui sert les objectifs de la Loi. Il ne s’agit pas d’un mécanisme d’appel.

 

[47]   Pour ce qui est de l’équilibre à trouver entre le pouvoir discrétionnaire et l’uniformité, on lit ce qui suit, à la section 2.1 de l’IP 5 :

La Loi ne contient ni explication ni directive sur ce que sont les motifs d’ordre humanitaire. Les personnes ayant la délégation ont pleins pouvoirs de prendre cette décision. En même temps, de façon à traiter les clients de façon équitable et à éviter la critique justifiée, l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit se faire dans la plus grande uniformité possible.

 

Nous donnons le plus possible de conseils afin d’aider les agents à établir un équilibre entre deux éléments contradictoires en apparence, l'uniformité et l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

Toutefois, bien qu'il fournisse une certaine orientation, la discrétion des décideurs a préséance sur les directives, lorsqu’ils prennent une décision.

 

[48]      On trouve d’autres indications utiles aux sections 6.5 à 6.8 et 11.2 de l’IP 5 :

6.5. Décision pour motifs d’ordre humanitaire

 

Toute décision CH favorable est une mesure d’exception en réponse à des circonstances particulières. Elle est plus complexe et plus subjective que la plupart des autres décisions d’immigration, parce que l’agent utilise son pouvoir discrétionnaire d’évaluer les circonstances personnelles du demandeur.

 

Le demandeur doit convaincre le décideur que ses circonstances personnelles sont telles qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était tenu de présenter hors du Canada une demande de visa de résident permanent.

 

 

6.6. Motifs d’ordre humanitaire ou considérations humanitaires (CH)

 

Le demandeur qui présente une demande en application du L25(1) demande que sa demande soit traitée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Le paragraphe L25(1) offre la souplesse d’approuver les cas fondés afin qu’ils soient traités au Canada, leurs circonstances n’ayant pas été prévues à la Loi.

 

6.7. Difficulté inhabituelle et injustifiée

 

On appelle difficulté inhabituelle et injustifiée :

 

• la difficulté (de devoir demander un visa de résident permanent hors du Canada) à laquelle le demandeur s’exposerait serait, dans la plupart des cas, inhabituelle ou, en d’autres termes, une difficulté non prévue à la Loi ou à son Règlement; et

 

• la difficulté (de devoir demander un visa de résident permanent hors du Canada) à laquelle le demandeur s’exposerait serait, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances échappant au contrôle de cette personne.

 

6.8. Difficultés démesurées

 

Des motifs d’ordre humanitaire peuvent exister dans des cas n’étant pas considérés comme « inusités ou injustifiés », mais dont la difficulté (de présenter une demande de visa de résident permanent à l’extérieur du Canada) aurait des répercussions disproportionnées pour le demandeur, compte tenu des circonstances qui lui sont propres.

 

[…]

 

11.2. Évaluation du degré d’établissement au Canada

 

Le degré d’établissement du demandeur au Canada peut être un facteur à considérer dans certains cas, particulièrement si l’on évalue certains types de cas comme les suivants :

 

• parents/grands-parents non parrainés;

 

• séparation des parents et des enfants (hors de la catégorie du regroupement familial);

 

• membres de la famille de fait;

 

• incapacité prolongée à quitter le Canada aboutissant à l’établissement;

 

• violence familiale;

 

• anciens citoyens canadiens; et

 

• autres cas.

 

Le degré d’établissement du demandeur au Canada peut supposer certaines questions, par exemple :

 

• Le demandeur a-t-il des antécédents d’emploi stable?

 

• Y a-t-il une constante de saine gestion financière?

 

• Le demandeur s’est-il intégré à la collectivité par une participation aux organisations communautaires, le bénévolat ou d’autres activités?

 

§ Le demandeur a-t-il amorcé des études professionnelles, linguistiques ou autres pour témoigner de son intégration à la société canadienne?

 

• Le demandeur et les membres de sa famille ont-ils un bon dossier civil au Canada (p. ex. aucune intervention de la police ou d’autres autorités pour abus de conjoint ou d’enfants, condamnation criminelle)?

 

[49]      J’en conclus que la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire n’est pas un exercice de comparaison entre divers demandeurs parce que, comme le paragraphe 25(1) de la Loi le précise bien, c’est le cas personnel du demandeur dont il s’agit de tenir compte. Ceci étant dit, j’abonde dans le sens du juge Pelletier, lorsqu’il déclare, dans le jugement Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1906 (QL), au paragraphe 12 : « […] les difficultés qui déclencheraient l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire pour des raisons d'ordre humanitaire doivent être autres que celles qui découlent du fait que l'on demande à une personne de partir une fois qu'elle est au pays depuis un certain temps. Le fait qu'une personne quitterait des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ne suffirait pas nécessairement pour justifier l'exercice du pouvoir discrétionnaire en question ». C’est uniquement sur le plan objectif que l’on vérifie si les difficultés auxquelles le demandeur serait confronté sont autres que celles qui découlent du fait qu’on lui demande de se détacher de la vie qu’il s’est bâtie au Canada. Autrement dit, j’accepte l’argument du ministre que la définition des difficultés dans le contexte d’une demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire nécessite de procéder à une comparaison, en ce sens que l’agent doit d’abord examiner ce qui est considéré comme habituel avant de pouvoir déterminer ce qui est inusité. Contrairement à ce que les demandeurs prétendent, cette analyse n’introduit pas une question subjective qui exigerait que l’on compare la situation du demandeur à celle d’autres personnes et elle n’ignore pas le concept des difficultés disproportionnées.

 

[50]      Pour en arriver à sa décision, l’agente a examiné les facteurs pertinents et elle n’a pas ignoré des éléments de preuve ou tenu compte de questions non pertinentes. L’agente a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui était conforme aux lignes directrices contenues dans l’IP 5 et la jurisprudence de la Cour. Sa conclusion que les éléments de preuve dont elle disposait ne satisfaisaient pas aux critères permettant de prendre une mesure spéciale n’était pas déraisonnable.

 

Le représentant des demandeurs a-t-il manqué à l’obligation d’agir avec équité?

[51]      Les demandeurs affirment que la procédure d’examen de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était inéquitable parce qu’ils étaient mal représentés et mal conseillés par un consultant en immigration non accrédité, Sayed Mohmoud Ali, du cabinet Mahmoud & Associés. Ce consultant aurait préparé et présenté la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire au nom de M. Ahmad.

 

[52]      Les demandeurs signalent que le consultant n’a pas inclus de renseignements concernant les enfants, pas plus que de renseignements se rapportant au rapport psychologique qui avait été préparé pour Mme Nazir. Bien qu’ils reconnaissent que la Cour ne s’est pas encore penchée sur la question de savoir si la représentation peu scrupuleuse d’un consultant peut entraîner l’annulation d’une décision, les demandeurs invoquent le jugement Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 789 (QL), à l’appui de leur argument qu’une démarche analogue devrait être suivie dans le cas qui nous occupe. Dans le jugement Jeffrey, la Cour écrit, au paragraphe 9 :

Comme le juge Max M. Teitelbaum l’a déclaré dans la décision Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509, [2005] A.C.F. no 1864 (QL), le critère utilisé pour établir l’incompétence d’un conseil est très élevé. La partie qui invoque l’incompétence doit établir qu’elle a subi un préjudice important et que ce préjudice découle des actions ou omissions du conseil incompétent. Il faut démontrer qu’il est raisonnablement probable que, n’eût été des erreurs commises par le conseil par manque de professionnalisme, l’issue de l’instance aurait été différente.                       [Non souligné dans l’original.]

 

 

[53]      À mon avis, les demandeurs n’ont pas établi que, n’eurent été des lacunes qu’ils reprochent à leur consultant, l’issue de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire aurait été différente.

 

[54]      J’ai examiné attentivement les affidavits de M. Ahmad et de Mme Nazir, ainsi que les « nouveaux éléments de preuve » annexés à l’affidavit de Mme Nazir. Ces éléments de preuve consistent en un rapport psychologique du docteur Pilowsky, les bulletins scolaires des enfants et diverses lettres d’appui. Bien que ces documents m’inspirent naturellement de la sympathie envers les demandeurs, ils ne m’ont pas convaincue qu’il existe une possibilité raisonnable que l’issue de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire aurait été différente n’eurent été de la nature et de la teneur des observations formulées par le consultant des demandeurs. Pour dire les choses carrément, ces nouveaux éléments de preuve n’auraient à mon avis probablement eu aucune incidence sur l’issue de la demande s’ils avaient été portés à la connaissance de l’agente.

 

Conclusion

[55]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[56]      L’avocate des demandeurs a proposé la certification de deux questions :

Première question : Vu l’arrêt Baker c. M.C.I., (1999) S.C.J. no 39, de la Cour suprême du Canada, et l’obligation faite au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de tenir compte « de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché » pour trancher une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, l’équité oblige-t-elle l’agent de l’immigration à vérifier l’intérêt supérieur de l’enfant au-delà de ce que le demandeur avance?

 

Seconde question : L’agent qui exige un degré d’intégration qui correspond au minimum à celui dont on s’attend normalement d’une personne limite-t-il ou entrave-t-il de façon déraisonnable le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 25(1) de la LIPR de prendre une mesure spéciale pour des raisons d’ordre humanitaire?

 

[57]      Le ministre s’oppose à la certification de ces deux questions.

 

[58]      Aucune de ces questions ne sera certifiée.

 

[59]      Pour ce qui est de la première question, dans le cas qui nous occupe, l’agente est effectivement allée au-delà de ce que les demandeurs lui avaient exposé pour vérifier l’intérêt supérieur des enfants. J’estime en outre que la Cour d’appel fédérale a répondu de façon satisfaisante à cette question dans l’arrêt Owusu.

 

[60]      S’agissant de la seconde question, j’accepte l’argument de l’avocat du ministre suivant lequel la méthode suivie par l’agente en l’espèce s’accorde avec la jurisprudence actuelle. Je conclus qu’elle est également conforme aux directives ministérielles contenues dans l’IP 5. Comme la méthode suivie par l’agente est conforme à la jurisprudence et aux directives ministérielles, j’estime qu’aucune question grave de portée générale n’a été soulevée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2448-07

 

INTITULÉ :                                       NAZIR AHMAD ET AL., demandeurs

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE DAWSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 MAI 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman                                                                      POUR LES DEMANDEURS

 

John Loncar                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates                                                              POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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