Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080516

Dossier : IMM-2227-08

Référence : 2008 CF 622

Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 mai 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

HUGO FRANKLIN VILLANUEVA CRUZ

alias HUGO FRANKLIN VILLANEUVA CRUZ

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Villanueva Cruz sollicite une ordonnance sursoyant à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui jusqu’à ce que soit accueillie ou rejetée sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de la déléguée du ministre portant qu’il constitue un danger pour le public.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Salvador. Le 24 février 1999, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a statué qu’il avait qualité de réfugié au sens de la Convention. Par conséquent, il ne peut être refoulé vers son pays d’origine en vertu du paragraphe 115(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, à moins qu’il ne constitue, selon le ministre, un danger pour le public.

 

[3]               Le 17 octobre 2007, la déléguée du ministre a exprimé l’avis que le demandeur, antérieurement reconnu coupable de trafic de cocaïne – une infraction considérée comme étant de grande criminalité –, constituait un danger pour le public. Le 12 mai 2008, l’avis du ministre a été signifié au demandeur et l’Agence des services frontaliers du Canada a procédé à son arrestation en vue de son renvoi du Canada. Le renvoi du demandeur vers le Salvador est prévu pour le mardi 20 mai 2008, à moins qu’un sursis ne soit accordé.

 

[4]               Tel qu’on l’a énoncé dans des arrêts tels que Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), et RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, le critère applicable aux demandes d’injonction interlocutoire compte trois volets à caractère conjonctif : une question sérieuse est soulevée dans l’instance sous-jacente, il existe un risque de préjudice irréparable, et la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la partie qui sollicite la réparation. Quant au second volet, la Cour a statué ce qui suit dans Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, au paragraphe 7 : « [L]’allégation d’un préjudice irréparable ne doit pas être une simple hypothèse ni être fondée sur une série de possibilités. La Cour doit être convaincue que ce préjudice surviendra si la réparation sollicitée n’est pas accordée. »

 

[5]               À mon avis, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de sursis du demandeur, ce dernier n’ayant pas établi qu’il subirait un préjudice irréparable faute d’un sursis.

 

[6]               Le demandeur soutient qu’il risque d’être assassiné ou détenu, ou encore de subir de mauvais traitements, s’il était renvoyé au Salvador. Dans son affidavit présenté à l’appui de la présente requête, le demandeur a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Je continue de craindre un retour au Salvador pour les mêmes motifs que ceux ayant fondé ma demande [d’asile]. Je crains toujours les personnes qui me menacent, qui ont essayé de m’abattre et qui ont assassiné mon frère Carlos. Il s’agit de militaires, d’ex-militaires et d’ex-guérilleros qui se sont réunis en un gang de criminels après la fin de la guerre civile en 1992.

 

D’après les membres de ma famille au Salvador, certains criminels les ayant pris pour cible ont maintenant joint les rangs du gang MS‑13. J’ai tout lieu de croire que ces personnes risquent toujours de m’assassiner pour se venger de mon refus de me joindre à elles dans le passé. Si ces personnes ne me tuent pas sur-le-champ, elles exerceront une énorme pression sur moi pour que je joigne leurs rangs ou que je leur donne de l’argent, ou les deux à la fois, faute de quoi je serai assassiné.

 

Des membres du gang MS-13 s’en sont pris aux membres de ma famille et ils les ont exhortés à joindre leurs rangs au cours des dernières années. Ce gang sait que je vis au Canada et force mes parents à leur verser 150 $ chaque mois. Mes parents résident en ce moment chez l’un de mes neveux par crainte pour leur vie. Ils ont des pistolets et un pit-bull pour se protéger.

 

Les autorités salvadoriennes et des membres de gangs risqueraient également de me vouloir du mal en raison de mes tatouages. J’ai un tatouage sur le visage et d’autres sur les bras. Ces tatouages ne sont liés à aucun gang, mais actuellement au Salvador on soupçonne quiconque a un tatouage d’être membre d’un gang. Les personnes expulsées sont détenues à l’aéroport et font l’objet d’une enquête. Je crois que mon expulsion, mon casier judiciaire au Canada et mes tatouages pourraient amener les autorités salvadoriennes à croire en mon appartenance à un gang. Je risquerais d’être torturé et sommairement exécuté. Les membres de gangs soupçonnent également les tatoués d’être membres de gangs rivaux. Les membres de divers gangs risqueraient donc de me vouloir du mal.

 

Pour tous ces motifs, ma sécurité personnelle serait menacée et je subirais un tort irréparable si on m’expulsait au Salvador avant qu’il ne soit statué sur ma demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[7]               Le demandeur invoque un rapport intitulé « No Place to Hide: Gang, State and Clandestine Violence in El Salvador » qui a été établi en février 2007 par la Human Rights Clinic dans le cadre du programme de droits de la personne de la Faculté de droit de Harvard.

 

[8]               L’avocat du défendeur souligne que ce rapport concerne et décrit les « gangs de jeunes ». Le demandeur étant né en 1972 et ayant maintenant près de 36 ans, il avancerait une simple hypothèse en disant qu’on ferait pression sur lui pour qu’il joigne les rangs d’un des gangs de jeunes mentionnés dans le rapport, et ce, même si l’on devait donner une définition bien large de la notion de « jeunes ».

 

[9]               On mentionne également dans le rapport que les personnes tatouées sont la cible des gangs de jeunes et de la police. Si on lit attentivement le rapport, toutefois, on peut constater que ce sont les jeunes tatoués que l’on vise. C’est alors aussi une simple hypothèse de prétendre que le demandeur pourrait, du fait qu’il est tatoué, subir certains des actes de violence dont fait état le rapport.

 

[10]           Le demandeur soutient également toujours craindre les personnes qui lui avaient fait quitter le Salvador en premier lieu, et que celles-ci risqueraient de le blesser ou de le tuer s’il y était renvoyé.

 

[11]           L’avocat du défendeur souligne qu’il était très difficile de discerner, d’après les diverses déclarations faites et présentées par le demandeur tout au long de son séjour au Canada, de quel groupe ou quels groupes il estime avoir été la cible. La déléguée du ministre a déclaré ce qui suit à cet égard dans le cadre de son examen des risques :

[traduction]

Comme dix années ont passé, je ne suis pas convaincue qu’il serait visé de manière particulière au sein d’une population de plus de six millions d’habitants. En outre, aucun élément de preuve ne m’a été présenté qui étaye sa prétention selon laquelle les autorités s’intéresseraient à lui à son retour au Salvador en raison de sa déclaration de culpabilité au Canada, ou il courrait de plus grands risques que d’autres citoyens retournant au Salvador. Je peux également comprendre que M. Villaneuva Cruz dise qu’il lui serait difficile de se réinstaller dans une région autre que celle où vit sa famille au Salvador. À mon avis et d’après ce que disent les rapports sur le pays, toutefois, il n’est pas déraisonnable d’affirmer que le demandeur pourrait se réinstaller dans une nouvelle région du Salvador, où il ne serait pas connu et où il ne serait pas plus en danger que tout autre citoyen de ce pays.

 

[12]           Même si la déléguée a fait ces observations relativement à l’intérêt que les « autorités » pourraient porter à M. Villanueva Cruz, elles valent tout autant pour le ou les groupes que ce dernier prétend craindre. Rien dans les documents produits par le demandeur ne permet de contredire l’observation selon laquelle ce dernier pourrait se réinstaller dans une autre partie du Salvador où il n’est pas connu. Cela étant, on ne peut affirmer que le risque couru par M. Villanueva Cruz est davantage qu’une simple éventualité.

 

[13]           Le demandeur prétend finalement qu’après son expulsion vers le Salvador, sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la déléguée du ministre deviendrait théorique. Il soutient subsidiairement que, si la demande de contrôle judiciaire est instruite et qu’il a gain de cause, il serait déjà renvoyé au Salvador sans avoir le droit de revenir au Canada.

 

[14]           Des arguments similaires ont été rejetés dans les décisions Thuraisingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 72, Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, et Palka c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 153.

 

[15]           L’avocate du demandeur a fait remarquer que les décisions précitées concernaient des situations différentes de celle du demandeur, ce dernier s’étant vu reconnaître la qualité de réfugié. Selon elle, il en résulte que la situation du demandeur est différente, celui-ci disposant ainsi du droit de demeurer au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention. Toutefois, le droit du demandeur de demeurer au Canada n’est pas absolu. L’article 115 de la Loi prévoit qu’une personne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution si elle est interdite de territoire pour grande criminalité et si elle constitue, selon le ministre, un danger pour la public au Canada. J’estime par conséquent que le principe énoncé dans les trois décisions citées par le défendeur reçoit application en l’espèce.

 

[16]           Je suis d’avis, par conséquent, que le demandeur n’a pas établi qu’il subirait un préjudice irréparable si le sursis demandé ne lui était pas accordé, et sa requête est rejetée.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que soit rejetée la requête du demandeur en vue d’obtenir une ordonnance sursoyant à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui jusqu’à ce que soit accueillie ou rejetée sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de la déléguée du ministre portant qu’il constitue un danger pour le public.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2227-08

 

INTITULÉ :                                                   HUGO FRANKLIN VILLANUEVA CRUZ alias HUGO FRANKLIN VILLANEUVA

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 16 MAI 2008

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                         LE 16 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brenda J. Wemp

 

POUR LE DEMANDEUR

Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brenda J. Wemp

Avocate

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.