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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080522

Dossier : IMM‑4307‑07

Référence : 2008 CF 652

Toronto (Ontario), le 22 mai 2008

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

OSIRIS LETICIA PADILLA PEREZ

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Osiris Padilla Perez est une citoyenne du Mexique qui demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) de rejeter sa demande d’asile.

 

[2]               À la clôture de l’audience, j’ai informé les avocats des parties que j’accueillerais la demande; je vais maintenant en exposer les motifs.

 

I. Le contexte

 

[3]               Mme Padilla est une jeune femme originaire de Tabasco au Mexique. Elle dit qu’en juin 2006, alors qu’elle était âgée de 17 ans, un individu se disant membre de la bande Los Zetas est entré en communication avec son père et il lui a enjoint de verser 500 000 pesos à la bande dans les 48 heures s’il voulait préserver la sécurité de sa famille. Le père de Mme Padilla a d’abord pensé qu’on lui avait fait une blague, mais il a néanmoins averti sa femme et ses filles d’être très prudentes. Il n’a pas versé la somme demandée par la bande.

 

[4]               Mme Padilla déclare que quelques semaines plus tard, alors qu’elle rentrait chez elle après le travail, un groupe d’hommes dans des camionnettes l’ont enlevée de force. Elle ajoute avoir été droguée, battue et violée.

 

[5]               Après avoir été libérée par ses ravisseurs, Mme Padilla a obtenu des soins médicaux d’un médecin ami de la famille. Elle est ensuite allée trouver refuge chez des membres de sa famille, à Colima.

 

[6]               Le père de Mme Padilla a reçu un deuxième appel d’un membre de la bande Los Zetas, qui lui demandait cette fois encore de l’argent. Il a versé de l’argent à la bande, mais pas toute la somme demandée, qu’il n’avait pu réunir.

 

[7]               Mme Padilla affirme avoir commencé à recevoir sur son cellulaire des appels de menaces de membres de la bande, appels qui ont continué même après qu’elle eut changé de numéro de téléphone. Lorsqu’on l’appelait, on lui demandait si elle avait aimé ce que les membres de la bande lui avaient fait, comme il semblait curieux que son père n’ait pas versé tout l’argent demandé. On lui a également dit que la bande savait où elle se trouvait, et que [traduction] « personne ne jouait de tours aux Zetas ».

 

[8]               Mme Padilla affirme avoir alors commencé à faire des préparatifs en vue de quitter le pays, même si sa famille voyait d’un mauvais œil qu’elle voyage seule. Une semaine après avoir atteint l’âge de 18 ans, alors qu’elle n’avait plus à requérir le consentement parental pour se rendre à l’étranger, Mme Padilla a quitté le Mexique à destination du Canada où, dès son arrivée, elle a demandé l’asile.

 

II. L’audience concernant la demande d’asile de Mme Padilla

 

[9]               Au début de l’audience concernant la demande d’asile de Mme Padilla, la présidente d’audience a informé cette dernière et son avocat qu’elle ne voulait pas [traduction] « qu’on décrive dans le détail ce qui est arrivé à Mme Padilla Perez ». La commissaire a jouté : [traduction] « Même si la crédibilité va bien sûr continuer d’être en question, je ne désire pas qu’on scrute l’exposé circonstancié du FRP pour y examiner l’incident dans le détail. Si je juge nécessaire de le faire plus tard dans l’audience, je vous le ferai savoir. »

 

[10]           Quelques minutes plus tard, l’agent de protection des réfugiés a tenté de faire clarifier par la commissaire sa position sur la question de la crédibilité. Cette dernière a confirmé à cet égard que la crédibilité n’était en question qu’en [traduction] « ce qui a trait à la protection de l’État ».

 

[11]           Les questions « sur la table » étant ainsi comprises, le déroulement de l’audience s’est poursuivi. Pendant celle‑ci, on n’a pas posé la moindre question à Mme Padilla sur l’agression dont elle avait fait l’objet.

 

III. La décision de la Commission

[12]           La présidente d’audience a ordonné une brève suspension à la clôture de l’audience, puis elle est revenue environ 20 minutes plus tard pour rendre sa décision de vive voix. Les motifs de la présidente ont par la suite été consignés par écrit.

 

[13]           Après avoir brièvement résumé le fondement de la demande d’asile de Mme Padilla, la commissaire a déclaré que les questions déterminantes pour trancher la demande étaient celles de la protection de l’État et de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur à Mexico.

 

[14]           La commissaire a ensuite déclaré dans ses motifs que « [l]a Commission avait des préoccupations en ce qui concerne la crédibilité de la demandeure d’asile et le manque de documents à l’appui ». Elle a ajouté : « […] le fardeau de la preuve repose sur la demandeure d’asile, qui doit prouver que les événements ont eu lieu et que les membres de Los Zetas sont les auteurs du crime. À cet égard, la Commission n’est pas convaincue que la norme de preuve a été respectée. » La commissaire a poursuivi en disant ne pas considérer la crédibilité comme un facteur déterminant.

 

[15]           La commissaire a ensuite examiné l’argument de Mme Padilla selon lequel la violence sexuelle dont elle avait fait l’objet au Mexique était suffisamment grave pour qu’elle soit visée par l’exception des « raisons impérieuses » prévue au paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La commissaire a déclaré à ce sujet que « l’acte présumé n’est pas "épouvantable et atroce" conformément à la norme établie, même si [la Commission] est convaincue qu’il s’agit d’un événement horrible dans la vie de la jeune femme, advenant qu’il a véritablement eu lieu ». Puis la commissaire a ajouté : « La jurisprudence sur laquelle la Commission s’est appuyée en ce qui concerne la nature « épouvantable et atroce » de l’événement lui a permis de conclure que, en l’espèce, l’acte ne répond pas à ces critères. »

 

[16]           La présidente d’audience a ensuite examiné la question de la protection de l’État, en commençant par faire observer « qu’elle [la Commission] n’accepte pas le témoignage de la demandeure d’asile et qu’elle a relevé un manque d’aspects essentiels relativement à la demande ».

 

[17]           La présidente d’audience a ajouté que même si elle estimait véridique le récit de Mme Padilla, ce qui n’était pas le cas, il lui faudrait néanmoins examiner la question de la protection de l’État. Cela est bien sûr inexact puisque, si la présidente ne croyait pas le récit de Mme Padilla, elle n’avait plus alors à s’attaquer à la question de la protection de l’État.

 

[18]           A alors suivi un long énoncé des principes juridiques pertinents en matière de protection de l’État, ainsi qu’un résumé d’éléments choisis de l’information sur les conditions dans le pays.

 

[19]           La commissaire a ensuite examiné la preuve concernant « les enlèvements et les cartels de la drogue ». Elle a affirmé que l’information sur les conditions dans le pays confirmaient l’existence d’enlèvements au Mexique, mais que l’État y déployait de sérieux efforts pour combattre ces crimes et que ces efforts étaient couronnés de succès.

 

[20]           La commissaire n’a pas blâmé Mme Padilla pour ne pas avoir signalé son agression à la police, comme à l’époque elle était encore mineure.

 

[21]           Tout en admettant l’authenticité de la crainte subjective de Mme Padilla de retourner au Mexique, la commissaire a conclu, en fonction d’une analyse de nature prospective, qu’elle pourrait obtenir la protection de l’État si elle devait retourner au Mexique.

 

[22]           Pour ce qui est de la question de la possibilité d’un refuge intérieur, la commissaire a examiné la jurisprudence pertinente, et souligné que la Cour avait confirmé les conclusions tirées dans d’autres affaires selon lesquelles des personnes craignant la criminalité au Mexique disposaient d’une possibilité de refuge intérieur à Mexico.

 

[23]           Après examen de la situation personnelle de Mme Padilla, la commissaire a conclu qu’elle aussi disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Mexico.

 

IV. Analyse

 

[24]           La décision de la commissaire pose un certain nombre de problèmes, et elle fait naître de sérieuses inquiétudes quant au caractère équitable de la procédure suivie à l’audience.

 

[25]           Pour ce qui est d’abord de l’équité procédurale, les questions touchant le caractère équitable de la procédure suivie dans une affaire donnée sont à trancher par la cour de révision, aucune déférence n’étant requise à l’endroit de la Commission à cet égard (se reporter, par exemple, à Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, paragraphes 52 et 53).

 

[26]           J’estime que cette situation n’a pas changé par suite du récent arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S. n° 9, de la Cour suprême du Canada (se reporter aux motifs concourants du juge Binnie, paragraphe 129, où ce dernier a confirmé que la cour de révision avait le dernier mot quant aux questions d’équité procédurale; se reporter également au paragraphe 151 de l’arrêt Dunsmuir et à la décision Halifax Employers’ Association c. Tucker, 2008 CF 516).

 

[27]           Il semble que la commissaire, peut‑être parce que sensible au traumatisme subi par Mme Padilla au Mexique, n’a pas voulu faire revivre à cette dernière les détails de son agression en lui en faisant faire le récit dans son témoignage.

 

[28]           Même s’il faut louer la commissaire pour la sensibilité dont elle a ainsi fait preuve, il n’était pas équitable qu’elle dise à Mme Padilla et à son avocat dès le début de l’audience qu’elle ne voulait pas [traduction] « qu’on décrive dans le détail ce qui est arrivé ». Cela laissait alors croire à Mme Padilla que la commissaire admettait que l’enlèvement et l’agression avaient bel et bien eu lieu tels qu’allégués, alors qu’en fait la commissaire a ensuite fait état dans la décision de ses réserves quant à la crédibilité de cet aspect du récit de Mme Padilla.

 

[29]           Ce qui pose particulièrement problème en matière d’équité c’est la conclusion de la Commissaire selon laquelle Mme Padilla n’avait pas démontré que les faits en cause s’étaient réellement produits et que les membres du gang Los Zetas étaient bien les auteurs du crime.

 

[30]           Un autre problème en matière d’équité soulevé par cette conclusion, c’est l’absence complète de tout motif avancé pour juger non crédible l’élément central du récit de Mme Padilla.

 

[31]           Ce qui est particulièrement curieux, c’est que tout en déclarant ne pas admettre que les faits décrits par Mme Padilla dans son FRP s’étaient bien produits, la commissaire a dit croire que celle‑ci avait « vécu un incident négatif au cours de la période qui a précédé son départ du Mexique », sans être toutefois « convaincue des détails ou des agents de persécution présumés ».

 

[32]           La commissaire n’explique absolument d’aucune manière dans ses motifs pourquoi elle a rejeté le récit de Mme Padilla, ce qu’était véritablement selon elle l’« incident négatif » non précisé ni qui elle estimait être responsable dudit incident.

 

[33]           Comme en outre la commissaire a déclaré au début de l’audience que, selon elle, la crédibilité était en question en [traduction] « ce qui a trait à la protection de l’État », il est difficile d’évaluer dans quelle mesure les conclusions défavorables en matière de crédibilité ont ensuite influé sur l’analyse par la Commission de la question de la protection de l’État, ou ont pu influer sur l’analyse de la question de la possibilité d’un refuge intérieur.

 

[34]           De plus, aucun élément de preuve n’étaye certaines conclusions de la Commission relativement à cette dernière question, comme la conclusion selon laquelle les aptitudes en anglais de Mme Padilla étaient « très bonnes », ce qui l’aiderait à trouver du travail à Mexico. Comme l’avocat de Mme Padilla l’a souligné, cette dernière a témoigné à l’audience par l’intermédiaire d’un interprète, et aucun élément de preuve n’a été mentionné pour appuyer la conclusion de la Commission concernant les aptitudes langagières de Mme Padilla.

 

[35]           Finalement, le raisonnement de la Commission lié aux « raisons impérieuses » comporte une faille et il crée de la confusion. Tout d’abord, il ressort clairement de l’analyse de cette question par la commissaire que cette dernière ne croyait pas qu’étaient véritablement survenus les faits décrits par Mme Padilla. Les problèmes entourant cette conclusion ont déjà été abordés.

 

[36]           La commissaire a également conclu, de manière subsidiaire semble‑t‑il, que ce que Mme Padilla avait décrit dans son FRP aurait constitué un « événement horrible dans la vie de la jeune femme », si cela s’était véritablement produit. Dans le même souffle, la commissaire a toutefois conclu que l’acte en cause – une très jeune femme enlevée, droguée et violée par un ou plusieurs hommes – ne répondait pas au critère de l’acte « épouvantable et atroce ». La commissaire n’a énoncé aucun motif pour en être arrivée à cette conclusion, ni fourni aucune explication quant aux différences qu’elle percevait entre ce qui est « horrible », « atroce » et « épouvantable ».

 

V. Conclusion

 

[37]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut que la procédure suivie dans la présente affaire était inéquitable, et qu’il y avait lacune quant à la justification nécessaire de la décision de la Commission et quant à la transparence et à l’intelligibilité requises du processus décisionnel. La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent accueillie.

 

VI. Certification

 

[38]           Ni l’une ni l’autre partie n’a recommandé la certification d’une question, et la présente affaire ne soulève aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4307‑07

 

 

INTITULÉ :                                       OSIRIS LETICIA PADILLA PEREZ c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 MAI 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 22 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert I. Blanshay

 

POUR LA DEMANDERESSE

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROBERT I. BLANSHAY

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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