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Date : 20080507

Dossier : T-1697-01

Référence : 2008 CF 659

[TRADUCTION FRANÇAISE]

OTTAWA (Ontario), le 7 mai 2008

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

ELI LILLY AND COMPANY et

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesses

et

 

APOTEX INC. et

NOVOPHARM LIMITED

 

ET ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesses reconventionnelles

 

et

 

ELI LILLY AND COMPANY et

ELI LILLY COMPANY INC.

défenderesses reconventionnelles

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

  • [1] Il s’agit d’une requête présentée par les demanderesses (Lilly) visant à obtenir une ordonnance annulant l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch datée du 8 février 2008, dans laquelle il n’a pas été ordonné de répondre à certaines questions refusées par la défenderesse (Novopharm).

 

  • [2] La présente requête découle d’une action en contrefaçon, dans laquelle les demanderesses poursuivent Apotex et Novopharm pour contrefaçon de deux brevets canadiens qui revendiquent des procédés de préparation d’intermédiaires, notamment, le médicament appelé nizatidine. Apotex et Novopharm allèguent la non-contrefaçon des deux brevets et ont introduit une demande reconventionnelle soutenant que les deux brevets sont invalides. Apotex a également déposé une demande reconventionnelle visant à faire reconnaître que Lilly et Novopharm ont conspiré pour priver Apotex d’une source de nizatidine autorisée, ce qui contrevient à la Loi sur la concurrence. Lilly et Novopharm nient toutes les deux ces allégations.

 

  • [3] L’ordonnance se rapporte à un interrogatoire préalable complémentaire mené par M. Windross au nom de Novopharm. Lilly a présenté une requête pour obliger les défenderesses à répondre aux questions refusées lors de cet interrogatoire préalable. Dans cette requête, il n’a pas été ordonné de répondre à certaines questions.

 

  • [4] Les demanderesses allèguent que la protonotaire a commis une erreur de droit en refusant d’ordonner de répondre à des questions qui étaient pertinentes.

 

  • [5] Il est bien établi que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne doivent pas être révisées, sauf si la requête porte sur des questions « ayant une influence déterminante sur l’issue du principal » ou si l’ordonnance du protonotaire est « entachée d’une erreur flagrante » (arrêt Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2003] A.C.F. no 1925 (QL), au paragraphe 19).

 

  • [6] Dans la décision Reading & Bates Construction Co. v. Baker Energy Resources Corp. (1988), 24 C.P.R. (3d) 66, aux pages 70 à 72, [1988] F.C.J. No. 1025 (QL), la Cour a défini des principes directeurs pour déterminer la pertinence, y compris les suivants :
    [traduction]

    • o [...] La question de savoir quel document se rapporte vraiment aux questions en litige est tranchée selon le principe suivant : il doit s’agir d’un document dont on peut raisonnablement supposer qu’il contient des renseignements qui peuvent permettre directement ou indirectement à la partie qui en demande la production de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire, ou qui sont susceptibles de le lancer dans une enquête qui pourra produire l’un ou l’autre de ces effets [...].

    • o À un interrogatoire préalable qui a lieu avant le début d’un renvoi qui a été ordonné, la partie qui est interrogée n’est tenue de répondre qu’aux questions qui ont rapport aux questions visées par le renvoi – inversement, le témoin n’est pas tenu de répondre aux questions relatives aux renseignements qui ont déjà été produits ni aux questions qui sont trop générales ou sollicitent un avis, au qui ne font pas l’objet du renvoi [...].

    • o L’à-propos de toute question posée à l’interrogatoire préalable doit être déterminé en fonction de sa pertinence par rapport aux faits allégués dans la déclaration qui sont censés constituer la cause d’action plutôt qu’en fonction de sa pertinence par rapport aux faits que le demandeur a l’intention d’établir pour démontrer les faits constituant la cause d’action. […]

    • o À l’interrogatoire préalable, la portée des questions doit être restreinte aux allégations de fait non admis dans une plaidoirie […].

 

  • [7] Cependant, si un protonotaire estime qu’une question est pertinente, il peut néanmoins refuser d’ordonner d’y répondre si :

[...] la réponse n’est d’aucun secours à la position juridique de la partie qui interroge, s’il faudrait beaucoup de temps, d’efforts et de dépenses pour obtenir une réponse vraisemblablement de peu de valeur ou encore si la question fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue. (Arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438, [2003] A.C.F. no 1725 (QL), au paragraphe 10; voir l’arrêt Reading & Bates Construction Co., précité, aux pages 70 à 72).

 

  • [8] Il incombe aux demanderesses de démontrer que la décision de la protonotaire est entachée d’erreur flagrante, en ce sens qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co., 2007 CF 250, [2007] A.C.F. no 322 (QL), au paragraphe 16).

 

  • [9] Bien que la pertinence n’ait pas été mentionnée dans les motifs fournis à l’Annexe A pour chacune des questions en litige, ce motif a été noté en réponse à l’élément no 3, pour lequel la protonotaire a indiqué [traduction] « Il faut répondre à cette question. Elle est pertinente. » Ainsi, bien que la protonotaire n’ait pas formulé de conclusion explicite concernant la pertinence, je suis d’avis qu’elle connaissait ce principe. Je ne crois pas qu’une conclusion explicite concernant la pertinence soit nécessaire pour chaque élément.

 

  • [10] Dans le même ordre d’idée, la Cour a soutenu qu’il n’y avait aucune exigence visant à fournir des motifs dans les ordonnances de cette nature. Comme l’a indiqué le juge Lemieux dans la décision Anchor Brewing Co. c. Sleeman Brewing & Malting Co. Ltd., 2001 CFPI 1066, [2001] A.C.F. no 1475 (QL), au paragraphe 31 : « La revue de la jurisprudence, à laquelle je souscris, établit qu’une ordonnance non motivée du protonotaire ne donne pas lieu d’office à une audience de novo dans un appel interjeté auprès d’un juge de la présente Cour. » Il a ensuite souligné ce qui suit, au paragraphe 32 :

Il n’est pas justifié d’intervenir de novo lorsque l’examen de l’ensemble des circonstances, notamment la nature de l’ordonnance prononcée, la preuve produite devant le protonotaire et le fait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire porte essentiellement ou non sur l’appréciation de principes juridiques, établit raisonnablement la manière dont le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire.

 

(Voir aussi la décision Apotex Inc. c. Merck & Co., 2007 CF 250, [2007] A.C.F. no 322 (QL), au paragraphe 13.)

 

 

  • [11] À mon avis, au moment de déterminer si une ordonnance est clairement erronée, une évaluation holistique plutôt que formaliste est préférable. Autrement dit, la question de savoir si la pertinence a été explicitement établie n’est pas un élément déterminant, mais l’analyse doit plutôt prendre en compte l’ensemble des circonstances dans lesquelles l’ordonnance a été rendue.

 

  • [12] En ce qui concerne le premier groupe d’éléments, la protonotaire Aronovitch a invoqué les motifs suivants pour refuser d’ordonner de répondre à ces questions à l’Annexe A :
    [traduction]

Élément 45 : Il ne sera pas répondu à la question. C’est une question inacceptable.

Élément 48 : Il ne sera pas répondu à la question. C’est une question inacceptable.

Élément 51 : Il ne sera pas répondu à la question. C’est une question inacceptable.

 

Compte tenu de la nature de ces questions, qui ne sont pas des questions de fait visant à déterminer si le procédé actuel du fournisseur est le « procédé Shasun », mais plutôt si des erreurs ont été commises dans les documents obtenus par le fournisseur actuel de Novopharm, il serait préférable qu’elle soit abordée par des experts ou des personnes versées dans l’art. Je ne peux donc pas conclure que la protonotaire a commis une erreur flagrante en refusant d’ordonner qu’on réponde à ces questions.

 

  • [13] Concernant le deuxième groupe d’éléments, ils ont été traités de la même manière que ceux de l’Annexe A :
    [traduction]

Élément 128 : Il n’est pas nécessaire de répondre à la question. C’est tout simplement exagéré. C’est une chose de demander les fondements factuels, et Lilly les a obtenus. Lilly n’est pas autorisée à mettre en question ces fondements.

Élément 130 : Il n’est pas nécessaire de répondre à la question. Il ne s’agit pas de déterminer comment un élément sera démontré. Lilly ne peut pas mettre en question le fondement d’une allégation.

 

Comme il est mentionné dans l’arrêt Reading & Bates Construction Co., précité, [traduction] « [l]’à-propos de toute question posée à l’interrogatoire préalable doit être déterminé en fonction de sa pertinence par rapport aux faits allégués dans la déclaration qui sont censés constituer la cause d’action plutôt qu’en fonction de sa pertinence par rapport aux faits que le demandeur a l’intention d’établir pour démontrer les faits constituant la cause d’action. » Les conclusions de la protonotaire Aronovitch semblent être en phase avec le contexte de cette déclaration, qui définit la portée de la pertinence, puisqu’il s’agit de questions qui constituent l’objet des éléments de preuves d’expert et qu’elles visent à déterminer comment Novopharm compte démontrer le bien-fondé de sa cause. Par conséquent, la décision de ne pas ordonner de répondre à ces questions n’était clairement pas erronée.

 

  • [14] Enfin, en ce qui concerne le troisième groupe, la protonotaire Aronovitch a indiqué ce qui suit :
    [traduction]

Élément 126 : Il n’y a pas eu d’engagement à fournir l’identité de l’inventeur si ce n’est pas Kenneth Moder. Il n’est pas nécessaire de répondre à la question.

 

Bien que Lilly soutienne qu’il existe un engagement à divulguer l’identité de l’inventeur s’il ne s’agit pas de Kenneth Moder, Novopharm n’a pas allégué que l’inventeur était une autre personne. À cet égard, pour l’élément 132, la protonotaire indique ce qui suit :
[traduction]

[…] En outre, s[i] Novopharm fait valoir qu’une autre personne est l’inventeur, elle doit fournir les faits concernant cette allégation. Novopharm n’a pas prétendu que l’inventeur était une autre personne.

 

Ainsi, je ne trouve aucune erreur manifeste dans la conclusion de la protonotaire relativement à cet élément.

 

  • [15] Compte tenu de ce qui précède, je conclus donc que la protonotaire Aronovitch n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle et la présente requête est rejetée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE le rejet de la requête à l’encontre de l’ordonnance de la protonotaire. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


  COUR FÉDÉRALE

 

  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :

    T-1697-01

 

INTITULÉ :  ELI LILLY AND COMPANY ET AL.

   et

APOTEX INC. ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 6 mai 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LA JUGE 

TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :  LE 7 MAI 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Beverley Moore  POUR LES DEMANDERESSES

 

Mme Jeilah Chan  POUR LA DÉFENDERESSE

  NOVOPHARM

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson  POUR LES DEMANDERESSES

Ottawa (Ontario)

 

 

Bennett Jones LLP       POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)    NOVOPHARM

 

 

 

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