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Date : 20080513

Dossier : IMM‑1780‑08

Référence : 2008 CF 607

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 13 mai 2008

En présence de Monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

YIN BIN YANG

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur voudrait que la Cour rende une ordonnance sursoyant à l’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui, jusqu’à ce que soit jugée sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue sur sa demande d’examen des risques avant renvoi. Pour les motifs qui suivent, la requête du demandeur est rejetée.


I. Contexte

[2]               Le demandeur est un ressortissant de la République populaire de Chine. Il est arrivé à l’aéroport international de Vancouver le 9 novembre 1998. À la suite d’une entrevue menée par un agent d’immigration, il a été l’objet d’un rapport en application de l’article 20 de l’ancienne Loi sur l’immigration, parce que l’agent était d’avis qu’il ne s’était pas conformé à la Loi et au Règlement, étant donné qu’il n’avait pas de passeport valide, de documents de voyage ou de visa. Une mesure d’exclusion a été prononcée contre lui.

 

[3]               Le 12 novembre 1998, M. Yang a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contestant la mesure d’exclusion. Il a aussi déposé une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Les deux demandes ont été rejetées. Cependant, la mesure d’exclusion et les dispositions de renvoi prises contre M. Yang ont plus tard été annulées parce qu’il était mineur, étant âgé de moins de 18 ans.

 

[4]               Ayant exprimé la volonté de revendiquer le statut de réfugié, il a subi une entrevue et déposé un Formulaire de renseignements personnels auprès de la Section du statut de réfugié, au soutien de sa demande d’asile.

 

[5]               Sa demande d’asile était fondée sur sa prétendue crainte de persécution, en raison du rôle qu’il avait joué en septembre 1998 dans une manifestation en Chine, organisée contre l’expropriation de terrains dans sa ville. Le 26 juillet 1999, la Section du statut de réfugié a conclu que M. Yang n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Qui plus est, elle a estimé que son témoignage n’était pas crédible. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contestant la décision de la Section du statut de réfugié a été rejetée le 28 janvier 2000.

 

[6]               Le 26 septembre 1999, M. Yang a déposé une demande au titre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. En janvier 2008, il a été informé que cette demande avait été transférée et qu’elle allait être évaluée en tant que demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR), conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Il a déposé des conclusions écrites au soutien de la demande d’ERAR. Dans ses conclusions, il affirmait, outre le fait qu’il était déjà recherché par les autorités chinoises pour son rôle dans la manifestation organisée contre l’expropriation de terrains, qu’il courait aussi un risque parce qu’il était maintenant un adepte du Falun Gong. Il disait craindre la persécution pour ces deux raisons.

 

[7]               Il s’est présenté à une entrevue auprès d’un agent d’ERAR le 18 mars 2008. Avant le début de l’entrevue, il fut informé qu’il y serait question de son rôle dans les manifestations organisées contre l’expropriation de terrains en Chine, de sa pratique du Falun Gong au Canada et de sa connaissance de la théorie et de la pratique du Falun Gong. Il fut invité à présenter [traduction] « toute preuve matérielle se rapportant aux aspects mentionnés ».

 

[8]               L’agent d’ERAR a rejeté la demande de M. Yang. Selon lui, il n’était pas crédible. Il s’est exprimé ainsi :

[traduction]

Je trouve que le demandeur n’est pas crédible : je ne le crois pas quand il dit qu’il est recherché par les autorités chinoises pour avoir manifesté contre une décision d’expropriation de terrains, et je ne le crois pas non plus quand il me dit qu’il est un adepte du Falun Gong.

 

[9]               M. Yang a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre cette décision. Il doit en principe être renvoyé du Canada le 15 mai 2008.

 

II. La demande de sursis à la mesure d’exécution

[10]           Le demandeur reconnaît que, pour pouvoir obtenir un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion, il doit satisfaire au triple critère exposé dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.). Il doit prouver qu’il y a une question sérieuse à trancher, qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi du sursis à la mesure d’exécution.

 

III. La question sérieuse

[11]           M. Yang a avancé deux arguments pour dire qu’il y a une question sérieuse à trancher : d’abord, l’agent s’est fourvoyé en disant qu’il n’était pas crédible, et ensuite il a manqué à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas, durant l’entrevue, signalé au demandeur ses doutes sur la crédibilité de celui‑ci.

 

[12]           L’avocat de M. Yang a disséqué les motifs de l’agent au sujet du fait que le témoignage du demandeur n’était pas crédible. Selon lui, aucun des motifs en question, considérés isolément, n’autorisait la conclusion de l’agent. Cependant, un examen du dossier montre clairement que ce n’est pas un aspect en particulier de son témoignage qui a conduit l’agent à dire qu’il n’était pas crédible; c’est plutôt plusieurs des aspects de son témoignage qui ont indisposé l’agent.

 

[13]           S’agissant du prétendu risque découlant de la participation du demandeur à des manifestations organisées contre les expropriations, les aspects qui ont incommodé l’agent étaient les suivants :

  1. dix ans s’étaient écoulés, et le demandeur n’était encore pas en mesure de prouver, si ce n’est par son propre témoignage, qui avait déjà été jugé déficient, que les autorités chinoises avaient été à sa recherche et étaient encore à sa recherche à cause de sa participation à une manifestation organisée contre l’expropriation de terrains;
  2. il n’était pas établi que sa famille avait jamais eu à pâtir de son rôle dans les prétendues manifestations; et
  3. nul ne savait ce qu’il était advenu des autres participants à la manifestation.

 

[14]           S’agissant du prétendu risque posé par le fait que le demandeur était un adepte du Falun Gong, les aspects qui ont gêné l’agent étaient les suivants :

  1. le demandeur avait pu démontrer sa connaissance de quelques‑unes seulement des croyances et pratiques de base du Falun Gong;
  2. il a donné des indications contradictoires sur la date à laquelle il était devenu un adepte du Falun Gong – il a dit durant l’entrevue que son adhésion était toute récente, mais il écrivait dans l’exposé circonstancié accompagnant sa demande d’ERAR qu’il avait reçu ses premiers enseignements plusieurs années auparavant;
  3. il affirmait avoir lu « Zhaun Falun », l’ouvrage de Li Hong Zhi, or il n’a pu répondre à aucune des questions portant sur les affirmations qui y sont faites et qui concernent les pouvoirs supranormaux exercés par les adeptes et la capacité des adeptes de vivre des vies longues et extraordinaires tout en conservant leur air de jeunesse; et, aspect sans doute le plus important
  4. l’agent a trouvé que les conclusions écrites insérées par le demandeur dans sa demande d’ERAR présentaient une ressemblance frappante avec celles d’un autre demandeur d’ERAR qui était connu de M. Yang, et les pièces qui y étaient annexées, que le demandeur affirmait avoir téléchargées de l’Internet, ne portaient pas les points‑adresses habituels de l’Internet, n’étaient pas des originaux, mais des photocopies, et étaient identiques (jusqu’aux annotations manuscrites) à celles qu’avait produites l’autre demandeur d’ERAR.

 

[15]           Les conclusions tirées par un agent d’ERAR à la suite d’une entrevue appellent une retenue considérable. En l’espèce, l’agent a examiné attentivement la preuve produite et les réponses données et il a analysé les réponses en recourant aux indices habituels et ordinaires de crédibilité. Selon moi, les conclusions tirées par l’agent s’accordaient avec la preuve qui lui avait été soumise et elles entrent manifestement dans l’éventail des issues acceptables dont parlait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[16]           Le demandeur dit que la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas crédible était contraire à la justice naturelle parce qu’il n’a jamais été informé de l’obligation pour lui de produire des preuves concordantes. Cependant, dans l’avis d’entrevue daté du 4 mars 2008, il est clairement invité à produire toute [traduction] « preuve matérielle » en sa possession, et l’avis indique précisément l’objet de l’entrevue. L’argument du demandeur selon lequel il a été privé de l’équité procédurale dans le processus adopté par l’agent n’a aucun fondement.

 

[17]           Je ne suis pas persuadé que le demandeur a établi qu’il y a une question sérieuse à trancher dans la contestation qu’il oppose à la décision de l’agent.

 

IV. Le préjudice irréparable

[18]           Le demandeur fait valoir qu’il subira un préjudice irréparable parce qu’il sera maltraité par les autorités en Chine pour les deux raisons susmentionnées et parce que sa demande sous‑jacente de contrôle judiciaire sera rendue illusoire par suite de son expulsion.

 

[19]           La Section du statut de réfugié et l’agent d’ERAR ont tous deux examiné les risques que le demandeur disait courir s’il devait retourner en Chine, et tous deux ont estimé qu’il n’était pas exposé à un risque et que ses prétendues craintes n’étaient pas crédibles. Je ne vois aucune raison de conclure autrement, au vu du dossier qui m’a été soumis.

 

[20]           La possibilité que la procédure de contrôle judiciaire devienne théorique si le sursis d’exécution n’est pas accordé ne permet pas de conclure à un préjudice irréparable : Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, paragraphe 20, et El Ouardi c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, paragraphe 8.

 

V. La prépondérance des inconvénients

[21]           Selon moi, la prépondérance des inconvénients favorise ici le ministre.

 

[22]           Il est admirable que le demandeur soit resté en communication avec les agents d’immigration durant la longue période qu’il a passée au Canada. Il faut également le féliciter d’avoir pris volontairement des dispositions en vue de son retour en Chine le 15 mai 2008. Néanmoins, il n’a pas établi le fondement qui l’autoriserait à rester au Canada, malgré ses nombreuses demandes et procédures des dix dernières années. Il est temps pour le ministre d’accomplir ses obligations selon la Loi.

 

VI. Point accessoire

[23]           Le demandeur souhaitait qu’une modification soit apportée à l’intitulé de la demande pour que soit ajouté comme partie le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. L’avocat de la Couronne y a consenti, et la modification sera autorisée.

 

VII. Dispositif

[24]           Le demandeur n’a pas établi qu’il répond aux trois éléments du critère de l’octroi d’un sursis à la mesure d’exécution.

 

[25]           Par conséquent, cette demande de sursis sera rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.      Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est ajouté comme partie à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ainsi qu’à la présente demande;

2.      La demande de sursis d’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1780‑08

 

INTITULÉ :                                       YIN BIN YANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 MAI 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin Klassen

 

POUR LE DEMANDEUR

Helen Park

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin Klassen

Avocat

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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