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Date : 20080507

Dossier : IMM-4439-07

Référence : 2008 CF 584

Toronto (Ontario), le 7 mai 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

LUIS ARCEO MENDEZ

RAMONA ROMO SEGURA

SERGIO EFREN ARCEO ROMO

LUIS ANTONIO ARCEO ROMO

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en application de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d'une décision datée du 3 octobre 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

 

[2]                 Les demandeurs, mari et femme, ainsi que leurs deux enfants, sont tous citoyens du Mexique. Leurs demandes d’asile sont fondées sur les allégations de M. Mendez (le demandeur principal). Ce dernier affirme avoir constaté, lors de sa participation à des campagnes électorales dans sa ville natale de Pajacuaran, dans l’État de Michoacán, l’exercice de manœuvres électorales frauduleuses et l’avoir signalé à la police. Des rapports ont été établis, mais M. Mendez soutient que rien n’a été fait.

 

[3]               M. Mendez affirme qu’il a reçu des menaces au téléphone et que, à la mi‑février 2006, son épouse et son fils cadet ont été abordés et qu’on a menacé de les enlever et de les tuer s’il ne quittait pas le Mexique ou ne cessait pas ses activités. Le 22 mars 2006, M. Mendez a été attaqué pendant qu’il se trouvait à La Barca, dans l’État de Jalisco. À la suite de cet incident, il a eu besoin de soins médicaux et a été absent du travail pendant dix jours. Cette agression n’a pas été signalée aux autorités.

 

[4]               Les menaces ont recommencé et, le 2 avril 2006, la famille a déménagé à Mexico. Selon la famille, les menaces se sont poursuivies là-bas également, tant dans la rue qu’au téléphone. Ces menaces n’ont encore une fois pas été signalées à la police. Les demandeurs affirment que c’est à ce moment-là qu’ils ont obtenu des passeports et qu’ils ont fui le pays.

 

[5]               Le commissaire a tiré un certain nombre de conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Mendez en invoquant des contradictions entre son témoignage et son Formulaire de renseignements personnels. Le commissaire a également conclu que les renseignements fournis par M. Mendez à la police étaient vagues et insuffisants et qu’ils n’auraient pas été de nature à justifier une enquête valable, que M. Mendez n’avait pas effectué de suivi pour savoir quelles avaient été les mesures prises par les autorités et qu’il avait omis de signaler plusieurs incidents à la police.

 

[6]               En conséquence, le commissaire a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté au moyen d’une preuve claire et convaincante la présomption relative à la protection de l’État. Malgré les indications montrant que certains membres des forces de sécurité au Mexique présentent toujours des problèmes, le commissaire a conclu que les autorités de ce pays s’efforcent sérieusement de lutter contre la corruption et que les demandeurs n’ont pas épuisé tous les recours qui s’offraient à eux dans leur propre pays.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Dans la présente demande, il y a lieu de se demander si le commissaire a commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité et s’il a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 

ANALYSE

Norme de contrôle 

[8]                Récemment, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n9, la Cour suprême du Canada a réexaminé la démarche qu’il convient d’adopter pour le contrôle judiciaire des décisions des tribunaux administratifs. Parmi les plus importantes conséquences de cet arrêt, la Cour suprême a ramené de trois à deux le nombre de normes de contrôle applicables, « [en fondant] en une seule les deux normes de raisonnabilité » - celle de la décision manifestement déraisonnable et celle de la décision raisonnable simpliciter (au paragraphe 45). Pour déterminer laquelle de ces deux normes serait appropriée dans des circonstances données, la Cour suprême a proposé un processus en deux étapes au paragraphe 62 :

Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de [déférence] correspondant à une catégorie de questions en particulier.  En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

 

[9]               Dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38, la Cour suprême avait antérieurement conclu que le tribunal de révision doit manifester une grande déférence à l’égard des conclusions de fait d’un office fédéral. Selon l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le tribunal de révision ne peut intervenir que s’il est d’avis que l’office fédéral a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.

 

[10]           Depuis la publication de l’arrêt Dunsmuir, plusieurs juges de la Cour sont arrivés à la conclusion que cet arrêt de la Cour suprême ne modifie pas l’état du droit en ce qui concerne les conclusions de fait sous réserve de la limite prévue à l’alinéa 18.1(4)d) : De Medeiros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 386, [2008] A.C.F. no 509, au paragraphe 14; Obeid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 503, [2008] A.C.F. no 633; Naumets c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 522, [2008] A.C.F. no 655.

[11]           Les conclusions de fait qui sous-tendent une décision sur la protection de l’État doivent aussi être examinées selon la règle énoncée à l’alinéa 18.1(4)d). Le critère énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74, est alors appliqué. Les faits confirment-ils « d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection » et réfutent-ils donc la présomption que l'État protège ses citoyens? Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit pour laquelle la décision du tribunal appelle une retenue moins élevée.

 

[12]           Pour l’essentiel, la jurisprudence antérieure à l’arrêt Dunsmuir avait établi que, de façon générale, la norme de contrôle applicable à une décision relative à la protection de l’État devait être celle de la décision raisonnable : Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232; Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1075, [2005] A.C.F. no 1329; Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249, [2005] A.C.F. no 1508. À mon avis, cette norme devrait continuer d’être appliquée.

 

[13]           Le juge James Russell s’est récemment exprimé sur cette question dans la décision Woods c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 446, [2008] A.C.F. n570, au paragraphe 32 :

La question centrale en l’espèce est de savoir si, compte tenu des faits […] que la Commission a acceptés, la présomption relative à la protection adéquate de l’État a été repoussée. Je considère qu’il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit et qui peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme du caractère raisonnable. Dans la foulée de l’arrêt Dunsmuir, l’analyse de la décision de la Commission s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », elle sera annulée.

 

Le commissaire a-t-il commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité?

 

[14]           Le demandeur soutient que le commissaire a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur sa crédibilité, puisque l’on trouvait des explications plausibles pour chaque incohérence, contradiction ou omission apparente dans son témoignage. L’avocat du demandeur m’a signalé chaque conclusion relative à la crédibilité et page correspondante dans la transcription de l’audience où figuraient les réserves exprimées par le commissaire.

 

[15]           Je tiens à souligner que le demandeur principal a rendu son témoignage avec l’aide d’un interprète et qu’il faut accorder une certaine latitude étant donné la confusion qui en résulte parfois dans ces circonstances. Néanmoins, je ne puis conclure, après examen de l’énoncé des motifs et du témoignage en question, que le commissaire a tiré ses conclusions de fait de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.

 

[16]           Je serais peut-être parvenu à une conclusion différente sur certains points si j’avais entendu le témoignage. Par exemple, le commissaire a conclu qu’aucune explication raisonnable n’avait été fournie pour justifier l’omission du demandeur d’avoir signalé ses préoccupations concernant les manœuvres électorales frauduleuses à des instances supérieures de son parti politique. L’explication du demandeur, que j’aurais peut-être jugé raisonnable, était qu’il s’attendait à ce que la police agisse. Cependant, il ne m’appartient pas d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer mes propres conclusions à celles du tribunal. De toute façon, compte tenu du nombre d’éléments sur lesquels reposent les conclusions d’incrédibilité, aucun ne devrait être considéré comme un facteur déterminant.

 

[17]           L’argument selon lequel le demandeur principal avait fourni des explications plausibles en réponse aux doutes exprimés par le commissaire ne constitue pas un motif suffisant pour annuler les conclusions. En l’absence de considérations non pertinentes ou de l’omission de fournir des motifs fondés sur la preuve, la Cour ne devrait pas intervenir. Au vu de l’ensemble de la preuve, la conclusion relative à la crédibilité était raisonnable.

 

Le commissaire a-t-il commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État?

 

[18]           Les demandeurs soutiennent que le commissaire a commis une erreur en omettant d’examiner si la protection de l’État qui leur est offerte au Mexique serait efficace, citant à cet égard des commentaires critiques tirés de la preuve documentaire objective : Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, [2007] A.C.F. n118, et M.L.R.T. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1690, [2005] A.C.F. no 2094.

 

[19]           Dans un certain nombre de décisions, la Cour a conclu que la norme d’efficacité est trop élevée : Smirnov c. Canada (Secrétaire d’État) (1re inst.), [1995] 1 C.F. 780, [1994] A.C.F. no 1922. Voir également Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1212, [2002] A.C.F. no 1636, au paragraphe 7; Syed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 195 F.T.R. 39, [2000] A.C.F. n1556; Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 189, [2004] A.C.F. no 217; Saeed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1016, [2006] A.C.F. n1281.

 

[20]           Il est bien établi que les demandeurs d’asile doivent fournir une confirmation claire et convaincante de l’incapacité de leur État de les protéger : Ward, précité. La protection offerte par l’État ne doit pas nécessairement être parfaite : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334, 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

 

[21]           La Cour d’appel fédérale a examiné récemment la charge de la preuve, la norme de la preuve applicable et la qualité de la preuve nécessaire pour satisfaire à cette norme dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. n399. 

 

[22]           Pour reprendre les paragraphes 17 à 30 de l’arrêt Carillo, le demandeur supporte à la fois une charge de présentation et une charge de persuasion; il doit introduire des éléments de preuve quant à l’insuffisance de la protection de l’État et convaincre le juge des faits que les éléments de preuve ainsi produits établissent l’insuffisance de la protection de l’État. La preuve doit avoir une valeur probante suffisante pour satisfaire à la norme de preuve applicable. La preuve aura une valeur probante suffisante si elle démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État considéré est insuffisante. La preuve doit être pertinente, digne de foi et convaincante.

 

[23]           Il convient d’appliquer la norme relative au caractère adéquat et non la norme d’efficacité. Dans la présente affaire, la SPR n’était pas persuadée que la protection de l’État offerte aux demandeurs au Mexique était insuffisante. Étant donné que le Mexique est une démocratie dotée de systèmes politique et judiciaire efficaces, la charge qui incombait aux demandeurs de réfuter la présomption de la protection de l’État était forcément lourde. La conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption appartient aux décisions raisonnables que le tribunal pouvait prendre et je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

 

[24]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            IMM-4439-07

 

 

INTITULÉ :                                                                           LUIS ARCEO MENDEZ ET AL.

                                                                                                c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 6 MAI 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE MOSLEY

 

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                                                                 LE 7 MAI 2008          

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Addinall                                                                       POUR LES DEMANDEURS

 

Judy Michaely                                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Addinall

Avocat                                                                                      

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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