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Date : 20080506

Dossier : T-90-07

Référence : 2008 CF 580

Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 mai 2008

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

MATTHEW BOWDEN

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur



MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Matthew Bowden (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, d’une décision rendue le 22 août 2006 par un président indépendant de l’Établissement de Millhaven. Dans cette décision, le président indépendant a déclaré le demandeur coupable d’une infraction de possession d’un objet interdit en contravention à l’alinéa 40i) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), et l’a condamné à six jours d’isolement disciplinaire sans privilèges.

 

[2]               Le ou vers le 24 juin 2006, le demandeur a commencé à occuper la cellule 1L-130 de l’Établissement de Millhaven, une prison fédérale à sécurité maximale. Le 4 juillet 2006, un bordereau de saisie a été délivré après une fouille de sa cellule. Le bordereau indiquait que le prétendu objet interdit trouvé était une arme de fabrication artisanale, soit un morceau d’aluminium de huit pouces.

 

[3]               Le 7 juillet 2006, l’avis d’accusation a été signé, accusant formellement le demandeur en application de l’alinéa 40i) de la Loi. Cet avis n’a pas été remis au demandeur, mais a été remis à un autre détenu, nommé Bowen, qui occupait la cellule 1L-102, soit l’ancienne cellule du demandeur.

 

[4]               Le 22 août 2006, une audience disciplinaire a été tenue. Le témoignage de l’agent Boven, qui avait procédé à la fouille, a été entendu. L’agent Boven a témoigné au sujet de la fouille de la cellule du demandeur et de la découverte de l’objet interdit. Voici son témoignage complet :

 

[traduction] L’agent Boven : Le 4 juillet de l’année en cours, en procédant à une fouille, j’ai trouvé une arme de fabrication artisanale dans la cellule 13010. L’arme avait été fabriquée à partir d’un morceau de cadre de fenêtre en aluminium d’une longueur d’environ huit pouces, et avait été aiguisée à une extrémité. L’arme a été trouvée sous la toilette. L’occupant de la cellule se nommait Bowden, IFS 3925042. Vous trouverez ci-joint une copie de la photo.

 

 

[5]               Le demandeur a pris la parole à l’audience, mais il n’est pas clair s’il témoignait ou s’il présentait des observations. Il n’était pas représenté par un avocat. Il a affirmé ce qui suit, comme l’indique la transcription de l’audience :

[traduction]

 

[…]

 

PI : Merci. Monsieur, désirez-vous présenter une preuve ou témoigner?

 

M. BOWDEN : J’aimerais en effet faire quelques observations.

PI : Allez-y Monsieur.

 

M. BOWDEN : Premièrement, je veux souligner que l’accusation – la dernière fois que j’ai comparu en cour, l’avis d’accusation devait m’être remis un vendredi, et je vous ai dit qu’on ne me l’avait pas remis. Alors je suis retourné dans la rangée et j’ai appris que l’avis avait en fait été remis à un autre détenu ayant un nom de famille semblable au mien qui occupait une cellule (inaudible). Et j’ai consulté, communiqué de façon informelle avec le surveillant des services correctionnels au sujet de cette affaire. Il m’a dit de seulement comparaître en cour, et que (inaudible) de demander à l’agent ayant remis l’avis d’accusation de confirmer que l’avis avait été remis à la mauvaise personne.

 

[…]

 

PI : Nous nous penchons actuellement sur la question de fond concernant l’accusation, Monsieur, et sur les témoignages que j’ai entendus.

 

M. BOWDEN : D’accord, je passe au prochain point.

 

PI : Je vous en prie.

 

M. BOWDEN : J’ai occupé la cellule pendant environ une semaine et demie et j’ai fait le ménage et (inaudible) j’ai vu qu’il y avait des débris et du silicone en avant de la toilette. (inaudible) disant qu’ils avaient trouvé une arme dans ma cellule. Cependant, je me souviens du morceau de silicone qui semblait bloquer – qui semblait couvrir le compartiment où l’arme a été trouvée, alors.

 

PI : De quel compartiment s’agit-il?

 

M. BOWDEN : Il y a un petit – sous la toilette – il y a un petit espace, environ long et large comme ceci (inaudible). Comme je l’ai dit, il s’agissait d’un morceau de silicone. L’espace avait été couvert depuis un certain temps. Alors, je prétends que (inaudible). Comme je l’ai dit, ma cellule a été fouillée (inaudible).

 

PI : Bien, si vous aviez retenu les services d’un avocat, Monsieur, votre avocat aurait peut-être exigé les dossiers portant sur le moment où vous avez occupé la cellule pour la première fois, sur la fouille de votre cellule avant que vous ne l’occupiez ou, pour les fins qui nous occupent, pendant que vous l’occupiez jusqu’à la date de la présente accusation, mais vous avez choisi de ne pas procéder ainsi. Je ne vais pas faire place à vos hypothèses quant aux semaines, aux mois ou aux années.

 

M. BOWDEN : Non, je ne fais qu’affirmer cela.

 

PI : Je comprends.

 

M. BOWDEN : Il est très possible (inaudible). C’est un autre point qui me préoccupe, et il me semble que le morceau de silicone (inaudible) et le fait qu’il a été trouvé; le morceau de silicone avait séché.

 

PI : Comment savez-vous, Monsieur, que le silicone provenait de cet endroit précis, à moins que vous n’ayez eu l’occasion d’y jeter un coup d’œil?

 

M. BOWDEN : Puisque, comme je l’ai dit, la forme était la même et il y avait des traces de débris et, à côté, un morceau, deux morceaux de silicone qui semblaient être de la dimension de l’espace restant.

 

 

 

[6]               Le demandeur a indiqué qu’il avait occupé sa cellule pendant 10 jours seulement avant la fouille et la saisie, et qu’il était possible que le détenu ayant occupé la cellule avant lui ait placé l’objet interdit sous la toilette et qu’il l’ait caché avec un morceau de silicone sans que le demandeur le sache.

 

[7]               Le président indépendant a déclaré :

 

[traduction] Selon moi, il ne fait aucun doute, M. Bowden, que vous connaissiez l’existence de l’objet interdit, que vous en aviez le contrôle et que vous en aviez donc la possession. Par conséquent, Monsieur, vu les témoignages que j’ai entendus, qui constituent les seuls renseignements sur lesquels je fonde ma décision, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que l’objet interdit était en votre possession, comme il a été allégué. Vous êtes donc déclaré coupable.

 

 

[8]               La seule question qui se pose est de savoir si le président indépendant a commis une erreur susceptible de contrôle en déclarant le demandeur coupable de possession d’un objet interdit : la Cour devrait-elle modifier la conclusion selon laquelle le demandeur connaissait l’existence de l’arme?

 

[9]               Selon l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, les décisions des décideurs administratifs doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte ou la norme de la raisonnabilité. En l’espèce, la question principale est une question de fait et de droit, mettant en cause l’appréciation de la preuve à la lumière des dispositions législatives pertinentes. Suivant l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 53, il faut appliquer la norme de la raisonnabilité. La norme de la décision correcte s’appliquera à tout manquement à l’équité procédurale.

 

[10]           Selon l’article 43 de la Loi, le critère juridique applicable relativement à la possession d’un objet interdit en prison consiste à déterminer s’il a été démontré hors de tout doute raisonnable que l’accusé savait où se trouvait l’objet interdit et qu’il en avait la garde et le contrôle. Ce critère est prévu au paragraphe 43(3) de la Loi :

 

43. (3) La personne chargée de l’audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée.

43. (3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

 

 

[11]           Dans la décision Lee c. Établissement Kent, 70 F.T.R. 155, la Cour a déclaré ce qui suit, au paragraphe 3, concernant ce critère :

 

Je suis prêt à présumer, sans trancher, que, pour que l’intimé déclare le requérant coupable de cette infraction, il doit avoir été convaincu de la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Je présume en outre (bien que l’avocat n’ait pas présenté de jurisprudence précise quant à la possibilité d’appliquer ce critère) que la possession de contrebande n’est pas démontrée à moins que le tribunal disciplinaire ne soit convaincu que le détenu était sciemment en possession d’un objet qui a été trouvé dans sa cellule.

 

[12]           Tout doute quant au fondement d’une conclusion sur la culpabilité doit être résolu en faveur du détenu; voir la décision Taylor c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1536, au paragraphe 14, [2004] A.C.F. no 1851.

 

[13]           Dans une affaire où la preuve de l’occasion est accompagnée d’autres éléments de preuve incriminants, une occasion qui n’exclut pas tout à fait toute autre possibilité peut suffire pour établir la culpabilité. C’est la situation qui s’est présentée dans R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168. En l’espèce, le demandeur a eu l’occasion d’avoir l’objet interdit en sa possession, du fait qu’il a occupé la cellule, mais la preuve n’établit pas que le demandeur disposait d’une occasion excluant toute autre possibilité.

 

[14]           Dans la présente affaire, il ne semble pas y avoir d’autres éléments de preuve incriminants qui permettent de conclure que le demandeur avait le contrôle de l’objet interdit ou qu’il avait connaissance de son existence. Dans la décision Smith c. Canada (Procureur général), 282 F.T.R. 91, la Cour a conclu que le demandeur n’avait pas eu une occasion exclusive d’être en possession des objets interdits et qu’il avait présenté d’autres possibilités vraisemblables pour expliquer la présence de ces objets dans sa cellule. En l’espèce, la preuve montre que le demandeur n’occupait la cellule que depuis peu et que celle-ci avait été antérieurement occupée par un autre détenu ayant un nom semblable, lequel s’était vu remettre l’avis d’accusation destiné au demandeur.

 

[15]           Dans ces circonstances, et compte tenu de la jurisprudence pertinente, je conclus que la décision du président indépendant n’était pas raisonnable. Il n’a pas appliqué de façon adéquate le paragraphe 43(3) de la Loi à la preuve.

 

[16]           À mon avis, cette décision comporte une autre erreur. Le demandeur n’a pas reçu d’avis relatif à l’infraction disciplinaire, comme l’exige l’article 42 de la Loi qui prévoit :

 

42. Le détenu accusé se voit remettre, conformément aux règlements, un avis d’accusation qui mentionne s’il s’agit d’une infraction disciplinaire mineure ou grave.

42. An inmate charged with a disciplinary offence shall be given a written notice of the charge in accordance with the regulations, and the notice must state whether the charge is minor or serious.

 

 

[17]           Au cours de l’audience, le demandeur a soulevé la question de l’absence d’un avis. Le président indépendant a refusé de donner une explication à cet égard. Cette omission du président soulève un doute quant au respect approprié de l’équité procédurale.

 

[18]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision du président indépendant, rendue le 22 août 2006, sera annulée.

JUGEMENT

 

            La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du président indépendant, rendue le 22 août 2006, est annulée.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-90-07

 

INTITULÉ :                                                   MATTHEW BOWDEN

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 31 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 6 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip K. Casey

 

 

     POUR LE DEMANDEUR

Brian Harvey

 

     POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Philip Kenneth Casey
Avocat

Kingston (Ontario)

 

     POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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