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Date : 20080428

 

Dossier : T-1941-07

 

Référence : 2008CF541

 

 

Ottawa (Ontario), le lundi 28 avril 2008

 

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

 

 

ENTRE :

 

NYCOMED CANADA INC. et

NYCOMED GmbH

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

SANDOZ CANADA INC.

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La présente requête est présentée par la défenderesse, Sandoz Canada Inc. (« Sandoz »), en vue de faire rejeter la demande au motif qu’elle est inutile, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure, en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le « Règlement »).

 

[2]               La demande a été présentée par les demanderesses, Nycomed Canada Inc. et Nycomed GmbH (collectivement désignées sous le nom de « Nycomed »), conformément au paragraphe 6(1) du Règlement, et vise à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité (« AC ») à Sandoz concernant ses comprimés de pantoprazole proposés jusqu’à l’expiration du brevet canadien n2089748 (le brevet 748). Un autre brevet pertinent, le brevet n2092694 (le brevet 694), fait l’objet d’une autre instance entre les mêmes parties dans le dossier T-1942-07 conformément au Règlement. Une requête en rejet similaire a été entendue en même temps dans cette affaire et une décision a été rendue dans une ordonnance distincte.

 

Objection préliminaire relative à la compétence

 

[3]               À titre préliminaire, Nycomed a soulevé la question de la compétence du protonotaire pour statuer sur la présente requête. Nycomed reconnaît qu’une décision a été rendue à ce sujet dans AB Hassle c. Apotex Inc., [2003] ACF no 1601, puis suivie et appliquée dans Pfizer Canada Inc.c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 452, la Cour ayant jugé que le protonaire a compétence pour statuer sur de telles requêtes. Cependant, Nycomed fait valoir qu’en l’espèce, un examen plus approfondi de ces décisions est requis, particulièrement en ce qui a trait aux exigences formulées à l’alinéa 46(1)h) de la Loi sur les Cours fédérales qui prévoit que la compétence conférée aux protonotaires en vertu des Règles peut être exercée « sous la surveillance de la Cour » :

 

 

« 46(1) Sous réserve de l’approbation du gouverneur en conseil et, en outre, du paragraphe (4), le comité peut, par règles ou ordonnances générales :

(...)

h) donner pouvoir aux protonotaires d'exercer une autorité ou une compétence — même d'ordre judiciaire — sous la surveillance de la Cour fédérale. »

“46(1) Subject to the approval of the Governor in Council and subject also to subsection (4), the rules committee may make general rules and orders:

(...)

(h) empowering a prothonotary to exercise any authority or jurisdiction, subject to supervision by the Federal Court, even though the authority or jurisdiction may be of a judicial nature.”

 

[4]               Il est entendu que la « surveillance » mentionnée à l’alinéa 46(1)h) ne peut s’exercer que dans le cadre d’un appel interjeté auprès d’un juge de la Cour fédérale. Cela dit, Nycomed soutient que, puisque la demande d’AC soumise par Sandoz est actuellement en « attente de brevet », si la Cour rendait les ordonnances rejetant la demande d’interdiction visée par l’espèce ainsi que les autres demandes d’interdiction pendantes à l’égard des comprimés pantoprazole sodium proposés de Sandoz, Sandoz pourrait obtenir un AC en quelques jours. Nycomed explique que tous les appels qu’elle voudrait interjeter par la suite à l’encontre de ces ordonnances seraient sans objet et que ces ordonnances ne seraient donc jamais soumises à la surveillance de la Cour. Nycomed fait également valoir que la compétence du protonotaire pour statuer sur une requête fondée sur l’alinéa 6(5)b) serait inconstestable, pour autant qu’un droit d’appel efficace ne soit pas compromis par le fait qu’il devienne sans objet. Selon ce raisonnement, j’aurais compétence pour rejeter la présente requête, mais non pour l’accueillir si la requête en cours dans le dossier T-1942-07 était également accueillie. De même, j’aurais compétence pour faire droit à la présente requête si je rejetais la requête en cours dans le dossier T‑1942‑07, ou si j’accueillais les deux requêtes et suspendais également les effets de l’une des décisions, ou des deux, en attendant qu’une décision soit rendue en appel.

 

[5]               L’argument de Nycomed est mal fondé. On connaît ou on ne connaît pas d’une requête visant à obtenir un redressement particulier. Cette compétence ne peut dépendre de l’issue de la requête ou de circonstances extérieures telles que l’état d’une autre instance ou la délivrance imminente d’un AC. À la limite, l’argument de Nycomed pourrait être pris en compte dans un contexte où il faudrait décider si l’effet d’une ordonnance qui rejetterait la demande devrait être sursis, ou si l’appel interjeté contre une telle ordonnance devrait être entendu, même s’il est sans objet. Puisque j’ai conclu que la demande de Nycomed ne devrait pas être rejetée, la question du sursis ne se pose pas.

 

Aperçu

 

[6]               Le médicament en cause, le pantoprazole sodique, est un médicament de longue date qui est commercialisé et vendu au Canada depuis le milieu des années 1990. Classé comme un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) ou comme un inhibiteur de l’H+, K+‑ATPase, il est reconnu depuis longtemps pour inhiber la sécrétion du suc, ou acide, gastrique dans l’estomac. Son utilisation n’est plus protégée par un brevet.  Pour les besoins de la présente requête, précisons que les parties pertinentes du brevet 748 revendiquent une formulation contenant du pantoprazole et un agent antimicrobien inhibant Helicobacter destinée au traitement des troubles digestifs causés ou aggravés par H. pylori et le suc gastrique sécrété. En d’autres termes, les revendications du brevet qui sont pertinentes pour la présente requête concernent l’utilisation du pantoprazole dans un traitement d’association contre les maladies causées ou aggravées par l’infection à H. pylori.

 

[7]               Dans son avis d’allégation (« AA »), Sandoz indique que si son produit proposé à base de pantoprazole fait l’objet d’un avis de conformité, l’utilisation et la vente du produit ne contreferaient pas le brevet 748, puisque la demande d’autorisation ne vise que la vente, la commercialisation et la promotion du produit à des fins de monothérapie contre des affections non causées par H. pylori, dont le traitement nécessite la réduction de la sécrétion du suc gastrique.

 

[8]               Les parties conviennent que, pour que sa demande d’interdiction soit accueillie, Nycomed doit démonter que l’allégation de non-contrefaçon de Sandoz n’est pas fondée, c’est-à-dire que si on lui accordait un AC, Sandoz inciterait des tiers (tels que des médecins, des pharmaciens, des patients ou des personnes en charge des formulaires provinciaux) à faire une exploitation contrefaisante du produit.

 

[9]               En plus des allégations de non-contrefaçon susmentionnées, Sandoz soutient dans son AA que le brevet 748 ne contient aucune revendication relative au médicament ou à son utilisation, et qu’il a été inscrit à tort à l’égard des avis de conformités pertinents de Nycomed. Le 7 novembre 2007, Nycomed a produit la demande dans laquelle elle conteste toutes les allégations de Sandoz, les qualifiant d’incorrectes, d’insuffisantes ou d’injustifiées.

 

La requête de Sandoz

 

[10]           Sandoz fonde sa requête exclusivement sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement, qui autorise la Cour, sur requête, à rejeter une demande, en tout ou en partie, si elle conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure. Sandoz n’invoque pas l’alinéa 6(5)a) du Règlement, en application duquel une demande peut être rejetée parce que le brevet n’est pas admissible à l’inscription au registre. En fait, Sandoz a signifié et déposé en même temps que la présente requête un avis de requête distinct fondé expressément sur l’alinéa 6(5)a), qui doit être entendu le 28 mai 2008.

 

[11]           La prétention de Sandoz voulant que la présente demande constitue un abus de procédure repose sur les motifs suivants :

 

1)                  Suivant la décison Solvay Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2008] A.C.F. n378, 2008 CF 308 (la décision « Apotex »), rendue le 3 mars 2008, la Cour a conlu que le brevet 748 ne contenait aucune revendication pour l’utilisation du médicament en cause, et qu’il n’y avait donc aucune revendication à l’égard de laquelle une allégation peut être examinée.

 

2)                  Dans la décision Apotex, le brevet 748 a été jugé inadmissible à l’inscription au registre à l’égard des avis de conformité pertinents.

 

3)                  Dans la décision Apotex, la Cour a conclu au bien-fondé d’une allégation de non-contrefaçon identique ou similaire, et depuis, dans Nycomed Canada Inc. c. Novopharm Ltée., 2008 CF 454 (la décision « Novopharm ») la demande de Nycomed visant à faire prononcer une ordonnance d’interdiction fondée sur la même allégation de non‑contrefaçon du brevet 748 à l’encontre d’un autre fabricant de génériques a été rejetée, pour cause d’abus de procédure.

 

[12]           Par conséquent, Sandoz fait valoir que, dans les circonstances, l’introduction par Nycomed de la présente demande constitue une tentative de débattre à nouveau de questions qui ont déjà été tranchées définitivement en sa défaveur, et que cela représente un abus de procédure, conformément aux principes appliqués par la Cour d’appel dans Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163.

 

[13]           Sandoz n’a présenté aucun témoignage d’experts. Elle s’appuie sur la décision de la Cour dans Apotex et sur une comparaison des avis d’allégation, des avis de requête et des monographies de produits présentés dans Apotex et soumis en l’espèce. Sandoz n’a pas présenté de copie des affidavits produits dans Apotex ou dans l’affaire subséquente Novopharm. Nycomed n’a toujours pas signifié ses éléments de preuve sur le fond de la demande. En fait, une ordonnance fixant un échéancier prononcée avec le consentement des deux parties prévoit que Nycomed a jusqu’au 15 mai 2008 pour ce faire. Bien que Nycomed ait produit les déclarations de quatre experts en opposition à la présente requête – lesquelles portent sur l’interprétation des revendications, l’inadmissibilité à l’inscription au registre et l’incitation à la contrefaçon – là encore il est clair que ces éléments n’ont été présentés que dans le but de répondre à la requête de Sandoz et ne constituent pas l’ensemble de la preuve qui sera présentée sur le fond de la demande ou sur la requête éventuelle portant sur l’alinéa 6(5)a). Plus particulièrement, Nycomed indique que des éléments de preuve plus complets seront produits sur le fond de la demande et en opposition à la requête fondée sur l’alinéa 6(5)a).

 

Litiges antérieurs visant le brevet 748

 

[14]           Tel que mentionné ci-dessus, la requête de Sandoz repose entièrement sur l’allégation voulant que les questions soulevées dans la demande aient déjà fait l’objet d’une décision définitive à l’encontre de Nycomed, de telle sorte que d’en débattre à nouveau constituerait un abus de procédure. Bien que Sandoz invoque principalement la décision antérieure Apotex, elle s’est aussi appuyée à l’audience sur la décision subséquente rendue par le protonotaire Lafrenière dans Novopharm.Or, le brevet 748 a également fait l’objet d’une autre requête en rejet, en application des alinéas 6(5)a) et b) du Règlement, ce qui a mené à la décision de la protonotaire Milczynski dans Nycomed Canada Inc. c. Genpharm Inc., 2008 CF 313 (la décision « Genpharm »).

 

[15]           Un examen rapide des faits, des circonstances et des conclusions propres à chaque affaire doit être fait avant de se pencher sur les arguments de Sandoz.

 

[16]           Le 3 mars 2008, la juge Gauthier s’est prononcée sur le fond de la demande de Nycomed visant à faire prononcer une ordonnance d’interdiction dans la décision Apotex (bien que la décision soit publiée sous les noms de Solvay Pharma et Altana Pharma, les demanderesses sont en fait les mêmes qu’en l’espèce, puisqu’elles ont adopté le nom de Nycomed au cours de ce procès). La demande visait les brevets 694 et 748. En ce qui concerne le brevet 748, Apotex a soutenu dans son avis d’allégation, en plus des allégations d’invalidité, que le brevet ne contient aucune revendication pour le médicament en soi, que les revendications 15 et 16 ne sont pas pertinentes parce que la PADN d’Apotex n’inclut pas les travaux préalables concernant les revendications d’utilisation (la question des travaux préalables), que le brevet a été inscrit à tort, et qu’Apotex ne contreferait pas les revendications pour l’utilisation des brevets. Apotex n’a présenté aucune requête dans le but de faire rejeter la demande en vertu de l’alinéa 6(5)a) pour cause d’inadmissibilité à l’inscription au registre. Nycomed s’est opposée à ce qu’il soit statué sur la question de l’admissibilité dans le cadre de l’examen au fond de la demande. À la lecture de la décision, il est impossible d’affirmer avec certitude si Nycomed a produit une preuve de fond sur la question de l’admissibilité. Il n’en reste pas moins que dans le cadre de la présente requête, Nycomed a démontré qu’elle n’avait soumis à la juge Gauthier aucune preuve d’expert en particulier sur l’admissibilité au registre et qu’elle ne disposait de toute façon que d’une preuve restreinte à cet égard.

 

[17]           La décision de la juge Gauthier à l’égard du brevet 748 était la suivante :

 

[18]           En ce qui concerne l’admissibilité au registre, elle a estimé que la Cour n’avait pas compétence pour se prononcer sur l’admissibilité à l’inscription au registre des brevets dans le cadre de l’examen au fond d’une demande visant à obtenir une ordonnance d’interdiction. Selon elle, cette question ne pouvait être tranchée que par voie de requête présentée en application de l’alinéa 6(5)a) du Règlement (voir l’analyse aux paragraphes 53 à 66, et la ratio decidendi au paragraphe 66). Bien qu’elle ait ensuite commenté la question de l’admissibilité, il est évident que son analyse est totalement incidente et uniquement faite dans l’éventualité où sa décision quant à l’absence de compétence serait infirmée en appel (voir le paragraphe 69). De toute façon, il est impossible de dire si elle a tiré une conclusion définitive au sujet de l’admissibilité du brevet 748 ou si elle a simplement fait état de ses préoccupations quant à ce qui pouvait arriver si elle faisait droit aux arguments de Nycomed, en vue d’une décision ultérieure.

 

[19]           En ce qui concerne la pertinence, elle fait remarquer que dans son AA, Apotex n’avait pas indiqué que les revendications 15 et 16 du brevet 748 n’étaient pas des revendications pour le médicament en soi ou pour l’utilisation du médicament, de sorte que l’argument ne pouvait donc être pris en considération. En ce qui concerne le manque de pertinence et les argument relatifs aux travaux préalables, arguments soulevés expressément par Apotex à l’égard de ces revendications, la juge Gauthier a estimé que cette question était liée aux questions d’admissibilité et qu’elle ne pouvait également être tranchée autrement que dans le cadre d’une requête visée à l’alinéa 6(5)a) (paragraphes 65 et 66).

 

[20]           Enfin, après avoir examiné en profondeur les éléments de preuve soumis par les deux parties, la juge Gauthier a conclu que Nycomed n’avait pas réussi à s’acquitter de la charge qui lui incombait d’établir que les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex n’étaient pas fondées.

 

[21]           Aucun appel n’a été interjeté à l’encontre de la décision Apotex, probablement parce qu’Apotex a obtenu un avis de conformité peu de temps après et que l’appel aurait été déclaré sans objet.

 

[22]           La Cour a entendu l’affaire Genpharm bien avant que le jugement ne soit rendu dans Apotex, mais elle a rendu sa décision le 10 mars 2008, soit une semaine seulement après la décision Apotex. En l’espèce, Nycomed a démontré que les parties avaient porté la décision Apotex à l’attention de la protonotaire Milczynski. Genpharm soutenait qu’en ce qui concerne l’admissibilité au registre et l’absence de contrefaçon, cette décision justifiait que sa requête soit accueillie et que la demande de Nycomed soit rejetée.

 

[23]           Comme il a été mentionnné ci-dessus, la protonotaire Milczynski était saisie d’une requête en rejet fondée sur l’inadmissibilité à l’inscription au registre des brevets pertinents (les brevets 748 et 694), en application de l’alinéa 6(5)a), et sur la prétention que la demande était inutile, frivole, vexatoire ou qu’elle constituait un abus de procédure, tel que prévu à l’alinéa 6(5)b). Selon l’argument relatif à l’alinéa 6(5)b), il était évident, au vu de la preuve, que les deux brevets étaient invalides ou qu’ils n’avaient pas été contrefaits. En ce qui concerne la partie de la requête portant sur l’alinéa 6(5)a), Genpharm a produit des témoignages d’experts précis. La décision n’établit pas clairement si la preuve sur laquelle elle s’est appuyée pour ce qui est de l’alinéa 6(5)b) était celle qui a été présentée sur le fond de la demande, ou si les deux parties avaient produit des éléments de preuve précis à cet égard.

 

[24]           Après avoir pris connaissance de la preuve et de la décision antérieure prononcée par la Cour dans l’affaire Apotex, la pronotaire Milczynski a conclu que Genpharm n’avait pas démontré que le brevet 748 avait été inscrit à tort au registre (paragraphe 73).

 

[25]           Au sujet de la requête fondée sur l’alinéa 6(5)b) et concernant ce brevet, la protonotaire Milczynski a conclu qu’au vu de la preuve dont elle disposait, Genpharm n’avait pas démontré que l’argument de Nycomed au sujet de la contrefaçon était si futile qu’il n’avait aucune chance d’être retenu (paragraphe 78). Elle n’a pas parlé de l’effet de la décision Apotex.

 

[26]           Le protonotaire Lafrenière a été saisi de l’affaire Novopharm après que les décisions Apotex et Genpharm aient été rendues. Dans cette affaire, Novopharm a présenté une requête visant à faire rejeter la demande de Nycomed à l’égard des brevets 694 et 748, au motif qu’à la lumière de la décision rendue par la juge Gauthier dans Apotex au sujet de la question de l’absence de contrefaçon, la demande de Nycomed était manifestement futile et devait être rejetée. La question de l’invalidité ou de l’inadmissibilité à l’inscription au registre n’a pas été soulevée dans cette requête.

 

[27]           La preuve présentée devant la Cour dans Novopharm était constituée de tous les affidavits produits par les deux parties sur le fond de la demande, ainsi que des transcriptions de tous les contre-interrogatoires jusqu’alors effectués (certains experts des deux parties devaient encore être contre-interrogés). De plus, Nycomed avait produit des éléments de preuve directs à l’appui de la requête. Le protonotaire Lafrenière a conclu que les éléments de preuves présentés par Nycomed n’étaient pas véritablement différents de ceux qui avaient été jugés insuffisants dans la décision Apotex, et il a donc rejeté la demande parce qu’elle constituait un abus de procédure. Au moment de l’audience de la présente requête, le délai pour interjeter appel de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière dans Novopharm avait expiré, et aucun appel n’avait été interjeté, bien que Nycomed ait produit une requête en réexamen. Les deux parties conviennent que Novopharm a depuis reçu son AC.

 

 

 

Admissibilité à l’inscription au registre

 

[28]           L’argument de Sandoz selon lequel la demande constitue un abus de procédure, compte tenu de la décision antérieure portant que le brevet 748 n’était pas admissible à l’inscription au registre, repose uniquement sur la décision Apotex. Comme il est mentionné ci-dessus, la décision de la Cour portait expressément qu’elle n’avait pas compétence pour décider de l’admissibilité du brevet au registre. Cette décision ne saurait donc faire autorité, de manière définitive ou autre, sur cette question. De plus, les commentaires de la Cour au sujet des arguments soulevés par les parties sont non seulement manifestement incidents, et ne lient donc pas la Cour, mais ils sont également ambigus quant à la conclusion à laquelle elle est véritablement arrivée.

 

[29]           Non seulement la question de l’admissibilité à l’inscription au registre du brevet 748 n’a manifestement pas été tranchée dans la décision Apotex, mais la décision rendue par la suite dans Genpharm, et qui portait exactement sur la même question, conclut que les allégations d’inadmissibilité à l’inscription au registre n’ont pas été établies.

 

[30]           L’argument de Sandoz portant sur l’abus de procédure à l’égard de l’admissibilité est manifestement mal fondé et doit être rejeté.

 

[31]           J’ajouterais, de toute façon, que j’aurais eu quelques difficultés à accueillir l’argument de Sandoz voulant qu’une demande puisse être rejetée pour cause d’abus de procédure quant à une question d’admissibilité hors du contexte d’une requête présentée en conformité avec l’alinéa 6(5)a). Dans Apotex, la Cour a statué que la question de l’admissibilité à l’inscription au registre ne peut être examinée ou évaluée dans le cadre de l’examen au fond d’une demande. Un fabricant de génériques doit faire état de tous les brevets inscrits au registre, même s’ils sont inscrits à tort, et l’innovateur est ensuite autorisé à prétendre que les allégations ne sont pas justifiées. À moins que le ministre ne radie un brevet, la seule façon de déterminer si les brevets sont valablement inscrits et si la demande d’interdiction doit être instruite, c’est de présenter une requête fondée sur l’alinéa 6(5)a). Cette requête doit nécessairement être présentée par la seconde personne et c’est à cette dernière, et non à l’innovateur, qu’incombe le fardeau de la preuve. Ainsi, à moins que le fabricant de génériques ne présente une requête en vertu de l’alinéa 6(5)a) en temps opportun, la question de l’admissibilité à l’inscription au registre ne peut être tranchée, et ne le sera pas, et la demande sera instruite et pourra être accueillie sur le fond. Par conséquent, pour conclure qu’une demande constitue un abus de procédure en raison d’une décision antérieure conluant à l’inadmissibilité du brevet à l’inscription au registre dans le cadre d’une autre demande, la Cour devrait « présumer » que le fabricant de génériques a présenté une requête en vertu de l’alinéa 6(5)a) dans laquelle il soulève les mêmes allégations au sujet de l’inadmissibilité au registre, et se fonde sur des éléments de preuve semblables. Je doute qu’un fabricant de génériques puisse contester une demande pour cause d’abus de procédure, parce qu’une requête qu’il n’a pas présentée, et des motifs qu’il n’a pas dûment soulevés, seraient accueillis.

 

 

La pertinence des revendications de brevet

 

[32]           Pour savoir si le brevet 748 comporte les revendications pertinentes dont doit faire état l’avis d’allégation, il faut déterminer s’il contient une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament. Cette question peut être tranchée dans le cadre de l’examen au fond d’une demande, si elle a été soulevée correctement dans l’avis d’allégation du fabricant de génériques (voir Apotex, paragraphe 66). L’avis d’allégation de Sandoz contient effectivement une allégation selon laquelle le brevet 748 n’est pas pertinent puisqu’il ne contient aucune revendication pour le médicament en soi, ni pour l’utilisation du médicament. Or, contrairement à ce que prétend Sandoz, il est clair que la question de savoir si le brevet 748 contient une revendication pour l’usage du pantoprazole sodique n’a pas été tranchée dans Apotex. En effet, comme il est dit ci-dessus, la Cour mentionne expressément, au paragraphe 67 de ses motifs, que l’avis d’allégation d’Apotex n’avait pas soulevé que les revendications 15 et 16 du brevet 748 manquent de pertinence parce qu’elles ne comportent aucune revendication sur l’usage du médicament. Les décisions Genpharm et Novopharm n’ont pas traité de cette question. Puisqu’il n’existe aucune décision antérieure portant que le brevet 748 ne contient pas de revendication pour le médicament en soi ou pour son utilisation, l’argument de Sandoz à cet égard n’est pas étayé et doit donc être rejeté.

 

 

 

L’absence de contrefaçon

 

[33]           Sandoz soutient qu’elle a fait les mêmes allégations d’absence de contrefaçon à l’égard du brevet 748 que celles faites par Apotex, c’est-à-dire que les indications et la posologie figurant dans sa monographie de produit sont semblables à celles présentes dans la monographie de produit d’Apotex, et que comme la monographie de produit d’Apotex, sa propre monographie ne fait pas mention de la trithérapie ou de l’usage dans le traitement de l’infection à H. Pylori. Sandoz soutient ensuite que, puisque la Cour a conclu dans Apotex que rien dans la monographie de produit d’Apotex n’incitait à la contrefaçon, Nycomed ne peut réussir à démontrer qu’un fabricant de génériques est coupable d’incitation à la contrefaçon lorsqu’à cet égard, la monographie de produit de ce dernier est semblable à celle d’Apotex. Sandoz avance que la demande de Nycomed vise à saisir à nouveau la Cour de cette question et doit être rejetée, car elle constitue un abus de procédure.

 

[34]           Selon moi, l’argument de Sandoz confond à tort la doctrine de l’abus de procédure, appliquée par la Cour d’appel dans Sanofi-Aventis, précitée, et la conclusion voulant qu’au vu de la preuve produite par un demandeur quant au fond d’une demande, la demande soit inévitablement rejetée.

 

[35]           Dans Sanofi-Aventis, la Cour d’appel a clairement établi que l’abus de procédure découlait dans cette affaire du fait que les mêmes allégations d’invalidité d’un brevet avaient déjà été débattues sans succès devant un tribunal par Sanofi-Aventis. La Cour a ajouté que, même s’il n’était pas possible d’affirmer que Sanofi-Aventis ne pourrait pas avoir gain de cause en formulant la même allégation dans une procédure subséquente, lui permettre de le faire risquerait de donner lieu à des jugements contradictoires sur la même question, ce qui était inadmissible dans le contexte d’un litige lié à un avis de conformité (voir Sanofi-Aventis, au paragraphe 31). Cette approche suppose que des éléments de preuve différents, ou plus complets, pourraient être présentés dans la procédure subséquente, et que la demande pourrait ainsi être accueillie. Le principe qui permet alors d’empêcher le demandeur de se prévaloir de cette possibilité repose sur le risque que des jugements contradictoires soient effectivement prononcés, de sorte « qu’un fabricant de médicaments génériques recevrait un avis de conformité à cause d’une invalidité fondée sur une absence de prédiction valable, tandis qu’un autre se verrait refuser cet avis même si son avis d’allégation faisait état de la même allégation » (paragraphe 36). Pour que cette considération d’intérêt public entre en ligne de compte, les allégations doivent être les mêmes, sinon, elles ne pourraient donner lieu à des jugements contradictoires.

 

[36]           Dans Apotex, la Cour a estimé que l’allégation selon laquelle Apotex ne se livrerait pas à la vente, à la promotion ou à la commercialisation de ses comprimés pour qu’ils soient utilisés dans un traitement d’association, ou qu’elle n’inciterait pas des tiers à le faire, était fondée. L’allégation faite dans la présente affaire est que Sandoz ne se livrera pas à la vente, à la promotion ou à la commercialisation de ses comprimés à des fins de contrefaçon et n’incitera pas des tiers à le faire. Une décision confirmant qu’Apotex n’inciterait pas à la contrefaçon ne contredirait pas, à première vue, une décision concluant que Sandoz inciterait à la contrefaçon. Dans la mesure où la Cour doit tenir compte de divers facteurs pour déterminer si l’incitation pourrait avoir lieu, et que leur existence ou leur incidence ont déjà fait l’objet d’un examen dans d’autes décisions, ces facteurs ne dicteraient pas l’issue de l’affaire, mais seraient pris en compte par la Cour, comme l’exige la courtoisie judiciaire.

 

[37]           Enfin, le fait de permettre à Nycomed, à l’aide d’éléments de preuve différents ou plus complets, d’essayer de prouver que Sandoz incitera à la contrefaçon ne peut être considéré comme un abus de procédure, puisque cette question n’a pas été tranchée dans Apotex et ne pouvait donc pas donner lieu à des décisions contradictoires.

 

[38]           En revanche, les autres décisions citées en exemple par Sandoz et dans lesquelles la cour a rejeté des demandes fondées sur des allégations de non‑contrefaçon en application de l’alinéa 6(5)b) étaient des décisison dans lesquelles la Cour était convaincue que les demanderesses ne pouvaient réussir à démontrer que les allégations n’étaient pas fondées.

 

[39]           Les premières de ces décisions ont été Hoffman-La Roche Ltée c. Pro Doc Ltée, (1998), 85 C.P.R. (3e) 50 et Hoffman-La Roche Ltée c. Pharmascience Inc., (1999), 87 C.P.R. (3e) 251. Dans la décision Pro Doc, la Cour a examiné la preuve produite par Hoffman sur le fond de la demande et a conclu qu’elle « n’ajoute aucun élément nouveau qui pourrait nous aider à interpréter les mots pertinents du brevet ». Comme les décisions antérieures avaient porté sur cette interprétation et qu’Hoffman ne pouvait produire aucun élément de preuve au sujet de la composition du médicament proposé comme preuve directe de contrefaçon (les conditions de divulgation prévues au paragraphe 6(7) du Règlement n’étant pas encore en vigueur), la Cour a conclu que la demande constituait un abus de procédure parce qu’elle ne visait qu’à faire instruire de nouveau une question déjà tranchée à partir d’éléments de preuve identiques (voir les paragraphes 10 et 14). Dans Pharmascience, la Cour a jugé qu’elle était liée par l’interprétation donnée au brevet dans les décisions antérieures; comme l’avis d’allégation mentionnait que le médicament ne contiendrait aucun des acides revendiqués, sans qu’il soit possible pour Hoffman d’apporter la preuve du contraire, la demande ne pouvait pas être accueillie pour ce motif (voir les paragraphes 8 et 9).

 

[40]           Dans la décision Sanofi-Aventis c. Novopharm, 2007 CAF 167 (décision Sanofi-Aventis, précitée), la Cour d’appel a accueilli une requête en rejet fondée sur l’alinéa 6(5)b), non pas en raison d’une décision antérieure, mais parce que la preuve déjà produite par le demandeur dans la demande principale sur la question de l’absence de contrefaçon ne pouvait lui donner gain de cause. La Cour d’appel a mentionné ce qui suit au paragraphe 13 :

 

« 13     Rien dans la monographie expurgée ou dans les autres documents au dossier ne permet d’établir que Novopharm contrefera directement les brevets 089 ou 948 ou qu’elle incitera des tiers à les contrefaire. Sanofi ne soutient pas que cette preuve existe, mais elle fait valoir que le contre‑interrogatoire pourrait fournir des éléments de preuve. Selon moi, c’est un argument relevant de l’hypothèse et il aurait fallu le rejeter. Lorsqu’on écarte l’hypothétique possibilité d’un complément de preuve, on conclut obligatoirement à l’impossibilité d’accueillir la demande d’ordonnance d’interdiction du fait que l’allégation de non‑contrefaçon de Novopharm est fondée. »

(non souligné dans l’original)

 

[41]           De même, il ressort clairement des motifs rédigés par le protonotaire Lafrenière dans la récente décision Novopharm que celui-ci a examiné minutieusement la preuve présentée par Nycomed sur le fond de la demande et, excluant la possibilité conjecturale que des éléments de preuve additionnels puissent ressortir des contre-interrogatoires, qu’il s’est ensuite demandé, à la lumière de la décision rendue dans Apotex, s’il existait d’autres éléments de preuve ou des éléments de preuve sensiblement différent de ceux que la juge Gauthier avait considérés dans Apotex. Bien que dans Novopharm la Cour se soit penchée sur l’incidence de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans la première décision Sanofi-Aventis, sa décision définitive repose de toute évidence sur la conclusion que Nycomed n’a pas présenté d’autres éléments de preuve, ou des éléments de preuve sensiblement différents, qui justifieraient une décision différente :

 

« 56     Étant donné que la juge Gauthier a conclu dans la décision Apotex que la position de Nycomed relativement à la contrefaçon était sans fondement et étant donné que Nycomed n'a déposé aucune preuve nettement différente en l'espèce, je conclus au rejet de la demande pour abus de procédure. »

 

 

[42]           Si j’ai bien compris, puisqu’aucun tribunal n’a jamais statué sur l’allégation de Sandoz selon laquelle elle ne contrefera pas le brevet 748 ou n’incitera pas à sa contrefaçon, il incombe à Sandoz dans la présente requête d’établir que Nycomed ne peut démontrer que l’allégation n’est pas fondée. Cependant, contrairement à la situation dans Novopharm, la preuve que doit présenter Nycomed sur le fond de la demande n’a pas été soumise à la Cour; en fait, elle doit encore être produite. Le fardeau qui incombe à Sandoz est d’autant plus lourd qu’elle doit démontrer que Nycomed ne pourrait pas présenter une preuve suffisante pour avoir gain de cause.

 

[43]           Essentiellement, Sandoz soutient que puisque sa monographie de produit n’est pas nettement différente de celle d’Apotex, en ce qui concerne les aspects importants des indications, de la posologie et du manque de références au sujet du traitement de l’infection à H. Pylori à l’aide d’un traitement d’association, il serait impossible pour Nycomed de faire la preuve que la monographie de produit incite à la contrefaçon.

 

[44]           L’argument de Sandoz voulant que Nycomed ne puisse établir l’incitation en raison du fait que sa monographie de produit ne peut être distinguée de celle d’Apotex dans ses aspects les plus importants est mal fondée, car il repose sur la présomption erronée voulant que la contrefaçon ne puisse être établie qu’en fonction de la monographie de produit. Or, la Cour d’appel a clairement indiqué, dans la deuxième décision Sanofi-Aventis, que la contrefaçon par incitation peut être établie à l’aide de divers éléments, seuls ou combinés, qui vont au‑delà de simples mentions tirées de la monographie de produit.

 

« 11     (...) On peut par exemple démontrer qu’il y a eu contrefaçon par incitation au moyen d’éléments de preuve se rapportant au dosage du médicament générique ou à son étiquetage ou sa mise en marché ou en établissant que la nouvelle utilisation s’infère raisonnablement de la monographie du médicament générique. Toutefois, il n’est généralement pas possible de conclure qu’il y a eu incitation à la contrefaçon à partir d’une simple mention de la nouvelle utilisation dans la monographie, par exemple, dans des explications relatives aux contre-indications ou à l’interaction médicamenteuse ou dans une bibliographie scientifique. »

(non souligné dans l’original)

 

[45]           Il ressort clairement de ce passage que l’incitation peut en effet être établie par l’examen des pratiques commerciales d’un fabricant de génériques, indépendamment du contenu de la monographie de produit, et qu’il est loisible à la Cour de prendre tous ces facteurs en compte.

 

[46]           Sandoz n’a présenté aucune preuve permettant de croire – et encore moins de démontrer – que Nycomed ne pourrait présenter de preuve sur les pratiques commerciales ou promotionnelles de Sandoz à partir de laquelle une intention intention d’inciter à la contrefaçon pourrait être inférée.

 

[47]           Même en ce qui concerne les inférences qui doivent être tirées de la monographie de produit en soi, aucune des décisions invoquées par Sandoz ne laisse entendre que les indications, la posologie et l’absence de mention expresse des utilisations protégées sont les seuls aspects d’une monographie de produit qui doivent être pris en compte. En effet, dans Apotex la Cour a examiné différentes décisions où les aspects suivants ont permis de conclure qu’il y avait eu intention d’inciter à la contrefaçon : des omissions volontaires dans une monographie de produit en comparaison avec celle de l’innovateur, le choix d’un produit de référence à des fins de comparaison et des références à des études pertinentes pour l’utilisation protégée. Plus important encore, cette analyse insiste sur le fait que la monographie de produit doit être considérée dans son ensemble. Il ne s’agit pas d’examiner machinalement la liste des indications et la posologie, ou de déterminer si les mots « H. Pylori » sont utilisés.

 

[48]           Pourtant, c’est ce que Sandoz invite la Cour à faire. Elle présente devant la Cour sa propre monographie de produit proposé, ainsi que celle d’Apotex (mentionnons qu’il n’existe aucune preuve que la monographie de produit officielle d’Apotex, maintenant accessible sur le site de Santé Canada, est la même que le projet de monographie de produit examiné par la juge Gauthier), et invite la Cour à constater que les indications sont essentiellement les mêmes, que la posologie est semblable et, à deux exceptions près, que les mots H. Pylori ne sont pas utilisés. Sandoz n’a produit aucun témoignage d’expert qui aurait lu ce document scientifique de 32 pages et qui aurait pu comprendre si des différences subtiles, mais importantes, existent entre les deux monographies.

 

[49]           Sandoz ne s’est donc pas acquittée de son fardeau de démontrer, à l’aide d’éléments de preuve ou d’arguments convaincants, que, hormis les aspects spécifiques de la monographie de produit sur laquelle s’appuie Sandoz, Nycomed ne pourrait présenter d’éléments de preuve sur le fond de la demande à partir desquels la Cour pourrait conclure qu’il y a un risque d’incitation. Par conséquent, Nycomed n’avait pas à prouver, dans la présente requête, qu’elle pourrait présenter, ou qu’elle présenterait, ces éléments de preuve. Une requête en rejet fondée sur l’alinéa 6(5)b) n’est pas une requête pour jugement sommaire dans laquelle le demandeur doit prouver qu’il y a matière à procès, mais plutôt une requête où la totalité de la charge de persusasion repose sur la partie requérante.

 

[50]           Néanmoins, Nycomed a démontré qu’elle était en mesure de présenter des éléments de preuve différents et pertinents, ce qui était prudent. Sans revenir sur tous les aspects de la preuve produite par Nycomed pour illustrer le genre d’éléments qu’elle propose de présenter sur le fond de la demande, je signale que la preuve comprend le témoignage d’un pharmacien ayant déjà eu affaire avec des représentants de commerce de Sandoz. Selon lui, les pratiques commerciales de Sandoz consistent en des déclarations, faites par les représentants de celle-ci, visant à promouvoir la complète interchangeabilité « à toutes fins utiles» de son produit et de celui de l’innovateur, et à insister sur leur équivalence, et il pense que la même chose se produira en ce qui concerne le pantoprazole. Sandoz doit démontrer que Nycomed ne peut, voire qu’elle ne devrait pas pouvoir, présenter des éléments de preuve plus complets contre Sandoz que ceux qu’elle a présentés contre Apotex. Pourtant, Sandoz n’a pas tenté de démontrer que des éléments de preuve identiques avaient été soumis à la juge Gauthier en ce qui concerne les pratiques commerciales d’Apotex, ni même qu’Apotex a des pratiques semblables qu’elle aurait pu soumettre en preuve à la juge. Sandoz n’a pas non plus essayé de démontrer que si on y prêtait foi, cet élément de preuve ne permettrait pas de conclure que Sandoz inciterait à la contrefaçon ou encouragerait les utilisations non indiquées sur l’étiquette. À l’évidence, ni la juge Gauthier dans Apotex, ni le protonotaire Lafrenière dans Novopharm n’ont fait état d’un élément de preuve de ce genre dans leur analyse, ce qui sous-entend qu’il ne leur a pas été soumis.

 

[51]           Comme je l’ai mentionné ci-dessus, je fais référence à cet élément de preuve simplement parce qu’il illustre clairement le genre de preuve potentiellement pertinente et différente que Nycomed semble en mesure de présenter, et fondée à le faire, sur le fond de la demande.

 

[52]           Au besoin, j’ajoute que cette preuve est suffisante pour que je puisse conclure que Sandoz ne s’est pas acquittée du lourd fardeau qui lui incombait de démontrer que la demande de Nycomed ne pouvait pas être accueillie, ou que le fait de l’accueillir aurait constitué un abus de procédure.

 

Dépens

 

[53]           Nycomed a eu gain de cause en s’opposant à la présente requête et devrait donc avoir droit à ses dépens. De plus, je conclus qu’au moins deux des motifs soulevés par Sandoz dans la présente requête (l’admissibilité à l’inscription au registre et le manque de pertinence du brevet) étaient fondées sur une interprétation de la décision Apotex que les motifs clairs fournis par la Cour ne pouvaient raisonnablement permettre. Ces arguments étaient mal motivés et mal fondés, et n’auraient pas dû être soulevés. Sardoz a gaspillé inutilement le temps de la Cour et les efforts de Nycomed, au moment où cette dernière avait besoin de temps pour préparer sa preuve sur le fond de la demande. Quant aux arguments de Sandoz sur l’absence de contrefaçon, même s’ils étaient nouveaux, ils étaient fondés sur des suppositions beaucoup trop vagues et injustifiées quant à la preuve dont disposait Nycomed. Ce manque de retenue a encore une fois forcé Nycomed à interrompre la préparation de sa preuve sur le fond pour présenter, pour les fins de cette requête, un « aperçu » de la preuve qu’elle compte soumettre. Sandoz a nui à l’affaire en insistant de façon déplacée et, à plusieurs occasions, pour que la présente requête soit entendue le plus rapidement possible, et en demandant maintes fois la tenue d’appels‑conférences à des fins de gestion de l’instance et la modification de l’horaire pour satisfaire ses opinions changeantes sur la manière et le moment de faire entendre avantageusement ses requêtes présentées en vertu des alinéas 6(5)a) et 6(5)b). Cette précipitation et ce sentiment d’urgence n’étaient motivés que par son désir d’obtenir un avis de conformité le plus rapidement possible, et cela, seulement parce que ses concurrents, qui avaient produit leur propre avis d’allégation des années auparavant, récoltaient naturellement les bénéfices de leur diligence avant elle. Dans les circonstances, la Cour considère qu’il est justifié d’octroyer à Nycomed ses dépens dans la présente requête, y compris tous les frais afférents aux appels-conférence effectués afin de planifier et de replanifier l’instance, selon la valeur supérieure prévue à la colonne V du Tarif B. Nycomed aura droit également aux frais de déplacement de son avocat lors de l’audience et, bien sûr, aux frais de déplacement de ses experts. Les dépens sont payables sans délai, quelle que soit l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE QUE :

 

1.                  La requête de la défenderesse, Sandoz Canada Inc., soit rejetée, et que les dépens soient adjugés à Nycomed, tel que mentionné dans les motifs de l’ordonnance et quelle que soit l’issue de la cause.

 

 

 

 

 

 

 

« Mireille Tabib »

protonotaire

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Edith Malo. LL.B

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1941-07

 

INTTULÉ :                                         NYCOMED CANADA INC. ET AL. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 AVRIL 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

NEIL BELMORE

KEVIN SARTORIO

 

POUR LES DEMANDERESSES

EDWARD HORE

KEVIN ZIVE

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SANDOZ CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

TORONTO

 

POUR LES DEMANDERESSES

HAZZARD & HORE

TORONTO

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SANDOZ CANADA INC.

JOHN H. SIMS, c. r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTÈRE DE LA SANTÉ

 

 

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