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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080509

Dossier : T-1218-07

Référence : 2008 CF 591

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2008

En présence de madame la juge Mactavish

 

Entre :

A.J.

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

motifs du jugement et jugement

 

[1]               La Commission canadienne des droits de la personne a rejeté, après enquête, la plainte du demandeur contre son ancien employeur, le ministère de la Justice du Canada (le MJ). La Commission a conclu que le MJ avait toujours tenu compte de la déficience du demandeur et que son contrat de travail n’avait pas été prolongé du fait de la piètre qualité de son rendement.

 

[2]               Le demandeur sollicite à présent le contrôle judiciaire de cette décision et allègue que la Commission a commis une erreur en concluant que le MJ avait entièrement tenu compte de sa déficience. Il allègue ensuite que la Commission a commis une erreur en lui reprochant de ne pas avoir fait part à son employeur de sa déficience dès le début de son emploi. Il allègue enfin que la Commission a commis une erreur en n’analysant pas correctement la question de savoir si les normes d’emploi du MJ constituent une exigence professionnelle justifiée.

 

[3]               Je conclus, pour les motifs qui suivent, que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la plainte du demandeur relative aux droits de la personne et que l’enquête de celle-ci n’a pas été suffisamment complète. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

L’identification du demandeur

 

[4]               Afin de protéger sa réputation dans le milieu des juristes, le demandeur a demandé et obtenu du juge Martineau une ordonnance selon laquelle on doit le désigner dans la présente procédure par les initiales « A.J. ».

 

[5]               Il faut souligner qu’il ne faut pas déduire de l’utilisation du pronom personnel masculin dans les motifs qui suivent que le demandeur est de sexe masculin plutôt que féminin.

 

Le contexte

 

[6]               En 1999, A.J. a reçu un diagnostic de trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA). On lui a prescrit des médicaments et rien au dossier ne donne à penser qu’avant 2004, sa déficience ait gêné en quoi que ce soit sa capacité d’exercer avec succès sa profession d’avocat.

 

 

[7]               À l’automne 2002, le MJ a recruté A.J. avec un contrat de trois ans pour travailler dans le service juridique ministériel d’un ministère fédéral. Au moment où il a été recruté, il n’a pas divulgué à son employeur son diagnostic de THADA, car il n’a pas estimé que cela affecterait sa capacité d’exercer ses fonctions.

 

[8]               A.J. était essentiellement chargé de préparer des avis juridiques et de fournir un appui juridique à des fonctionnaires pendant des négociations. En mars 2003 et en mars 2004, ses évaluations de rendement ont porté la mention [traduction] « satisfait pleinement aux attentes ».

 

[9]               Le rendement professionnel d’A.J. a toutefois commencé à se détériorer. Le 21 décembre 2004, puis de nouveau le 4 janvier 2005, sa gestionnaire lui a fait savoir que son travail n’était plus satisfaisant. Comprenant que son THADA avait peut-être contribué aux difficultés qu’il avait éprouvées pour terminer un avis juridique majeur, en janvier 2005, A.J. a consulté un médecin et obtenu une ordonnance avec un nouveau médicament.

 

[10]           Il semble que ce nouveau médicament l’a peut-être aidé au début, mais son efficacité a progressivement diminué. A.J. avait auparavant hésité à communiquer à son employeur qu’il souffrait d’une déficience, car il craignait d’être stigmatisé si cela se savait. Toutefois, estimant que sa déficience avait commencé à nuire à son rendement, il a rencontré sa gestionnaire le 20 mai 2005 et lui a fait part pour la première fois de sa déficience psychologique et qu’il avait besoin d’accommodement.

 

[11]           A.J. affirme que sa supérieure a semblé coopérative. Celle-ci aurait déclaré qu’A.J. était intelligent et qu’elle s’était aperçue que [traduction] « quelque chose ne tournait pas rond » quand il a éprouvé des difficultés dans son dossier. Sa supérieure et A.J. ont également discuté de sa prochaine évaluation de rendement et de l’achèvement imminent de son contrat.

 

[12]           Consécutivement à la réunion, A.J. a compris que son évaluation de rendement, qui était prévue pour la semaine suivante, serait remise jusqu’à ce que sa déficience ait été prise en compte.

 

[13]           Malgré ce qu’il avait compris, son évaluation de rendement a eu lieu comme prévu le 27 mai 2005. On lui a indiqué à ce moment-là qu’il serait noté [traduction] « ne satisfait pas aux attentes » et qu’on lui ferait savoir la semaine suivante si son contrat était prolongé.

 

[14]           Lors de cette même réunion, la supérieure d’A.J. lui a indiqué qu’elle ne pouvait donner une suite favorable à sa demande d’accommodement sans avoir au préalable reçu un certificat médical qui définisse la nature de sa déficience et les limites que celle-ci impose à l’exercice d’une profession, et qui expose les modes d’accommodement les plus efficaces.

 

[15]           Le 31 mai 2005, A.J. a été avisé que son contrat de travail ne serait pas renouvelé.

 

[16]           Après avoir consulté un médecin, A.J. a remis à son employeur une lettre datée du 10 juin 2005, dans laquelle il indiquait qu’il remettrait un certificat médical officiel dès que celui-ci serait prêt. Après une consultation verbale avec un médecin, A.J. a aussi suggéré des mesures d’accommodement possibles, susceptibles d’aider en cas de THADA, notamment que le travail soit réparti en tâches à court terme et travailler avec d’autres en équipe.

 

[17]           A.J. a également mentionné que, pourvu que sa déficience fût prise en compte, il était disposé à travailler dans n’importe quel service juridique ministériel.

 

[18]           Le Dr François Dupont lui a finalement délivré un certificat médical, qui a été remis à son employeur le 12 août 2005. Ce certificat confirme qu’A.J. souffre de THADA. Selon le Dr Dupont, A.J. a [traduction] « encore besoin de traitement et d’accommodement pour l’aider à mieux travailler ». Le Dr Dupont a suggéré la mise en place des mesures d’accommodement suivantes :

1.                  Qu’A.J. ait du temps supplémentaire pour terminer son travail.

2.                  Milieu de travail tranquille (autant que possible).

3.                  Accompagnement professionnel suivi ou aide d’un secrétaire pour l’aider à mieux s’organiser.

4.                  Utilisation d’un indicateur de durée ou d’un agenda électronique pour lui rappeler les échéances.

5.                  Éviter les tâches pour lesquelles il faut lire beaucoup d’informations d’un seul coup.

6.                  Mettre l’accent sur les tâches qui peuvent être fractionnées.

 

 

[19]           Le Dr Dupont a en outre recommandé qu’A.J. suive un traitement médical pour son THADA ainsi qu’une thérapie pour assumer la souffrance associée à sa maladie.

 

[20]           À son retour de vacances le 29 août 2005, A.J. a rencontré un représentant de son employeur pour discuter du rapport du Dr Dupont. A.J. affirme que le représentant était convaincu que les mesures précédemment prises à l’égard des conditions de son emploi suffisaient pour satisfaire aux recommandations du rapport. Aucune autre mesure d’accommodement n’a en conséquence été mise en place et le contrat de travail d’A.J. a pris fin le 2 septembre 2005.

 

L’enquête de la Commission

 

[21]           La décision de la Commission de rejeter la plainte relative aux droits de la personne présentée par A.J. figure dans une lettre datée du 5 juin 2007. Cette lettre précise que la plainte est rejetée, les éléments de preuve ayant établi que l’employeur d’A.J. avait en permanence tenu compte de sa déficience et que son contrat de travail n’avait pas été renouvelé du fait des difficultés qui avaient été établies dans son rendement.

 

[22]           Étant donné le caractère succinct des décisions de la Commission, les rapports d’enquête sont à lire comme constituant les motifs de la Commission : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 37.

 

[23]           L’enquêteur de la Commission a conclu qu’A.J. souffrait réellement d’une déficience devant être accommodée. Il a toutefois conclu qu’après qu’A.J. eut divulgué sa déficience à son employeur, toutes les mesures d’accommodement que son psychologue avait recommandées lui ont été fournies.

 

[24]           L’enquêteur a de plus conclu que, même avant qu’A.J. ne communique l’existence de sa déficience, le défendeur avait en fait tenu compte de ses besoins.

 

[25]           En dépit des allégations d’A.J. qu’il ignorait la répercussion de sa déficience sur son rendement avant mai 2005, l’enquêteur a conclu qu’A.J. savait qu’il avait une déficience et qu’il avait besoin d’accommodement. Il a également conclu qu’A.J. savait bien avant cette date que sa déficience nuisait à son rendement.

 

[26]           L’enquêteur a souligné en particulier qu’A.J. avait cherché à faire modifier son traitement en janvier 2005, après s’être rendu compte du mécontentement de son employeur à l’égard de son rendement. Il a en conséquence conclu qu’A.J. avait omis de faire part en temps voulu de sa déficience et de son besoin d’accommodement.

 

[27]           L’enquêteur a rejeté l’argument d’A.J. selon lequel son employeur aurait été au courant de sa déficience et de son besoin d’accommodement.

 

[28]           L’enquêteur a également relevé que, lorsque A.J. avait finalement divulgué sa déficience, cette divulgation a été incomplète, car il a omis de faire entièrement part à son employeur de la nature de sa déficience et des mesures d’accommodement dont il avait besoin, son employeur ayant eu de ce fait de la difficulté à prendre des mesures immédiates.

 

[29]           A.J. a affirmé qu’il n’avait pu fournir davantage de détails sur la nature de sa déficience ou sur l’accommodement dont il avait besoin, car il ne les connaissait pas d’emblée. Là encore, l’enquêteur a conclu que ceci ne coïncidait pas avec les informations qu’A.J. avait reçues lors du diagnostic en 1999, ni avec sa propre recherche sur sa déficience.

[30]           L’enquêteur a relevé que les principales responsabilités professionnelles d’A.J. comportaient la préparation d’avis juridiques et l’apport d’un soutien juridique à des fonctionnaires pendant des négociations. A.J. n’a jamais cherché à remettre en question ses objectifs de travail, même s’il savait qu’il ne les atteignait pas et a admis n’avoir divulgué sa déficience qu’après avoir compris qu’elle affectait son travail.

 

[31]           La conclusion que même si l’employeur ignorait la déficience d’A.J. et son besoin d’accommodement, celui-ci avait en fait reçu l’accommodement nécessaire avant même d’avoir fait connaître sa déficience a joué un rôle essentiel dans la recommandation de l’enquêteur de rejeter la plainte.

 

[32]           À l’instar de tous les avocats des services juridiques ministériels, A.J. disposait d’un bureau fermé, il pouvait consulter régulièrement des praticiens chevronnés pour se faire conseiller et orienter, il disposait d’un assistant pour l’aider à organiser son travail et d’un agenda électronique pour organiser des activités et fixer des échéances.

 

[33]           L’enquêteur a par ailleurs relevé qu’en octobre 2004, on avait laissé davantage de temps à A.J. pour terminer son travail et qu’il avait reçu des dossiers pouvant être fractionnés en parties plus petites n’exigeant pas de longues lectures. Ces mesures correspondent aux six recommandations du Dr Dupont.

 

[34]           L’enquêteur a souligné parallèlement que l’employeur avait continué à insister sur le fait que ses avocats devaient pouvoir parfois lire beaucoup d’informations, rapidement et parfois d’un seul coup. L’employeur a déclaré que cette exigence constituait [traduction] « probablement une exigence professionnelle justifiée » et que le défaut d’y satisfaire [traduction] « pouvait entraîner des coûts pour le défendeur […] jusqu’à une contrainte excessive. »

 

[35]           L’enquêteur a également étudié les mesures prises par la supérieure d’A.J., une fois qu’elle a été au courant de la déficience de celui-ci. Elle l’a notamment déchargé de la responsabilité du travail sur les avis, pour lequel il faut lire des documents volumineux, elle lui a attribué du travail juridique pour lequel les délais étaient courts et a cherché du travail spécifique et adapté avec d’autres gestionnaires du service juridique ministériel.

 

[36]           Pour ces motifs, l’enquêteur a conclu que le ministère de la Justice avait en permanence tenu compte de la déficience d’A.J.. Selon l’enquêteur, A.J. ne l’a fait connaître que lorsqu’il s’est rendu compte que son emploi permanent était en jeu. Ayant été embauché pour une période déterminée, il n’avait pas droit à un prolongement de son contrat et celui-ci n’a pas été prolongé du fait de la piètre qualité de son rendement.

 

 

[37]           L’enquêteur a donc recommandé que la plainte d’A.J. soit rejetée. Ainsi que je l’ai indiqué plus haut, la Commission canadienne des droits de la personne a accepté cette recommandation.

 

La norme de contrôle

 

[38]           En conséquence de la décision récente de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] A.C.S. no 9, il n’y a plus dorénavant que deux normes de contrôle : celle de la décision raisonnable et celle de la décision correcte.

 

[39]           Pour autant que la demande soulève des questions de fait ou mixtes de fait et de droit, Dunsmuir enseigne qu’une cour de révision doit effectuer une analyse en deux étapes afin d’établir laquelle de ces deux normes doit s’appliquer en l’espèce.

 

[40]           La cour doit avant tout déterminer si la jurisprudence a déjà établi le degré de déférence à accorder au type de question en cause. Si tel est le cas, il n’y a pas lieu d’effectuer une analyse complète de la norme de contrôle.

 

[41]           En l’espèce, la cour a déjà mené une analyse de la norme de contrôle postérieure à Dunsmuir à l’égard des questions mixtes de fait et de droit décidées par la Commission canadienne des droits de la personne.  Plus précisément, dans Bateman c. Canada (Attorney General), 2008 CF 393, le juge Martineau a décidé que la bonne norme de contrôle à appliquer à l’égard de telles questions est celle de la décision raisonnable. J’adopte son analyse à cet égard.

 

[42]           Je suis en outre persuadée que, dans la mesure où la demande porte sur des conclusions de fait exprimées par l’enquêteur de la Commission, elles peuvent être révisées selon la norme de la décision raisonnable.

[43]           Lors de sa révision d’une décision selon cette norme, une cour de révision doit apprécier la justification, la transparence ainsi que l’intelligibilité du processus décisionnel et également l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[44]           Les autres questions soulevées par le demandeur portent sur le caractère exhaustif de l’enquête. Ceci comporte des questions d’équité procédurale. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans Sketchley, précité, aux paragraphes 52 et 53, l’analyse pragmatique et fonctionnelle (remplacée depuis par « l’analyse relative à la norme de contrôle ») ne s’applique pas quand le contrôle judiciaire est demandé pour refus allégué d’équité procédurale dans une enquête de la Commission. La cour doit plutôt décider si la procédure suivie par la Commission satisfait au degré d’équité exigé dans toutes les circonstances.

 

[45]           Je ne pense pas que ceci ait changé du fait de l’arrêt Dunsmuir : voir les motifs concordants du juge Binnie au paragraphe 129; il y confirme que la cour de révision a le dernier mot au chapitre des questions d’équité procédurale. Voir également Dunsmuir, au paragraphe 151, et Halifax Employers’ Association c. Tucker, 2008 CF 516.

 

Analyse

 

[46]           La décision de la Commission était fondée sur deux principales conclusions : tout d’abord, que le ministère de la Justice a continuellement tenu compte de la déficience d’A.J., puis que le contrat de travail de celui-ci n’a pas été prolongé en raison de la piètre qualité de son rendement.

[47]           Ces conclusions sont toutes deux entachées d’erreur.

 

[48]           Je traiterai en premier lieu la conclusion que le ministère de la Justice tenait pleinement compte de la déficience d’A.J., même avant que celui-ci ne l’ait fait connaître à son employeur le 20 mai 2005.

 

[49]           D’une part, l’enquêteur constate, au paragraphe 42 du rapport d’enquête, que [traduction]  « en octobre 2004, avant que le plaignant n’ait fait connaître sa déficience, on lui avait laissé davantage de temps pour terminer son travail et qu’il avait reçu des dossiers n’exigeant pas de longues lectures ou pouvant être fractionnés en parties plus petites ».

 

[50]           D’autre part, au paragraphe 40a) du rapport d’enquête, l’enquêteur tient pour avéré que c’est seulement après la réunion d’A.J. avec sa supérieure, le 20 mai 2005, que [traduction] « on lui a retiré la responsabilité de tout le travail sur les avis, pour lequel il fallait lire des documents volumineux ». Cette conclusion ne coïncide pas avec celle du paragraphe 42 et va à l’encontre de celle selon laquelle toutes les mesures nécessaires pour accommoder la déficience d’A.J. avaient été mises en place avant le 20 mai 2005.

 

[51]           Je tiens à souligner ici que je n’avance pas que le ministère de la Justice devrait être blâmé de ne pas avoir accommodé une déficience dont il ignorait l’existence avant le 20 mai 2005. L’incohérence de l’analyse de l’enquêteur signifie cependant que la décision n’a pas la justification, la transparence et l’intelligibilité dans le processus décisionnel qu’impose l’arrêt Dunsmuir.

[52]           Le deuxième problème que comporte l’analyse de l’enquêteur concerne sa conclusion que le contrat de travail d’A.J. n’a pas été prolongé en raison de la piètre qualité de son rendement et le fait que l’enquêteur n’a, semble-t-il, pas saisi la portée de cette conclusion du point de vue des droits de la personne.

 

[53]           En premier lieu, l’enquêteur a conclu, au paragraphe 69 du rapport d’enquête, qu’A.J. n’avait aucun droit de s’attendre à ce que son contrat soit renouvelé ou prolongé. Ceci est certes exact du point de vue du contrat, mais il pourrait y avoir tout de même eu pratique discriminatoire si la déficience d’A.J. a été un facteur dans la décision de l’employeur de ne pas prolonger le contrat : voir Holden c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1990] A.C.F. no 419 (C.A.F.).

 

[54]           Le rapport d’enquête comporte par ailleurs les importantes conclusions qui suivent :

1.         A.J. souffre d’une déficience qui nécessite un accommodement dans son milieu de travail [paragraphe 12];

2.         le ministère de la Justice n’a pas renouvelé le contrat de travail d’A.J. au motif que son rendement était mauvais [paragraphe 67];

3.         le mauvais rendement d’A.J. était probablement lié à sa déficience [paragraphe 68].

 

 

[55]           Dans la propre analyse de l’enquêteur, A.J. a donc subi des conséquences préjudiciables quant à ses perspectives d’emploi du fait de sa déficience. Ceci suffit à établir une preuve de discrimination prima facie : voir Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536 à la page 558, et Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, au paragraphe 49.

 

[56]           L’avocat du défendeur a d’ailleurs concédé dans ses observations écrites que l’enquêteur ayant déduit que les difficultés de rendement d’A.J. étaient dues à sa déficience et que la décision de ne pas prolonger son contrat était fondée sur ses problèmes de rendement, sa conclusion que la déficience d’A.J. n’a pas été un facteur dans la décision de l’employeur fait problème. L’avocat prétend toutefois que si on la considère dans son ensemble, la décision de rejeter la plainte est raisonnable et ne doit pas être annulée.

 

[57]           Je ne suis pas d’accord. Ainsi que je l’ai précédemment souligné, ce n’est pas la seule erreur de la décision. Je suis en outre convaincue, et je l’expliquerai ci-dessous, que l’enquête a manqué de rigueur, car l’enquêteur a omis de recueillir des éléments de preuve pertinents et de mener l’analyse nécessaire.

 

[58]           Une fois établie une preuve de discrimination prima facie, il revient au défendeur de satisfaire aux trois éléments de la méthode fixée par la Cour suprême du Canada, notamment dans les arrêts Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (Grismer).

 

[59]           C’est-à-dire qu’afin d’établir que l’exigence professionnelle en cause est justifiée, l’employeur doit établir selon la prépondérance de la preuve :

i)          qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du     travail;

ii)         qu’il a adopté la norme en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail ;

iii)         que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail.  Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

 

[60]           Ainsi que l’a remarqué la Cour suprême du Canada, aux paragraphes 41 et 42 de Grismer,  pour établir qu’une exigence professionnelle est justifiée, il faut que l’adoption d’une norme par l’employeur soit étayée par des éléments de preuve convaincants. Une preuve constituée d’impressions ne suffira pas généralement.

 

[61]           Bien que les propres conclusions de l’enquêteur en l’espèce aient établi l’existence de discrimination prima facie, celui-ci n’a mené aucune sorte d’évaluation indépendante pour déterminer si les exigences de l’emploi d’A.J. en matière de lectures constituaient une exigence professionnelle justifiée. Il semble plutôt, d’après les paragraphes 45 et 63, qu’il ait simplement cru le défendeur, que c’était [traduction] « probablement » le cas.

 

[62]           De surcroît, l’employeur doit aussi, pour établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée, démontrer qu’il est impossible d’accommoder davantage un employé souffrant de déficience sans qu’il en résulte une contrainte excessive, eu égard notamment aux coûts, à la santé et à la sécurité. Le seul élément de preuve dont fait état l’enquêteur à cet égard est la déclaration, au paragraphe 45 du rapport d’enquête, selon laquelle l’employeur estime que si un employé ne peut lire beaucoup et rapidement, [traduction] « cela peut entraîner des coûts pour le défendeur, et pour d’autres, jusqu’à une contrainte excessive ». Ceci est, en toute déférence, loin de satisfaire à la norme quant à la preuve qu’exige l’arrêt Grismer.

 

[63]           Du fait que l’enquêteur a omis de mener l’analyse nécessaire et de rechercher une preuve manifestement importante, le rapport n’a pas le degré de rigueur nécessaire aux enquêtes de la Commission : voir Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne) (1re inst.), [1994] 2 C.F. 574, conf. par [1996] A.C.F. no 385 (C.A.F.).

 

[64]           Le rapport de l’enquêteur pose un troisième problème, à savoir que celui-ci a critiqué A.J. pour n’avoir pas fait connaître sa déficience lors de son recrutement. Cette critique est à mon avis déraisonnable.

 

[65]           Il est exact que la recherche d'un accommodement fait intervenir plusieurs parties et que le plaignant a l'obligation d'aider à en arriver à un compromis convenable en portant à l’attention de son employeur les faits relatifs à la discrimination alléguée : voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, au paragraphe 44.

 

[66]           Ceci posé, les employés ont également droit à ce que leur vie privée soit respectée, quant à leur santé, et n’ont aucune obligation de divulguer un problème de santé qui n’affecte pas leur capacité de travailler, surtout si, comme en l’espèce, il n’y a pas de considération de sécurité dans le travail en cause.

 

[67]           En l’espèce, pendant les deux premières années de son emploi au MJ, A.J. a cru que sa déficience n’affectait pas son travail et ceci est d’ailleurs corroboré par ses deux premières évaluations de rendement, qui confirment qu’il répondait entièrement aux attentes de son employeur. On ne peut donc le blâmer de ne pas avoir fait connaître sa déficience à son employeur lors de son recrutement.

 

[68]           L’effet cumulatif des erreurs établies ci-dessus est tel que la décision de la Commission ne peut être maintenue.

 

Conclusion

 

[69]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie avec dépens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. La décision de la Commission canadienne des droits de la personne du 5 juin 2007 est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle enquête et nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

 

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIER :                                                                            T-1218-07                  

 

 

INTITULÉ :                                                                           A.J.

                                                                                                c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                                                                                                   

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 6 MAI 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                                           LE 9 MAI 2008          

 

 

COMPARUTIONS

 

Fay Brunning                                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Ciavaglia                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

Avocats inscrits au dossier

 

SACK GOLDBLATT MITCHELL, s.r.l.                                 POUR LE DEMANDEUR      

Avocats

Ottawa (Ontario)

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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