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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080507

Dossier : IMM-603-07

Référence : 2008 CF 581

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 7 mai 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

ENTRE :

OSZKAR HOLMIK

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]       Le demandeur, Oszkar Holmik, sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, le contrôle judiciaire de la décision rendue le 21 décembre 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]       Le demandeur est citoyen de la Hongrie. Il prétend que des membres d’un groupe du crime organisé faisaient des dépôts non autorisés dans son compte bancaire et le forçaient à retirer l’argent dans le cadre d’une opération de blanchiment et d’extorsion. Le demandeur prétend, en outre, qu’on l’a menacé pour l’obliger à participer à l’opération illicite.

 

[3]       La Commission entendait le demandeur pour la seconde fois. La première décision de la Commission a été annulée dans Holmik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1745 (Holmik 2004). La juge Mactavish a jugé que les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité étaient manifestement déraisonnables, car celle-ci n’avait pas tenu compte ni de l’explication des événements donnée par le demandeur ni de la preuve documentaire qui appuyait sa demande. La juge Mactavish a, de plus, conclu que la Commission n’avait pas pris en considération les éléments de preuve concernant les conditions dans le pays, éléments qui allaient à l’encontre de sa conclusion selon laquelle l’État fournissait une protection adéquate aux victimes du crime organisé en Hongrie.

 

[4]       En l’espèce, la Commission a conclu que certaines parties du témoignage du demandeur n’étaient pas crédibles et que celui-ci n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 


QUESTIONS EN LITIGE

[5]       Voici les questions soulevées par la présente demande :

1.      La décision du 21 décembre 2006 rendue par la Commission allait-elle à l’encontre de la décision Holmik 2004?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions quant à la crédibilité et ses conclusions de fait?

3.       La Commission a-t-elle mal appliqué le critère relatif à la protection de l’État?

4.      Y a-t-il eu déni de justice naturelle à l’égard du demandeur du fait que la Commission ne l’a pas confronté aux prétendues contradictions à l’audience?

 

NORME DE CONTRÔLE

[6]       Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il y a seulement deux normes de contrôle : celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 34). La Cour suprême a déclaré qu’en présence de questions touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la décision raisonnable s’applique. Les questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles peuvent être assujetties à la norme plus déférente de la décision raisonnable.

 

[7]       La Cour suprême du Canada a aussi déclaré que la détermination de la norme de contrôle comporte deux étapes (Dunsmuir, au paragraphe 62). En premier lieu, la cour doit vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. Si le degré de déférence n’a pas été établi par la jurisprudence, la cour doit entreprendre l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[8]       Il est déjà établi que c’est la norme commandant la plus grande déférence qui s’applique aux questions touchant aux faits ou à la crédibilité qui font partie du champ d’expertise de la Commission (Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Récemment, dans Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, au paragraphe 15, le juge de Montigny a appliqué les principes arrêtés dans Dunsmuir, précité, et a conclu que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité et aux faits est celle de la décision raisonnable.

 

[9]       La question de la protection de l’État suppose l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, au paragraphe 11). Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit et, selon l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 51, c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique (Lozada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397, au paragraphe 17, et Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 334, au paragraphe 6).

 

[10]     Enfin, l’obligation de se conformer aux règles de justice naturelle et à celles de l’équité procédurale s’étend à tous les organismes administratifs régis par la loi. Un manquement à ces règles entraîne l’annulation de la décision (Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, aux paragraphes 34, 74 et 75).

 

ANALYSE

La décision du 21 décembre 2006 rendue par la Commission allait-elle à l’encontre de la décision Holmik 2004?

[11]     La juge Mactavish a tenu les propos suivants lors du dernier contrôle judiciaire (Holmik 2004, précitée, au paragraphe 26) :

Il était loisible à la Commission de ne pas accepter le témoignage de M. Holmik à propos de ce que la Commission elle-même considérait comme l'aspect central du dossier. Cependant, avant d'arriver à la conclusion que sa version des faits était invraisemblable, la Commission avait l'obligation à tout le moins d'étudier l'explication donnée par M. Holmik et de se référer à la preuve documentaire qui appuyait ses dires. Si la Commission a choisi de rejeter ce témoignage, il lui incombait à mon avis d'expliquer pourquoi elle le rejetait. Comme elle ne l'a pas fait, je suis d'avis que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant à l'invraisemblance de l'opération de blanchiment d'argent décrite par M. Holmik.

 

[12]     La juge Mactavish n’a pas tiré de conclusion quant à la crédibilité ou aux faits. Elle a déclaré qu’il était loisible à la Commission de rejeter le témoignage du demandeur, à condition d’avoir étudié son explication ainsi que tout autre élément de preuve pertinent, et de motiver le rejet. La juge Mactavish a également conclu que l’analyse de la protection de l’État menée par la Commission était viciée, car celle-ci a fait abstraction de la preuve documentaire qui allait à l’encontre de ses conclusions.

 

[13]     Lorsqu’elle a annulé la dernière décision de la Commission, la juge Mactavish a relevé les lacunes de la décision initiale prise par la Commission et a renvoyé l’affaire pour nouvelle décision. C’est la façon dont la Commission a traité de la preuve pertinente et l’a analysée qui déterminera si sa décision sera maintenue ou annulée.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions quant à la crédibilité et ses conclusions de fait?

[14]     La Commission a conclu que certaines parties du témoignage du demandeur n’étaient pas crédibles. Celui-ci avait déclaré qu’il avait été forcé de quitter la route alors qu’il conduisait et que, plus tard le même jour, des voleurs étaient entrés de force dans sa voiture. Pour tirer ses conclusions de faits, la Commission a tenu compte des explications fournies par le demandeur ainsi que des éléments de preuve qu’il avait déposés à l’appui de sa demande. La Commission a tenu compte :

·        des témoignages incompatibles présentés par le demandeur à l’audience de 2002 et à celle de 2006 relativement aux circonstances dans lesquelles il avait été forcé de quitter la route;

·        du témoignage contradictoire quant aux activités auxquelles il s’était livré après avoir été forcé de quitter la route;

·         du fait que le demandeur n’avait pas expliqué de manière franche comment les voleurs avaient quitté les lieux;

·         du fait que le rapport de police signé par le demandeur n’avait pas mentionné que celui-ci avait été forcé de quitter la route.

La Commission a jugé que le demandeur n’avait pas été forcé de quitter la route alors qu’il conduisait et qu’il n’était pas présent lorsque quelqu’un était entré de force dans sa voiture.

 

[15]     La Commission s’est aussi demandé si le demandeur avait signalé à la police ses problèmes concernant les dépôts non autorisés faits par le crime organisé dans son compte bancaire. La Commission a examiné le témoignage du demandeur ainsi que le contenu du rapport de police, lequel ne faisait mention ni de dépôts non autorisés ni du crime organisé,  et elle a conclu que le demandeur n’avait pas signalé à la police ses démêlés avec le crime organisé. La Commission s’est également penchée sur les raisons fournies par le demandeur pour expliquer l’absence de documents à l’appui de son récit. Selon elle, si des dépôts, autorisés ou non, avaient été faits, ces transactions figureraient sur des relevés bancaires que l’on pourrait obtenir. La Commission a conclu qu’il n’y a pas eu de dépôts non autorisés dans le compte du demandeur. Cette conclusion implique que le demandeur n’est pas victime du crime organisé, comme il le prétend.

 

[16]     Je suis convaincu que la Commission a tenu compte du témoignage du demandeur et qu’elle a motivé suffisamment sa décision de ne pas accepter ce témoignage. Sa décision n’était pas déraisonnable.

 

La Commission a-t-elle mal appliqué le critère relatif à la protection de l’État?

[17]     La Commission s’est penchée sur la question de la protection de l’État. Elle a pris acte de la preuve documentaire indiquant que la Hongrie était vulnérable au blanchiment d’argent par le crime organisé. Elle a tenu compte de la preuve faisant état des efforts déployés par la Hongrie pour lutter contre le crime organisé et la corruption, et a souligné le succès mitigé de ces efforts. La Commission a conclu que la Hongrie était toujours aux prises avec de graves problèmes liés au crime organisé et à la corruption, mais qu’elle respectait, en général, la primauté du droit. La corruption au sein des services de police était réprimée de façon systématique et la police n’agissait pas, en règle générale, en toute impunité. La Commission a fait remarquer qu’elle était convaincue que, même si la Hongrie ne procurait pas de protection parfaite, son gouvernement faisait de sérieux efforts pour fournir une protection adéquate.

 

[18]     La Commission n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle il n’a pas sollicité l’aide des autorités hongroises en raison de l’étendue de la corruption des services de police. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 

[19]     Je ne crois pas que la Commission a laissé de côté la preuve faisant état des problèmes de la Hongrie concernant le crime organisé et la corruption des services de police. À mon avis, la décision de la Commission de rejeter l’explication du demandeur quant aux motifs pour lesquels il n’a pas sollicité la protection de l’État n’était pas déraisonnable.

 


Y a-t-il eu déni de justice naturelle à l’égard du demandeur du fait que la Commission ne l’a pas confronté aux prétendues contradictions à l’audience?

[20]     Le commissaire a dit au début de l’audience :

            [TRADUCTION]

Bien. Même si je n’ai pas formellement exprimé de réserve à l’égard de la crédibilité et même si cette question n’a pas suscité de réserve importante lors de la dernière audience, il se peut toujours que des questions soient soulevées aujourd’hui quant à la crédibilité, que (inaudible) le premier tribunal ou le premier tribunal ne les aurait pas remarquées. Si j’entends quoi que ce soit de cette nature, je m’efforcerai d’en faire part au moins à votre conseil.

 

Le demandeur a soutenu que la Commission l’avait privé de son droit à la justice naturelle en omettant de faire ressortir à l’audience les contradictions ou les incohérences alléguées.

 

[21]     Cependant, la transcription révèle que, plus tard lors de l’audience, le commissaire a dit ce qui suit au conseil :

            [traduction]

Merci. Vous pouvez continuer. Nous discutons toujours de la protection de l’État. Il y a certains doutes quant à la crédibilité, mais je vous laisse le soin d’y répondre – particulièrement en ce qui concerne –

 

Conseil : En ce qui concerne quoi?

 

Président de l’audience : Juste la voiture. Les questions que j’ai posées, vous avez entendu les questions que je lui ai posées.

 

[22]     L’examen de la transcription démontre que la Commission a posé des questions au demandeur et que celui-ci a eu la pleine possibilité d’y répondre. En outre, à la suite de l’interrogatoire mené par la Commission, le conseil a eu l’occasion de poser des questions à son client pour lui permettre de clarifier son témoignage ou d’y ajouter des détails.

 

[23]     La Commission avait déclaré au début de l’instance que des questions portant sur la crédibilité pourraient être soulevées. Le demandeur était représenté par un conseil qui comprendrait que son client avait la charge de fournir des éléments de preuve pour établir le bien-fondé de sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention ainsi que son besoin de protection. Le conseil serait aussi conscient du fait que la Commission a l’obligation d’évaluer la crédibilité et de tirer des conclusions de fait. Le Conseil saurait également que, lorsque la Commission interroge le demandeur, la crédibilité et les faits peuvent entrer en jeu.

 

[24]     J’estime que la Commission a fait ressortir les aspects de la demande du demandeur qui soulèvent des doutes. De plus, le demandeur avait recours aux services d’un conseil. Après examen des éléments de preuve, je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à la justice naturelle.

 

CONCLUSION

[25]     J’estime que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité et quant aux faits ne sont pas déraisonnables. J’estime, en outre, que la Commission n’a pas mal appliqué le critère relatif à la protection de l’État. Enfin, je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. La demande doit donc être rejetée.

 

[26]     Le demandeur a soumis deux questions visant la protection de l’État pour certification. Le défendeur conteste cette demande. Il a fait valoir, avec l’autorisation de la Cour, des arguments additionnels après l’audience et le demandeur y a répondu.

 

[27]     Comme j’ai jugé que la conclusion de la Commission selon laquelle aucun dépôt non autorisé n’avait été fait dans le compte bancaire du demandeur n’était pas déraisonnable, le demandeur n’a pas été victime du crime organisé et ne serait pas exposé à des risques à son retour en Hongrie. Par conséquent, la question de la protection de l’État ne se pose pas. La certification de la question relative à la protection de l’État ne serait donc pas déterminante quant à l’issue de la présente affaire. J’estime qu’aucune question de portée générale ne se pose relativement à la protection de l’État.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Leonard S. Mandamin » 

______________________________

Juge                                 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                               IMM-603-07

 

INTITULÉ :                                                             OSZKAR HOLMIK

                                                                                  c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                      LE 21 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                    LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                                                   LE 7 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart                                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rocco Galati Law Firm                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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