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Date : 20080506

Dossier : IMM-3085-07

Référence : 2008 CF 570

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2008

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

ALEA ALTENOR

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Alea Altenor a quitté son domicile de Sainte-Lucie en 2006. Elle a présenté une demande d’asile au Canada fondée sur sa crainte d’être persécutée en raison de sa bisexualité. Elle allègue qu’elle a été battue par son petit ami et sa mère, et que la police a refusé de lui venir en aide.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de Mme Altenor parce qu’il a pas cru son compte rendu des faits. Mme Altenor allègue que la conclusion de la Commission était déraisonnable et me demande d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. Je suis d’accord avec la demanderesse et, par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.        Question en litige

 

[3]               La conclusion de la Commission était-elle déraisonnable?

 

II.     Analyse

 

[4]               Je ne peux annuler la décision de la Commission que si elle était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

  1. Le contexte factuel

 

[5]               Mme Altenor a expliqué qu’elle avait un petit ami plus âgé qu’elle; il avait vingt-et-un ans alors qu’elle en avait seulement quatorze. Peu après le début de leur relation, elle a constaté qu’elle avait une attirance envers les filles. Elle a eu ses premiers rapports sexuels avec une fille à l’âge de seize ans. Elle ne l’a pas dit à son petit ami. Plus tard, elle a eu d’autres rapports sexuels avec une femme, ce qu’a découvert son petit ami après que les deux femmes eurent été vues en train de s’embrasser dans la rue. A la suite de cette découverte, son petit ami l’a battue et violée. Son petit ami a informé la mère de la demanderesse de la sexualité de sa fille, et sa mère l’a battue aussi. Mme Altenor s’est adressée à la police, qui lui a répondu qu’elle devrait avoir honte d’elle‑même. La police l’a menacée d’en informer son père, qui était à l’extérieur de la ville à ce moment-là. À l’âge de dix‑sept ans, elle s’est enfuie au Canada.

 

 

2.  La décision de la Commission

 

[6]               La Commission n’a pas cru le compte rendu des faits de Mme Altenor pour les raisons suivantes :

 

•           Mme Altenor a affirmé qu’elle n’avait pas eu de relation sexuelle depuis son arrivée au Canada, parce que ses études l’occupaient beaucoup et qu’elle était trop jeune pour fréquenter les bars pour homosexuels. La Commission doutait qu’une personne ayant de tels antécédents sexuels vive maintenant chastement.

•           La Commission s’est demandé pourquoi Mme Altenor embrasserait sa petite amie dans la rue tandis que celle-ci vivait à l’hôtel.

•           Mme Altenor a affirmé qu’elle vivait avec son petit ami à l’époque où elle avait eu des relations avec d’autres filles. La Commission s’est demandé comment cela avait-il été possible.

•           Lorsqu’elle s’est présentée à la frontière, Mme Altenor a donné des réponses confuses quand on lui a demandé combien de temps elle avait vécu avec son petit ami. La Commission a examiné ses réponses et conclu « qu’elle vivait avec Chris depuis quatre ans, depuis deux ans, depuis un mois, le choix est vaste ».

•           La Commission a été étonnée de la façon dont Mme Altenor avait décrit son départ de Sainte-Lucie. Il semblait à la Commission que les événements s’étaient déroulés trop rapidement. Les coups et le viol dont elle avait été victime par son petit ami, le départ de sa petite amie, les coups reçus de sa mère, les plaintes à la police, et les dispositions prises pour prendre l’avion pour le Canada, s’étaient tous produits en deux ou trois jours.

[7]               L’avocat du ministre a admis que certaines des conclusions de la Commission étaient « absurdes », et que les termes employés par la Commission à certains endroits étaient « inappropriés » et « impolis ». Toutefois, le ministre a soutenu que, dans l’ensemble, l’analyse de la Commission était raisonnable.

 

[8]               À mon avis, les conclusions de la Commission sur l’inactivité sexuelle de Mme Altenor au Canada, l’endroit où le témoin l’a vue embrasser une autre femme et sa capacité d’avoir des aventures pendant qu’elle vivait avec son petit ami sont manifestement déraisonnables. Elles ne sont étayées par aucune preuve et sont dénuées de toute logique.

 

[9]               Quant aux réponses confuses qu’elle a données à la frontière au sujet du temps elle avait vécu avec son petit ami, je souligne que Mme Altenor avait seulement dix-sept ans à l’époque et qu’elle n’avait pas obtenu l’assistance d’un représentant, comme le prévoit le paragraphe 167(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. À mon avis, l’obligation de nommer un représentant doit être exécutée avant l’entrevue et, par conséquent, la Commission n’aurait pas dû utiliser les réponses de la demanderesse pour attaquer sa crédibilité : voir Duale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 150.

 

[10]           Ainsi, il ne reste que le scepticisme exprimé par la Commission quant à la période pendant laquelle sont survenus les événements entourant le départ de Mme Altenor de Sainte-Lucie. La Commission a conclu, au sujet de la preuve, que « [l]e moins que l’on puisse dire, c’est que tout cela porte à confusion », ce qu’elle pouvait faire. Cependant, cette confusion ne pourrait, à elle seule, constituer un fondement raisonnable pour rejeter la demande de Mme Altenor. Je dois donc accueillir la demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Ni l'une ni l'autre des parties n'a demandé la certification d'une question de portée générale et aucune ne sera énoncée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle audience;

2.      Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

Annexe

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 

 

Représentation

                                                                      167. (2) Est commis d’office un représentant à l’intéressé qui n’a pas dix-huit ans ou n’est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédure.

 

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

Representation

 

  167.  (2) If a person who is the subject of proceedings is under 18 years of age or unable, in the opinion of the applicable Division, to appreciate the nature of the proceedings, the Division shall designate a person to represent the person.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-3085-07

 

INTITULÉ :                                                               ALEA ALTENOR

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 20 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 6 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bernard Assan

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Odeleye

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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