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Date : 20080502

Dossier : T-363-85

Référence : 2008 CF 574

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2008

En présence de monsieur le juge Hugessen

 

ENTRE :

 

ALFRED JOSEPH, CONSEILLER EN CHEF, WALTER JOSEPH

et JACK SEBASTIAN, CONSEILLERS DE BANDE, POUR LEUR PROPRE COMPTE ET POUR LE COMPTE DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE D’HAGWILGET, LA BANDE D’HAGWILGET et LE CONSEIL DE LA BANDE D’HAGWILGET

 

demandeurs

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

représentée par le MINISTRE DES

AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               Il s’agit d’une requête présentée par les demandeurs en vue d’obtenir une ordonnance accordant une provision pour frais. La Cour suprême du Canada a reconnu le pouvoir des tribunaux de rendre de telles ordonnances dans deux arrêts récents[1]. Dans les arrêts en question on enjoint toutefois aux tribunaux d’user de la plus grande prudence à cet égard, et c’est ce que dictent également le bon sens et la prudence élémentaire. Exiger d’un défendeur, avant qu’une conclusion soit tirée concernant l’existence d’un droit du demandeur reconnu par la loi, qu’il finance une poursuite intentée contre lui, alors qu’il est possible qu’il ne soit pas remboursé, constitue une mesure radicale et inhabituelle ne devant être prise que lorsque les impératifs de la justice le justifient.

 

Contexte

[2]               Les demandeurs sont les représentants de la bande indienne d’Hagwilget, dont les membres sont issus des peuples gitxsan et wet’suwet’en. À la suite d’un litige qui n’en finissait plus, ces peuples ont maintenant engagé des négociations avec le Canada et la Colombie-Britannique en vue de la conclusion d’un traité, mais ces négociations ne portent pas directement sur les allégations et les dommages-intérêts dont il est question en l’espèce.

 

[3]               Hagwilget est un village indien du nord de la Colombie-Britannique situé sur les bords de la rivière Bulkley (la rivière), un affluent de la rivière Skeena. Ce village est en amont du village d’Hazelton. Aux environs de l’année 1820, une avalanche de rochers a partiellement obstrué le canyon de la rivière aux abords du site actuel du village. En raison de cette obstruction, les saumons (on fait principalement état du saumon sockeye et du saumon coho, mais il a pu y avoir d’autres espèces) remontant la rivière chaque année pour frayer n’ont plus été capables de le faire

aussi aisément qu’auparavant. Une pêcherie naturelle s’est ainsi créée le long des berges là où le poisson devait attendre pour franchir l’obstacle. De nombreux membres et groupes des deux premières nations (les Gitxsan et les Wet’suwet’en) se rendaient à cette pêcherie en été pour y pêcher. La pêcherie faisait partie intégrante de l’identité et de la culture des Hagwilgets, particulièrement le fumage et la conserve du poisson selon le mode traditionnel et les célébrations au cours desquelles l’on chantait des chants traditionnels, portait des atours et relatait des récits.

 

[4]               En 1938, le gouvernement fédéral a officiellement créé la réserve de la bande indienne d’Hagwilget (la réserve), même s’il semble clair que tant le village que la bande existaient déjà de facto depuis de nombreuses années. Le Canada a cédé le territoire de la réserve à la Colombie‑Britannique. Il semble toutefois, bien que cela soit contesté, que la rivière et son lit aient été exclus de la cession et soient demeurés un territoire appartenant à la province. Des éléments de preuve révèlent que la pratique de la pêche sur les berges constituait la raison d’être de l’existence même du village puis, lorsqu’elle a été créée, de la réserve.

 

[5]               Dans les années 50, la défenderesse a chargé des scientifiques et des ingénieurs d’aller étudier et analyser les conséquences de l’amas de rochers sur la pêche dans la rivière. Les scientifiques et ingénieurs ont jugé essentiel qu’on fasse disparaître les rochers du canyon, une conclusion dont les demandeurs ont contesté et contestent toujours la validité. Au printemps 1959, le ministère des Pêches a fait sauter les rochers à la dynamite. Les demandeurs se sont objectés au dynamitage, qui semble avoir non seulement éliminé l’obstruction par les rochers, mais aussi avoir rendu la rivière si profonde qu’il n’y a plus d’endroit où le saumon peut se reposer dans le canyon. Il ne semble pas contesté qu’il en est résulté la destruction complète de la pêcherie, de sorte qu’on ne pratique plus la pêche dans le canyon depuis lors.

 

[6]               Dans les années qui ont suivi, des représentants du gouvernement ont promis à diverses reprises que celui-ci remédierait à la perte par les demandeurs de leur pêcherie. On a évoqué la possibilité de trouver un autre site le long de la rivière, mais il n’y avait aucun site approprié à l’intérieur de la réserve, et la pêche en tout autre lieu aurait fait entrer les demandeurs en conflit avec des tiers ayant déjà ou revendiquant des droits de pêche. On a promis de leur fournir les bateaux, moteurs et filets qui auraient permis d’utiliser d’autres méthodes de pêche, mais cela n’a abouti à rien. On a déployé des efforts intermittents en vue d’acheter et de fournir du poisson provenant d’autres sources, mais au moins en une occasion le poisson aurait été [traduction] « gâté » et ainsi impropre à la consommation ou au fumage. Le gouvernement semble même une fois avoir distribué du saumon en conserve dans le village, et bien que les besoins alimentaires de ses membres aient ainsi pu être satisfaits, il est difficile de voir comment cela pourrait être considéré comme pouvant remplacer le patrimoine culturel perdu.

 

Le litige

[7]               La présente action a été instituée en 1985. La phase préparatoire du procès, notamment la communication des documents, a été engagée, mais il y a eu officiellement suspension de l’instance en 1997 lorsque les demandeurs ont recouru au processus des « revendications particulières ». En 2001, l’analyse des questions juridiques requise dans ce cadre était terminée, mais on a quand même fait savoir aux demandeurs deux ans plus tard qu’ils ne devaient pas s’attendre au règlement de leur revendication avant au moins 20 ans encore, et que le processus ne pouvait être accéléré. Puisqu’il était pratiquement certain qu’au moment où la revendication pourrait être réglée, aucun témoin des événements lui ayant donné naissance ne serait plus en mesure de témoigner, les demandeurs ont mis fin à la suspension de l’instance et demandé qu’on gère celle-ci à titre d’instance à gestion spéciale. J’ai alors été désigné juge responsable de la gestion de l’instance, et mon premier rôle actif dans l’affaire a été d’instruire et de rejeter une requête en radiation d’instance présentée par la Couronne 20 ans après l’introduction de l’action. La Couronne a interjeté appel de cette décision, mais l’appel a été abandonné deux ans plus tard. À la demande des parties, en 2006, on a entamé un processus de règlement sous supervision de la Cour, processus qui s’est depuis poursuivi de façon intermittente. Toutefois, il n’y a encore eu aucune négociation de fond, les représentants de la Couronne n’ayant pas encore obtenu de mandat de négociation. Le processus préalable à l’instruction s’est poursuivi, en même temps que les entretiens préparatoires au règlement, y compris les interrogatoires préalables et la prise de dépositions de plusieurs témoins âgés par vidéographie. Dans l’état actuel des choses, j’estime que le procès devrait se dérouler l’an prochain (en 2009), au début de l’été. Des arrangements provisoires sont en voie d’être pris pour la désignation du juge du procès et l’obtention d’une salle d’audience au moment opportun. J’ai toutefois mis ces arrangements en suspens jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente requête.

 

Le droit

[8]               Dans l’arrêt Okanagan (précité), on avait affaire à une bande indienne ayant exploité les ressources forestières sur des terres à l’égard desquelles elle revendiquait des droits ancestraux. Après qu’elle a enfreint une ordonnance de cessation des travaux, la bande a été assignée devant le tribunal. Ayant souligné que ce n’était pas la bande qui avait introduit l’instance, les juges de la Cour suprême du Canada ont déclaré ce qui suit dans une décision majoritaire :

[38]     Le présent pourvoi soulève la question de l’interaction entre les principes régissant l’octroi des provisions pour frais et les considérations particulières qui entrent en jeu dans les causes d’intérêt public.  Dans les causes de ce genre, comme je l’ai mentionné précédemment, des objectifs de politique juridique différents, notamment celui de garantir que les citoyens ordinaires auront accès aux tribunaux afin de faire préciser leurs droits constitutionnels et de faire trancher d’autres questions sociales de portée générale, l’emportent souvent sur les objectifs traditionnels de l’attribution des dépens.  De plus, de par leur nature, les causes de ce type soulèvent des questions importantes non seulement pour les parties au litige mais aussi pour la collectivité en général, de sorte que leur règlement adéquat sert l’intérêt public.  Sous ces deux aspects, les causes de droit public en tant que catégorie se distinguent des litiges civils ordinaires.  Elles peuvent être considérées comme une sous-catégorie dans laquelle les « circonstances particulières » qui sont nécessaires pour que l’on puisse justifier l’octroi de provisions pour frais tiennent à l’importance des questions en jeu pour le public.  Il incombe au tribunal de première instance de décider dans chaque cas si une affaire qui peut être qualifiée de « particulière » de par son caractère d’intérêt public est suffisamment particulière pour s’élever au niveau des causes où l’allocation inhabituelle de dépens constituerait une mesure appropriée.

 

[39]     Lorsqu’il tranche cette question, le tribunal ne doit pas perdre de vue que, dans une affaire relevant du droit public, les dépens ne sont pas toujours accordés à la partie gagnante si, par exemple, cette partie est le gouvernement et que la partie adverse est une personne aux ressources limitées qui invoque un droit en vertu de la Charte.  Comme l’illustre l’affaire B. (R.), il est possible (bien qu’encore inhabituel) que les dépens soient accordés à la partie perdante si le tribunal estime que cela est nécessaire pour ne pas dissuader les citoyens ordinaires de soumettre d’importants arguments constitutionnels à l’examen des tribunaux.  Les préoccupations concernant le danger de préjuger des questions en litige sont par conséquent atténuées dans ce contexte, car, même s’ils sont adjugés à la fin de l’instance, les dépens ne refléteront pas nécessairement le résultat quant au fond.  Un autre facteur dont on doit tenir compte est la mesure dans laquelle les questions soulevées revêtent une importance pour le public, et l’intérêt qu’a celui-ci à ce que ces questions soient tranchées en justice.

 

[40]     Compte tenu de ces considérations, je résumerais ainsi les conditions qui doivent être réunies pour que l’octroi de provisions pour frais dans ce genre de cause soit justifié :

 

1.                  La partie qui demande une provision pour frais n’a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal – bref, elle serait incapable d’agir en justice sans l’ordonnance.

 

2.                  La demande vaut prima facie d’être instruite, c’est-à-dire qu’elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu’il n’en a pas les moyens financiers.

 

3.                  Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées.

 

[41]     Ce sont là les conditions à remplir pour avoir recours aux provisions pour frais dans ce type de causes.  Le fait qu’elles soient remplies dans une espèce donnée n’établit pas automatiquement la nécessité d’une telle ordonnance; cette décision relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal.  Si les trois conditions sont remplies, les tribunaux disposent d’une compétence limitée pour ordonner que les dépenses de la partie sans ressources suffisantes soient payées préalablement.  De telles ordonnances doivent être formulées avec soin et révisées en cours d’instance de façon à assurer l’équilibre entre les préoccupations concernant l’accès à la justice et la nécessité de favoriser le déroulement raisonnable et efficace de la poursuite, qui est également l’un des objectifs de l’attribution de dépens.  Lorsqu’ils rendent ces décisions, les tribunaux doivent également tenir compte de la position des défendeurs.  Il ne faut pas que l’octroi de provisions pour frais leur impose un fardeau inéquitable.  Dans le contexte des poursuites d’intérêt public, les juges doivent prêter une attention toute particulière à la position des justiciables privés qui, d’une certaine manière, peuvent faire les frais de litiges qui mettent essentiellement en cause la relation entre les demandeurs et certaines autorités publiques ou l’effet de lois d’application générale.  À l’intérieur de ces paramètres, il appartient au tribunal de première instance de décider si l’affaire est telle qu’il est dans l’intérêt de la justice que l’ordonnance soit rendue.

 

[9]               L’arrêt Little Sisters (précité) se situe à l’autre pôle de l’éventail assez restreint de cas dans lesquels pourrait se justifier l’octroi d’une ordonnance de provision pour frais. L’appelant dans cette affaire, après avoir contesté une première fois avec succès devant la Cour suprême la saisie de certains livres particuliers, avait cherché à obtenir un examen plus général des pratiques des Douanes à l’égard des ouvrages destinés aux personnes d’orientation homosexuelle. La Cour suprême a expliqué les limites (inhérentes à mon avis, en tout état de cause) s’appliquant à sa décision dans l’arrêt Okanagan, et les juges de la majorité ont déclaré ce qui suit :

[5]     Le fait que la demande de l’appelante ne serait pas rejetée sommairement ne suffit pas pour établir qu’il y a lieu d’accorder une provision pour frais pour en permettre l’instruction.  Tel n’est pas le critère applicable.  Fort malheureusement, des contraintes financières compromettent, chaque jour, l’examen de demandes qui peuvent être fondées.  Placées devant ce dilemme, les législatures ont proposé des réponses qui ne remédient pas nécessairement à toutes les situations.  Les programmes d’aide juridique demeurent sous-capitalisés et débordés.  La non-représentation par un avocat devient de plus en plus fréquente devant les tribunaux.  L’arrêt Okanagan n’était pas censé résoudre toutes ces difficultés.  La Cour n’a pas cherché à établir un système parallèle d’aide juridique ou un vaste programme géré par les tribunaux, afin de compléter tout autre programme destiné à aider divers groupes à ester en justice, et sa décision ne doit pas servir à le faire.  Cette décision n’a pas créé une nouvelle méthode de financement pour les plaideurs qui s’autoproclament représentants de l’intérêt public.  Le raisonnement de notre Cour dans l’arrêt Okanagan ne s’applique qu’aux rares cas où un tribunal contribuerait à une injustice – envers le plaideur personnellement et envers le public en général – s’il n’accordait pas la provision pour frais requise pour que le plaideur puisse aller de l’avant.

 

[…]

 

[36]     L’arrêt Okanagan a fait évoluer la jurisprudence relative aux provisions pour frais – jusqu’alors limitée aux affaires concernant la famille, les sociétés et les fiducies – puisqu’il a permis, dans une affaire de droit public, d’obtenir une ordonnance accordant une provision pour frais dans des circonstances particulières tenant à l’importance des questions en jeu pour le public (Okanagan, par. 38).  En d’autres termes, bien qu’elles soient maintenant permises, les ordonnances accordant une provision pour frais pour des raisons d’intérêt public doivent demeurer spéciales et, de ce fait, exceptionnelles.  Elles doivent être rendues avec circonspection, en dernier recours et dans des circonstances où leur nécessité est clairement établie.  Les principes qui précèdent ne sauraient donner lieu à un résultat différent.  Les plaideurs qui soulèvent des questions d’intérêt public n’échappent pas toujours à une attribution de dépens défavorable à l’issue de leur procès, mais il est encore plus rare qu’ils puissent bénéficier d’une provision pour frais.  Une demande de provision pour frais ne peut être accordée que si le plaideur établit l’impossibilité d’ester en justice et d’attendre l’issue du procès, et si le tribunal est en mesure de répartir équitablement entre les parties le fardeau financier de l’instance.

 

[37]     La nature de la démarche suivie dans l’arrêt Okanagan devrait se dégager de l’analyse qu’il prescrit relativement à la provision pour frais dans les affaires d’intérêt public.  Le plaideur doit convaincre le tribunal que trois conditions absolues sont remplies (par. 40) : 

 

1.                  La partie qui demande une provision pour frais n’a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal – bref, elle serait incapable d’agir en justice sans l’ordonnance.

 

2.                  La demande vaut prima facie d’être instruite, c’est-à-dire qu’elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu’il n’en a pas les moyens financiers.

 

3.                  Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées.

 

En analysant ces conditions, le tribunal doit décider, eu égard à toutes les circonstances, si l’affaire est si particulière qu’il serait contraire aux intérêts de la justice de rejeter la demande de provision pour frais, ou s’il devrait envisager d’autres moyens de faciliter l’audition de l’affaire.  Le pouvoir discrétionnaire du tribunal lui permet de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui émanent des faits.

 

[38]     Seule une affaire « rar[e] et exceptionell[e] », qui est suffisamment particulière, peut justifier l’attribution d’une provision pour frais (Okanagan, par. 1).  Cette norme se voulait sûrement élevée et, bien qu’aucun critère rigide ne puisse être appliqué systématiquement pour décider si une affaire est « suffisamment particulière », il est possible de formuler certaines observations.  Comme l’a souligné le juge Thackray, c’est en omettant de vérifier si les circonstances de la présente affaire étaient suffisamment « exceptionnelles » que la juge de première instance a commis une erreur de droit.

 

[39]     Premièrement, l’injustice qui découlerait du rejet de la demande doit concerner à la fois le demandeur personnellement et le public en général.  Cela signifie que le plaideur dont l’affaire, aussi impérieuse qu’elle puisse être, n’intéresse que lui se verra refuser la provision pour frais.  Toutefois, cela ne signifie pas que toute affaire d’intérêt public satisfera à ce critère.  Le système de justice ne doit pas tenir lieu de processus d’enquête publique et être inondé d’actions intentées par des demandeurs et des groupes de défense de l’intérêt public qui souhaitent établir un précédent.  Aussi impérieuses qu’elles puissent être, les préoccupations concernant l’accès à la justice ne sauraient justifier notre Cour d’autoriser unilatéralement une révolution dans la planification et le déroulement d’une action en justice.

 

[40]     Deuxièmement, il importe que la provision pour frais demeure une mesure exceptionnelle; il doit être conforme aux intérêts de la justice de l’accorder.  Par conséquent, le demandeur doit étudier toutes les autres possibilités de financement, ce qui inclut, sans y être limité, les sources de financement public telles que l’aide juridique et les autres programmes destinés à aider divers groupes à ester en justice.  Une provision pour frais ne représente ni un substitut ni un complément de ces programmes.  Le demandeur doit également pouvoir démontrer qu’il a tenté, mais en vain, d’obtenir du financement privé au moyen d’une levée de fonds, d’une demande de prêt, d’une convention d’honoraires conditionnels et de toute autre source disponible.  Le demandeur qui n’a pas les moyens de payer tous les frais du litige, mais qui n’est pas dépourvu de ressources, doit s’engager à fournir une contribution.  Enfin, il y a également lieu d’envisager divers types de mécanismes en matière de dépens, telle l’exemption de dépens en faveur de la partie adverse.  Ce faisant, les tribunaux doivent se garder de présumer que l’exercice de créativité dans l’attribution de dépens se justifie toujours; cette mesure reste exceptionnelle et doit être prise dans des circonstances particulières.  Les tribunaux devraient garder à l’esprit toutes les possibilités lorsqu’ils sont appelés à concevoir les ordonnances appropriées dans ces circonstances.  Ils ne devraient pas non plus présumer que les plaideurs qui remplissent les conditions requises pour se voir attribuer ces sommes doivent absolument en bénéficier.  Au Royaume-Uni, où il est possible d’accorder une exemption de dépens (ou des « ordonnances préventives ») dans des circonstances précises, l’ordonnance peut être assortie de la condition que la partie qui l’obtient ne pourra obtenir de l’adversaire que des dépens modestes à l’issue du procès : voir R. (Corner House Research) c. Secretary of State for Trade and Industry, [2005] 1 W.L.R. 2600, [2005] EWCA Civ 192, par. 76.  Nous souscrivons à cette interprétation nuancée.

 

[41]     Troisièmement, aucune injustice ne sera créée s’il est possible de régler l’affaire en cause ou de tenir compte de l’intérêt public sans accorder une provision pour frais.  Là encore, nous devons souligner que les ordonnances de provision pour frais ne sont indiquées qu’en dernier recours.  Dans l’affaire Okanagan, les bandes avaient tenté, avant de solliciter une provision pour frais, de résoudre leurs différends en évitant purement et simplement la tenue d’un procès.  De même, les tribunaux devraient vérifier si une autre affaire visant les mêmes fins est en instance et peut se dérouler sans qu’il soit nécessaire de rendre une ordonnance accordant une provision pour frais.  Ils devraient aussi se garder de recourir à ces ordonnances de manière à encourager les litiges purement artificiels qui sont contraires à l’intérêt public.

 

[42]     Enfin, l’attribution d’une provision pour frais ne donne pas pour autant carte blanche au plaideur.  Au contraire, lorsque le trésor public – ou une autre partie privée – supporte une provision pour frais, le plaideur doit renoncer à exercer un certain contrôle sur la façon dont se déroule l’instance.  Il ne peut dépenser l’argent de la partie adverse de manière incontrôlée.  Ce type de financement ne signifie pas que la partie qui en bénéficie peut, à son gré, multiplier les heures de préparation, ajouter des témoins experts, recourir à toute procédure disponible ou avancer n’importe quel argument imaginable.  Le tribunal lui-même doit prescrire ou approuver une structure précise, puisqu’il assume la responsabilité de vérifier le caractère réaliste du montant accordé.

 

[43]     Par exemple, le tribunal devrait limiter les tarifs et les heures de travail juridique pouvant être facturés, surveiller de près le respect de ses prescriptions par les parties et plafonner la provision pour frais à un montant global convenable.  Il devrait également tenir compte du fait que la somme de travail s’ajuste souvent aux ressources disponibles et qu’il est presque certain que le montant « maximal » prévu par le tribunal sera atteint.  De même, il devrait envisager la possibilité de déduire le montant de la provision pour frais des dommages-intérêts obtenus à l’issue du procès.  Lorsqu’il détermine le montant de la provision pour frais, le tribunal ne doit pas oublier que ces ordonnances visent à rétablir un certain équilibre entre les parties et non à créer une égalité parfaite entre elles.  Les mécanismes établis par voie législative comme l’aide juridique et les autres programmes destinés à aider divers groupes à ester en justice ne sont d’ailleurs pas de nature à mettre les parties sur un pied d’égalité, et rien ne justifie que l’attribution d’une provision pour frais place la partie qui l’obtient dans une situation plus favorable.  La provision pour frais vise à fournir l’aide minimale nécessaire pour que l’affaire suive son cours.

 

[44]     L’état de nécessité doit guider le tribunal qui accorde une provision pour frais.  Il arrive régulièrement que des parties ne disposant pas des mêmes ressources financières s’affrontent devant un tribunal.  Des personnes aux moyens limités se voient trop souvent dissuadées de poursuivre l’instance en raison des coûts qui s’y rattachent.  De tels problèmes sont préoccupants, mais ils ne donnent pas normalement lieu à l’attribution d’une provision pour frais.  Nous ne voulons pas minimiser l’iniquité qu’ils créent.  Au contraire, nous croyons que ces problèmes sont trop graves pour que notre Cour puisse prétendre les résoudre tous au moyen de la provision pour frais.  Les tribunaux ne devraient pas chercher, de leur propre initiative, à mettre sur pied un autre système complet d’aide juridique.  Cela constituerait un exemple d’activisme judiciaire imprudent et malencontreux.

 

[10]           Dans des motifs concordants distincts, la juge en chef McLachlin a donné des éclaircissements quant aux limites précises s’appliquant à la règle énoncée dans l’arrêt Okanagan :

[85]     Là encore, en appliquant le critère, la Cour, s’exprimant sous la plume du juge LeBel, a affirmé : 

 

1.         Si j’applique les conditions que j’ai énoncées à la preuve en l’espèce telle que le juge en chambre l’a appréciée, je suis d’avis qu’il est satisfait à chacune d’elles.  Les intimés ne disposent pas de ressources suffisantes et ne peuvent faire entendre leur cause sans ordonnance de paiement d’une provision pour frais.  L’affaire vaut d’être instruite.  Les questions que l’on cherche à soulever au procès sont d’une importance cruciale pour la population de la Colombie-Britannique, tant autochtone que non autochtone, et une décision à leur égard constituerait un pas majeur vers le règlement des nombreux problèmes en suspens entre la Couronne et les Autochtones dans cette province.  Bref, les circonstances de l’espèce sont effectivement particulières, voire exceptionnelles.  [Je souligne; par. 46.]

 

[86]     Toutefois, en énonçant le critère dans le contexte d’une instance d’intérêt public, au par. 40 de l’arrêt Okanagan, la Cour a décrit la troisième condition des circonstances particulières ou spéciales sous l’angle de l’intérêt public, sans mentionner expressément les circonstances particulières ou spéciales.  Le troisième volet du critère y est décrit ainsi : « 3.  Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées. »

 

[87]     Malgré la formulation restrictive du troisième volet du critère figurant au par. 40 de l’arrêt Okanagan, il ressort clairement de la teneur globale des motifs de cet arrêt que la Cour n’entendait pas déroger à la condition de common law selon laquelle la provision pour frais ne peut être ordonnée que si l’existence de circonstances particulières est préalablement établie.  Le critère applicable à la provision pour frais dans une instance d’intérêt public ne devrait pas être moins exigeant que celui généralement applicable en matière de provision pour frais.  En fait, rien ne justifie qu’ils diffèrent.  Comme nous l’avons vu, la Cour a confirmé que, dans l’application du critère, il faut se demander non seulement si l’affaire est d’intérêt public, mais également si l’on est en présence des circonstances très particulières qui sont requises pour justifier cette ordonnance exceptionnelle.

 

[88]     Je tiens donc pour acquis que les trois conditions qui doivent être réunies pour qu’une ordonnance accordant une provision pour frais soit rendue sont les suivantes : (1) le manque de ressources, (2) l’affaire vaut d’être instruite et (3) l’existence de circonstances particulières justifiant l’exercice exceptionnel de ce pouvoir judiciaire.  Cette formulation diffère de celle de mes collègues les juges Bastarache et LeBel en ce que la troisième condition veut non seulement que l’affaire soit d’intérêt public, mais qu’elle présente des circonstances particulières au sens indiqué.  On a conclu que la troisième condition, celle des circonstances particulières, était remplie dans des affaires concernant les fiducies, le soutien familial, les sociétés et la faillite, et, dans l’arrêt Okanagan, dans des affaires soulevant des questions d’importance pour le public.  Cependant, l’importance pour le public n’est pas suffisante en soi pour remplir la troisième condition.  En définitive, il s’agit de savoir si l’affaire d’intérêt public présente des circonstances particulières.  Comme pour toutes les ordonnances d’equity, cette ordonnance relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal, qui peut la rendre seulement s’il est établi que les conditions sont remplies.  En l’absence de ces conditions, l’ordonnance ne peut pas être rendue.

 

[11]           Sans minimiser le moindrement les subtiles différences existant entre les divers critères énoncés dans l’arrêt Okanagan et dans l’arrêt Little Sisters, j’estime qu’elles ne sont pas inconciliables aux fins de leur application aux faits de la présente affaire. Pour simplifier les choses, je ferai donc collectivement état ci‑après des « critères d’Okanagan ».

 

Les critères d’Okanagan

            1. Le manque de ressources

[12]           Les demandeurs ont assumé depuis plus de 20 ans, sans aucune aide, les frais liés au présent litige. Il s’agit d’une petite bande presque sans ressources et qui dépend pour sa subsistance des fonds versés, et étroitement contrôlés, par le gouvernement. Les demandeurs ont tenté, sans succès, d’obtenir des fonds de diverses sources, y compris certaines suggérées par la Couronne elle‑même dans sa réponse à la présente requête.

 

[13]           À partir de la fin de 2003, où ils ont fait reprendre son cours à la présente action, jusqu’au moment où ils ont introduit la présente requête, les demandeurs ont payé près de 83 000 $ en frais de justice, et ils doivent à leurs avocats une somme additionnelle de plus de 140 000 $. Les demandeurs sont fortement endettés et ne disposent d’aucune source de crédit.

 

[14]           Le budget en cours des demandeurs est déficitaire. À la fin de l’année dernière, on a dû fermer les bureaux du conseil de bande pendant plus de trois semaines, faute de fonds. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, s’ils n’obtiennent pas une aide quelconque, les demandeurs ne pourront pas poursuivre la présente action et se rendre jusqu’au procès, ni même continuer de négocier en vue d’un règlement, à supposer que le gouvernement se décide enfin à donner à ses représentants le mandat de présenter une offre quelconque et d’engager les discussions pour en arriver à un règlement.

 

[15]           On satisfait ainsi clairement au premier critère d’Okanagan.

 

2.  La demande vaut d’être instruite

[16]           Ce critère d’Okanagan est plus problématique. Il est clairement insuffisant que la défenderesse n’ait pas réussi à faire radier l’action par requête préliminaire, ce seuil étant très facile à atteindre. Je suis néanmoins convaincu, même si l’on relève le seuil, que la demande est sérieuse et qu’il existe à tout le moins une possibilité raisonnable de succès, bien qu’il reste toujours aux demandeurs d’importants obstacles à franchir. Parmi les plus sérieux de ces obstacles, il y a la question de savoir si les demandeurs sont véritablement les bénéficiaires du droit ancestral qu’ils revendiquent, ou encore celle de savoir si la propriété du lit de la rivière revendiquée par la Couronne provinciale constitue pour les demandeurs un obstacle insurmontable. Je ne crois toutefois pas indiqué pour la Cour au stade préliminaire actuel d’évaluer plus avant les probabilités de succès des demandeurs, étant donné que cela pourrait occasionner des problèmes aux stades ultérieurs, tant pour les parties que pour la Cour elle‑même. Il suffit selon moi de conclure – ce que je fais – que les demandeurs ont une chance raisonnable d’obtenir au moins une partie de ce qu’ils demandent.

 

[17]           Paradoxalement, ce sont dans une large mesure les questions soulevées par la Couronne elle‑même dans sa défense, questions dont je viens de faire était, qui donnent beaucoup de son poids à l’argument des demandeurs selon lequel l’affaire est d’un grand intérêt public, et son issue, quelle qu’elle soit, aura un effet marquant sur l’évolution des relations entre le Canada et ses peuples autochtones.

 

3.  L’intérêt public

[18]           Les questions que soulève la demande des demandeurs sont d’une grande importance, à mon avis, non seulement pour les demandeurs eux-mêmes, ce qui va de soi, mais aussi pour la Couronne et pour les autres peuples autochtones. En commençant par celles déjà mentionnées, ces questions sont notamment celles de savoir :

a)         si un droit de pêche ancestral lié à une réserve peut être revendiqué à l’égard d’une étendue d’eau qui n’appartient pas au Canada et ne fait pas partie de la réserve elle-même;

 

b)         si un tel droit fait l’objet d’une protection constitutionnelle;

 

c)         si est nécessaire la constitution de la Colombie-Britannique comme partie à l’audience, à titre de prétendu propriétaire du lit de la rivière;

 

d)         si, pour les raisons qui précèdent, la Cour n’a pas compétence pour agir;

 

e)         si les demandeurs constituent la collectivité à qui il revient de faire valoir le droit ancestral de pêche revendiqué;

 

f)          si un recours pour perte culturelle est recevable en droit et, dans l’affirmative, comment il faudrait évaluer cette perte.

 

[19]           Cette liste de questions ne se veut aucunement exhaustive. L’affaire soulève manifestement de nombreuses autres questions de grand intérêt public. J’estime toutefois que les questions que je viens d’énumérer, considérées ensemble et, dans une moindre mesure, séparément, sont propres à la présente affaire, et, autant que je sache, elles n’ont pas encore été tranchées dans d’autres décisions et ne le seront vraisemblablement pas dans un avenir rapproché. Ces questions, prises ensemble, satisfont au troisième critère d’Okanagan.

 

Autres facteurs pertinents et « circonstances particulières »

[20]           Comme il ressort clairement de l’arrêt Little Sisters, la satisfaction des trois conditions énumérées est nécessaire mais ne suffit pas pour justifier l’octroi d’une provision pour frais. La Cour doit examiner l’ensemble des circonstances de l’affaire et décider non seulement si l’importance de l’affaire est suffisamment « particulière » pour justifier l’octroi d’un tel recours extraordinaire, mais également si d’autres facteurs militent en faveur ou à l’encontre de l’octroi de ce recours.

 

[21]           Parmi les circonstances les plus importantes en l’espèce, je ferais état tout particulièrement des retards vraiment exceptionnels qu’ont occasionnés pour les demandeurs les tactiques de la Couronne, tant avant qu’après le début du présent litige. Près de 50 ans se sont écoulés depuis le dynamitage des rochers, et il n’y a plus que quelques membres de la bande qui se rappellent encore la pêcherie qui était alors la leur. Pendant plus de 25 ans, on n’a cessé de faire miroiter aux demandeurs, par des promesses non tenues, qu’il serait remédié d’une manière quelconque à la situation. Le témoignage recueilli par commission rogatoire d’A.E. Fry, ancien agent des Indiens et témoin de la Couronne, est fort révélateur à cet égard. Puis, une fois l’action intentée, les demandeurs ont été « déviés » vers le processus des revendications particulières, pour se rendre compte des années plus tard qu’il s’agissait là d’un détour presque sans fin, voire d’une voie totalement sans issue. La Couronne soutient maintenant qu’elle propose la modification des dispositions législatives applicables à ce processus, mais dans les nouvelles dispositions, si jamais elles sont adoptées, on pourrait très bien exclure des éléments importants de la revendication des demandeurs, particulièrement ce qui a trait aux pertes culturelles. À mon avis, les dispositions envisagées soulèvent trop d’incertitudes et d’hypothèses pour que je leur accorde une grande considération au stade actuel. Et même si la nouvelle procédure spéciale de règlement des revendications était adoptée, il demeure très improbable qu’elle produise un résultat avant la présente instance.

 

[22]           Même si les demandeurs n’ont pas été entraînés de force devant le tribunal, contrairement à la bande d’Okanagan, on ne peut vraiment pas dire qu’ils s’y sont précipités de manière déplacée. Dans les circonstances où ils se sont trouvés, les demandeurs n’avaient en fait d’autre choix, s’ils voulaient faire valoir leurs droits d’une manière quelconque, que d’aller en procès, et ce, dans un délai permettant d’empêcher qu’on leur oppose comme moyens de défense le retard indu ou la prescription.

 

[23]           Même une fois que l’action a repris son cours et est devenue une instance à gestion spéciale, la Couronne a présenté – bien tardivement – une requête en radiation, requête qui a été rejetée. La Couronne a interjeté appel de cette décision, puis l’appel a été abandonné. Bien que je ne reproche pas à la Couronne d’avoir alors tenté d’engager des discussions pour en arriver à un règlement, je ne parviens toutefois aucunement à comprendre pourquoi elle n’a encore donné aucune directive en bonne et due forme ni aucun mandat à ses avocats pour qu’ils entament de véritables négociations.

 

[24]           Presque toutes les affaires liées aux droits ancestraux mettent en cause l’honneur de la Couronne, et tel est assurément le cas en l’espèce. Toutefois, habituellement la question de l’honneur n’est soulevée qu’en regard du fondement même du droit ancestral et de la perte de ce droit ou de l’atteinte à ce droit survenue ultérieurement. Il me semble toutefois qu’en l’espèce il y a lieu de se poser de graves questions – et d’y répondre – quant aux actions de la Couronne et de ses mandataires depuis que sont survenus les événements dont on se plaint dans la déclaration.

 

[25]           Un autre facteur important selon moi, c’est le fait que la présente demande ne concerne pas simplement l’atteinte à un prétendu droit ancestral, ou la restriction d’un tel droit, mais plutôt son élimination complète. Pour ce qui est de savoir si l’on pourrait reconstituer un jour la pêcherie, c’est là je suppose une question qui appelle une preuve d’expert, mais il me semble significatif que cela ne se soit pas fait depuis le dynamitage, il y a presque 50 ans.

 

[26]           Un autre élément important selon moi, c’est qu’on est maintenant bien près de la tenue du procès. Bien que les choses puissent toujours mal tourner et que le procès lui‑même puisse aller à la dérive, le présent litige offre malgré tout la meilleure occasion d’obtenir le règlement rapide du présent différend qui oppose les pertes depuis longtemps.

 

[27]           Enfin, comme je l’ai mentionné dans la section sur le manque de ressources, depuis 2004 les demandeurs ont déjà dépensé ou se sont engagés à dépenser de très importantes sommes pour financer la présente action, alors qu’ils n’en ont guère les moyens. La documentation ne permet pas d’apprendre combien d’argent les demandeurs ont dépensé auparavant, mais je crois qu’on peut présumer sans crainte qu’il s’agissait de sommes considérables. Bien que les demandeurs sollicitent dans la requête le remboursement total ou partiel des sommes qu’ils ont déjà versées ou se sont engagés à verser, j’estime qu’une ordonnance accordant une provision pour frais ne devrait concerner que les frais à venir. Cela veut  dire que, mis à part les frais juridiques engagés dans le cadre de la présente requête et dont je traiterai de manière distincte, les honoraires que toucheront les avocats des demandeurs pour ce qui est des sommes importantes qui leur sont dues à ce jour sont, de facto, et contre leur gré, conditionnels.

 

Conclusion

[28]           Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus qu’il s’agit en l’espèce d’une de ces affaires rares et exceptionnelles où la justice requiert la délivrance d’une ordonnance accordant dans une certaine mesure une provision pour frais aux demandeurs. Comme il ressort clairement des arrêts Okanagan et Little Sisters, il convient toutefois d’établir avec soin la nature précise d’une telle ordonnance. J’estime que cela devrait être accompli en premier lieu, si possible, de concert par les avocats des parties au moyen d’observations communes ou, s’ils n’y parviennent pas, au moyen d’observations contradictoires. Des observations détaillées sur cette question ne m’ayant pas encore été présentées, je veux qu’il soit bien clair que ce que j’énonce ci-après ne constitue d’aucune manière ma décision finale, mais plutôt simplement une première indication de la portée que devrait avoir l’ordonnance définitive.

1.         Les honoraires devraient être établis selon le tarif B.

 

2.         Les débours pour des dépenses autres que les dépenses courantes, comme celles de déplacement, devraient être autorisés au préalable. En particulier, on ne devrait retenir les services d’aucun expert sans autorisation préalable.

 

3.         On devrait limiter et préciser le nombre d’avocats.

 

4.         Des comptes devraient être soumis régulièrement pour approbation à la Cour (ce qui pourrait signifier un protonotaire ou un officier taxateur).

 

5.         Même si je doute qu’il s’agisse d’une affaire où il convienne d’adjuger les dépens à la Couronne, toute somme versée à titre de provision pour frais devra bien sûr être imputée sur toute attribution éventuelle aux demandeurs de dommages-intérêts ou de dépens.

 

6.         Les demandeurs devront continuer de contribuer à l’acquittement des frais du litige, selon un montant annuel à préciser.

 

[29]           Finalement, j’ai l’intention d’adjuger les frais afférents à la présente requête aux demandeurs en un montant forfaitaire. Bien que le montant en question doive être établi en tenant compte des dispositions du tarif B, j’invite les avocats à présenter des observations quant au montant des frais et à leur mode de paiement.

 

[30]           En conformité avec l’article 394 des Règles, j’enjoins aux avocats des demandeurs de consulter les avocates de la Couronne et de rédiger un projet d’ordonnance accordant une provision pour frais, le projet en question devant faire l’objet d’une discussion lors d’une téléconférence de gestion de l’instance tenue conformément aux modalités de la présente ordonnance. Le greffier communiquera avec les avocats des parties en vue de fixer une date qui leur conviendra pour la tenue de cette téléconférence; lors de celle-ci, un calendrier sera également établi pour la présentation d’observations concernant le montant des frais afférents à la présente requête et toute autre question non encore réglée.

 

« James K. Hugessen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              T-363-85

 

INTITULÉ :                                             ALFRED JOSEPH et al.

                                                                  c.

                                                                  SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 16 AVRIL 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :        LE JUGE HUGESSEN

 

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                         LE 2 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter R. Grant

Michael Ross

Jeff Huberman

 

POUR LES DEMANDEURS

Jacqueline L. Ott

Isabel Jackson

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Grant & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 



[1] Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] R.C.S. 371 (QL) [Okanagan] et  Little Sisters Books and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), [2007] 1 R.C.S. 38 (QL) [Little Sisters].

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