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Date : 20080501

Dossier : IMM-4095-07

Référence : 2008 CF 568

Toronto (Ontario), le 1er mai 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

ENTRE :

FUNGAI NYOKA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Introduction et contexte

[1]        Fungai Nyoka est citoyenne du Zimbabwe. Elle a fui ce pays en mars 2000 et a vécu aux États-Unis, sans solliciter la protection de ce pays, jusqu’en avril 2006 lorsqu’elle a traversé la frontière du Canada à Windsor pour demander l’asile. Le 17 septembre 2007, la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) a rejeté sa demande. La demanderesse sollicite par la présente instance le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]        Le gouvernement du Zimbabwe et son parti majoritaire, le Zimbabwe African National Union Patriotic Front (le ZANU-PF), sont au centre de la crainte qu’éprouve la demanderesse en raison de ses activités au sein du Movement for Democratic Change (le MDC), devenu le principal parti de l’opposition.

 

[3]        La demanderesse prétend qu’elle a participé aux activités du MDC en 1999 au début de l’existence de ce parti politique. Tout comme aujourd’hui, le frère de la demanderesse avait alors un rôle de dirigeant au sein du parti. Les activités de la demanderesse au sein du MDC auraient diminué lorsqu’elle habitait aux États-Unis, mais auraient repris lorsqu’elle est arrivée au Canada.

 

[4]        La demanderesse prétend qu’en raison de ses activités au sein du MDC en 1999, elle a dû fuir le Zimbabwe où elle travaillait comme secrétaire de direction à la Development Bank. Elle affirme avoir reçu plusieurs appels téléphoniques menaçants et avoir été victime d’une tentative d’introduction par effraction dans son appartement situé à Harare. Elle tient la milice de jeunes militants du ZANU-PF responsable des deux coups.

 

II. Décision du tribunal

[5]         Le tribunal a d’abord établi que la demanderesse était membre du MDC en raison de la carte de membre qu’elle avait fournie. Cependant, il a jugé que « la demandeure d’asile n’[était] pas parvenue à fournir des preuves crédibles ou dignes de foi concernant ses allégations de persécution passée au Zimbabwe par des milices ou des agents du gouvernement en raison des activités politiques de son frère et de ses activités à elle au sein du MDC […] ».

 

[6]        Le tribunal a relevé une contradiction importante dans le témoignage de la demanderesse, contradiction qui porte sur le moment où le notoire Border Gezi ou Green Bombers, aile du ZANU-PF, a été créé. Se référant à un rapport du Home Office (ministère de l’Intérieur) britannique, le tribunal a déclaré que les Green Bombers et la milice des jeunes du ZANU-PF ont été formés en 2001, soit après que la demanderesse ait fui le pays à cause d’eux. Voici ce que dit le tribunal :

Le tribunal accorde une force probante significative au contenu du rapport établi par le ministère de l’Intérieur et il conclut que les milices de jeunes de Border Gezi et de la ZANU-PF ont été formées en 2001, ce qui serait bien postérieur au moment où la demandeure d’asile a quitté le Zimbabwe pour les États-Unis. Le tribunal conclut à ce titre que la demandeure d’asile n’a pas reçu de menaces téléphoniques et que sa porte n’a jamais été vandalisée, comme elle l’avait déclaré lors de son témoignage. Cette conclusion est en outre appuyée par le fait qu’aucune preuve n’a été fournie à l’appui des allégations de vandalisme, telle qu’une photo de la porte, une note du voisin qui a vu les hommes à la porte ou un rapport du propriétaire de l’immeuble. Lorsqu’on a demandé à la demandeure d’asile d’expliquer pourquoi elle n’avait pas obtenu de son voisin un affidavit ou une preuve relative aux actes de vandalisme commis sur sa porte, elle a expliqué qu’elle n’avait alors pas songé à demander un affidavit. Le tribunal juge cette explication déraisonnable, étant donné que l’acte de vandalisme allégué est l’événement qui l’aurait forcée, elle ainsi que son fils, à se cacher et qui l’aurait également poussée à quitter le Zimbabwe.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[7]        Le tribunal a conclu que la demanderesse n’avait pas pu fournir de preuve concernant les appels téléphoniques et a souligné que l’affidavit du frère ne faisait mention ni des appels ni de l’acte de vandalisme malgré le témoignage de la demanderesse qu’elle en aurait parlé à son frère. Le tribunal a jugé contradictoires le témoignage de la demanderesse et celui consigné dans l’affidavit de son frère quant à la question de savoir si elle avait éprouvé des problèmes au travail. La demanderesse a indiqué qu’elle n’en avait pas eu, mais son frère a écrit que les Green Bombers avaient découvert qu’elle était sa sœur et que ce renseignement [traduction] « n’a[vait] pas eu non plus l’air de plaire à certains de ses collègues ». Le tribunal a aussi souligné que la demanderesse n’avait pas mentionné, durant son entrevue au point d’entrée (le PDE), les menaces téléphoniques ni l’acte de vandalisme commis sur sa porte.

 

[8]        Pour ce qui est de la persécution vécue par la demanderesse dans le passé, voici ce que le tribunal a conclu :

Le fait que les menaces téléphoniques et que l’acte de vandalisme ne soient pas mentionnés dans les notes de la demandeure d’asile prises au PDE, ni dans l’affidavit de son frère; l’absence de preuves crédibles à l’appui de ses allégations; et le fait que ses allégations selon lesquelles elle aurait été menacée par la milice de jeunes de la ZANU‑PF en 1999 ne soient pas appuyées par la preuve documentaire amènent le tribunal à conclure que la demandeure d’asile n’a pas fourni des preuves crédibles à l’appui de sa demande.

 

[9]        Le tribunal a ensuite conclu, après analyse, que la demanderesse n’avait pas de crainte fondée de persécution à son retour dans son pays de nationalité. Le tribunal a tiré cette conclusion en se basant sur le fait que la demanderesse n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis, qu’elle avait eu un rôle effacé dans les activités du MDC lorsqu’elle était au Zimbabwe; alors que le parti était en formation, qu’elle ne s’était pas engagée dans le MDC aux États-Unis et qu’elle avait joué un rôle accessoire au sein de ce parti lorsqu’elle était au Canada.

 

[10]       Le tribunal a également jugé mal fondée sa crainte d’être persécutée en raison des activités politiques de son frère, principalement parce qu’elle n’a pas pu fournir de preuve que celui-ci ou les autres membres de sa famille avaient eu des problèmes au Zimbabwe. Le tribunal a aussi jugé mal fondée sa crainte d’être interrogée à l’aéroport et d’être détenue pour avoir vécu à l’étranger pendant une si longue période, car elle avait une explication à laquelle les autorités auraient prêté foi, soit deux mariages qui ont échoué. En outre, selon le tribunal, la preuve documentaire faisant référence au rapport du ministère de l’Intérieur britannique daté d’avril 2006 « fait état d’une réduction du nombre de victimes de harcèlement ou d’assassinats motivés par des raisons politiques ». Voici les propos du tribunal sur ce point :

Le rapport indique que : [traduction] « Les individus visés par des actes de harcèlement, de torture et des assassinats tendaient à être des membres actifs de l’opposition ou des membres haut placés de la ZANU-PF qui étaient mal vus par le parti au pouvoir. »

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[11]      Le tribunal a résumé ses conclusions concernant les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés comme suit :

La demandeure d’asile n’a pas fourni de preuve crédible à l’appui de ses allégations de persécution passée au Zimbabwe. Elle n’est pas parvenue à montrer que son engagement passé et présent au sein du MDC attirerait l’attention des représentants du gouvernement au Zimbabwe. Elle n’est pas non plus parvenue à prouver de façon crédible que sa famille avait été persécutée en raison des activités politiques de son frère. Le tribunal conclut à ce titre que la demandeure d’asile ne serait pas, si elle devait retourner au Zimbabwe, exposée à une possibilité sérieuse de persécution. Pour les mêmes motifs, le tribunal conclut que la demandeure d’asile ne serait pas personnellement exposée à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ni au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture si elle devait retourner au Zimbabwe.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

III. Arguments de la demanderesse

[12]      La demanderesse fait valoir trois arguments :

·        Premièrement, le tribunal a porté atteinte à la justice naturelle en commettant une erreur importante, laquelle est à la base de sa conclusion qu’une partie du témoignage de la demanderesse n’était pas crédible. L’erreur a trait au moment où la milice des jeunes et les Green Bombers ont été formés. La question portant sur le moment où ces deux organisations avaient été créés n’a pas été soulevée à l’audience. La seule explication est que le commissaire a effectué ses propres recherches et a trouvé ce renseignement. La conclusion du commissaire est toutefois contraire à la preuve documentaire qui était disponible et que la demanderesse voulait déposer auprès de la Cour.

·        Deuxièmement, le tribunal n’a pas effectué d’analyse au regard de l’article 97.

·        Troisièmement, le tribunal n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents sur la situation qui avait cours au pays, éléments de preuve qui vont directement à l’encontre d’une de ses conclusions principales.

IV. Analyse

a)         Norme de contrôle

[13]      En l’espèce, la norme de contrôle applicable dépend de la question à trancher. La Cour n’a pas à faire preuve de retenue envers le tribunal pour un manquement à l’équité. Le manquement à une obligation prévue par la loi, soit de mener une analyse au regard de l’article 97, est une erreur susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. La faute de tenir compte d’éléments de preuve pertinents constitue une violation de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales et aboutit à une décision déraisonnable.

 

b)         Conclusions

[14]      La demanderesse m’a convaincu que les trois erreurs qu’elle a relevées sont fondées et font en sorte que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

[15]      Dans les circonstances, je suis disposé à recevoir les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse indiquant que le Border Gezi et la milice des jeunes militant étaient actifs lors des élections parlementaires en 2000, éléments de preuve qui vont directement à l’encontre de la conclusion du tribunal mais qui concorde avec le témoignage de la demanderesse.

 

[16]      Il ne fait aucun doute que le tribunal a commis une erreur importante relativement aux ailes du ZANU-PF telles le mouvement des jeunes et les Green Bombers. Cependant, la véritable question est celle de savoir si l’erreur était déterminante, car le tribunal avait d’autres raisons de douter de la crainte de la demanderesse.

 

[17]      Il existe un principe bien établi que le dossier de preuve devant la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire doit être le même que celui présenté au tribunal, sous réserve de deux exceptions : la preuve nouvelle vise à établir une erreur de compétence ou à montrer que la conclusion a été tirée à l’encontre de la justice naturelle ou de l’équité procédurale. Voir McFadyen c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 360, au paragraphe 15.      

 

[18]      Je suis d’avis que le tribunal a tiré sa conclusion quant au moment où les Green Bombers et le groupe des jeunes du ZANU-PF ont été formés en violation de la justice naturelle, car le tribunal a découvert de la preuve sur ce point après avoir effectué ses propres recherches, lesquelles auraient apparemment révélé une contradiction qui n’a pas été porté à l’attention de la demanderesse pour observations. Non seulement la contradiction n’était-elle ni flagrante ni manifeste, mais elle n’a même pas été soulevée lors de l’audience. Voir Rasiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1379, et Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 912.

 

[19]      Dans les circonstances, j’estime que l’erreur du tribunal était déterminante quant à sa conclusion que la demanderesse n’avait pas, dans le passé, été victime de persécution au Zimbabwe avant de fuir. En s’appuyant sur cette conclusion erronée, le tribunal a déclaré ne pas croire que la demanderesse avait fait l’objet de menaces et d’une tentative de vandalisme. À mon avis, sans autre élément, il serait difficile d’annuler la décision du tribunal du seul fait de cette erreur.  Toutefois, il y avait autre chose.

 

[20]      L’avocat de la demanderesse a établi une deuxième erreur commise par le tribunal, soit l’omission de celui-ci d’accepter des documents pertinents, d’en tenir compte et de les analyser.

 

[21]      Ces documents se trouvent dans le dossier de demande de la demanderesse et ont été produits comme pièce E durant l’audience et comme pièce F. Ils concernent l’annonce publique du 13 juillet 2007 du Département d’État des États-Unis sur les risques qu’il y a à voyager au Zimbabwe en raison de l’autorisation accordée par le gouvernement à ses forces de sécurité de réprimer toute dissidence et [TRADUCTION] « d’avoir recours à la violence, y compris à la force meurtrière, contre quiconque est considéré comme un opposant par le gouvernement ». Ces documents dépeignent un portrait très différent de celui qu’a tracé le tribunal et déclenchent l’obligation de celui-ci de faire des observations, d’effectuer une analyse et de dire pourquoi il n’accepte pas la preuve. Le tribunal n’a pas fait cela.

 

[22]      Enfin, le tribunal a commis une erreur en omettant de mener une analyse au regard de l’article 97 étant donné les circonstances de la présente affaire. Dans plusieurs décisions récentes, la Cour, en particulier dans le contexte de la situation qui avait cours au Zimbabwe à ce moment-là, a conclu qu’une analyse indépendante au regard de l’article 97 était nécessaire dans les cas suivants :

 

·        Lorsqu’on conclut est que le demandeur était membre du MDC (voir Malunga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),  2007 CF 1259, et Maimba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 226);

 

·        Lorsque des ressortissants reviennent de l’étranger, car on les considère comme des partisans du MDC (voir Taruvinga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1264).

 

[23]      Les erreurs commises par le tribunal justifient l’intervention de la Cour.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du tribunal est annulée et la demande d’asile de la demanderesse est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Aucune question n’a été soumise pour certification.

 

« François Lemieux »               

_______________________________

            Juge                            

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4095-07

 

INTITULÉ :                                                               FUNGAI NYOKA

                                                                                    c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 29 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                                                     LE 1ER MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Angus Grant                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

 

Deborah Drukarsh                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

The Law Offices of Catherine Bruce                             POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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