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Date : 20080502

Dossier : IMM-4533-05

Référence : 2008 CF 572

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

KARLENE THOMPSON BLAKE

demanderesse

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur



MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

 

[1]               Mme Karlene Thompson-Blake (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’exécution (l’agent) le 12 juillet 2005. Dans cette décision, l’agent a conclu que l’ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario rendue le 10 février 2005, qui accordait à la demanderesse la garde exclusive de ses enfants et interdisait leur renvoi de l’Ontario, ne constituait pas un sursis aux fins de l’alinéa 50a) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifié (la Loi). La demanderesse cherche donc à obtenir une ordonnance annulant la décision de la renvoyer en Jamaïque, une déclaration portant qu’il y a sursis légal par effet de l’ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario aux fins de l’alinéa 50a) de la Loi, ainsi qu’une ordonnance interdisant son renvoi du Canada jusqu'à ce que soit tranchée sa demande d’établissement au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

II.  Faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Jamaïque. Elle est venue s’établir au Canada pour la première fois en 1987, en tant que résidente permanente. Elle a deux enfants nés au Canada : Krishana Danielle Brown, née le 3 novembre 1992, et Kemoi Blake, né le 7 septembre 1996.

[3]               Le 27 avril 2000, une mesure de renvoi a été prise contre la demanderesse à la suite de sa déclaration de culpabilité relativement à plusieurs infractions criminelles, incluant la fraude de cartes de crédit et l’importation de stupéfiants.

[4]               La demanderesse a interjeté appel de la mesure de renvoi à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) pour des motifs d’ordre humanitaire, en se fondant sur l’ancienne Loi sur l’Immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l’ancienne Loi ). La SAI a rejeté l’appel le 11 octobre 2001.

[5]               Le 17 avril 2003, la demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Une décision négative a été rendue à l’égard de cette demande le 4 juin 2003.

[6]               Par lettre datée du 5 octobre 2004, la demanderesse a été avisée que son renvoi du Canada avait été prévu pour le 15 janvier 2005. Le 11 janvier 2005, elle a présenté une demande pour rester au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Le 19 janvier, elle a fait parvenir à l’agent copie d’une ordonnance provisoire ex parte datée du 17 janvier 2005 qui avait été rendue par la Cour de justice de l’Ontario (l’ordonnance de garde et de non-renvoi). La partie de l’ordonnance qui nous intéresse se lit ainsi :

[traduction]

2. La mère demanderesse et requérante, Karlene Thompson-Blake, aura la garde exclusive des enfants : Krishana Danielle Brown, née le 3 novembre 1992, et Kemoi Blake, né le 7 septembre 1996.

 

3. Les enfants, Krishana Danielle Brown, née le 3 novembre 1992, et Kemoi Blake, né le 7 septembre 1996, ne seront pas renvoyés de la province d’Ontario par la mère demanderesse, par les intimés, ou toute personne agissant pour le compte de l’une des parties sans autre ordonnance de la Cour.



[7]               Le 10 février 2005, le juge Scully de la Cour de justice de l’Ontario a rendu une ordonnance définitive accordant à la demanderesse la garde exclusive de ses enfants. Il a aussi ordonné que les enfants ne soient pas renvoyés de la province d’Ontario. Même s’il était désigné à titre d’intimé dans cette instance, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ne s’est pas présenté à l’audience. Le libellé de l’ordonnance était le suivant :

[traduction]

2. Karlene Thompson-Blake aura la garde exclusive et définitive de Krishana Danielle Brown, née le 3 novembre 1992, et de Kemoi Blake, né le 7 septembre 1996.

 

14.(1) Les enfants susmentionnés ne seront pas renvoyés de la province d’Ontario, en vertu des articles 19, 21 et 28 de la Loi portant sur la Réforme du droit de l’enfance.

 

(2) L’ordonnance sera délivrée immédiatement.

 



[8]               Par lettre en date du 12 juillet 2005, la demanderesse a été avisée que son renvoi du Canada avait été reporté au 19 août 2005.

[9]               La demanderesse a rencontré l’agent le 12 juillet 2005. Elle a porté à son attention l’ordonnance de garde et de non-renvoi, faisant valoir que cette ordonnance empêchait l’exécution de la mesure de renvoi. L’agent a marqué son désaccord, disant que la mesure de renvoi ne touchait que la demanderesse et ne concernait pas les enfants. Les notes consignées par l’officier le 12 juillet 2005 au Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) se lisent comme suit :

[traduction] Entrevue conduite avec le sujet mentionné ci-dessus à cette date. Avisée des arrangements du renvoi pour le 19 août 2005. Son expert-conseil, présente aussi, avisée de la situation. Le sujet insistait fortement sur l’ordonnance qui énonçait que ses enfants ne pouvaient être renvoyés du pays. Elle a été informée que le ministère exécutait seulement la mesure de renvoi à son égard, et non à l’endroit de ses enfants. Son expert-conseil a demandé ce qu’il adviendrait de ses enfants. Elle a été informée que la mesure de renvoi ne concernait qu’elle seule et que le ministère n’a jamais laissé entendre que les enfants seraient renvoyés mais que si elle avait besoin d’aide, nous pourrions l’aider. …



[10]           La demanderesse a par la suite déposé une requête demandant qu’il soit sursis à son renvoi. Par ordonnance rendue le 8 août 2005, le sursis a été accordé, jusqu'à ce qu’une décision soit rendue relativement à la demande de contrôle judiciaire dont nous sommes saisis. Elle a reçu l’autorisation de présenter la demande le 14 août 2005.

[11]           La demanderesse a par la suite produit une autre demande d’autorisation de contrôle judiciaire dans le dossier no IMM-4686-05, relativement à la décision de l’agent de ne pas différer son renvoi. Cette demande d’autorisation a été rejetée le 21 décembre 2005.

[12]           Le 23 août 2006, la juge Dawson a rendu ses motifs d’ordonnance et l’ordonnance dans l’affaire Alexander c. Canada (Solliciteur général), [2006] 2 R.C.F. 681. Dans sa décision, elle a souligné que l’ordonnance provisoire et l’ordonnance définitive de la Cour de justice de l’Ontario, qui accordaient à la demanderesse la garde des enfants et interdisaient leur renvoi de l’Ontario, n’emportait pas sursis du renvoi par application de l’alinéa 50a) de la Loi. Elle a certifié la question suivante :

Dans les circonstances de l’espèce, où :

 

1.         l’un des parents est un ressortissant étranger visé par une mesure de renvoi valide;

2.         un tribunal de la famille prononce une ordonnance qui accorde la garde parentale au parent d’un enfant né au Canada et qui interdit le renvoi de l’enfant de la province visée; et

3.         le ministre a la possibilité de présenter des observations au tribunal de la famille avant que soit rendue l’ordonnance;

 

l’ordonnance du tribunal de la famille empêche‑t‑elle directement le renvoi du Canada du parent, mais non de l’enfant, eu égard à l’alinéa 50a) de la Loi?



[13]           L’audience de l’affaire qui nous intéresse a été prévue le 20 novembre 2006. Ce jour-là, avec le consentement des deux parties, l’audience a été ajournée en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale dans Alexander. Le 28 novembre 2006, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel en raison du caractère académique de celui-ci; voir Alexander c. Le Solliciteur général du Canada (2006), 360 N.R. 167.

III.  Prétentions

A. Les prétentions de la demanderesse

[14]           La demanderesse conteste la décision de l’agent aux motifs que celle-ci contrevient à l’alinéa 50a) de la Loi ainsi qu’à la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle, 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte), et qu’elle n’est pas suffisamment motivée.

La norme de contrôle

[15]           La demanderesse soutient qu’étant donné que l’instance porte sur l’interprétation de l’alinéa 50a) de la Loi ainsi que sur l’application de la Charte, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte. À cet égard, elle se base sur l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.


L’interprétation de l’alinéa 50a) de la Loi

[16]           La demanderesse plaide que l’alinéa 50a) doit être interprété selon son sens ordinaire. Les termes de la loi doivent être lus dans leur contexte global, ainsi que selon leur sens ordinaire et grammatical; voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21. Elle soutient que l’ordonnance de garde et de non-renvoi sera enfreinte, selon l’alinéa 50a), si l’on s’en tient au sens ordinaire de cette disposition, dans l’éventualité où la demanderesse est renvoyée du Canada et ses enfants subséquemment soustraits à ses soins et sa garde physique.

[17]           La demanderesse plaide ensuite que l’alinéa 50a) doit être interprété en conformité avec l’objet et l’esprit général de la Loi. Elle avance que l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I ‑21, modifié, prévoit que tout texte de loi fédéral « s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». Elle avance aussi que les sursis prévus à l’alinéa 50a) doivent être interprétés en tenant compte de « l'objectif général » de la Loi, tel que l’a souligné la Cour d’appel dans Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 3 (C.A.), au paragraphe 20.

 

[18]           Ensuite, la demanderesse plaide que l’exécution de la décision de l’agent contreviendrait à l’ordonnance de garde et de non-renvoi suivant l’alinéa 50a) de la Loi. À cet égard, elle se fonde sur l’arrêt Cassells (Tutrice) c. Canada, 2001 CFPI 263, où la Cour a conclu qu’une sommation à comparaître devant un tribunal de la famille emportait sursis par application de l’alinéa 50a). Si une telle sommation opère un sursis, elle avance qu’une ordonnance d’un tribunal, [traduction] « devant lequel l’intérêt supérieur de l’enfant a été examiné soigneusement doit aussi emporter sursis ».

[19]           La demanderesse cite l’article 234 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, qui énonce deux circonstances dans lesquelles une décision judiciaire n’a pas pour effet direct d’empêcher l’exécution d’une mesure de renvoi s’il existe un accord entre le procureur général du Canada ou d’une province et le ministère : le retrait d’accusations au pénal et le retrait de toute assignation à comparaître ou sommation à l’égard de l’étranger au moment de son renvoi.

[20]           La demanderesse renvoie à l’alinéa 3(1)d) de la Loi qui prévoit que l’un des objets de celle‑ci est de veiller à la réunification des familles au Canada. Elle renvoie aussi au paragraphe 68 de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), [1992] 2 R.C.S. 817, où la Cour suprême du Canada a souligné l’importance, dans la loi, de l’objectif de réunification des familles.

[21]           La demanderesse plaide que l’ordonnance de garde et de non-renvoi doit être interprétée en fonction du régime général du droit de la famille en Ontario, et plus particulièrement de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O., 1990, ch. C.12 (la LRDE).

[22]           Ensuite, elle avance que la garde est une forme de soins et de contrôle physique des enfants. Sur ce point, elle se base sur la décision Harsant c. Portnoi (1990), 74 O.R. (2d) 33 (H.C. Ont.) à la page 37.

 

[23]           La demanderesse s’oppose aux conclusions que la juge Dawson tire au paragraphe 40 de la décision Alexander, où elle a conclu, au nom de la Cour, que le droit de « contrôler le lieu de résidence de l’enfant » n’inclut pas nécessairement la cohabitation avec l’enfant, même lorsque le parent exerce son droit de contrôle sur le lieu de résidence de l’enfant. Elle soutient que cette interprétation donnée par la juge Dawson à Chou c. Chou, [2005] O.T.C. 256, [2005] O.J. No. 1374, est incorrecte.


Article 7 de la Charte

[24]           La demanderesse plaide aussi que la décision de l’agent porte atteinte à l’article 7 de la Charte. Elle renvoie à l’alinéa 3(3)d) de la Loi qui prévoit que son interprétation et sa mise en œuvre doivent avoir pour effet d'assurer que les décisions prises sous son régime soient conformes à la Charte. Elle soutient que la Charte peut guider le tribunal dans l’interprétation de la portée de la loi lorsqu’il y a ambigüité et qu’une interprétation conforme à la Charte doit être préférée à celle qui ne l’est pas; voir Christian Horizons c. Ontario Human Rights Commission (1993), 64 OAC 395 (C. div.), à la page 397, ainsi que Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada) (Re), [1993] 2 C.F. 351 (C.F. 1re inst.).

[25]           La demanderesse cite aussi le paragraphe 76 de l’arrêt de la Cour suprême Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, où le juge en chef Lamer a reconnu que l’intégrité psychologique et le bien-être de l’enfant peuvent être gravement compromis s’il est séparé de ses parents.

[26]           La demanderesse allègue aussi que lorsque des questions relatives à l’interprétation de l’article 7 de la Charte se posent, il est nécessaire de prendre en compte les obligations internationales du Canada et de présumer, dans la mesure possible, que la Charte accorde une protection équivalente à celle garantie par les dispositions similaires des documents internationaux ratifiés par le Canada. Elle renvoie à cet égard aux arrêts de la Cour suprême Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, page 349; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; et États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283.

[27]           La demanderesse cite l’alinéa 3(3)f) de la Loi, qui prévoit que la mise en œuvre de celle-ci doit avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. Elle souligne que ces documents internationaux « ont un caractère déterminant quant au sens de la LIPR », citant les décisions De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 257 F.T.R. 290 (C.F.); confirmée (2005), 345 N.R. 73 (C.A.F.); demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusée [2006] C.A.C.S. no. 70 et Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] CF 1341.

 

[28]           Elle souligne que le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, [1992] Can. T.S. No. 3 (la CDE), et que celle-ci établit un cadre dans lequel toutes les décisions législatives et administratives doivent être prises.

[29]           La demanderesse allègue aussi que le Canada est signataire de certains autres instruments qui reconnaissent l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la relation parent enfant, tels la Déclaration universelle des droits de l’homme, article 12,  et le Pacte international relatif aux droits civils et économiques, articles 17 et 23.

[30]           Enfin, la demanderesse cite une décision du Royaume-Uni où la Cour a conclu que le parent d’un enfant citoyen du Royaume-Uni pouvait invoquer un droit de résidence dérivant de l’enfant; voir Man Lavette Chen and Kunqian Catherine Zhu c. Secretary for the Home Department, case C‑200/02, 18 mai 2004.

[31]           La demanderesse soutient que la violation de l’article 7 causée par la décision de l’agent ne peut être justifiée selon l’article premier. Se fondant sur les arrêts Re Motor Vehicle Act, [1985] 2 R.C.S. 486, au paragraphe 83, et R. c. Ruzic, [2001] 1 R.C.S. 687, aux paragraphes 91 et 92, elle allègue que les violations de l’article 7 ne peuvent être justifiées au regard de l’article premier que dans des circonstances exceptionnelles.

 

Le caractère suffisant des motifs de l’agent

[32]           En dernier lieu, la demanderesse soutient que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision. Sur ce point, elle se fonde sur les arrêts Baker et Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 F.T.R. 139, pour soutenir que l’équité procédurale exige que les décisions susceptibles d’entraîner des conséquences graves pour un individu doivent être suffisamment motivées.

B.  Les prétentions du défendeur

L’interprétation de l’alinéa 50a) de la Loi

[33]           Le défendeur croit que la décision de l’agent est compatible avec le sens grammatical et ordinaire de l’alinéa 50a) de la Loi. À cet égard, il se fonde sur la définition donnée par le dictionnaire aux mots « direct », « directement » et « empêcher ». Selon le défendeur, et à la lumière de l’emploi de ces mots à l’alinéa 50a), l’ordonnance de garde et de non-renvoi n’opérerait sursis que si elle était [traduction] « enfreinte de façon non équivoque par le renvoi de la demanderesse du Canada ». Le défendeur allègue aussi que la partie de l’ordonnance qui porte sur la garde ne serait pas enfreinte par le renvoi de la demanderesse puisque l’ordonnance ne modifie pas les droits ou obligations qu’elle détenait en tant que parent gardien avant la délivrance de l’ordonnance, pas plus qu’elle ne modifie les droits et obligations de tout parent face à ses enfants.

[34]           Le défendeur avance aussi que la partie de l’ordonnance de garde et de non-renvoi qui traite de la résidence des enfants ne serait pas enfreinte par le renvoi de la demanderesse parce que les enfants ne sont pas renvoyés de l’Ontario.

[35]           Le défendeur dit que l’interprétation des termes « effet direct d’en empêcher l’exécution » trouve appui dans la jurisprudence se rapportant à l’ancienne Loi, et cite à cet égard la décision Mobtagha c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 F.T.R. 249 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’une ordonnance de garde délivrée par le lieutenant‑gouverneur du Québec n’emportait pas sursis par application de l’alinéa 50(1)a) de l’ancienne Loi parce que celle-ci n’était pas « une ordonnance rendue par un organisme ou une autorité judiciaire canadienne » et que celle-ci n’exigeait pas la présence de la demanderesse au Canada, ni sa comparution devant un tribunal à un endroit ou à un moment précis.

[36]           Le défendeur soutient de plus que la décision de l’agent est conforme au régime d’immigration mis en place par le législateur. Sur ce point, il se fonde sur l’arrêt de la Cour suprême Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, p. 733, où la Cour a clairement dit que les non-citoyens n'ont pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer.

[37]           Selon les dires du défendeur, le régime législatif complet de la Loi favorise l’immigration et accorde une protection dans les cas appropriés; toutefois, il prévoit aussi le renvoi des étrangers, le délai des renvois, ainsi que les sursis légaux et judiciaires. Il prétend que l’alinéa 50a) ne visait pas à permettre aux étrangers de se soustraire volontairement à d’autres obligations en vertu de la Loi. À cet égard, il renvoie à la décision Louis c. Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2001 CFPI 1244, où la Cour a rejeté l’argument qu’il y avait sursis par application de l’alinéa 50(1)a) de l’ancienne Loi du fait que le demandeur devait comparaître dans une affaire civile. Lorsque la Cour a rejeté cet argument, elle a précisé que l’alinéa 50(1)a) de l’ancienne Loi ne visait pas à permettre à des individus de se soustraire aux autres obligations prévues par cette même loi.

[38]           Le défendeur soutient également que l’intérêt supérieur de l’enfant ne donne pas automatiquement à un étranger le droit d’entrer et de demeurer au Canada. Bien que les tribunaux de la famille du Canada, dont ceux de l’Ontario, se fondent sur l’intérêt supérieur de l’enfant dans leurs décisions portant sur des questions de garde et de droits de visite, celui-ci n’est qu’un facteur parmi d’autres devant être pris en considération dans le cadre du régime législatif régissant l’immigration; voir Baker, Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358, autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusée, [2002] C.A.C.S. no. 220 et Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.F.).

 

[39]           Selon le défendeur, conclure qu’une ordonnance de garde et de non-renvoi opère sursis par application de l’alinéa 50a) pourrait mener à un « résultat absurde », à savoir qu’une famille visée par une ordonnance de garde et de résidence posséderait un avantage relatif face à celle qui n’est pas visée par une telle ordonnance. Ce résultat compromettrait gravement l’équité, l’intégrité ainsi que la confiance envers le système d’immigration canadien; voir Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, au par. 22.

[40]           Le défendeur soutient que la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifié, prévoit clairement au paragraphe 18(3) et aux articles 18.1 et 18.2 que la Cour a compétence exclusive pour accorder une réparation extraordinaire à l’encontre d’une décision rendue par des décideurs fédéraux et qu’une telle réparation ne peut être obtenue que par voie de demande de contrôle judiciaire. Le défendeur fait valoir que certaines décisions récentes de tribunaux provinciaux nous apprennent que les étrangers [traduction] « essaient de plus en plus d’utiliser l’alinéa 50a) de la Loi ainsi que les tribunaux provinciaux » afin de miner le cadre législatif mis sur pied par le législateur. À cet égard, il renvoie à la décision Varvara c. Costantino, [2003] O.J. No. 5980 (C.J.).

[41]           Ensuite, le défendeur soutient que la décision de l’agent est conforme aux objectifs et aux intentions du législateur énoncés au paragraphe 25(1) de la Loi et à l’article 233 du Règlement. Le paragraphe 25(1) prévoit que les décisions rendues sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire doivent prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant qui est directement touché. Il s’ensuit que l’intérêt supérieur de l’enfant est donc une considération importante, sans toutefois être déterminante; voir Baker, Legault et Hawthorne.

[42]           L’article 233 du Règlement prévoit qu’il y a sursis à la mesure de renvoi lorsqu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est approuvée. Le défendeur allègue qu’on peut en conclure que le législateur ne voulait pas qu’une demande pendante fondée sur des motifs humanitaires empêche le renvoi d’un étranger.


L’article 7 de la Charte

[43]           Le défendeur allègue que la juge Dawson a rendu la bonne décision dans Alexander lorsqu’elle a conclu que l’article 7 de la Charte ne faisait pas obstacle au renvoi d’étrangers qui ont des enfants nés au Canada. Il souligne que l’arrêt Baker n’écarte pas l’arrêt Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 29 C.R.R. (2d) 184, 184 N.R. 230 (C.A.F.), et que ce dernier fait toujours autorité. Il ajoute que les arrêts Baker, Legault, Hawthorne ainsi que plusieurs autres affaires portent précisément sur la séparation d’un étranger de ses enfants nés au Canada, sans qu’on ait jamais conclu que la séparation en soi constitue une violation de l’article 7 de la Charte.

[44]           De plus, le défendeur soutient que la Charte ne s’applique pas aux ordonnances prononcées par les tribunaux au sujet des droits de garde et d’accès. Il s’appuie à cet égard sur l’arrêt Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3. Il avance que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas un principe de justice fondamentale; voir Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 10.

 

[45]           Le défendeur répond aux prétentions de la demanderesse sur l’applicabilité des lois internationales en considérant qu’il s’agit d’une question distincte, plutôt que d’une question liée à l’interprétation de la Charte. Il prétend que le droit international n’empêche pas des États souverains de déporter des étrangers dans les cas où la déportation entraînerait la séparation d’avec leurs enfants. Il dit d’abord que la CDE n’a jamais été incorporée en droit interne et que, dans les arrêts Langner et Baker, la Cour a rejeté l’argument voulant que la CDE empêchait la séparation des enfants et des parents dans des instances de déportation. Selon le défendeur, l’intérêt supérieur de l’enfant sous le régime de la CDE est un objectif essentiel, mais il n’est pas le seul facteur pertinent et peut être subordonné à d’autres considérations. Il cite à cet égard l’arrêt Canadian Foundation.

[46]           Le défendeur allègue aussi que la jurisprudence étrangère citée par la demanderesse n’a aucune force probante, puisque les dispositions interprétées dans ces décisions ne correspondent en rien à celles de la Charte; voir Langner. De plus, il souligne que ces jugements n’ont pas valeur légale au Canada.

[47]           De plus, le défendeur avance que la Loi ne va pas à l’encontre du droit international puisque rien dans le droit international n’empêche un État souverain de déporter un étranger dans le cas où sa déportation amènerait la séparation du parent et de l’enfant. En l’absence d’une intention clairement exprimée à cet effet, il est inutile de se demander si l’alinéa 3(3)f) de la Loi accorde à la CDE ou à d’autres instruments internationaux dont le Canada est signataire d’un rôle déterminant quant au sens de la Loi.


Le caractère suffisant des motifs de l’agent

[48]           Enfin, le défendeur allègue que les motifs appuyant la décision de l’agent sont suffisants. Il fait observer qu’un agent de renvoi possède un certain pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 48 de la Loi pour différer une mesure de renvoi. Lorsqu’il exerce ce pouvoir, il peut prendre en considération les circonstances touchant directement les arrangements de vols, ainsi que d’autres circonstances propres à chaque cas.

IV.  Analyse et décision

[49]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

a.       Quelle norme de contrôle s’applique?

b.      L’agent a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire lorsqu’il a conclu que l’ordonnance de garde et de non-renvoi n’emportait pas sursis par application de l’alinéa 50a) de la Loi?

 

Norme de contrôle

[50]           Sur cet aspect, la principale question en litige est l’interprétation de l’alinéa 50a), qui dispose :

50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

a) une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l’instance;

 

50. A removal order is stayed

 

(a) if a decision that was made in a judicial proceeding — at which the Minister shall be given the opportunity to make submissions — would be directly contravened by the enforcement of the removal order;

 

[51]           Puisqu’il s’agit d’une question d’interprétation législative, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte. La présente instance met aussi en cause la portée de l’article 7 de la Charte. C’est aussi une question de droit qui commande l’application de la norme de la décision correcte, tel qu’énoncé dans l’arrêt Pushpanathan.

[52]           Le caractère suffisant des motifs soulève la question de l’équité procédurale, qu’il faut aussi examiner selon la norme de contrôle de la décision correcte; voir Fetherston c. Canada (Procureur général) (2005), 332 N.R. 113 (C.A.). La juge Dawson, aux paragraphes 23 et 24 de la décision Alexander, était du même avis.

 

Contrôle de la décision de l’agent

[53]           La demanderesse avance que l’agent a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario accordant à la demanderesse la garde exclusive de ses deux enfants nés au Canada et interdisant leur renvoi de la province, n’emporte pas sursis par application de l’alinéa 50a) de la Loi.

[54]           La première question à laquelle l’on doit répondre est celle du cadre législatif qui régit le statut de la demanderesse. Celle-ci est une résidente permanente qui fait l’objet d’une mesure de renvoi prise en vertu de l’ancienne Loi. Elle est assujettie aux exigences du droit de l’immigration. Je renvoie à cet égard au juge Sopinka, qui énonçait ce qui suit dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Chiarelli, aux pages 733 et 734 :

Le Parlement a donc le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non‑citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer.  C'est ce qu'il a fait dans la Loi sur l'immigration, dont l'article 5 dispose que seuls les citoyens canadiens, les résidents permanents, les réfugiés au sens de la Convention ou les Indiens inscrits conformément à la Loi sur les Indiens ont le droit d'entrer au Canada ou d'y demeurer. 



 

[55]           L’interprétation de l’alinéa 50a) doit se faire dans le contexte de la législation applicable. Selon l’arrêt de la Cour suprême du Canada Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, ce contexte est celui des lois applicables en matière d’immigration. Dans l’arrêt Prata c. Canada (Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration), [1976] 1 R.C.S. 376, la Cour suprême a conclu que l’immigration est un privilège, et non un droit.

[56]           Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), p. 41, la Cour suprême du Canada a dit que l’approche à privilégier en matière d’interprétation législative est l’approche téléologique, soit une approche qui va au-delà du seul libellé du texte de la loi. Il faut lire les termes d’une disposition spécifique dans leur contexte, eu égard à l’esprit de la loi, son objet et l’intention du législateur.

[57]           L’esprit de la Loi est de réglementer l’entrée de non-citoyens au Canada. Parallèlement, elle a aussi pour objet la réunification des familles, à l’alinéa 3(1)d), et le respect des conventions internationales, à l’alinéa 3(3)f). Toutefois, les tribunaux ont à maintes reprises statué que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas une considération prépondérante en matière d’immigration. Je renvoie à cet égard aux décisions Legault, Hawthorne and De Guzman.

[58]           La Loi ne prévoit pas que le prononcé d’une ordonnance de garde, en soi, emporte sursis par application de l’alinéa 50a). L’ordonnance de garde et de non-renvoi en cause a été rendue en vertu d’une loi provinciale, à savoir la LRDE de l’Ontario. Le but, l’objet et la portée de cette loi n’éclipsent pas le régime établi dans la Loi. Dans la mesure où l’ordonnance en cause relève d’un régime établi par la province d’Ontario, pour des fins et des objets qui ne sont pas liés à ceux de Loi, la Cour n’a pas à appliquer la loi provinciale. À cet égard, je renvoie à l’arrêt ITO ­ International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752,  aux p. 781 et 782, où le juge McIntyre a examiné la question de l’application de la loi provinciale dans les cas où « par ailleurs, [la Cour] a compétence en vertu du droit fédéral ». L’interprétation et l’application de la Loi, dans la mesure où elle réglemente l’entrée et l’exclusion de non-citoyens, n’exige pas l’application de principes du droit de la famille émanant de la législatioin provinciale.

[59]           L’article 50 doit être lu dans le contexte général de la Loi. Cela signifie que l’on doit se reporter à l’article 48, qui exige que les mesures de renvoi soient exécutées « dès que les circonstances le permettent ». Cet article dispose :

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

Conséquence

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

Effect

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

[60]           Selon l’esprit de la Loi, seuls les citoyens canadiens et les résidents permanents possèdent un droit absolu de rester au Canada. Les résidents permanents peuvent être renvoyés, dans certaines circonstances. La demanderesse, en raison de ses activités criminelles et de ses condamnations, s’est exposée à un renvoi. Une fois que la mesure de renvoi dont elle faisait l’objet a pris effet, le défendeur devait s’acquitter de son obligation légale prévue à l’article 48, soit d’exécuter le renvoi dès que les circonstances le permettaient, à moins qu’il n’y ait sursis par ordonnance d’un tribunal ou opération de la loi. Cette obligation légale ne peut être écartée par l’effet d’une ordonnance de garde rendue en vertu d’un autre régime législatif.

 

[61]           L’ordonnance de garde et de non-renvoi rendue le 16 février 2005 par le juge Scully en vertu de la LRDE n’est pas une « ordonnance » qui emporte sursis par application de l’article 50 de la Loi.

 

[62]           J’en viens maintenant aux prétentions de la demanderesse concernant la violation de ses droits garantis par la Charte, soit le droit à la justice fondamentale et le droit à la sécurité de sa personne. Elle allègue que le refus de l’agent de reconnaître l’ordonnance de garde et de non-renvoi comme fondement du sursis prévu à l’article 50 de la Loi constitue une atteinte à l’article 7 de la Charte. Cette prétention ne peut être retenue.

 

[63]           Dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a dit que le droit à la justice fondamentale n’existe pas indépendamment d’une atteinte au droit à la vie, la liberté ou à la sécurité de la personne, de sorte que l’article 7 n’est pas violé s’il n’y pas a atteinte aux trois éléments précités.

 

[64]           La Cour suprême du Canada a examiné la question de la sécurité de la personne dans l’arrêt G.(J.) et a conclu, à la page 147, que la garantie constitutionnelle de la sécurité de la personne « ne protège pas l’individu contre les tensions et les angoisses ordinaires qu’une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d’un acte gouvernemental ». La notion « d’acte gouvernemental » est pertinente s’agissant de l’analyse fondée sur l’article 7. L’anxiété doit être causée par l’action ou l’intervention de l’État.

 

[65]           Dans l’affaire qui nous intéresse, le droit à la sécurité de la personne de la demanderesse n’est pas enfreint par l’action du gouvernement de demander son renvoi du Canada. L’ordonnance de garde et de non-renvoi vise ses enfants, qui sont des citoyens canadiens. Elle n’affecte pas sa sécurité personnelle, pas plus qu’elle n’enclenche l’application de l’article 7 de la Charte face à elle.

 

[66]           De plus, dans Alexander, la juge Dawson, renvoyant à l’arrêt Chou, a dit que « la garde de l’enfant permet au parent gardien de contrôler le lieu de résidence de l’enfant, mais ne prescrit pas nécessairement sa cohabitation avec l’enfant ».

 

[67]           Je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas un principe de justice fondamentale. Cette question a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canadian Foundation for Children.

 

[68]           Comme je suis d’avis que l’article 7 de la Charte ne s’applique pas au cas de la demanderesse, il n’est pas nécessaire d’examiner les prétentions touchant l’article 7 de la Charte.

 

[69]           La seule question qui subsiste est donc celle du manquement allégué à l’équité procédurale découlant de la décision insuffisamment motivée de l’agent.

 

[70]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. Ce ne sont pas toutes les décisions administratives qui doivent être motivées. Je renvoie à la décision Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1161, 44 Imm. L.R. (3d) 31, où le juge Mosley a dit ceci :

 

À mon avis, vu l'objet du paragraphe 48(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), dans le cadre du régime établi par la loi, soit d'accorder un pouvoir discrétionnaire limité quant au moment où il y a lieu d'appliquer la mesure de renvoi, l'agente s'est acquittée de toute obligation de motiver qu'elle pouvait avoir dans sa lettre de décision du 12 septembre 2003, où elle dit avoir reçu et examiné les arguments des demandeurs et avoir décidé de ne pas surseoir au renvoi. Dans ce type de décision, l'agent jouit d'un pouvoir discrétionnaire très limité, et ni la loi ni le règlement n'exigent qu'il rende une décision concrète ou formelle pour surseoir au renvoi. La jurisprudence exige plutôt que l'agent reconnaisse qu'il jouit d'un certain pouvoir discrétionnaire de surseoir au renvoi, si les circonstances ne permettent pas d'appliquer la mesure de renvoi à un moment en particulier. À titre d'exemple, l'existence d'une demande CH pendante qui a été déposée en temps utile, des facteurs médicaux et la préparation des documents de voyage sont certains des facteurs qui peuvent être pris en considération par l'agent à cette étape. Les circonstances ne permettraient pas de renvoyer quelqu'un qui n'a pas de titres de voyage ou qui est gravement malade. Cependant, je ne suis pas convaincu de l'existence d'une obligation plus contraignante de fournir des motifs formels ou écrits à l'appui de ce type de décision administrative.

 

[71]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’avocat du défendeur a soumis les questions suivantes aux fins de certification, en consultation avec l’avocat de la demanderesse. Malgré l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 1 R.C.F. 322, j’estime que les questions proposées remplissent le critère applicable en la matière, suivant Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 36 Imm. L.R. (3d) 167.

 

[72]           Par conséquent, les questions suivantes seront certifiées :

1)  Dans les circonstances de l’espèce, où :

1.                  l’un des parents est un ressortissant étranger visé par une mesure de renvoi valide;

 

2.                  un tribunal de la famille prononce une ordonnance qui accorde la garde parentale au parent d’un enfant né au Canada et qui interdit le renvoi de l’enfant de la province visée; et

 

3.                  le ministre a la possibilité de présenter des observations au tribunal de la famille avant que soit rendue l’ordonnance;

 

l’ordonnance du tribunal de la famille empêche‑t‑elle directement le renvoi du Canada du parent, mais non de l’enfant, eu égard à l’alinéa 50a) de la Loi?

 

2)  Dans le cas où la question précédente reçoit une question négative, le renvoi du parent constitue-t-il une atteinte à l’article 7 de la Charte?


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les questions suivantes sont certifiées :

 

1)  Dans les circonstances de l’espèce, où :

1.                  l’un des parents est un ressortissant étranger visé par une mesure de renvoi valide;

 

2.                  un tribunal de la famille prononce une ordonnance qui accorde la garde parentale au parent d’un enfant né au Canada et qui interdit le renvoi de l’enfant de la province visée; et

 

3.                  le ministre a la possibilité de présenter des observations au tribunal de la famille avant que soit rendue l’ordonnance;

 

l’ordonnance du tribunal de la famille empêche‑t‑elle directement le renvoi du Canada du parent, mais non de l’enfant, eu égard à l’alinéa 50a) de la Loi?

 

2)  Dans le cas où la question précédente reçoit une question négative, le renvoi du parent constitue-t-il une atteinte à l’article 7 de la Charte?

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

                                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                                               IMM-4533-05

 

INTITULÉ :                                                              Karlene Thompson Blake

                                                                                   c.

                                                            Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                      Le 28 février 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                             Le 2 mai 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Carole Simone Dahan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Robert Bafaro

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Carole Simone Dahan

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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