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Date : 20080429

Dossier : T-1230-06

Référence : 2008 CF 551   

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2008

En présence de L'honorable Orville Frenette

 

ENTRE :

ROBERT SÉGUIN

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Robert Séguin, détenu à l’établissement Drummond, cherche à faire annuler une décision défavorable rendue le 5 janvier 2006 par M. Jean-Claude Lagacé, membre de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Dans cette décision, M. Lagacé (« le président ») a déclaré le demandeur coupable d’une infraction à l’article 40 (j) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi).

 

I. Les faits

 

[2]               Le demandeur est incarcéré depuis environ 1998. Il n’a fait l’objet d’aucune sanction pendant son incarcération.

 

[3]               Le 4 novembre 2005, une fouille a été effectuée dans l’aile où la cellule du demandeur se trouve. Trois cellules ont été choisies au hasard et fouillées par deux agents. Aucune information relative à la fouille n’a été communiquée au demandeur par les agents de l’établissement avant qu’un « Rapport de l’Infraction d’un Détenu et Avis de l’Accusation» ne lui soit remis quatre jours plus tard. Le rapport énonce que les agents ont trouvé dans la cellule du demandeur deux comprimés de 25mg de Seroquel dans un contenant de Tylenol, ainsi qu’une substance poudreuse blanche, identifiée plus tard comme étant de la morphine, dans le fond d’une bouteille de vitamines. Le demandeur n’ayant pas de prescription pour ces substances, elles sont considérées être de la contrebande. Le demandeur a été accusé, en vertu de l’article 40(j) de la Loi, d’avoir eu en sa possession des objets interdits.

 

[4]               Le régime disciplinaire en vigueur à l’Établissement Drummond est régi par le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition D.O.R.S./1992-620 (le Règlement) ainsi que par les articles suivants de la Loi :

Régime disciplinaire

 

Objet: 

 

 

38. Le régime disciplinaire établi par les articles 40 à 44 et les règlements vise à encourager chez les détenus un comportement favorisant l’ordre et la bonne marche du pénitencier, tout en contribuant à leur réadaptation et à leur réinsertion sociale.

 

 

 

 

Dispositions habilitantes:

 

39. Seuls les articles 40 à 44 et les règlements sont à prendre en compte en matière de discipline.

 

Infractions disciplinaires :

 

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

j) sans autorisation préalable, a en sa possession un objet en violation des directives du commissaire ou de l’ordre écrit du directeur du pénitencier ou en fait le trafic;

 

 

Tentative de règlement informel

 

41. (1) L’agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu’un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle. .

 

 

Accusation

 

(2) À défaut de règlement informel, le directeur peut porter une accusation d’infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute et l’existence de circonstances atténuantes ou aggravantes.

 

 

 

Avis d’accusation

 

42. Le détenu accusé se voit remettre, conformément aux règlements, un avis d’accusation qui mentionne s’il s’agit d’une infraction disciplinaire mineure ou grave.

 

Audition

 

43. (1) L’accusation d’infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l’objet d’une audition conforme aux règlements.

 

Présence du détenu

 

(2) L’audition a lieu en présence du détenu sauf dans les cas suivants :

 

a) celui-ci décide de ne pas y assister;

 

b) la personne chargée de l’audition croit, pour des motifs raisonnables, que sa présence mettrait en danger la sécurité de quiconque y assiste;

 

 

c) celui-ci en perturbe gravement le déroulement.

 

Déclaration de culpabilité

 

(3) La personne chargée de l’audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée.

 

 

 

Sanctions disciplinaires

 

44. (1) Le détenu déclaré coupable d’une infraction disciplinaire est, conformément aux règlements pris en vertu des alinéas 96i) et j), passible d’une ou de plusieurs des peines suivantes:

 

a) avertissement ou réprimande;

 

b) perte de privilèges;

 

c) ordre de restitution;

 

 

d) amende;

 

e) travaux supplémentaires;

 

 

f) isolement pour un maximum de trente jours, dans le cas d’une infraction disciplinaire grave.

 

 

Amende ou restitution

 

 

(2) Le recouvrement de l’amende et la restitution s’effectuent selon les modalités réglementaires.

Discipline

 

Purpose of disciplinary system

 

38. The purpose of the disciplinary system established by sections 40 to 44 and the regulations is to encourage inmates to conduct themselves in a manner that promotes the good order of the penitentiary, through a process that contributes to the inmates’ rehabilitation and successful reintegration into the community.

 

System exclusive

 

39. Inmates shall not be disciplined otherwise than in accordance with sections 40 to 44 and the regulations.

 

Disciplinary offences

 

40. An inmate commits a disciplinary offence who

 

(j) without prior authorization, is in possession of, or deals in, an item that is not authorized by a Commissioner’s Directive or by a written order of the institutional head;

 

Informal resolution

 

 

41. (1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.

 

Charge may be issued

 

(2) Where an informal resolution is not achieved, the institutional head may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, issue a charge of a minor disciplinary offence or a serious disciplinary offence.

 

Notice of charge

 

42. An inmate charged with a disciplinary offence shall be given a written notice of the charge in accordance with the regulations, and the notice must state whether the charge is minor or serious.

 

Hearing

 

43. (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.

 

 

Presence of inmate

 

(2) A hearing mentioned in subsection (1) shall be conducted with the inmate present unless

(a) the inmate is voluntarily absent;

 

(b) the person conducting the hearing believes on reasonable grounds that the inmate’s presence would jeopardize the safety of any person present at the hearing; or

 

(c) the inmate seriously disrupts the hearing.

 

Decision

 

(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

 

 

Disciplinary sanctions

 

44. (1) An inmate who is found guilty of a disciplinary offence is liable, in accordance with the regulations made under paragraphs 96(i) and (j), to one or more of the following:

 

(a) a warning or reprimand;

 

 

(b) a loss of privileges;

 

(c) an order to make restitution;

 

(d) a fine;

 

(e) performance of extra duties; and

 

(f) in the case of a serious disciplinary offence, segregation from other inmates for a maximum of thirty days.

 

Collection of fine or restitution

 

(2) A fine or restitution imposed pursuant to subsection (1) may be collected in the prescribed manner.

 

 

[5]               Ce qui complique la situation, c’est le fait que le demandeur est, pour toutes fins pratiques, aveugle. Devant le président, le demandeur a déclaré avoir souffert d’un épisode de glaucome aigu en 2002 dont le résultat fut la perte totale de la vision de l’œil droit et la perte de quatre-vingt-dix pour cent de la vision de l’œil gauche. Depuis ce temps, il a besoin d’une canne blanche pour se déplacer. Il a admis lors de l’audience devant le président qu’il avait « une vision d’a peu près cinq à six pieds », ajoutant « je m’en souvient plus ».

 

[6]               À cause du handicap du demandeur, un « aidant »  – c’est-à-dire, un autre prisonnier – fait le ménage de sa cellule deux fois par semaine. Les lundis et vendredis, le demandeur quitte sa cellule le matin pour aller travailler. Il laisse la porte déverrouillée et l’autre prisonnier fait son ménage pendant qu’il est au travail. Cet aidant n’est pas la seule personne qui aurait pu entrer dans la cellule du demandeur. Celui-ci a témoigné que plusieurs prisonniers restent dans l’aile les matins et donc,  « n’importe quel détenu dans la rangée peut [y] rentrer ».

 

[7]               Le demandeur admet avoir eu en sa possession deux bouteilles de vitamines dans sa cellule, ainsi qu’un contenant d’un médicament (phénobarbital) sous ordonnance pour contrôler son épilepsie et une bouteille du Robaxacet. Il nie toutefois avoir eu un contenant de Tylenol ou d’aspirines. Durant son témoignage, le demandeur a insisté sur le fait qu’il ne prend jamais ces médicaments. Par ailleurs, les substances prohibés ont été trouvées dans un contenant de vitamines C et un d’aspirines ou de Tylenol.

 

II. La décision du Président

 

[8]               Le président a prononcé sa décision le 5 janvier 2006. Il s’est exprimé ainsi :

…Donc, dès lors, il m’apparaît improbable qu’un détenu, pour se venger ou peu importe la raison, ait été déposer, dans les contenants appartenant à l’accusé Séguin, pour peut-être faire en sorte que celui-ci se retrouve avec une infraction disciplinaire. Ça, c’est de 1.

 

De 2, le détenu qui aurait pu poser un tel acte, il aurait fallu qu’il prévoit ou qu’il imagine qu’une fouille aurait lieu dans la cellule de monsieur Séguin, ce qui est encore là tout à fait, selon moi, illogique.

 

Vous savez, c’est des contenants que monsieur Séguin a admis en être propriétaire. Je ne peux pas, au niveau logique, avec toute l’analyse que j’ai pu tenter de faire, en me référant à la décision que l’avocate de monsieur Séguin m’a citée, la décision que tout le monde connaît, soit la décision de W.D. en faisant subir les trois tests qu’ils ont suggérés dans la décision de D.W. (sic), je ne peux pas faire autrement qu’en venir à la conclusion, et ce, hors de tout toute raisonnable, que Robert Séguin est coupable de l’infraction qui lui est reprochée.

III. Les questions en litige

 

[9]               Le demandeur soulève plusieurs questions que j’ai reformulées comme suit afin de mieux procéder à l’analyse de cette demande en révision judiciaire :

(a)        Le président a-t-il commis une erreur en déclarant le demandeur coupable hors de tout doute raisonnable sans tenir compte du fait que

(i)         Le demandeur est aveugle; et

(ii)        N’importe qui aurait pu entrer dans la cellule du demandeur lorsque celui-ci travaillait en dehors de l’aile ?

 

(b)        Le président (et/ou l’établissement Drummond) ont-ils commis une erreur de droit ou d’équité procédurale en ne permettant pas au demandeur de fournir un échantillon d’urine comme moyen de défense?

 

(c)        Le président a-t-il commis une erreur au niveau de l’équité procédurale en ne permettant pas au deuxième agent de témoigner?

 

IV. Analyse

 

[10]           Avant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la norme de contrôle applicable à l’égard d’une question mixte de fait et de droit comme celle-ci était celle de la décision raisonnable (Grenier c. Canada (Procureur général), 2005 CF 497). Le juge Yves de Montigny résume bien l’effet de Dunsmuir dans la décision Campos Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358. J’en viens aussi à la conclusion qu’il n’y a aucune raison pour laquelle la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit devrait changer à la lumière de Dunsmuir. Je dois donc déterminer si le président a pris une décision raisonnable.

 

[11]           En ce qui concerne l’équité procédurale, il n’a pas lieu de déterminer la norme de contrôle : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 F.C.R. 195 [Ha]. La question devant la Cour est simplement de déterminer si les règles de l’équité procédurale ont été suivies : Ha, au paragraphe 44. L’arrêt Dunsmuir ne modifie pas cette analyse : voir par exemple Sukhu v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) 2008 FC 427 au paragraphe 15.

 

(a)        Le président a-t-il commis une erreur en déclarant le demandeur coupable hors de tout doute raisonnable sans tenir compte du fait que :

i)                    Le demandeur est aveugle; et

ii)                  N’importe qui aurait pu entrer dans la cellule du demandeur lorsque celui-ci travaillait en dehors de l’aile ?

 

[12]           Les parties s’entendent sur le test qui s’applique en l’espèce et il n’y a aucune raison pour penser que le président n’a pas compris et appliqué ce test. Le paragraphe 43(3) de la Loi établit que le président doit être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le demandeur avait en sa possession l’objet interdit et qu’il le savait (voir aussi Williams c. Canada (Procureur général), 2006 CF 153, au paragraphe 10 ainsi qu’au paragraphe 43(3) de la Loi). La Cour suprême a déterminé, dans l’arrêt La Reine c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, de quelle façon ce fardeau doit être évalué:

...Si vous avez un doute raisonnable quant à savoir si l’accusé a commis l’infraction dont il est inculpé, il est de votre devoir d’accorder le bénéfice du doute à l’accusé et de le déclarer non coupable relativement à ces chefs d’accusation. J’ajouterai, pour vous éclairer, qu’il y a preuve hors de tout doute raisonnable lorsque, comme juré, vous êtes convaincu de la culpabilité de l’accusé. C’est le niveau de preuve qui convainc l’esprit et satisfait la conscience au point qu’en tant que juré consciencieux, vous vous sentez tenu ou obligé d’en tirer les conséquences. Par contre, si la preuve que vous avez entendue laisse dans votre esprit un doute persistant ou tenace sur la preuve d’un des éléments essentiels de l’infraction dont l’accusé est inculpé, de sorte que vous ne pouvez pas vous dire que la poursuite a prouvé la culpabilité  hors de tout doute raisonnable, selon la définition que j’ai donnée de ces termes, alors il est de votre devoir d’acquitter l’accusé.

 

 

[13]           Pour la première question en litige, le demandeur souhaite que la Cour soupèse à nouveau la preuve présentée au président. C’est cependant au juge des faits et non pas à la cour de révision que revient le rôle d’apprécier la preuve et de déterminer le poids à accorder à chaque élément : voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S 3. Le tribunal administratif doit néanmoins expliquer sa décision à cet égard.

 

 

[14]           Le demandeur prétend que le président n’a pas tenu compte de tous les faits pertinents quant à sa situation. À cause de sa vision très limitée, le demandeur allègue qu’il ne peut pas voir si les objets dans sa cellule ont été déplacés et qu’il doit laisser la porte de sa cellule ouverte afin de laisser son aidant faire le ménage en son absence. Il allègue aussi que le président n’a pas considéré le fait que certains détenus peuvent circuler dans l’aile les matins, car ils ne travaillent pas et ne vont pas à l’école. La présence de ces détenus signifie, selon lui, qu’il n’a pas un accès exclusif à sa cellule. Finalement, le demandeur allège qu’en raison des céphalées et de l’épilepsie dont il souffre, il ne prend que les médicaments prescrits par son médecin.

 

[15]           Pour sa part, le défendeur affirme que le président a considéré la version du demandeur, mais qu’il ne l’a pas crue. Le défendeur reprend la conclusion du président selon laquelle personne n’aurait pu logiquement vouloir placer ces substances dans la cellule du demandeur. Le défendeur avance que le président a correctement appliqué les règles de preuve et que sa conclusion quant à la culpabilité du demandeur était raisonnable.

 

[16]           J’observe que la disposition pertinente de la Loi a déjà été considérée à plusieurs reprises par la Cour fédérale. Il est clair qu’il y a trois éléments à prouver : la garde et le contrôle de l’objet(s), et la connaissance de cette possession : voir Taylor c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1536, 65 W.C.B. (2d) 693 [Taylor] au paragraphe 10. Ainsi, pour démontrer la garde et le contrôle hors de tout doute raisonnable, il faut que cette possession lui soit exclusive : Taylor aux paragraphes 12-14. Dans le cas présent, il n’y aucun doute que le demandeur ait eu la garde et le contrôle; la question en est plutôt une d’exclusivité et de connaissance.

 

[17]           Dans l’affaire Williams c. Canada (Procureur général), 2006 CF 153, 68 W.C.B. (2d) 651 [Williams] la Cour a traité de la preuve requise pour établir la connaissance de la possession d’un objet interdit. Le juge Yvon Pinard affirme que lorsqu’il n’existe pas de preuve directe de cette connaissance, le décideur peut considérer l’ensemble des faits pertinents afin de déterminer si la preuve est suffisante pour inférer que l’accusé avait la connaissance requise (para. 12). Dans cette affaire, un téléphone cellulaire avait été trouvé dans une chaussette sous l’oreiller du prisonnier. Un autre individu avait alors tenté de prendre la responsabilité, mais celui-ci n’était pas capable de décrire le téléphone ni la chaussette. Son témoignage avait donc été rejeté. Considérant l’endroit où le téléphone avait été trouvé et le fait que le témoignage du tiers et celle du prisonnier n’étaient pas crédibles, le président a inféré que le demandeur avait la connaissance nécessaire de la possession de l’objet interdit. Le juge Pinard a confirmé cette décision.

 

[18]           Dans l’affaire Smith c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1436, 282 F.T.R. 81, le demandeur a été déclaré coupable hors de tout doute raisonnable d’avoir eu en sa possession un téléphone cellulaire dans sa poubelle ainsi qu’un chargeur dans une armoire à pharmacie dans sa cellule. Bien que le demandeur ait eu l'occasion d'avoir en sa possession les objets interdits, il n'était pas le seul qui aurait pu en avoir possession (para. 31). Il partageait sa cellule avec un autre prisonnier et laissait toujours la porte débarrée. Le président a reconnu dans cette affaire que le demandeur ne fermait habituellement pas sa cellule à clé, mais a conclu qu’en choisissant d’agir ainsi, dans un environnement où la contrebande est omniprésente, le demandeur avait l’obligation de fouiller sa propre cellule quotidiennement (para. 9). Il s’agissait autrement d’ignorance volontaire.

 

[19]           Le juge Max Teitelbaum a noté que, contrairement aux faits dans l’affaire Williams, la preuve circonstancielle dans Smith ne lui permettait pas de présumer la connaissance des objets interdits. Il était possible que le compagnon de cellule du demandeur ait eu possession des objets. Il était aussi possible qu'un autre détenu ait placé les objets dans sa cellule pour les cacher. Ces possibilités évoquées par le demandeur quant à la manière dont ces objets s'étaient retrouvés dans sa cellule concordaient avec la preuve et étaient vraisemblables. Finalement, il a déterminé que le fait d’avoir laissé la porte débarrée et de ne pas avoir fouillé sa cellule régulièrement ne constituait pas de l’aveuglement volontaire. Le détenu n’avait pas l’obligation de fouiller sa propre cellule afin de vérifier l’absence de contrebande.

 

[20]           Une analyse des arrêts Williams et Smith est très utile dans le présent dossier. Les deux arrêts concernent la possession d’objets prohibés par un détenu qui partage sa cellule avec un codétenu.

 

[21]           Dans l’arrêt Williams, le juge Pinard a considéré la preuve circonstancielle pour établir la connaissance de l’accusé et a maintenu sa culpabilité. Dans l’arrêt Smith, le juge Teitelbaum a atteint une conclusion opposée en acquittant le détenu, parce qu’il était vraisemblable selon la preuve que l’accusé ne pouvait être présumé avoir seul eu connaissance de la présence de cet objet. La situation factuelle dans le présent dossier est fort différente des arrêts précités, en ce sens que le demandeur occupait seul la cellule où les substances prohibées ont été retrouvées alors que dans les deux arrêts précités, les cellules étaient co-occupées par deux détenus.

 

[22]           Dans le présent dossier, le demandeur occupait seul la cellule.

 

[23]           Les agents ont trouvé deux comprimés de Séroquel de 25 milligrammes chacun, dissimulés dans un contenant d’acétaminophène ainsi qu’une substance blanche (identifiée comme de la morphine), retrouvée dans un contenant de vitamines.

 

[24]           Le demandeur nie avoir eu la possession de ces substances mais il a admis posséder des contenants de vitamines, du Robaxecet et d’un médicament prescrit pour contrôler son épilepsie. Le président a conclu que les explications du demandeur n’étaient pas logiques, raisonnables et suffisantes selon les règles établies par l’arrêt La Reine c. W. (D.) relativement au doute raisonnable. Le président n’a pas cru la version du demandeur, ce qui rendait ses explications purement spéculatives.

 

V. Le tribunal disciplinaire

 

[25]           Un tribunal disciplinaire par sa nature est inquisitoire. Il n’est pas assujetti aux mêmes règles rigides que les tribunaux judiciaires et quasi judiciaires. Toutefois, un tribunal disciplinaire a l’obligation d’agir selon les règles de justice fondamentale (Martineau c. Institution de Matsqui Institution (1979), 30 N.R. 119; Canada (Service correctionnel) c. Plante, [1995] A.C.F. no 1509.

 

[26]           Dans ce dossier, le demandeur reproche au président de ne pas avoir suffisamment élaboré les motifs de sa décision, en particulier en ne mentionnant pas le fait qu’il est pratiquement aveugle, un fait qui, selon lui, aurait eu un effet déterminant sur la décision.

 

[27]           Certes, il aurait été préférable d’élaborer un peu plus sur certaines particularités factuelles du dossier mais même si le président l’avait fait, le résultat ne changerait pas puisque il n’a pas cru la version et les explications du demandeur. Le demandeur fut placé, par preuve circonstancielle, en possession des substances prohibées et il a admis être en possession de contenants de vitamines et d’un médicament prescrit pour son épilepsie.

 

[28]           Si on considère l’ensemble de la décision, l’interprétation factuelle tombe à l’intérieur de la norme de la raisonnabilité permise par l’arrêt Dunsmuir.

 

(b)        Le président a-t-il commis une erreur de droit ou d’équité procédurale en ne permettant pas au demandeur de fournir un échantillon d’urine comme moyen de défense?

 

[29]           Dans son mémoire, le demandeur cite les paragraphes 61(1) et (2) de la Loi concernant la fouille de véhicules. Je présume qu’il voulait faire référence à l’article 54 de la Loi, que je cite ci-dessous :

Analyses d’urine

 

54. L’agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d’urine dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) il a obtenu l’autorisation du directeur et a des motifs raisonnables de croire que le détenu commet ou a commis l’infraction visée à l’alinéa 40k) et qu’un échantillon d’urine est nécessaire afin d’en prouver la perpétration;

 

 

 

 

 

b) il le fait dans le cadre d’un programme réglementaire de contrôle au hasard, effectué sans soupçon précis, périodiquement et, selon le cas, conformément aux directives réglementaires du commissaire;

 

c) l’analyse d’urine est une condition — imposée par règlement — de participation à un programme ou une activité réglementaire de désintoxication ou impliquant des contacts avec la collectivité.

Urinalysis

 

54. Subject to section 56 and subsection 57(1), a staff member may demand that an inmate submit to urinalysis

 

(a) where the staff member believes on reasonable grounds that the inmate has committed or is committing the disciplinary offence referred to in paragraph 40(k) and that a urine sample is necessary to provide evidence of the offence, and the staff member obtains the prior authorization of the institutional head;

 

(b) as part of a prescribed random selection urinalysis program, conducted without individualized grounds on a periodic basis and in accordance with any Commissioner’s Directives that the regulations may provide for; or

 

(c) where urinalysis is a prescribed requirement for participation in

 

(i) a prescribed program or activity involving contact with the community, or

 

(ii) a prescribed substance abuse treatment program.

 

 

[30]           Le demandeur prétend que la preuve qu’il n’est pas un toxicomane est pertinente pour prouver son innocence quant à l’accusation de possession d’objets interdits. À plusieurs reprises, il a demandé aux agents et aux employés à l’établissement Drummond de subir un test d’urine pour prouver qu’il n’avait pas ingéré de morphine ou de Seroquel, mais personne ne lui a administré le test. Il précise qu’il ne boit pas d’alcool, ne fume pas de cigarettes et qu’il prend seulement les médicaments prescrits par son médecin. Il ajoute que lorsqu’il a reçu des médicaments prescrits qu’il ne voulait pas prendre dans le passé, il les a retournés à son médecin.

 

[31]           Le défendeur soumet que la consommation de drogue n’est pas un fait pertinent.

 

[32]           À l’égard du droit de subir une analyse d’urine, je ne vois pas d’erreur dans la décision rendue. Le demandeur n’a pas été accusé d’avoir consommé les substances interdites (ce qui serait une infraction en vertu du paragraphe 40(k) de la Loi). Il est plutôt accusé d’avoir eu des objets interdits en sa possession (en violation du paragraphe 40(j) de la Loi). Ce paragraphe ne mentionne pas la consommation des drogues. Il est clair qu’il vise la simple possession d’une vaste gamme d’objets qui ne sont pas, pour une raison ou une autre, permis à l’établissement. Refuser à une personne accusée de possession d’un objet interdit de faire un test d’urine ne constitue pas une violation de l’équité procédurale puisque l’ingestion de drogues n’est pas un fait pertinent à l’inculpation. 

 

(c)        Le président a-t-il commis une erreur au niveau de l’équité procédurale en ne permettant pas au deuxième agent de témoigner?

 

[33]           Le demandeur a identifié quelques problèmes potentiels avec le témoignage de l’agent Beauregard. Il soumet que le témoignage de l’agent révèle que celui-ci ne se souvient pas de l’ordre dans lequel ils ont fouillés les trois cellules choisies ce matin-là. Le demandeur allègue que les agents auraient pu trouver les contenants dans une autre cellule et auraient donc pu l’accuser par erreur. Le demandeur affirme qu’un autre détenu lui a dit que les agents n’avaient rien en main lorsqu’ils ont quitté la cellule du demandeur ce jour-là. Avec le témoignage de l’autre agent, le demandeur soumet qu’il aurait pu obtenir des informations importantes pour sa défense.

 

[34]           Le défendeur prétend que le demandeur était libre d’appeler qui il voulait comme témoin. Il allègue que le demandeur n’avait pas demandé à l’autre agent de témoigner.

 

[35]           Le paragraphe 31(1) du Règlement gouverne le droit d’appeler et d’interroger des témoins : 

31. (1) Au cours de l'audition disciplinaire, la personne qui tient l'audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

 

a) d'interroger des témoins par l'intermédiaire de la personne qui tient l'audition, de présenter des éléments de preuve, d'appeler des témoins en sa faveur et d'examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision;

 

b) de présenter ses observations durant chaque phase de l'audition, y compris quant à la peine qui s'impose.

 

31. (1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall give the inmate who is charged a reasonable opportunity at the hearing to

 

(a) question witnesses through the person conducting the hearing, introduce evidence, call witnesses on the inmate's behalf and examine exhibits and documents to be considered in the taking of the decision; and

 

 

 

(b) make submissions during all phases of the hearing, including submissions respecting the appropriate sanction.

 

[36]           Les transcriptions révèlent que le président a demandé au demandeur s’il avait d’autres témoins à appeler et que son avocate a répondu par la négative. Ce n’était donc pas à cause du président que l’autre agent n’a pas témoigné. La preuve suggère plutôt que c’est le demandeur qui a choisi de ne pas l’appeler comme témoin.

 

[37]           Le demandeur allègue qu’il existe une possibilité que les drogues aient été trouvées dans une autre cellule que la sienne. Il aurait dû appeler comme témoin le détenu qui lui a fourni cette information ou l’autre agent afin de corroborer cette hypothèse, mais il ne l’a pas fait. Sans témoignages additionnels, il était correct pour le président de se baser sur la preuve offerte par l’agent Beauregard et de conclure que les agents avaient trouvé les drogues dans la cellule occupée par le demandeur.

 

VI. Conclusion

 

[38]           Considérant ce qui précède, la décision du président, même si elle est sommaire, respecte les critères de la raisonnabilité.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1230-06

 

INTITULÉ :                                       Robert Seguin

                                                            c.

                                                            PGC

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               21 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     FRENETTE J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      29 avril 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Lynda Bureau

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Éric Lafrenière

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lynda C. Bureau, avocate

2259, Du Sorbier

Sainte-Julie, Québec

J3E 2S5

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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