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Date : 20080429

Dossier : IMM-1441-07

Référence : 2008 CF 543

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

ENTRE :

CLEMENT ALEXANDER JUMBE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]       En 2005, M. Clement Alexander Jumbe a demandé l’asile au Canada en raison de sa crainte de persécution politique au Zimbabwe. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande, principalement pour le motif qu’il ne croyait pas que la crainte de M. Jumbe était réelle. M. Jumbe soutient que la conclusion de la Commission est déraisonnable vu les éléments de preuve. Il demande à la Cour d’infirmer la décision de la Commission et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience.

 

[2]       Je suis d’accord que la Commission a commis une erreur et je ferai droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I. Question en litige

 

[3]       La conclusion de la Commission selon laquelle le comportement de M. Jumbe est incompatible avec une crainte réelle de persécution est-elle raisonnable?

 

[4]       Il convient de souligner que M. Jumbe prétend que la Commission a commis des erreurs sur d’autres points, notamment dans la façon dont elle a traité de la preuve documentaire  appuyant sa demande. Toutefois, puisque la Commission a rejeté la demande en se fondant principalement sur l’absence d’une crainte subjective et qu’elle a, j’en suis convaincu, commis une erreur sur ce point, il ne m’est pas nécessaire de me pencher sur les autres questions soulevées par M. Jumbe.

 

II. Analyse

 

1.      Les faits

 

[5]       M. Jumbe a travaillé comme enseignant pendant de nombreuses années et il a plus tard été nommé directeur d’école. Il a aussi travaillé comme chargé de l’éducation de district et comme coordonnateur national pour l’UNICEF. En tant que coordonnateur, il a dirigé un programme national sur la dynamique de la vie et le VIH/SIDA. Le financement de ce programme a cessé en 2002 lorsque le Zimbabwe s’est retiré du Commonwealth. À ce moment-là, M. Jumbe a pris en charge l’entreprise de fabrication de son épouse et a travaillé à titre de consultant. Il a aussi entamé une thèse doctorale portant sur le VIH/SIDA en Afrique du Sud.

 

[6]       M. Jumbe a témoigné qu’il avait été détenu et interrogé par la Central Intelligence Organization (la CIO) en 1999, après que son frère ait loué, par inadvertance, une propriété à des personnes complotant en vue de renverser le chef d’État d’un pays voisin. Il semble qu’il se soit agi d’un incident isolé et sans grande importance. M. Jumbe a quitté le pays à plusieurs reprises après cet incident et il n’a apparemment pas éprouvé de difficultés importantes à son retour.

 

[7]       Fait plus important, le fils de M. Jumbe était membre du Movement for Democratic Change (MDC), parti politique actif dans la région où habitait la famille. Il a fui le Zimbabwe en 2001 et a obtenu l’asile au Royaume-Uni. Le Royaume-Uni a également accordé l’asile à l’épouse de M. Jumbe. Deux autres enfants ont obtenu l’asile au Danemark. Un autre fils fait des études aux États-Unis. M. Jumbe fonde sa demande principalement sur ses prétendus liens avec le MDC. Il soutient avoir été pris pour cible par le Zanu-PF, parti politique rival.

 

[8]       L’incident qui a mené au départ de M. Jumbe s’est produit en mai 2005. À la suite des élections ce printemps-là, une bande de jeunes partisans du Zanu-PF a détruit l’usine de M. Jumbe. Celui-ci affirme que les jeunes l’ont menacé personnellement lorsqu’il a visité les lieux après la démolition. Ils l’ont accusé de trahir son pays. Après avoir passé un mois à régler ses affaires personnelles et à habiter chez son frère pour éviter d’être vu à domicile, M. Jumbe a quitté le Zimbabwe. Muni d’un passeport valide, de visas lui permettant de voyager au Royaume-Uni et aux États-Unis ainsi que d’un billet d’avion ouvert, M. Jumbe est allé d’abord en Angleterre voir son épouse et ensuite aux États-Unis voir son fils. Il a quitté les États-Unis pour le Canada juste avant l’expiration de son visa. Il a réclamé le statut de réfugié lorsqu’il est arrivé à la frontière du Canada le 23 décembre 2005. Depuis, il a été reconnu comme [traduction] « universitaire exposé à un risque », ce qui lui a permis d’obtenir du financement pour poursuivre ses études doctorales à l’Université de Toronto.

 

2.      La décision de la Commission

 

[9]       La Commission a conclu que le comportement de M. Jumbe ne concordait pas avec une crainte réelle de persécution. En particulier, elle a relevé que :

·        M. Jumbe n’a quitté le Zimbabwe qu’un mois après la démolition de son usine;

·        Il n’a demandé l’asile ni au Royaume-Uni ni aux États-Unis alors qu’il avait eu amplement la possibilité de le faire;

·        Lorsqu’il est arrivé à la frontière du Canada, il n’a pas mentionné le fait qu’il avait été menacé par des jeunes du Zanu-PF.

 


3.      Examen

 

[10]     M. Jumbe soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle son comportement ne concordait pas avec une crainte réelle de persécution est déraisonnable. En premier lieu, M. Jumbe a expliqué à la Commission qu’il a dû rester au Zimbabwe pour un court laps de temps afin de régler les affaires commerciales de la famille. Pour la plupart du temps, il est resté chez son frère afin de ne pas être vu par les partisans du Zanu-PF. La Commission n’a pas dit pourquoi l’explication de M. Jumbe concernant la raison pour laquelle il était resté un mois au Zimbabwe était inacceptable.

 

[11]     En deuxième lieu, M. Jumbe a expliqué à la Commission pourquoi il n’avait pas demandé l’asile au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Il détenait des visas valides des deux pays; il pouvait donc y voyager et y rester en toute sécurité durant la période de validité des visas. Ainsi, il a saisi l’occasion de visiter des membres de sa famille pour leur demander conseil. Il a entrepris des démarches pour obtenir l’asile après avoir exercé les autres recours qui s’offraient à lui. M. Jumbe aurait certes pu demander l’asile ailleurs. Toutefois, il a dit qu’il voulait entrer au Canada, où les chances de succès de sa demande étaient meilleures qu’ailleurs, et où il y avait une possibilité accrue de réunir sa famille et de poursuivre ses études doctorales.

 

[12]     La Commission avait certes le droit de se demander si l’explication de M. Jumbe semait le doute sur sa crainte de persécution politique au Zimbabwe, ainsi que sur le reste des éléments de preuve. Cependant, la Commission a conclu que le fait que M. Jumbe n’avait pas présenté de demande ailleurs prouvait, en soi, « qu’il n’avait pas de crainte subjective ». En effet, la Commission a déclaré que M. Jumbe n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle les demandeurs d’asile réclameront l’asile dès qu’ils peuvent le faire. À mon avis, il n’existe aucune présomption de ce genre; les demandeurs d’asile ne sont donc pas tenus de la réfuter. La Commission doit plutôt tenir compte du comportement et du témoignage du demandeur, ainsi que de tous les autres éléments de preuve, afin de déterminer si le demandeur craint réellement d’être persécuté. La Commission pouvait à juste titre prendre en considération la preuve présentée par M. Jumbe ainsi que la justification de son choix de venir au Canada et expliquer en quoi ceux-ci faisaient échec à l’existence d’une crainte réelle. Toutefois, la Commission ne pouvait pas simplement déclarer que le fait de ne pas présenter de demande d’asile ailleurs prouvait, en soi, l’absence d’une crainte subjective.

 

[13]     En troisième lieu, M. Jumbe a été invité, à la frontière du Canada, à identifier les personnes qu’il craignait au Zimbabwe. Il a répondu qu’il craignait le gouvernement, le Zanu-PF et la CIO. On ne lui a pas demandé de relater les incidents qui avaient mené à son départ du Zimbabwe ou d’expliquer en plus amples détails pourquoi il avait peur. À mon avis, à la lumière des questions qui ont été posées à M. Jumbe, il était déraisonnable pour la Commission de conclure que les réponses de celui-ci démontraient une absence de crainte des personnes qui l’auraient menacé.

 

[14]     Compte tenu de l’analyse qui précède, je suis convaincu que la conclusion de la Commission selon laquelle M. Jumbe ne craignait pas la persécution au Zimbabwe était déraisonnable. Je comprends que d’autres personnes dans la situation de M. Jumbe auraient quitté le Zimbabwe plus tôt et demandé l’asile plus tôt. Toutefois, les ressources dont disposait M. Jumbe, ainsi que l’occasion qu’il avait eue de visiter et de consulter les membres de sa famille et d’autres personnes avant d’arriver au Canada, ne font pas nécessairement échec à son allégation de persécution politique étant donné les autres éléments de preuve. En conséquence, je dois faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un autre tribunal de la Commission. Les parties n’ont pas soumis de question de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.

 


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission aux fins d’une nouvelle audience devant un autre tribunal.

2.      Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »      

_______________________

Juge                      

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


 COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                               IMM-1441-07

INTITULÉ :                                                             CLEMENT ALEXANDER JUMBE

                                                                                  c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :                                     LE 15 MARS 2008

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                    LE JUGE O’REILLY

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                                                   LE 29 AVRIL 2008

 

COMPARUTIONS :

Geraldine MacDonald                                     POUR LE DEMANDEUR

Leena Jaakkimaninen                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Geraldine MacDonald                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

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