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Date : 20080430

Dossier : IMM-3081-07

Référence : 2008 CF 558

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

CHAO HUI LIN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               M. Chao Hui Lin était membre d’équipage à bord d’un navire qui a amarré au Canada en 2006. Lorsqu’il a mis pied à terre, sa famille lui a appris que le Bureau de la sécurité publique (BSP) le cherchait parce qu’il était membre d’une église chrétienne clandestine en Chine. Deux confrères pratiquants avaient été arrêtés. Étant donné que son père avait dit au BSP où il travaillait, M. Lin n’est pas retourné sur le navire.

 

[2]               M. Lin a présenté une demande d’asile et a invoqué sa crainte être persécuté du fait de sa religion en Chine. La demande d’asile de M. Lin a été rejetée par un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au motif qu’il ne croyait pas son récit. M. Lin soutient que la décision de la Commission est déraisonnable et sollicite une nouvelle audience. Je suis d’accord avec M. Lin, et je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.        La question en litige

 

[3]               La décision de la Commission est‑elle déraisonnable?

 

II.     Analyse

 

[4]               Je peux renverser la décision de la Commission seulement si elle est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47.

 

1.      Le contexte factuel

 

[5]               M. Lin a expliqué à la Commission qu’un ami, chauffeur, lui avait fait découvrir le christianisme en décembre 2005. M. Lin était en permission à terre à ce moment‑là, et il rendait visite à sa famille et à des amis. Il a commencé à participer aux offices religieux de l’église clandestine de son ami. Lorsqu’il est retourné sur le navire deux mois plus tard, les dangers de son travail en mer l’angoissaient moins. 

 

2.      La décision de la Commission

[6]               La Commission a apprécié la preuve déposée par M. Lin et noté les problèmes suivants découlant de son témoignage :

 

i)                    M. Lin avait affirmé que son ami avait un emploi semblable au sien, alors que son ami travaillait comme chauffeur et non comme membre d’équipage sur un navire. La Commission a conclu que les deux emplois n’étaient pas semblables;

ii)                   M. Lin avait affirmé que Dieu protège les membres des églises clandestines. La Commission s’est donc demandé pourquoi M. Lin croyait qu’il était nécessaire que les pratiquants prennent des précautions pour ne pas être découverts par le BSP. La Commission a conclu que le témoignage de M. Lin était contradictoire;

iii)                 la Commission n’a pas cru que M. Lin avait pu devenir Chrétien après une brève conversation avec un ami qu’il n’avait pas vu depuis plus d’un an;

iv)                 M. Lin avait mentionné dans son exposé circonstancié qu’il était pessimiste à l’égard de la vie et qu’il craignait de travailler en mer. C’est pour cette raison que son ami lui avait proposé de devenir chrétien. Cependant, à son arrivée au Canada, il a affirmé à l’agent d’immigration à la frontière qu’il était devenu membre de l’église clandestine parce que son ami la lui avait fait découvrir. Il n’a aucunement mentionné être pessimiste ou craintif. La Commission a conclu que le témoignage de M. Lin à ce sujet n’était pas crédible;

v)                  M. Lin avait donné un témoignage contradictoire concernant la date de la descente du BSP qui avait eu lieu à l’église;

vi)                 M. Lin avait mentionné qu’il serait prêt à retourner en Chine si ses confrères pratiquants étaient libérés par le BSP. Par conséquent, la Commission a conclu que sa crainte d’être persécuté « n’était pas significative »;

vii)               la Commission a estimé que le BSP, pour trouver M. Lin, aurait communiqué avec le navire immédiatement après la descente en 2006;

viii)              M. Lin ne savait pas au juste s’il avait été mis au courant des arrestations de confrères pratiquants par son père le 22 avril 2006 ou par sa sœur le 26 avril 2006.

 

[7]               En raison de ces conclusions, la Commission a conclu que M. Lin n’était pas membre d’une église clandestine en Chine. Elle a conclu que la capacité de M. Lin à répondre aux questions relatives au christianisme et que la preuve qu’il a fournie relativement à ses activités religieuses au Canada ne corroboraient pas ses « intentions ». Elle a donc conclu qu’il n’était ni un vrai chrétien, ni recherché par le BSP.

 

III.   Les contestations de M. Lin relatives aux conclusions de la Commission

 

[8]               M. Lin affirme que les conclusions de la Commission ne sont pas étayées par la preuve. En particulier, il soutient :

i)                    qu’il a affirmé que l’emploi de chauffeur de son ami comportait des dangers semblables à ceux auxquels il devait faire face à bord d’un navire et qu’il n’a pas dit que le travail de chauffeur était semblable au sien;

ii)                   qu’il n’y a aucune contradiction entre croire en la protection de Dieu et prendre des précautions pour que les membres de l’église clandestine ne soient pas repérés par les autorités;

iii)                 qu’il n’y a rien d’intrinsèquement invraisemblable dans le type de révélation qu’il a décrite;

iv)                 qu’il n’y a aucune raison pour laquelle il aurait mentionné le fondement de ses croyances religieuses à l’agent d’immigration dès son arrivée au Canada, surtout que l’agent ne lui a posé aucune question à ce sujet;

v)                  qu’il a expliqué à la Commission que la contradiction relative à la date de la descente était simplement due à une erreur typographique;

vi)                 que sa déclaration selon laquelle il serait enclin à retourner en Chine si ses amis étaient relâchés ne veut pas dire qu’il ne craint pas d’être persécuté du fait de sa religion. Il reconnaît simplement qu’il serait prêt à retourner en Chine si la situation s’améliorait;

vii)               que la conclusion relative au moment où le BSP aurait dû communiquer avec le navire n’était que pure conjecture.

 

[9]               La seule conclusion que M. Lin n’a pas expressément contestée concerne le moment où il aurait été mis au courant de la descente.

 

[10]           M. Lin soutient que l’analyse de la Commission ne pouvait pas raisonnablement mener à la conclusion qu’il n’était ni un vrai chrétien, ni membre d’une église clandestine en Chine, ni recherché par le BSP.

 

[11]           Bien entendu, la Commission avait le droit de tirer une conclusion défavorable relativement à la contradiction concernant les dates. Cependant, après examen du dossier, je ne peux trouver de fondement aux conclusions catégoriques tirées par la Commission relativement à l’invraisemblance de la conversion au christianisme de M. Lin et de son adhésion à une église clandestine. Les contradictions relevées dans la preuve par la Commission sont relativement mineures et ne justifient pas le rejet complet du récit de M. Lin. La Commission a clairement semblé sceptique qu’un jeune homme intelligent et cultivé comme M. Lin puisse soudainement se convertir à une foi dont il n’avait aucune connaissance antérieure, foi qui l’exposait à de graves risques. Peut‑être que les doutes de la Commission étaient justifiés, mais elle devait tout de même procéder à un examen minutieux de la preuve avant de rejeter la demande de M. Lin.

 

[12]           À mon avis, la conclusion de la Commission n’appartient pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, parce que non étayée par la preuve. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal de la Commission différemment constitué. Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties aux fins de certification, et aucune n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

 

1.      que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur elle dans le cadre d’une nouvelle audience;

2.      qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3081-07

                                                           

INTITULÉ :                                                   LIN c. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 19 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

                                                           

DATE DES MOTIFS :                                  LE 30 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

POUR LE DEMANDEUR

 

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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