Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080425

Dossier : T‑756‑06

Référence : 2008 CF 538

Montréal (Québec), le 25 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

SHIRE BIOCHEM INC.

et CEPHALON INC.

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et APOTEX INC.

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande, déposée sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (le Règlement AC), tendant à faire interdire au ministre de la Santé de délivrer à la défenderesse Apotex Inc., avant l'expiration du brevet canadien no 2201967 (le brevet 967, un avis de conformité à l'égard de sa demande d'autorisation de commercialiser au Canada en comprimés de 100 mg une drogue dont le modafinil est l'ingrédient médicinal actif. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse Apotex.

 

Le contexte général

[2]               La demanderesse Cephalon Inc. est la titulaire du brevet 967, qui lui a été délivré le 10 décembre 2002. La demande de ce brevet a été déposée au Canada sous le régime du Traité de coopération en matière de brevets (le PCT) le 4 avril 1997. La demande de brevet originale relevant du PCT a été déposée auprès du United States Patent Office le 4 octobre 1995 et revendiquait la priorité sur le fondement de deux demandes de brevet américain déposées le 6 octobre 1994. La demande canadienne a été publiée le 18 avril 1996. Comme la demande du brevet 967 a été déposée après octobre 1989, ce brevet entre dans le champ d'application des « nouvelles » dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, applicables aux demandes déposées après ce moment et aux brevets qui en sont issus.

 

[3]               Le brevet 967 comprend 28 revendications. Les revendications 1 à 9 visent de manière générale une composition pharmaceutique dont le modafinil est l'ingrédient actif. Les revendications 10 à 28 visent de manière générale l'utilisation de cette composition en vue de contrer l'état de somnolence chez les mammifères.

 

[4]               La demanderesse, Shire Biochem Inc., qui détient la licence de l’autre demanderesse, Cephalon, commercialise un médicament au Canada sous le nom d’ALERTEC pour le traitement des troubles du sommeil, notamment de la narcolepsie. Ce produit incarnerait, semble‑t‑il, l’objet visé par une ou plusieurs des revendications du brevet 967.

 

[5]               Apotex souhaite commercialiser une version générique de cette drogue au Canada et, conformément au Règlement AC, elle a signifié à Shire, par lettre en date du 15 mars 2006, un avis d'allégation où elle affirme que le brevet 967 est invalide pour un certain nombre de raisons. Apotex n'a pas mis en litige la question de l'absence de contrefaçon.

 

[6]               Les demanderesses ont déposé un avis de demande en interdiction le 3 mai 2006. Le sursis à statuer sur cette affaire a été prorogé par ordonnance de la Cour jusqu'au 11 juillet 2008. Les demanderesses contestent la régularité de l'avis d'allégation, faisant valoir qu'il n'est pas conforme au Règlement AC, ainsi que les motifs d'invalidité du brevet 967 invoqués par Apotex dans cet avis.

 

[7]               Les demanderesses avancent en outre qu'Apotex fait valoir un nombre [TRADUCTION] « ahurissant » de motifs d'invalidité et qu'elle a omis de [TRADUCTION] « mettre en jeu » plusieurs de ces prétendus motifs. J'examinerai ces questions dans le cadre des allégations prises isolément.

 

LES MOTIFS D'INVALIDITÉ DU BREVET

[8]               Apotex a contesté la validité du brevet 967 en invoquant plusieurs motifs. À l'audience, elle a limité ces motifs aux suivants :

·        l'absence d'invention,

·        l'antériorisation,

·        l'évidence,

·        la simple découverte,

·        l'absence d'utilité,

·        l'insuffisance de l'exposé,

·        la portée excessive des revendications.

[9]               Apotex a abandonné un certain nombre des motifs d'invalidité qu'elle avait fait valoir dans son avis d'allégation, à savoir :

·        le paragraphe 27(2) de la Loi sur les brevets et l'alinéa 81c) des Règles sur les brevets,

·        l'article 53 de la Loi sur les brevets,

·        le double brevet,

·        le brevet de sélection abusif.

 

LES TÉMOINS

[10]           Les demanderesses ont fourni le témoignage par affidavit de neuf témoins, notamment des six suivants qui ont été présentés comme experts :

·        Dre Diane Boivin – M.D. et Ph.D. en psychiatrie, qui travaillait comme médecin et clinicienne avec le modafinil au moment où le brevet 967 a été déposé;

·        M. Joseph Baranski – Ph.D. en psychologie, qui étudie le modafinil depuis le début des années 90;

·        M. Louis Cartilier – Ph.D. en sciences pharmaceutiques, qui se spécialise entre autres dans les formulations;

·        M. Eugene Cooper – Ph.D. en chimie physique et théorique, qui se spécialise entre autres dans la formulation et la granulométrie;

·        M. James Polli – Ph.D. en sciences pharmaceutiques, qui se spécialise entre autres en pharmacologie et en administration des médicaments;

·        M. David Bugay – Ph.D. en chimie physique, qui se spécialise entre autres dans l’analyse physique et chimique des composés pharmaceutiques, dont la granulométrie.

 

[11]           La jurisprudence récente de notre Cour confirme qu'une partie ne doit pas essayer de produire la preuve de plus de cinq témoins experts dans une instance sans d'abord obtenir l'autorisation de la Cour. Une telle autorisation n'a été ni accordée ni demandée dans la présente espèce. Apotex n'a pas soulevé d'objection à cet égard, et la preuve en question a été produite avant la publication des décisions récentes de notre Cour sur la limite du nombre des témoins experts. J'accepterai la preuve de tous les témoins susdits dans le cadre de la présente instance, mais sans préjudice de la question des dépens.

 

[12]           Les demanderesses ont aussi produit des affidavits souscrits par les trois personnes suivantes déposant en tant que témoins factuels :

·        M. Peter Grebow, Ph.D. en chimie, un des inventeurs nommés dans le brevet 967;

·        M. Antonio Aveledo, conseiller en matière de propriété intellectuelle chez Shire;

·        Mme Caroline Deschênes, stagiaire chez Ogilvy Renault LLP, qui représente les demanderesses.

 

[13]           MM. Bugay et Grebow ont déposé non seulement une preuve principale, mais aussi des affidavits en réponse. Tous les témoins experts et factuels des demanderesses ont été contre‑interrogés, sauf Mme Deschênes.

 

[14]           Apotex a déposé les affidavits de cinq témoins : quatre experts et un factuel.

 

[15]           Les témoins experts d'Apotex étaient :

·        Dr David Feifel, M.D. et Ph.D. en neurobiologie, spécialiste entre autres de l'élaboration de produits pharmaceutiques pour le traitement des maladies mentales;

·        M. Sanford Bolton, Ph.D. en pharmacie, spécialiste entre autres de la statistique appliquée aux produits pharmaceutiques;

·        M. Samuel Yalkowsky, Ph.D. en chimie pharmaceutique, spécialiste entre autres de la formulation de drogues;

·        M. Robert Langer, Sc.D. en génie chimique, spécialiste entre autres de la chimie pharmaceutique et de l'élaboration de formulations.

 

[16]           Tous les témoins énumérés au paragraphe précédent ont été contre-interrogés.

 

[17]           En outre, Apotex a produit un affidavit de Mme Ines Ferreira, technicienne juridique déposant en tant que témoin factuel. Mme Ferreira n'a pas été contre-interrogée.

 

[18]           Le défendeur ministre de la Santé n'a pas déposé de preuve dans la présente instance et n'y a pas participé activement.

 

[19]           À la fin de l'audience, j'ai invité les avocats des parties en présence à me soumettre des observations sur le point de savoir quels éléments du dossier déposés sous le sceau de la confidentialité devraient rester confidentiels. Il convient que la Cour rejette toute prétention à la confidentialité inutile ou de portée excessive, étant donné la publicité inhérente aux audiences et le fait que la jurisprudence du domaine qui nous occupe se développe de telle façon que l'examen de la preuve et des moyens avancés dans une affaire peut se révéler pertinent pour une autre. Au reçu des observations susdites, j'établirai quels éléments du dossier devront rester confidentiels.

 

INTERPRÉTATION DU BREVET 967

[20]           Conformément au principe formulé par la Cour suprême du Canada dans Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, et souvent répété dans les instances telles que la présente, la Cour doit interpréter les revendications de brevet en litige avant d'examiner des questions telles que la validité et la contrefaçon. Comme nous le disions plus haut, la demande du brevet 967 ayant été déposée au Canada après octobre 1989, ce brevet relève des « nouvelles » dispositions de la Loi sur les brevets et doit donc être interprété en fonction de la date de la publication de ladite demande, soit le 18 avril 1996.

 

[21]           Cependant, la Cour ne peut interpréter une revendication dans l'ignorance de l'objet du litige entre les parties. Comme l'écrivait le juge Floyd de la Haute Cour d'Angleterre et du Pays de Galles (Chambre des brevets) aux paragraphes 7 à 11 de Qualcomm Incorporated v Nokia Corporation [2008] EWHC 329 (Pat), citant la décision Nokia v Interdigital Technology Corporation [2007] EWHC 3077 (Pat), due au défunt juge Pumfrey (qui devait plus tard être promu à la Cour d'appel), [TRADUCTION] « il est essentiel [...] de voir où le bât blesse, de manière à pouvoir se concentrer sur les points importants ». Le juge Floyd, citant aussi lord Jacob, ajoutait que, comme c'est le cas dans notre système, il appartient à la Cour et non aux témoins experts d'interpréter les revendications, à l'exception bien connue des termes techniques à signification spéciale. Il formule au paragraphe 11 des préoccupations que notre Cour partage – en particulier pour ce qui concerne les instances relatives à un AC, où une preuve par affidavit est déposée – lorsqu’'il constate que les témoins experts ont tendance à appliquer leur propre interprétation aux revendications (parfois avec l'aide des avocats) :

[TRADUCTION]

 

7.  On dit souvent qu'il convient d'interpréter le mémoire descriptif d'un brevet indépendamment de la contrefaçon supposée. Cependant, il n'est pas raisonnablement possible de déterminer l'objet essentiel de l'interprétation sans comprendre l'aspect de la contrefaçon supposée qu'on affirme exclure celle‑ci du champ des revendications. Lord Pumfrey (qui siégeait alors en première instance) a défini la démarche nécessaire dans Nokia v Interdigital Technology Corporation [2007] EWHC 3077 (Pat) [jugement non publié en date du 21 décembre 2007], citant le passage suivant d'une de ses décisions antérieures, relative aux normes de la téléphonie mobile :

S'il est vrai qu'on doit interpréter une revendication « comme si le défendeur n'était jamais né », il est essentiel, dans toute affaire complexe, de voir où le bât blesse, de manière à pouvoir se concentrer sur les points importants. Mais il faut néanmoins rejeter autant que faire se peut la possibilité qui se présente ainsi d'interpréter le document en regardant du coin de l'œil la contrefaçon supposée. Par conséquent, lorsque la revendication prévoit A et que la norme exige B, la bonne question à se poser n'est pas de savoir si A signifie B, ou si B entre dans le champ d'application de A, ou si la sagesse rétrospective permettrait de voir dans A un exemple du genre dont B serait aussi membre, mais plutôt de savoir si, dans le contexte du mémoire descriptif, l'homme du métier considérerait que le A de la revendication englobe B.

 

8.  Lord Jacob ne raisonnait pas autrement dans Technip France SA’s Patent (2004) RPC 46 :

 

Bien qu'on dise souvent que l'interprétation doit rester indépendante de la contrefaçon supposée et qu'il faut interpréter le brevet « comme si on avait à le faire avant la naissance du défendeur » [pour reprendre la formule utilisée par lord Esher, M.R., à la page 523 de Nobel v Anderson (1894) 11 RPC 519], les questions d'interprétation se posent rarement dans l'abstrait. C'est pourquoi, dans la plupart des cas, qui veut examiner judicieusement la signification d'un passage à interpréter se demande s'il signifie telle chose, ou telle autre, ou telle autre encore, plutôt que de se poser la question ouverte : « Qu'est‑ce qu'il signifie ? ».

 

9.  C'est à la cour et non aux témoins qu'il appartient de formuler des conclusions sur la signification de la revendication considérée. Sous réserve de l'exception bien connue des termes techniques à signification spéciale, l'interprétation d'un brevet est une question de droit. Par conséquent, le rapport d'expert dont l'auteur propose une analyse sémantique du libellé de la revendication et émet l'avis que tel mot ordinaire de notre langue ne peut avoir selon lui que telle signification n'est ni utile ni admissible. Or, dans la présente espèce, on peut reprocher aux deux camps d'avoir produit des éléments de preuve de ce genre.

 

10.  La preuve d'expert à la fois admissible et utile est d'une autre nature : elle porte sur les rapports techniques entre les significations rivales qu'on veut attribuer à la revendication et l'enseignement du mémoire descriptif. L'expert est tout à fait en mesure d'aider la Cour à se faire une idée de l'incidence de différentes hypothèses sémantiques sur l'interprétation juridique de la revendication. Il se peut par exemple que les propositions techniques générales formulées dans le corps du brevet touchant la nature de l'invention ne restent valables qu'en fonction d'une seule interprétation de la revendication. Il est parfaitement légitime de la part de l'expert d'attirer l'attention sur ce fait et d'expliquer du point de vue technique pourquoi, si l'interprétation rivale était adoptée, la revendication deviendrait applicable à des réalisations qui n'atteindraient pas l'objectif technique du brevet.

 

11.  Aucune de ces fonctions légitimes de l'expert ne nécessite qu'il propose sa définition (large ou étroite) de chaque terme ou expression de la revendication. La preuve écrite produite dans la présente espèce est entachée d'un tel excès, tout comme certains des contre-interrogatoires. On perd parfois plus de temps à intervenir pour mettre fin à ces abus qu'à les laisser suivre leur cours. Le mieux est qu'ils ne commencent pas.

 

[22]           C'est à la Cour qu'il appartient d'interpréter le brevet à la lumière du mémoire descriptif, avec l'aide, si c'est nécessaire, de la preuve d'expert pour ce qui concerne la signification des termes techniques, s'ils ne peuvent être compris à la lecture dudit mémoire descriptif. Cette exception n'est pas conçue pour permettre aux experts de tirer prétexte de la nécessité de l'« explication » pour interpréter eux-mêmes la revendication. Il convient de lire les revendications du point de vue de la personne versée dans l'art à la date pertinente, qui est ici la date de publication, soit le 18 avril 1996. La détermination de cette date est souvent sans grande conséquence lorsque le mémoire descriptif est clair et se comprend de lui-même. C'est seulement lorsqu'il y a lieu de se demander si un élément particulier des « connaissances courantes » est entré – ou non – dans le domaine public, de façon à être considéré comme appartenant – ou n'appartenant pas – à la personne théorique versée dans l'art, que la fixation de cette date peut faire une différence importante dans l'interprétation des revendications.

 

[23]           Dans la présente espèce, il n'a pas été invoqué en preuve d'événement important postérieur au 18 avril 1996 qui serait pertinent aux fins de l'interprétation des revendications du brevet 967.

 

[24]           Le brevet commence par poser que certaines choses sont déjà connues et constituent, dans le jargon des brevets, l'état de la technique. Une telle déclaration lie le breveté; voir Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltée, 2007 CF 596, au paragraphe 142, et Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltée, 2005 CF 1299, au paragraphe 78.

 

[25]           La description du brevet 967 commence à la page 1, où l’on informe le lecteur que le brevet concerne un produit chimique appelé modafinil dont l’efficacité pour traiter l’hypersomnie et la narcolepsie a déjà été confirmée chez l’humain. La narcolepsie est décrite aux pages 1 et 2 comme étant un trouble du sommeil. On dit notamment :

[traduction] Cette invention porte sur un dérivé de l’acétamide, le modafinil.

 

[…]

 

L’efficacité du modafinil pour le traitement de l’hypersomnie idiopathique et de la narcolepsie a été confirmée chez l’humain.

 

[…]

 

La narcolepsie est un trouble chronique caractérisé par des accès irrépressibles de sommeil survenant de façon intermittente, une hypersomnolence diurne persistante ainsi que des manifestations anormales de sommeil paradoxal (SP), telles que des périodes d’endormissement en SP, la cataplexie, la paralysie du sommeil et les hallucinations hypnagogiques, ou les deux (sic).

 

[26]           Ces renseignements de base indiquent donc au lecteur que le modafinil est un composé connu qui est utilisé pour traiter les troubles du sommeil.

 

[27]           L’invention alléguée est résumée à la page 3. On explique notamment que la taille des particules de modafinil utilisées dans la préparation d’une composition pharmaceutique contribue d’une façon importante à l’activité et à l’innocuité du médicament :

[traduction] L’invention a trait à une composition pharmaceutique comprenant du modafinil sous la forme d’une particule de taille définie et l’utilisation d’une telle composition. Nous avons découvert que la taille des particules de modafinil joue un rôle important dans le profil d’activité et d’innocuité du médicament.

 

L’invention concerne premièrement une composition pharmaceutique contenant un mélange fortement homogène de particules de modafinil, dans lequel au minimum 95 % environ du total cumulatif de particules de modafinil ont un diamètre de moins de 200 micromètres environ, ladite composition renfermant entre environ 50 milligrammes et environ 700 milligrammes du modafinil.

 

 

[28]           Puis le brevet décrit une « particule » et présente à titre d’information des agrandissements photographiques aux figures 2 à 5. Les particules ne sont pas géométriquement symétriques; par exemple, il ne s’agit pas de sphères parfaites. À la page 4, lignes 10 à 12, on informe le lecteur que la taille des particules peut être mesurée par des méthodes classiques connues, dont certaines sont décrites aux pages 14 et 15. À la page 5, ligne 29, jusqu’à la page 6, ligne 16, et à la page 12, lignes 3 à 15, le lecteur apprend qu’un compteur optique de type Hiac/Royko a été utilisé pour mesurer la taille des particules et que différents instruments peuvent donner des résultats différents.

 

[29]           Ensuite, aux pages 3, 3a et 4, les inventeurs définissent les termes mathématiques statistiques « moyenne », « médiane » et « mode », avec exemples à l’appui :

[traduction] Dans le présent brevet, le terme « moyenne », associé à la taille des particules de modafinil, désigne la somme des mesures granulométriques de toutes les particules mesurables divisée par le nombre total de particules mesurées.

 

[…]

 

Dans le présent brevet, le terme « médiane », associé à la taille des particules de modafinil, indique qu’environ 50 % de toutes les particules mesurables qui ont été mesurées ont une taille inférieure à celle de la valeur granulométrique médiane définie.

 

[…]

 

Dans le présent brevet, le terme « mode », associé à la taille des particules de modafinil, indique la valeur granulométrique la plus fréquente.

 

[30]           À la page 4, le brevet donne une définition du mot « environ », lequel a une importance critique dans certains des arguments soulevés dans la présente instance. Il est dit aux lignes 7 à 10 :

[traduction] Dans le présent brevet, le terme « environ » signifie plus ou moins dix pour cent à peu près de la valeur indiquée, de telle sorte que l’expression « environ 20 microns » représente approximativement de 18 à 22 microns.

 

 

[31]           Le brevet ajoute à la page 4 les intervalles privilégiés de variation granulométrique en utilisant la « moyenne », la « médiane » et le « mode » pour décrire les tailles en question :

[traduction] Selon l’invention divulguée dans ce brevet, la taille moyenne d’une particule de modafinil varie de préférence entre environ 2 microns et environ 19 microns, encore mieux entre environ 5 microns et 18 microns et idéalement entre environ 10 microns et environ 17 microns.

 

Selon l’invention divulguée dans ce brevet, la taille médiane des particules de modafinil varie de préférence entre environ 2 microns et environ 60 microns, encore mieux entre environ 10 microns et 50 microns et idéalement entre environ 20 microns et environ 40 microns.

 

Selon l’invention divulguée dans ce brevet, la taille modale des particules de modafinil varie de préférence entre environ 2 microns et environ 60 microns, encore mieux entre environ 10 microns et 50 microns et idéalement entre environ 20 microns et environ 40 microns.

 

[32]           La description se poursuit aux pages 4 et 5, les inventeurs indiquant qu’ils considèrent la mesure médiane comme étant la plus importante et qu’un bon indicateur d’homogénéité est un rapport médiane/moyenne de 1:2,50 à 1:0,50; un rapport médiane/mode de 1:2,50 à 1:0,50 est acceptable et un écart de moins de 25 entre la médiane, la moyenne et le mode est une indication d’homogénéité.

 

[33]           À la page 5, lignes 12 à 28, le lecteur apprend qu’une homogénéité granulométrique est souhaitable : au minimum environ 95 % des particules doivent avoir moins de 200 microns ou encore mieux moins de 190 microns ou idéalement moins de 180 microns.

 

[34]           À la page 6, le brevet traite de la dose en indiquant de façon générale qu’une « quantité efficace » en est une qui réduit ou élimine les symptômes de la somnolence.

[traduction] « Une quantité efficace », dans le cas présent, est une quantité de la composition pharmaceutique qui permet de traiter efficacement la somnolence ou la somnolescence, c.‑à‑d. une quantité de modafinil possédant une granulométrie définie capable de réduire ou d’éliminer les symptômes de somnolescence. Une quantité efficace d’une composition pharmaceutique décrite dans l’invention est utile pour stimuler la vigilance ou régulariser les rythmes du sommeil.

 

[35]           Aux pages 6 et 7, la « composition pharmaceutique » est définie; il s’agit d’un médicament comprenant du modafinil présentant une granulométrie définie :

[traduction] Une « composition pharmaceutique » dans le présent brevet désigne un médicament servant à traiter un mammifère qui comprend du modafinil ayant une granulométrie définie et préparé de façon à pouvoir être administré à un mammifère. Une composition pharmaceutique, suivant l’invention, peut également, mais pas nécessairement, contenir un véhicule non toxique pharmaceutiquement acceptable.

 

[36]           Aux lignes 5 à 12 de la page 7, une gamme privilégiée de doses d’environ 50 mg à 700 mg est mentionnée :

[traduction] La composition pharmaceutique de l’invention peut contenir au moins environ 50 mg, de préférence au moins environ 100 mg, ou encore mieux au moins environ 200 mg de modafinil dont la granulométrie est définie ci‑dessus. De préférence, la composition pharmaceutique renferme au plus environ 700 mg, encore mieux au plus environ 600 mg, et idéalement au plus environ 400 mg, de modafinil dont la granulométrie est définie ci‑dessus.

 

[37]           À la page 8, lignes 12 à 15, on ajoute ce qui suit au sujet de « l’invention » :

[traduction] L’invention résulte de notre découverte que la taille des particules, et l’homogénéité granulométrique, du modafinil peut exercer un effet important sur le profil d’activité et d’innocuité de ce dernier.

 

[38]           Une description des tests effectués sur les lots « précoces » (E) dont les particules de modafinil étaient plus grosses que celles des lots « tardifs » (L) est fournie aux pages 8 et 9. Les avantages associés à la taille particulière retenue d’une molécule sont résumés à la page 9, lignes 13 à 23 :

[traduction] Ainsi, les particules de modafinil de taille définie procurent au moins deux avantages importants et imprévus. Tout d’abord, l’activité est accrue. Une particule dont la taille moyenne est plus faible permet d’atteindre une concentration plasmatique donnée de modafinil à une dose orale moins élevée. Deuxièmement, vu l’effet important de la granulométrie sur l’activité, on peut contrôler plus exactement le profil d’innocuité du médicament parce que l’administration d’une dose définie et homogène sur le plan granulométrique permet d’établir de façon plus fiable la dose du médicament nécessaire pour obtenir le résultat attendu.

 

[39]           De la page 9 à la page 11, on explique en détail les études cliniques effectuées à « l’étranger » et aux « États‑Unis ». À la page 11, ligne 25, jusqu’à la page 15, ligne 4, on y traite de façon détaillée de la mesure granulométrique de lots précoces (E) et tardifs (L) de médicaments contenant des particules de modafinil. Les arguments relatifs au tableau 1 de la page 13 ont été formulés par les avocats, en particulier la colonne à l’extrême droite « MÉDIANE : MOYENNE : MODE »; nous y reviendrons plus tard. À la page 13, on trouve ce qui suit :

Tableau 1

DIAMÈTRE DES PARTICULES DE MODAFINIL

LOT

 

MOYENNE*

MÉDIANE*

MODE*

ÉCART TYPE ENTRE LA MOYENNE, LA MÉDIANE, LE MODE

MÉDIANE:

MOYENNE:

MODE

E-A

34,60

+/- 5,21

143,65

+/- 3,26

176,48

+/- 5,32

74,27

 

1:4,15 :0,81

E-B

29,99

+/- 1,09

89,10

+/- 4,28

78,59

+/- 2,60

31,53

1:2,97 :1,13

E-C

28,27

+/- 4,10

79,00

+/- 3,78

101,00

+/- 40,92

37,30

 

2:2,79 :0,78

E-D

22,14

+/- 0,76

94,05

+/- 13,75

158,63

+/- 63,81

68,28

1:4,25 :0,59

L-1

21,40

+/- 2,52

50,18

+/- 12,57

56,56

+/- 22,39

18,73

1:2,34 :0,89

L-2

18,75

+/- 1,89

31,41

+/- 3,57

25,31

+/- 1,34

6,36

1:1,68 :1,24

*n=4; les valeurs +/- sont des écarts types

 

La figure 1 est un graphique représentant le diamètre des particules en fonction du pourcentage cumulatif de particules pour les lots tardifs L‑l, L‑2 et pour les lots précoces E‑A, E‑B, E‑C et E‑D. Dans la courbe granulométrique cumulative, 50 pour 100 des valeurs pour les lots tardifs L‑l et L‑2 se situaient entre environ 30 µm et environ 50 µm, alors que 50 pour 100 des valeurs pour les lots E‑A, E‑B, E‑C et E‑D se situaient entre environ 80 µm et environ 140 µm.

 

 

[40]           Dans un passage numéroté VII aux pages 15‑16, on fait état de l’effet de la taille des particules de modafinil sur la vitesse de dissolution du médicament.

 

[41]           Un passage numéroté VIII, allant de la page 16 à la page 18, présente les résultats d’essais sur des chiens pour différentes tailles de particules de modafinil ainsi que la concentration du médicament dans le plasma prélevé chez ces chiens à différents moments. L’argumentation des parties porte sur ce passage, et en particulier sur les résultats signalés à la figure 8. Cette dernière est reproduite à l’annexe A, où l’on peut voir les lignes verticales à différents endroits dans le graphique. On les considère tour à tour comme des barres « d’erreur » ou des niveaux statistiques de variance. Il importe de noter qu’elles chevauchent toutes les courbes de sorte que l’ensemble des courbes sont contenues dans ces barres. On discute de la figure 8 à la page 17, lignes 11 à 20 :

[traduction] Les concentrations moyennes de modafinil dans le plasma de neuf chiens, 0 à 36 heures après l’administration du modafinil, sont illustrées à la fig. 8. Dans le cas des « petites » particules (lot L‑1), la concentration plasmique de modafinil a atteint un sommet à 10 µg/mL. Par contre, dans le cas des « grosses » particules (lots E‑D ou E‑B), la concentration plasmatique de modafinil a culminé à 8 µg/mL. Ainsi, le modafinil ayant une granulométrie médiane de 50,18 µm a donné un pic plasmatique plus élevé que celui obtenu avec la même dose de modafinil administrée sous la forme de grosses particules. […]

 

[42]           Aux pages 18 à 19, le passage IX décrit les « méthodes classiques » et les méthodes « connues dans l’art » pour préparer du modafinil ayant une granulométrie définie :

[traduction] Le modafinil et les composés apparentés au modafinil peuvent être préparés à l’aide des méthodes classiques. Le brevet 290 décrit les méthodes de préparation du modafinil et des composés apparentés au modafinil. Le modafinil dont la granulométrie est définie ici peut être obtenu par divers moyens faisant appel à des méthodes classiques, p. ex. les méthodes divulguées dans le brevet 290, puis le modafinil de granulométrie indéfinie peut être traité à l’aide des méthodes classiques de broyage et de tamisage. Les méthodes de comminution (c.‑à‑d. le procédé mécanique de réduction de la taille des particules ou des agrégats) sont connues de l’homme du métier.

 

[43]           Enfin, au passage X, aux pages 19 et 20, on traite de la formulation et de l’administration. On répète que la gamme de doses est comprise entre 50 mg et 700 mg de modafinil et on discute en termes généraux des divers véhicules comme les comprimés, etc.

 

[44]           Puis viennent les revendications. Les parties ont déclaré que les 28 revendications doivent être examinées. Je les ai donc jointes à l’annexe B. Les revendications 1 à 9 inclusivement concernent une composition pharmaceutique. Les revendications 10 à 28 traitent de l’utilisation des particules de modafinil. La revendication 1 est une revendication indépendante dont dépendent directement ou indirectement les revendications 2 à 9. La revendication 10 est indépendante. Chose curieuse, la revendication 11 dépend de la revendication 14 qui, à son tour, dépend de la revendication 12 et non de la revendication 10. J’ai interrogé les parties pour savoir si une correction avait été apportée par le Bureau des brevets et on m’a répondu par la négative. La revendication 11 demeure donc dépendante de la revendication 14 et, indirectement, de la revendication 12.

 

[45]           La revendication 12 est une revendication indépendante dont dépendent directement ou indirectement les revendications 11, 13 à 17 et 25 à 28.

 

[46]           La revendication 18 est une revendication indépendante dont dépendent les revendications 19 à 21 et 25 à 28.

 

[47]           La revendication 22 est une revendication indépendante dont dépendent directement ou indirectement les revendications 23 à 26 et 28.

 

[48]           La revendication 27 est une revendication indépendante dont dépend la revendication 28.

 

[49]           Ces revendications sont interprétées à la lumière du contexte de l’invention établi dans la description du brevet. Ce contexte est le suivant :

 

·        le modafinil est une composition connue;

·        on peut fabriquer des particules de modafinil de différentes tailles à l’aide de techniques connues;

·        le modafinil est utilisé dans le traitement des troubles du sommeil, notamment de la narcolepsie.

 

[50]           L’« invention » est divulguée à la page 8 :

[traduction] […] la taille des particules, et l’homogénéité granulométrique, du modafinil peut exercer un effet important sur le profil d’activité et d’innocuité de ce dernier.

 

[51]           L’« intervalle » granulométrique peut être représenté par la moyenne, la médiane ou le mode.

[52]           Le mélange devrait être fortement homogène; au minimum environ 95 % des particules devrait avoir un diamètre de moins de 200 microns environ, de préférence de moins d’environ 190 microns et encore mieux de moins d’environ 180 microns.

 

[53]           La dose est représentée par « une quantité efficace » qui peut varier entre environ 50 mg et environ 700 mg de modafinil.

 

[54]           Les revendications 1, 10 et 12 sont représentatives des revendications en litige :

[traduction]

1.         Une composition pharmaceutique comprenant un mélange fortement homogène de particules de modafinil, dans lequel au minimum environ 95 % du total cumulatif de particules de modafinil ont un diamètre approximatif de moins de 200 micromètres environ, ladite composition renfermant entre 50 milligrammes et environ 700 milligrammes du modafinil.

 

[…]

 

10.        L’utilisation d’un mélange fortement homogène de particules de modafinil d’environ 95 % du total cumulatif des particules ont un diamètre approximatif de moins de 200 micromètres pour servir à la fabrication d’une composition pharmaceutique contenant entre environ 50 mg et environ 700 mg de modafinil et visant à contrer l’état de somnolence chez un mammifère.

 

[…]

 

12.        L’utilisation de modafinil pour la fabrication d’une composition pharmaceutique qui renferme des particules de modafinil ayant une granulométrie médiane d’environ 2 à environ 60 micromètres et qui vise à contrer l’état de somnolence chez un mammifère, cette composition contenant 50 à 700 milligrammes desdites particules de modafinil.

 

 

[55]           On sait déjà qu’il existe des compositions pharmaceutiques renfermant du modafinil et qu’elles peuvent servir à traiter les troubles du sommeil. Pour l’interprétation des revendications, certains de leurs éléments sont essentiels : la granulométrie, exprimée de diverses façons, notamment par la médiane, la moyenne et le mode, et l’administration possible d’une « quantité efficace » de modafinil du fait qu’au moins environ 95 % de ces particules ont une taille inférieure à une valeur granulométrique donnée. Une gamme posologique de 50 mg à 700 mg de modafinil est citée, c’est celle que le breveté a choisi comme « quantité efficace » qui réduit ou élimine la somnolence, accroît la vigilance ou régularise les rythmes du sommeil.

 

[56]           Quelques mots sur les dimensions présentées dans le brevet et ailleurs. Dans le brevet comme dans l’art antérieur, la granulométrie du modafinil est souvent décrite à l’aide d’une unité de mesure appelée micromètre, qui est souvent abrégée en micron ou µm. Pour mettre les choses en perspective, un millimètre correspond à mille micromètres.

 

LA VALIDITÉ – CHARGE DE LA PREUVE

[57]           Les parties ne se sont pas arrêtées sur la question de la charge de la preuve dans leurs plaidoiries. Je dois trancher cette question suivant la prépondérance des probabilités. Si je constate que la balance ne penche ni d'un côté ni de l'autre, je dois conclure que les demanderesses n'ont pas renversé la charge de la preuve en démontrant le caractère infondé des allégations relatives à la validité qu'Apotex a avancées dans son avis d'allégation.

 

LA VALIDITÉ – ANTÉRIORISATION

[58]           Apotex soutient aux pages 5 et 6 de son avis d'allégation que les revendications du brevet 967 sont antériorisées par la publication d'une demande déposée sous le régime du Traité de coopération en matière de brevets, soit la demande no WO94/21371 (la demande WO371). Cette demande a été publiée le 29 septembre 1994, environ une semaine avant que la demande prioritaire relative au brevet 967 ne soit déposée au United States Patent Office, le 6 octobre 1994. La demande WO371 remplit la condition chronologique nécessaire pour être invoquée comme antériorité.

 

[59]           La demande WO371 a été publiée en français. Les avocats étaient apparemment disposés à examiner cette question en français, mais ils ont convenu qu'il existait une version anglaise acceptable de la demande WO371 sous la forme du brevet américain no 5843347 (le brevet américain 347) et ils ont par conséquent fondé leurs plaidoiries sur cette version.

 

[60]           Les concepts d'antériorité et d'antériorisation reposent sur la condition – fixée dans la définition du terme « invention » que donne l'article 2 de la Loi sur les brevets, précitée – selon laquelle une invention doit présenter « le caractère de la nouveauté ». La Cour suprême du Canada formule la raison d'être de cette exigence au paragraphe 37 des motifs unanimes de l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, 2002 CSC 77 :

[37]    [...] La population ne devrait pas être appelée à payer un prix élevé pour des spéculations, pour l'énoncé « de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques » (par. 27(3)) ou encore pour la « découverte » de choses évidentes ou déjà existantes. Le monopole conféré par un brevet ne devrait s'acquérir qu'au prix de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes [...]

 

[61]           Par conséquent, si le public a déjà été mis en possession de l'invention revendiquée par quelque moyen que ce soit, il n'a pas à payer le prix d'un monopole pour en reprendre possession. Il faut donc se demander ce que le public possède déjà et le comparer à ce dont le monopole est revendiqué dans le brevet en litige.

 

[62]           On utilise parfois un raccourci en demandant s’il y aurait contrefaçon des revendications ultérieures si la divulgation antérieure était mise en pratique. Cette approche a été utilisée par la Cour d’appel fédérale dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 56 C.P.R. (4th) 387, 2006 CAF 187, aux paragraphes 24 et 25 :

[24]      La question pertinente, s’agissant de la revendication du brevet 274 qui porte sur la forme 0, est la suivante : la forme 0 est‑elle produite au cours de la fabrication de la forme I ou de la forme II? C'est là une question de fait, à laquelle la réponse – incontestée – est affirmative. La personne versée dans le domaine qui fabriquerait la forme I ou la forme II d'après l'enseignement de l'état de la technique produirait inévitablement la forme 0, même si elle ne prenait pas de mesures pour la stabiliser. La forme 0 passerait peut‑être inaperçue, mais cela n'a pas d'importance, comme en témoignent les observations suivantes formulées par lord Hoffman au paragraphe 22 de Smitkline Beecham PLC's (Paroxetine Methanefulfonate) Patent, [2005] UKHL 59 :

 

[traduction] [...] le document invoqué comme antériorité doit exposer un objet dont l'exécution entraînerait nécessairement la contrefaçon du brevet. La raison peut en être que la publication antérieure divulgue la même invention. Dans ce cas, il ne fait aucune doute que l'exécution de l'invention antérieure constituerait une contrefaçon, et ce fait est en général manifeste pour la personne qui connaît à la fois la publication antérieure et le brevet. Mais la contrefaçon de brevet n'est pas subordonnée à la condition de la pratique consciente : « le point de savoir si une personne exploite ou non [une] (…) invention est un fait objectif, indépendant de ce qu'elle-même sait ou pense de son action » (Merrell Dow Pharmaceuticals Inc v N.H. Norton & Co. Ltd. [1996] R.P.C. 76, à la page 90). Il s'ensuit que, indépendamment du point de savoir si quiconque en serait conscient au moment pertinent, lorsque l'objet décrit dans la publication antérieure est exécutable et de nature telle que, s'il est exécuté, la contrefaçon du brevet en résultera nécessairement, la condition de la divulgation antérieure est remplie. Le drapeau a été planté, même si l'auteur de l'antériorité l'a planté à son insu.

 

[25]      Étant donné que la personne qui fabriquerait la forme I ou la forme II d'après l'enseignement de l'état de la technique produirait inévitablement la forme 0, elle contreferait ainsi le brevet 274 aussi sûrement que Ratiopharm le contreferait en fabriquant la forme II pour son produit, comme elle projette de le faire, au moyen d'une méthode entraînant la création de la forme 0. La situation est bien décrite à la page 134 de Hughes and Woodley on Patents (2e édition), où les distingués auteurs écrivent, paraphrasant l'observation formulée par le juge Rinfret à la page 381 de l'arrêt Lightning Fastener Co. c. Colonial Fastener Co., [1933] R.C.S. 377 :

 

[traduction] [...]ce qui contreferait le brevet s'il venait après lui détruit sa nouveauté quand il le précède.

 

Lord Jacob exprime la même idée comme suit au paragraphe 77 de Technic France S.A.’s Patent, [2004] R.P.C. 919 :

 

[traduction] Une autre façon d'aborder le problème est de se demander si l'objet divulgué [dans la ou les publications antérieures] entre dans le champ de la revendication – s'il avait été postérieur à celle‑ci, la contreferait‑il?

 

[63]           Il ne faut cependant pas oublier que cette démarche est simplement un raccourci et comporte des limites, comme le fait observer David Vaver à la page 133 de son ouvrage Intellectual Property Law, Concord (Ontario), Irwin Law, 1997 :

[traduction] On applique ici deux poids deux mesures. Les tribunaux donnent des brevets une interprétation non littérale, dite « téléologique », lorsqu'ils veulent en mettre à l'épreuve la validité interne ou essaient d'établir s'ils ont été contrefaits. Mais lorsqu'ils examinent les publications antérieures en fonction du critère de la nouveauté, ils donnent de ces dernières une interprétation étroite. Ces publications sont ensuite soumises à « l'examen le plus rigoureux », et une « lourde charge » pèse sur la partie qui conteste le brevet. Peut-être faudrait‑il plutôt appliquer le même principe aux brevets et à l'état de la technique. Les publications antérieures devraient faire l'objet d'un examen téléologique, c'est‑à‑dire être lues du point de vue de la personne versée dans l'art. Cet examen devrait s'appliquer aux équivalents évidents des éléments décrits ou revendiqués dans le brevet.

 

[64]           C'est ainsi qu'on voit le même avocat préconiser une interprétation large et généreuse du brevet lorsqu'il veut établir la contrefaçon, et essayer avec un zèle égal de faire appliquer l'interprétation la plus étroite possible à une publication antérieure. Or ces deux éléments, la publication antérieure et la revendication en litige, devraient recevoir la même interprétation, de nature téléologique.

 

[65]           La Cour d'appel fédérale a formulé le principe à appliquer de la manière suivante à la page 297 de Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 :

[...] Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif [...]

                                                            [Non souligné dans l'original.]

 

[66]           L'état de la technique (qu'il s'agisse d'une utilisation ou d'une publication antérieures) doit contenir suffisamment de renseignements sur « l'invention revendiquée » pour en permettre « en pratique » la réalisation sans qu'aucun « génie inventif » ne soit nécessaire.

 

[67]           Qu’est‑ce qui est divulgué en l’occurrence dans la demande WO371? La première partie matérielle du texte (col. 1 du brevet américain 347) se lit comme suit :

[traduction] La présente invention a trait à un nouveau procédé de préparation, par extrusion puis lyophilisation, de particules isolées, qui renferment chacune au moins un ingrédient actif utile en thérapeutique, cosmétique, diététique ou alimentation.

 

[68]           Des précisions sont apportées plus loin (col. 4 du brevet américain 347) :

[traduction] Selon l’invention, un procédé est recommandé pour la préparation de particules utiles notamment en thérapeutique, qui comprennent chacune un excipient formant une matrice et au moins un ingrédient actif régulièrement réparti dans la masse de cette matrice, le procédé étant caractérisé par […]

 

[69]           On nous dit donc que le document en question, qui est en l'occurrence une demande de brevet (mais sa nature importe peu : ce qui importe, c'est la divulgation), expose comment produire les particules d'une composition pharmaceutique d'utilité thérapeutique. Il n'y a rien à redire jusque‑là à cette interprétation.

 

[70]           On trouve dans le document des exemples de la façon de préparer ces particules. Les exemples 16 et 17 ont trait expressément au modafinil. Nous savons que l’auteur de la demande dans WO371 est le laboratoire L. Lafon, de France, la même entreprise qui a octroyé la licence pour la technologie de production du modafinil à la demanderesse Cephalon et qui est reconnue par les demanderesses comme étant l’entreprise d’origine du modafinil. Voici les exemples 16 et 17 tels que divulgués (col. 14 du brevet américain  347) :

[traduction]

 

EXEMPLES 16-17

 

Microbilles de modafinil

 

À partir des formulations suivantes :

______________________________________ 

 

Ex. 16               Ex. 17

______________________________________

 

Modafinil*                     100 g                100 g

Saccharinate de sodium       2 g                  2 g

Dextran 70                      10 g                  10 g

Tween 80                         2 g                    2 g

Hydroxypropyl-β-

cyclodextrine                 100 g                     --

Lactose ou mannitol          --                     40 g

Gomme xanthane              1 g                    1 g

Eau                              200 g                200 g

______________________________________ 

Note

*granulométrie du modafinil : 2-5 μm, on prépare des microbilles selon l’invention.

 

Diamètre des filières : 0,5 mm

Diamètre des microbilles : 1 mm

 

[71]           On indique clairement et précisément que la granulométrie utilisée pour le modafinil est de 2 à 5 μm, ce qui est bien en deçà (par un facteur  maximal de cent) de la limite supérieure d’environ 200 μm établie par les revendications 1 ou 10 et se situe à l’intérieur de l’intervalle le plus étroit des revendications 3 ou 18 par exemple, soit 2 μm à 19 μm.

 

[72]           Les demanderesses ont soutenu que la demande WO371 (brevet américain 347) ne divulguait pas une « composition pharmaceutique » telle que revendiquée dans le brevet 967. Je rejette cet argument. La demande WO371 divulgue clairement une composition qualifiée d’utile en thérapeutique. Au moment de la publication du brevet, le modafinil était bien connu comme ingrédient actif dans des compositions pharmaceutiques utilisées pour traiter les problèmes de somnolence. Le brevet 967 lui‑même le reconnaît.

 

[73]           Les demanderesses ajoutent que les exemples 16 et 17 n’indiquent pas l’usage prévu des « particules ». Cet argument est en fait le même que celui soulevé ci‑dessus, et je le rejette également. Au moment de la publication de la demande WO371, le modafinil était un ingrédient connu entrant dans la fabrication de compositions pharmaceutiques pour traiter les problèmes de somnolence. Toute personne versée dans l’art qui lirait les exemples 16 et 17 s’attendrait raisonnablement à ce que ce soit l’usage auquel les « particules » sont destinées.

 

[74]           Les demanderesses avancent de plus que la gamme posologique comprise entre 50 mg et 700 mg à laquelle on réfère directement ou indirectement dans toutes les revendications n’est pas précisée dans les exemples 16‑17 ni ailleurs dans la demande WO371. C’est vrai en soi, mais comme je l’ai constaté en interprétant les revendications, cette gamme posologique n’est pas un élément essentiel de la revendication. Ce qui importe, comme il est indiqué à la page 6 du brevet, c’est que la dose corresponde à « une quantité efficace », définie comme une quantité qui réduit ou élimine les symptômes d’un état de somnolence. Les données montrent qu’en date de la publication de la demande WO371, les doses de 50 mg à 700 mg comprenaient les doses de modafinil administrées pour traiter les problèmes de somnolence. Par exemple, des publications fournissant entre autres des spécifications pour les produits contenant du modafinil, qui sont parues avant la publication de la demande WO371, révèlent que des doses de 100 mg, 200 mg et jusqu’à 600 mg étaient courantes et que des doses de 700 mg étaient à l’occasion signalées. Il n’y a pas d’« invention » ni d’« élément essentiel » dans les doses entre 50 mg et 700 mg. L’élément « essentiel » des revendications demeure la taille des particules de modafinil dans une composition pharmaceutique, ce qui est clairement annoncé par les exemples 16‑17 de la demande WO371.

 

[75]           Par conséquent, je conclus que les demanderesses n'ont pas établi selon la prépondérance des probabilités le caractère infondé de l'allégation que le brevet 967 est invalide au motif de son antériorisation par la demande WO371. Cela suffirait pour rejeter la présente demande; j'examinerai néanmoins les autres allégations mises en litige à l'audience.

 

LA VALIDITÉ – ÉVIDENCE

[76]           Il convient de distinguer les concepts d'absence de nouveauté et d'évidence lorsqu'on examine la question de la validité du brevet. Cette distinction a été formulée, par exemple, par la Cour d'appel fédérale aux pages 197 à 199 de l'arrêt Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1993), 47 C.P.R. (3d) 188 :

L'« antériorité » et le « caractère évident » sont deux notions distinctes. Dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY, le juge Hugessen, J.C.A. les a différenciés ainsi :

 

... l'évidence est une attaque contre un brevet en raison de son absence de valeur inventive. Celui qui conteste la validité du brevet dit en fait « N'importe qui aurait pu faire cela ». Celui qui plaide l'antériorité, ou absence de nouveauté, présume pour sa part qu'une invention a effectivement eu lieu mais il allègue qu'elle a été divulguée au public avant que soit présentée la demande de brevet. Le reproche est le suivant : « Votre invention est astucieuse mais elle est déjà connue ».

 

Il a affirmé ce qui suit au sujet de l'« antériorité » :

 

On se souviendra que celui qui allègue l'antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l'invention était connue du public avant la date pertinente. L'enquête porte sur l'invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l'évidence, sur l'état de la technique et des connaissances générales. De plus, ainsi qu'il ressort du passage précité de la Loi, l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.

[C'est moi qui souligne]

Il a énoncé ainsi le critère du « caractère évident » :

 

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[C'est moi qui souligne]

On peut invoquer une invention antérieure pour l'application des deux critères, mais à des fins différentes dans chaque cas. Dans son ouvrage Canadian Patent Law and Practice, 4th ed. (1969), Fox affirme ce qui suit aux p. 136 et 137 :

 

[traduction]

... Les mémoires descriptifs antérieurs sont généralement invoqués pour établir l'antériorité s'ils divulguent exactement et complètement ce que le breveté a revendiqué. Si le mémoire descriptif antérieur ne renferme pas une telle divulgation et ne permet pas d'établir l'antériorité, il peut être invoqué comme indice de l'état de la technique au moment où le breveté a conçu l'invention qu'il allègue; il permet d'établir que l'œuvre du breveté a contribué si peu aux connaissances existantes qu'elle était dépourvue de l'élément essentiel d'ingéniosité et qu'elle était simplement évidente.

[C'est moi qui souligne]

L'antériorité doit donc ressortir d'un seul document qui permet déjà à la personne versée de connaître intégralement ce qui est revendiqué. Cependant, dans le cas du caractère évident, [traduction] « il faut examiner les inventions antérieures et prendre en considération leur effet cumulatif », on parle alors de la [traduction] « mosaïque d'extraits ».

 

Il s'agit d'une question de fait dans les deux cas.

 

[77]           Le premier commentaire à faire concernant la demande WO371 est le suivant : si l’on trouve qu’il manque quelque chose lorsqu’on examine l’antériorité, ces lacunes sont facilement comblées quand il est question de l’évidence. La demande WO371 a une importance pour l’industrie pharmaceutique et les personnes qui s’intéressent au modafinil. Il a été publié avant la première date de l’invention pour le brevet 967, qui est la date de priorité pour le dépôt aux États‑Unis. Une personne versée dans l’art serait informée qu’une composition pharmaceutique contenant du modafinil, médicament connu pour ses propriétés thérapeutiques contre les troubles du sommeil, peut être fabriquée avec des particules de modafinil de petite taille, de 2 μm à 5 μm.

 

[78]           On savait couramment que les doses comprises entre 100 mg et 600 mg ou même allant jusqu’à 700 mg étaient utilisées. Il était de notoriété publique que la granulométrie influait sur les propriétés d’un médicament, en particulier un médicament comme le modafinil, connu pour sa faible solubilité dans l’eau. On savait que les formulateurs ajusteraient la granulométrie pour favoriser la biodisponibilité d’un médicament (p. ex. affidavit de Langer Affidavit, par. 72 à 159).

 

[79]           On n'a pas toujours su, ont fait valoir les demanderesses, que la variation de la granulométrie augmentait l'efficacité d'une drogue donnée. On constatait que des particules plus petites étaient avantageuses dans certains cas et ne l'étaient pas dans d'autres. Cependant, comme l'ont fait observer les tribunaux anglais, l'existence de plusieurs voies pour parvenir à une invention supposée ne signifie pas que celle‑ci ne soit pas évidente.

 

[80]           On peut lire ce qui suit sous la plume de lord Aldous au paragraphe 57 de Lilly Icos LLC v. Pfizer Ltd. [2002] EWCA Civ 1, [2002] IP&T 244 :

[traduction]

M. Young a raison de dire que, s'agissant de la question de l'évidence, on ne peut supposer que la personne versée dans l'art essaierait toutes les permutations possibles ou effectuerait des recherches approfondies; voir Hallen Co v Brabantia (UK) Ltd [1991] RPC 195, à la page 212. La nature de ce qui aurait été évident dépend de toutes les circonstances. Comme je le disais dans Norton Healthcare Ltd v. Beecham Group plc (jugement non publié en date du 19 juin 1997) :

Lorsqu'on doit décider si une invention revendiquée est évidente, il se révèle souvent nécessaire d'établir si une voie de recherche déterminée menant à cette invention était elle-même évidente. Dans ces cas, la longueur respective de ces diverses voies de recherche et la probabilité subjective que l'une ou l'autre mène à destination peuvent s'avérer pertinentes pour décider si l'invention revendiquée était évidente. Le point de savoir si l'objet de l'invention était évident peut dépendre du point de savoir s'il était à essayer à l'évidence dans le contexte particulier de l'affaire; dans l'affirmative, il faudra prendre en considération les chances perçues de réussite. Mais il ne s'ensuit pas qu'on puisse dans tous les cas décider si une invention revendiquée était évidente en tranchant la question de savoir s'il y avait un espoir raisonnable d'obtenir un résultat favorable en suivant une voie de recherche déterminée. Chaque affaire dépend de l'invention en cause et du contexte factuel. Il ne convient pas de remplacer les dispositions de la loi applicable par quelque formule que ce soit. La Cour doit dans chaque cas évaluer la preuve et décider si l'invention était ou non évidente. C'est là la tâche que lui assigne ladite loi.

 

[81]           Citons en outre le juge Laddie, qui écrivait à la page 661 de Brugger v Medic-Aid Ltd. [1996] RPC 635 :

[traduction] Premièrement, il arrive qu'une voie de recherche soit à essayer à l'évidence même si l'on ne peut dire avec certitude qu'elle mènera à la réussite, ou à une réussite suffisante pour qu'il vaille la peine de s'y engager du point de vue commercial [...] Deuxièmement, si une voie déterminée est à l'évidence à suivre ou à essayer, elle n'est pas rendue moins évidente sur le plan technique par le simple fait qu'il existe un certain nombre, ou peut-être un grand nombre, d'autres voies évidentes. S'il y a une pluralité de voies évidentes, il est plus ou moins inévitable que la personne versée dans l'art en essaie certaines avant d'autres.

 

 

[82]           La Cour d'appel fédérale a tiré une conclusion analogue dans l'affaire dite « de la paroxétine rose » : SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2002 CAF 216, confirmant 2001 CFPI 770. S'il y a trois façons de fabriquer un comprimé, soit un procédé par voie humide et deux procédés sans eau, et que le produit prend une coloration rose lorsqu'on utilise le procédé par voie humide, il est évident que la personne versée dans l'art envisagera l'application d'un procédé sans eau même si bien d'autres facteurs sont susceptibles d'expliquer cette coloration.

 

[83]           Le juge de première instance, après avoir analysé cette question, a formulé la conclusion suivante au paragraphe 40 de SmithKline Beecham :

[40]     Ayant conclu que la formulation par voie humide des comprimés de paroxétine suscite un [traduction] « problème de coloration rose », dont l'importance est telle qu'elle pousse une personne au fait de l'art à chercher à le résoudre, à tout le moins en partie, je suis persuadé que logiquement, la première étape de toute personne au fait de l'art serait de se tourner vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour voir si l'un ou l'autre ne résoudrait pas, en totalité ou en partie, le problème. Je suis également persuadé que cette recherche n'impliquerait aucune étape inventive ni aucun génie inventif. Elle mettrait seulement en jeu l'application de l'enseignement du brevet 060.

 

[84]           La Cour d'appel fédérale, au paragraphe 20 de son exposé des motifs, a examiné la question sous le rapport de l’alternative « étape inventive » / « habileté d'ordre technique ». Il n'est pas pertinent de se demander si le résultat de cet examen est à verser au dossier de l'« antériorisation » ou à celui de l'« évidence ». Le point essentiel est qu'il n'y a pas de véritable invention :

[20]     Par contre, en l'espèce, le juge des requêtes a constaté que le brevet 637 n'avait nécessité « aucune étape inventive ni aucun génie inventif ». Autrement dit, une personne pouvait arriver au brevet 637 « sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre technique ». Les instructions permettant d'arriver à la formulation revendiquée dans le brevet 637 sont, par conséquent, clairement et infailliblement présentes dans le brevet 060. Le juge des requêtes a décidé qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que toute personne au fait de l'art qui cherche à résoudre le « problème de coloration rose » se tourne nécessairement vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour trouver la solution, sans activité inventive. Il faut une habileté d'ordre technique, plutôt que du génie inventif, pour appliquer le brevet 060 et arriver au brevet 637. Les appelantes ne m'ont pas persuadé que le juge des requêtes ait commis une erreur en prenant en considération l'ensemble de la preuve pour arriver à sa conclusion. En outre, le fait que le brevet 060 renferme des renseignements et des instructions supplémentaires, absents du brevet 637, est sans importance pour établir si une personne pouvait « s'en remettre [...] [au brevet 060] et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production [...] [du brevet 637] sans l'exercice de quelque génie inventif » (Beloit, précité, à la page 297).

 

 

[85]           Dans la présente espèce, on a montré que la variation de la granulométrie est tout à fait à la portée de la compétence et des connaissances de la personne versée dans l'art. Il faut s'attendre à ce que cette dernière prenne la granulométrie en considération lorsqu'elle produit une drogue. Nul ne devrait pouvoir, au moyen d'un monopole de brevet, priver la personne versée dans l'art de la possibilité d'exercer ce savoir-faire.

 

[86]           En conséquence, je conclus que les demanderesses n'ont pas établi suivant la prépondérance des probabilités le caractère infondé des allégations d'évidence avancées par Apotex. C'est là un autre motif pour lequel la présente demande sera rejetée.

 

LA VALIDITÉ – SIMPLE DÉCOUVERTE

[87]           Apotex soutient que la supposée [TRADUCTION] « invention » revendiquée dans le brevet 967 n'est pas du tout une invention, mais une [TRADUCTION] « simple découverte ». Si le terme « découverte » ne figure pas dans la Loi sur les brevets, il paraît s'être taillé une place dans le discours des brevets, mais sans qu'on y ait examiné rigoureusement le point de savoir s'il convient d'établir une distinction entre l'« invention » et la « simple découverte ». Le paragraphe 91(22) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.), dispose que la compétence fédérale comprend « [l]es brevets d'invention et de découverte », mais la Loi sur les brevets n'établit pas de distinction entre les concepts d'invention et de découverte ni ne fait même mention de ce dernier.

[88]           Apotex invoque à cet égard les conclusions exposées par le juge Mosley aux paragraphes 150 à 156 de la décision de notre Cour Pfizer Canada Ltd. c. Apotex Inc., 2005 CF 1421, (2005) 43 C.P.R. (4th) 81. Selon mon interprétation, cette décision ne crée pas une nouvelle catégorie à prendre en considération dans l'examen de la validité des brevets. Le juge Mosley ne faisait qu'y appliquer le droit existant concernant la nouveauté et l'évidence.

 

[89]           Ayant conclu que n'a pas été démontré le caractère infondé des allégations d'invalidité aux motifs de l'absence de nouveauté et de l'évidence, je ne vois pas la nécessité de créer un précédent en appliquant la nouvelle catégorie de « simple découverte ».

 

LA VALIDITÉ – UTILITÉ

[90]           Apotex fait valoir, sous le rapport de l'utilité, que le brevet 967 promet que la formulation revendiquée produira une activité supérieure et un profil d'innocuité plus prévisible. Elle cite à l'appui de cette affirmation les lignes 12 à 15 de la page 8 dudit brevet :

[traduction]

 

II. L’invention

 

L’invention résulte de notre découverte que la taille des particules, et l’homogénéité granulométrique, du modafinil peut exercer un effet important sur le profil d’activité et d’innocuité de ce dernier.

 

 

[91]           Apotex soutient toutefois que, dans l’intervalle granulométrique revendiqué par le brevet, le modafinil n’est ni plus actif que les versions antérieures du médicament ni plus sûr.

 

[92]           Pour ce qui est de l’activité, le brevet 967 cite aux pages 16 à 18 des études effectuées sur des chiens qui ont reçu diverses doses de modafinil d’une granulométrie particulière, les concentrations plasmatiques ayant été mesurées à différents moments. Les résultats sont illustrés à la figure 8 (la figure 9 est similaire mais concerne un métabolite du modafinil et non le modafinil comme tel). Aux lignes 24 à 26 de la page 17 du brevet, il est dit ce qui suit au sujet de cette étude :

[traduction] Ces résultats ont fait ressortir les effets de différentes valeurs granulométriques et l’importance de contrôler la granulométrie du modafinil.

 

 

[93]           Lorsqu’on examine la figure 8, un certain nombre de barres verticales tracées sur les points représentant les résultats apparaissent clairement. Ces barres verticales sont mentionnées dans la preuve comme des barres d’« erreur » ou des barres reflétant l’écart type statistique. Quant à la signification de ce graphique et à l’effet de ces barres, je considère que MM. Polli, Feifel et Cartilier ont fourni la preuve la plus importante à cet égard, car ce sont des experts dans le domaine. Après avoir examiné toute la preuve pertinente, notamment celle fournie par les témoins susmentionnés, je suis convaincu qu’on peut résumer la preuve relative à la figure 8 et ce qui en est dit dans le brevet 967 en renvoyant aux questions 627 et 636 et aux réponses données en contre‑interrogatoire par M. Cartilier, à savoir qu’une personne versée dans l’art ne peut tirer de conclusion utile à partir des renseignements présentés :

[traduction]

627       Q.        Pour en revenir à la figure 8, pouvez‑vous me dire s’il existe des différences statistiques dans les courbes à la figure 8?

            R.         On ne peut effectuer de calcul statistique à partir de cette figure. Il faut avoir en main les données brutes.

 

628       Q.        D’accord. Après avoir lu le brevet et examiné cette figure, vous ne pouvez donc pas me dire si oui ou non les différences présentent un intérêt?

            R.         Non. J’ai en main une quantité d’articles où il n’y a pas de barres d’erreur mais un message intéressant faisant état de différences.

 

629       Q.        D’accord, mais --

            R.         Je…?… –

 

630       Q.        Pardon, continuez.

            R.         Ce que je ne peux faire, c’est effectuer le test statistique, parce que je ne dispose pas des données.

 

631       Q.        Bon. Vous ne pouvez effectuer une analyse statistique?

            R.         Oui. C’est ça.

 

632       Q.        Et aucune n’a été réalisée dans le cadre du brevet  967?

            R.         Je l’ignore.

 

633       Q.        Bien, vous l’avez lue. Dans le brevet 967 –

            R.         Je ne l’ai pas vue dans le brevet 967 –

 

634       Q.        D’accord. Donc, en l’absence d’une telle analyse, on ne peut conclure si ces différences présentent un intérêt ou non, c’est‑à‑dire s’il s’agit de différences statistiquement significatives.

                        N’est-ce pas?

R.         On ne peut tirer de conclusion du point de vue statistique.

 

635       Q.        Bon. Vous ne pouvez donc conclure si ces différences présentent un intérêt, du point de vue de la signification statistique.

                        N’est-ce pas?

R..        Du point de vue statistique, je ne peux tirer de conclusion –

 

636       Q.        Mais d’un point plus que « statistique ».

                        Du point de vue « de la signification statistique ».

R.         Oui. Du point de vue de la signification statistique.

 

 

[94]           Le brevet ne traite pas de l’innocuité, sauf pour mentionner l’homogénéité et les doses plus faibles, à la page 17 :

[traduction] « Ces résultats ont fait ressortir les effets des différences granulométriques et l’importance de contrôler la granulométrie du modafinil. En contrôlant la granulométrie, on peut résoudre les questions d’innocuité. Par exemple, un mélange non homogène de particules de modafinil de tailles variées peut ne pas produire une activité constante ni empêcher les fluctuations non souhaitées dans les concentrations plasmatiques de modafinil; de telles fluctuations peuvent entraîner des événements indésirables et imprévus. En outre, l’utilisation de particules de modafinil ayant une granulométrie définie est plus efficace, car on peut obtenir une concentration plasmatique déterminée de modafinil à des doses orales plus faibles. »

 

 

[95]           Dans les revendications du brevet, les doses mentionnées se situent entre 50 mg et 700 mg. Cette gamme posologique n’est pas plus faible que celle précédemment utilisée dans l’art antérieur. D’autres produits de modafinil ont déjà été homologués en France, des comprimés de 100 mg ayant été approuvés pour une posologie de 2 à 4 comprimés par jour, soit 200 à 400 mg par jour. Ces doses se situent à l’intérieur de la gamme revendiquée dans le brevet 967. Aucune « innovation » n’a pu être démontrée en ce qui a trait à l’innocuité.

 

[96]           La preuve me convainc que les demanderesses n'ont pas prouvé le caractère infondé des allégations d'Apotex comme quoi l'invention supposée, telle qu'elle est revendiquée dans le brevet 967, est dépourvue du caractère de l'utilité.

 

LA VALIDITÉ – CARACTÈRE SUFFISANT DU MÉMOIRE DESCRIPTIF

[97]           La Cour d'appel fédérale a récemment examiné l'attitude à adopter à l'égard de l'allégation du caractère insuffisant du mémoire descriptif, avancée sous le régime du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. Elle a conclu, aux paragraphes 63 et 64 de Pfizer Canada Ltd. c. Ranbaxy Laboratories Limited, 2008 CAF 108, qu'il faut décider la question du caractère suffisant du mémoire descriptif à la lumière du contenu du brevet même, sans tenir compte de la preuve extrinsèque :

[traduction]

[63]      Le juge des demandes a interprété de manière erronée la promesse du brevet et l'exigence d'exposition du paragraphe 27(3) de la Loi en se demandant s'il y avait suffisamment de données pour justifier cette promesse. Un tel examen dépasse la portée dudit paragraphe. La contestation d'un brevet de sélection au motif de l'absence de données étayant l'avantage revendiqué est certes pertinente pour l'étude de la validité (où son objet d'application le plus probable sera la sous-question de l'utilité), mais ne l'est pas lorsqu'il s'agit d'évaluer l'exposition sous le régime du paragraphe 27(3) de la Loi.

 

[64]      Le brevet doit exposer l'invention et la manière dont elle est produite. Or le brevet 546 remplit cette condition. Il expose aussi les avantages sous-jacents à la sélection. C'est là à mon sens tout ce qu'exige le paragraphe 27(3) de la Loi, dont l'objet est de permettre à la personne versée dans l'art d'utiliser intégralement l'invention sans avoir à faire preuve d'esprit inventif.

 

[98]           Apotex invoque à l'appui de ses prétentions le passage suivant du paragraphe 46 de l'arrêt Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142 :

Un brevet est un monopole légal accordé en contrepartie de la divulgation totale et complète de son invention par le breveté. La divulgation est la condition essentielle du marché intervenu entre le breveté [...] et le public [...]

 

 

[99]           Les conclusions exposées à cet égard par Apotex à l'audience reposaient presque entièrement sur l'absence de signification des données du tableau 1 (page 13) du brevet, en particulier de la colonne d'extrême droite. Du point de vue mathématique, ces données sont incohérentes. On prétend assigner, relativement aux chiffres inscrits à gauche sur la même ligne horizontale, une valeur de 1 à la « médiane », et des valeurs proportionnelles à la « moyenne » et au « mode ». Or, si l'on considère par exemple la première inscription (E‑A), les valeurs notées sur le tableau ne correspondent pas à celles que révèle un calcul exact :

Médiane = 143,65 = 1 (tableau)

Moyenne = 34,60 = 4,15 (tableau)

                                0,24 (calcul exact)

Mode  = 176,48 = 0,81 (tableau)

                             1,23 (calcul exact)

[100]       Apotex soutient que ces erreurs de calcul privent de signification aussi bien l'ensemble du tableau que toutes conclusions découlant de la colonne « médiane : moyenne : mode ». La personne versée dans l'art, font valoir de leur côté les demanderesses, se rendrait compte que les calculs sont erronés, mais aussi que les données inscrites dans les autres colonnes sont exactes, et elle accepterait l'ensemble après correction.

 

[101]       Les demanderesses avancent aussi un argument d'une autre nature, à savoir qu'Apotex n'a pas invoqué dans son avis d'allégation l'insuffisance de l'exposé sous le rapport de la colonne « médiane : moyenne : mode » du tableau 1, et qu'en soulevant cette question à l'audience pour la première fois, elle les a privées de la possibilité de connaître les moyens qu'on allait faire valoir contre elle et de produire les éléments de preuve qu'elle aurait jugés aptes à les contrer. Je me trouve d'accord avec les demanderesses pour dire que cette question n'a pas été clairement soulevée dans l'avis d'allégation. En conséquence, indépendamment de la valeur de cette question quant au fond, je conclus que notre Cour n'en est pas valablement saisie et qu'elle ne peut être soulevée maintenant.

 

[102]       Pour le cas où cette conclusion serait erronée, j'ajouterai que j'aurais établi, sur le fondement de la preuve dont je dispose touchant la question, que le colonne « médiane : moyenne : mode » du tableau 1 est de nature à induire en erreur et inciterait la personne versée dans l'art à douter de l'exactitude de l'ensemble des données de ce tableau, ainsi que de toutes conclusions formulées dans le brevet à ce propos.

 

VALIDITÉ – REVENDICATIONS TROP ÉTENDUES – « ENVIRON »

[103]       Lors de l’audience, Apotex a formulé un dernier argument contestant la validité du brevet 967, cet argument ayant trait au terme « environ » dans les revendications. Ce terme apparaît directement ou indirectement dans les 28 revendications du brevet. Dans la revendication 1, le terme « environ » modifie le pourcentage de particules ayant moins d’un certain nombre de millimètres et il modifie les dimensions de la particule et la dose.

 

[104]       Dans la divulgation de l’invention, page 4, lignes 7 à 12, le terme « environ » est défini :

[traduction] Dans le présent brevet, le terme « environ » signifie plus ou moins 10 p. 100 à peu près de la valeur indiquée, de sorte que l’expression « environ 20 microns » représente approximativement de 18 à 22 microns. La granulométrie peut être déterminée, p. ex. par les méthodes décrites ci‑dessous et par des méthodes classiques connues par les personnes versées dans l’art.

 

 

[105]       Apotex soutient qu’en vertu de cette définition, chaque fois qu’on trouve le mot « environ » dans les revendications, cela signifie plus ou moins à peu près 10 p. 100 de la valeur indiquée. Les demanderesses font valoir que le mot « environ » tel que défini à cet endroit du brevet ne renvoie qu’à la granulométrie et non à d’autres critères comme le pourcentage de particules ou les doses.

[106]       Selon Apotex, si l’on considère que la définition d’« environ » s’applique au pourcentage de particules dont la taille est inférieure à celle indiquée dans la revendication, par exemple « au minimum environ 95 p. 100  » ont un diamètre de « moins de 200 micromètres environ », comme dans la revendication 1 et, indirectement, les revendications 2 à 9, la revendication 10, la revendication 27 et, par renvoi, la revendication 28, alors on autoriserait une composition (utilisant la définition de 10 %) dans laquelle au moins 85,5 % du total cumulatif des particules de modafinil présentent une granulométrie inférieure à 220 micromètres. Dans ce cas, d’après Apotex, les lots « précoces » ou « E » de modafinil décrits dans le brevet comme déjà existants ou selon « l’art antérieur » entreraient dans le champ des revendications.

 

[107]       Je reconnais que la personne qui a rédigé le brevet n’a probablement pas accordé beaucoup d’attention à la définition du mot « environ », à son mode d’utilisation ni à son emplacement dans les revendications. Selon une interprétation téléologique du brevet et si on lit ce dernier objectivement, le mot « environ », c’est‑à‑dire plus ou moins 10 pour 100, ne devrait s’appliquer qu’à la taille des particules et non à d’autres définitions telles que le pourcentage ou la dose pouvant être mentionnés dans les revendications.

 

[108]       En conséquence, je conclus que cette allégation d'Apotex n'est pas fondée.

 

CONCLUSION

[109]       Ma conclusion finale est que les demanderesses ne se sont pas acquittées, suivant la prépondérance des probabilités, de la charge qui pesait sur elles de prouver le caractère infondé des allégations d'invalidité du brevet 967 formulées par Apotex, au moins pour ce qui concerne les motifs de l'antériorisation, de l'évidence et de l'absence d'utilité. La présente demande sera donc rejetée.

 

LES DÉPENS

[110]       La défenderesse Apotex ayant obtenu gain de cause dans la présente demande, les dépens lui seront adjugés au niveau habituel dans de telles instances, soit le milieu de la colonne IV. Cependant, elle a soulevé dans son avis d'allégation, notamment sous le régime de l'article 53 de la Loi sur les brevets, de nombreuses allégations relatives à l'invalidité qu'elle n'a pas reprises à l'audience. Or, comme l'explique la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, les allégations formulées sous le régime de l'article 53 donnent à penser qu'il pourrait y avoir eu fraude, de sorte que la partie qui les avance pour les abandonner ensuite devrait être pénalisée sous le rapport des dépens. En conséquence, les dépens et débours taxés en faveur d'Apotex seront réduits de vingt-cinq pour cent.

 

[111]       Des dépens pourront être taxés au titre de la présence de deux avocats à l'audience, soit un avocat principal et un avocat en second. Il pourra également être accordé des dépens au titre des deux avocats, le cas échéant, qui auront mené un contre-interrogatoire, mais d'un seul pour l'assistance au témoin. Il ne sera pas accordé de dépens à l'égard des autres avocats, internes ou externes, ni des techniciens juridiques.

 

[112]       Les dépens taxés au titre des honoraires des témoins experts ne dépasseront pas, par unité de temps, le montant des honoraires demandés par l'avocat principal d'Apotex.

 

[113]       Les frais de photocopie seront taxables à un montant fondé sur le taux de 0,25 $ la page, ou à la somme effectivement facturée si elle est inférieure.

 

 


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS exposés ci‑dessus,

LA COUR STATUE :

1.                  que la demande est rejetée;

2.                  que la défenderesse Apotex a droit aux dépens, à taxer conformément à l'exposé des motifs.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE A

FIGURE 8

 

PLASMA MODAFINIL CONCENTRATION (mg/mL) = CONCENTRATION PLASMATIQUE DE MODAFINIL (mg/mL)

 

HOURS POST-DOSE = HEURES APRÈS L’ADMINISTRATION DE LA DOSE

 

FIG. 8


ANNEXE B

 

REVENDICATIONS

1.         Une composition pharmaceutique comprenant un mélange fortement homogène de particules de modafinil, dans lequel au minimum environ 95 % du total cumulatif de particules de modafinil ont un diamètre de moins de 200 micromètres environ, ladite composition renfermant entre environ 50 milligrammes et environ 700 milligrammes du modafinil.

 

2.         La composition selon la revendication 1, dans laquelle lesdites particules ont un diamètre médian qui se situe entre environ 2 micromètres et environ 60 micromètres.

 

3.         La composition selon la revendication 1, dans laquelle les particules ont un diamètre moyen d’environ 2 micromètres à environ 19 micromètres.

 

4.         La composition selon la revendication 1, dans laquelle lesdites particules ont un diamètre modal d’environ 2 à environ 60 micromètres.

 

5.         La composition selon la revendication 1, dans laquelle le rapport du diamètre médian au diamètre moyen desdites particules est compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

6.         La composition selon la revendication 1, dans laquelle le rapport du diamètre médian au diamètre modal desdites particules est compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

7.         La composition selon la revendication 1, dans laquelle lesdites particules ont un diamètre moyen d’environ 2 micromètres à environ 19 micromètres, un diamètre médian d’environ 2 micromètres à environ 60 micromètres et un diamètre modal d’environ 2 micromètres à environ 60 micromètres, le rapport entre ledit diamètre médian et ledit diamètre modal étant compris entre 1:2,50 et 1:0,50 et le rapport entre ledit diamètre médian et ledit diamètre moyen étant compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

8.         La composition selon la revendication 7, dans laquelle l’écart type desdits diamètres moyen, médian et modal est inférieur à 25 micromètres.

 

9.         La composition selon n’importe quelle des revendications 1 à 9 qui se présente sous une forme pouvant être administrée par voie orale, à savoir un comprimé, une capsule, une poudre, une pilule, une suspension ou une émulsion liquides.

 

10.       L’utilisation d’un mélange fortement homogène de particules de modafinil dans lequel au minimum environ 95 % du total cumulatif desdites particules ont un diamètre de moins d’environ 200 micromètres pour servir à la fabrication d’une composition pharmaceutique contenant entre environ 50 mg et environ 700 mg de modafinil et visant à contrer l’état de somnolence chez un mammifère.

 

11.       L’utilisation selon la revendication 14, où l’état de somnolence indiqué est la narcolepsie.

 

12.       L’utilisation du modafinil pour la fabrication d’une composition pharmaceutique qui renferme des particules de modafinil ayant une granulométrie médiane d’environ 2 à environ 60 micromètres et qui vise à contrer l’état de somnolence chez un mammifère, cette composition contenant 50 à 700 milligrammes desdites particules de modafinil.

 

13.       L’utilisation conforme à la revendication 12, où les particules ont un diamètre moyen d’environ 2 micromètres à environ 19 micromètres.

 

14.       L’utilisation conforme à la revendication 12, où lesdites particules ont un diamètre modal d’environ 2 à environ 60 micromètres.

 

15.       L’utilisation conforme à la revendication 12, où le rapport entre le diamètre médian et le diamètre moyen desdites particules est compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

16.       L’utilisation conforme à la revendication 12, où le rapport entre le diamètre médian et le diamètre modal desdites particules est compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

17.       L’utilisation conforme à la revendication 12, où lesdites particules ont un diamètre moyen d’environ 2 micromètres à environ 19 micromètres, un diamètre médian d’environ 2 micromètres à environ 60 micromètres et un diamètre modal d’environ 2 micromètres à environ 60 micromètres, le rapport entre le diamètre médian et le diamètre modal étant compris entre 1:2,50 et 1:0,50 et le rapport entre le diamètre médian et le diamètre moyen étant compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

18.       L’utilisation du modafinil pour la fabrication d’une composition pharmaceutique qui renferme des particules de modafinil ayant une granulométrie moyenne d’environ 2 à environ 19 micromètres et qui vise à contrer l’état de somnolence chez un mammifère, ladite composition contenant 50 à 700 milligrammes desdites particules de modafinil.

 

19.       L’utilisation conforme à la revendication 18, où lesdites particules ont un diamètre modal d’environ 2 à environ 60 micromètres.

 

20.       L’utilisation conforme à la revendication 18, où le rapport entre le diamètre médian et le diamètre moyen desdites particules est compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

21.       L’utilisation conforme à la revendication 18, où le rapport entre le diamètre médian et le diamètre modal desdites particules est compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

22.       L’utilisation du modafinil pour la fabrication d’une composition pharmaceutique qui renferme des particules de modafinil ayant une granulométrie moyenne d’environ 2 à environ 60 micromètres et qui vise à contrer l’état de somnolence chez un mammifère, ladite composition contenant 50 à 700 milligrammes desdites particules de modafinil.

 

23.       L’utilisation conforme à la revendication 22, où le rapport entre le diamètre médian et le diamètre moyen desdites particules est compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

24.       L’utilisation conforme à la revendication 22, où le rapport entre le diamètre médian et le diamètre modal desdites particules est compris entre 1:2,50 et 1:0,50.

 

25.       L’utilisation conforme à n’importe quelle des revendications 12 à 24, où l’écart type desdits diamètres moyen, médian et modal est inférieur à 25 micromètres.

 

26.       L’utilisation conforme à n’importe quelle des revendications 12 à 25, ladite composition se présentant sous une forme pouvant être administrée par voie orale, à savoir un comprimé, une capsule, une poudre, une pilule, une suspension ou une émulsion liquides.

 

27.       L’utilisation d’un mélange fortement homogène de particules de modafinil dans lequel au minimum environ 95 % du total cumulatif desdites particules ont un diamètre de moins de 200 micromètres pour servir à la fabrication d’une composition pharmaceutique contenant entre 50 mg et 700 mg de modafinil et visant à contrer l’état de somnolence chez un mammifère.

 

28.       L’utilisation conforme à n’importe quelle des revendications 12 à 28, où l’état de somnolence indiqué est la narcolepsie.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑756‑06

 

INTITULÉ :                                                   SHIRE BIOCHEM INC. et CEPHALON INC.

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ et APOTEX INC.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATES DE L'AUDIENCE :                         DU 9 AU 11 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 25 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brian Daley

Kavita Ramamoorthy

 

POUR LES DEMANDERESSES

David E. Lederman

Andrew Brodkin

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patrick E. Kierans

Judith Robinson

Brian Daley

Ogilvy Renault LLP

 

POUR LES DEMANDERESSES

Pascale‑Catherine Guay

Ministère de la Justice du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

Harry B. Radomski

David E. Lederman

Goodmans LLP

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.